La DS : Miyamoto’s Touch

Dans sa jeunesse, Shigeru Miyamoto fabriquait des marionnettes pour se distraire. Faut-il s’étonner alors que, lorsqu’on lui demanda d’inventer un jeu vidéo inédit dans les années 80 envahies par les shoot’em up, il présenta les aventures d’un petit personnage en salopette qui devait courir pour libérer une jeune fille des griffes d’un vilain gorille ?

Miyamoto photo © bliss_bigA

Déjà, en faisant sauter Mario (…nnette, une des origines supputées du prénom célèbre) de plateformes en plateformes, il s’agissait de donner un poids physique et existentiel à des pixels. En mariant avec la candeur d’un génie les chocs précis de Pong et l’errance libre de Pac-Man, le jeune créateur de jeu inventait le mélange de burlesque et d’émotion qui caractérisera toute sa production. Dès ses débuts quasi accidentels dans le jeu vidéo, Miyamoto cherche le double équilibre où pesanteur des pixels et distance précise de contact avec les objets et décors des mondes rudimentaires de l’époque, deviennent les garants palpables d’une existence, même ludique, dans l’écran. Ce principe d’intégrer dans le gameplay même des jeux les moyens d’éprouver directement ou indirectement le monde virtuel de l’intérieur, toujours sous couvert d’amusement ou de challenges, Miyamoto ne cessera jamais de l’explorer.

Mario, Luigi, Samus, Link, Yoshi… s’arrachent à la pesanteur

C’est cette obstination qui lui permet d’entraîner les ingénieurs Nintendo vers la concrétisation que l’on croit impossible d’un univers en 3D avec Super Mario 64 puis Zelda : Ocarina Of Time. Son besoin de faire exister un monde virtuel concret en donnant au joueur tous les moyens physiques de le tester s’exprime depuis plus de 20 ans dans tous les jeux qu’il supervise. Que l’on pense à Mario donnant inlassablement des coups de tête dans tous les plafonds en briques sur son chemin. Que l’on pense à la fraction de seconde ou le petit dino Yoshi reste suspendu au sommet de son saut, moment éphémère et pourtant si poignant où l’on ressent le « poids » d’un petit animal, déjà plus tout à fait virtuel, cherchant à s’arracher à sa propre pesanteur. Que l’on pense à Samus Aran de Metroid nous prouvant la solidité de son monde extra-terrestre en rebondissant athlétiquement d’un mur à l’autre. Que l’on pense à Luigi tapotant tout le mobilier du manoir où son frère a disparu ou, plus vertigineux encore et annonçant, au fond, la Dual Screen, le même Luigi faisant face au joueur et frappant la vitre de la télévision en appelant Mario ? Déjà Luigi/Miyamoto ne se contente plus de vérifier le monde virtuel intérieur, il vient interroger le monde réel. La révélation récente du surprenant projet Dual Screen avec son écran tactile devient alors une évidence. On oserait presque dire l’aboutissement de l’aspiration de Miyamoto à trouver le point exact de jonction entre les mondes virtuels et réels.

La quête de Miyamoto

Même si elle passe avec un succès inouï par le jeu vidéo, la quête de Miyamoto est toutefois ailleurs. Avec la persistance obsessionnelle d’un génie transcendant les outils mis à disposition dans son siècle, Shigeru Miyamoto adapte chaque jour à sa vision le monde qui l’entoure. Lui seul saura peut-être un jour s’il a atteint son but. Que cette quête personnelle ait emprunté et quasiment inventé au passage le médium jeu vidéo sous sa forme moderne pour, en plus, réussir à communiquer aussi intimement et généreusement avec des millions d’enfants et d’adultes, révèle une stature unique impossible à mesurer de son vivant. Un artiste de poids assurément.

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François Bliss de la Boissière

(Inédit de juin 2004 destiné au mensuel mort né GameSelect)

 


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