The Danish Girl : La sensualité faite femme, et homme

Il y a toujours un risque quand un film retraçant la vie de peintres tente de reproduire dans l’image ce que la peinture elle-même dégage. La miraculeuse Jeune Fille à la Perle l’avait réussi avec chaleur en 2003. Récemment, le Mr. Turner de Mike Leigh s’y appliquait presque trop. Pialat le naturaliste, lui, s’en était abstenu avec son rêche Van Gogh de 1991.

Entre reconstitution idéalisée d’un Danemark de 1926 et soin minutieux et pictural du cadre et des éclairages, le film de Tom Hooper retrouve cette espèce d’hyper réalisme historique fascinant du Discours d’un Roi et Les Misérables. Là où le Carol de Todd Haynes s’obstine à brouiller l’image pour, peut-être, mieux étouffer les émotions inavouables, The Danish Girl scrute à la loupe le moindre éclat de lumière dans les tableaux et dans les regards. À ce point de grossissement des émotions et du grain de peau, il n’y a vraiment plus aucun recoin où les acteurs peuvent se replier. La prestation de Alicia Vikander (déjà récompensée curieusement en second rôle aux Critics’ Choice Awards) en femme solide mais femme quand même et de Eddie Redmayne en homme puis femme, avec toutes les étapes intermédiaires de la transformation physique et comportementale, laissent sans voix. Finesse de jeu, sensibilité à fleur de peau et de pupille, pudeur et impudeurs mêlées, douceur presque toujours… les Oscars auront du mal à éviter ces deux performances.

Au creux de ces magnifiques cadres d’appartements-ateliers (à Copenhague puis à Paris) d’un couple de peintres à faire rêver tous les aspirants artistes, va éclore une toile inédite, inattendue, charnelle et pas consciemment souhaitée par les deux auteurs. Une des forces du film est de ne pas faire reposer la naissance de Lili seulement sur l’homme qui se découvre femme. Le regard amoureusement complice et curieux de la portraitiste sur son compagnon paysagiste va quasiment forcer à faire apparaître sur la toile de leur vie le double féminin enfoui, Lili. C’est le regard d’Alicia Vikander sur Lili qui donne le la de la mutation. Amusée d’abord, puis inquiétée et finalement consentante. La compagne est le vecteur indispensable et indissociable de cette naissance. Lili ne veut et ne peut même pas exister sans l’amour de cette femme qu’il aime en tant qu’homme et en tant que femme.

La communauté LGBT trouvera sûrement dans cette histoire librement adaptée de vies réelles de quoi puiser quelques fiertés transgenres. Pourtant, tout en délicatesses et sensualités à la fois contenues et débordantes, témoignage romantique plutôt que militant, The Danish Girl se vit comme une immense histoire d’amour d’artistes d’abord, et une leçon d’humanité ensuite.

François Bliss de la Boissière


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Entretien Christophe Gans : L’hybride cinéma et jeux vidéo 2/2

Ex critique de cinéma devenu cinéaste, responsable du magazine culte Starfix, Christophe Gans ne veut plus distribuer les bons et les mauvais points. Mais sa passion critique et son sens de la formule sont toujours vivaces. Pour évoquer sa vision du jeu vidéo et du cinéma, forcément, on lui a laissé toute la parole. VERBATIM suite…

L’enthousiasme et la triple culture cinéma américain, asiatique et jeu vidéo ont permis à Christophe Gans, entre autre, d’adapter Silent Hill au cinéma. Mais on ne compte plus les projets de films avortés du réalisateur français (Nemo, Bob Morane, Rahan, Onimusha, Tarzan, Fantômas…). Alors avant de se lancer dans une nouvelle adaptation encore secrète d’un jeu vidéo d’horreur japonais, « oui, avec des jeunes filles effrayées ou effrayantes dedans » avoue-t-il avec un sourire complice (en 2014, ndr), Christophe Gans est venu nous parler de sa vision du jeu vidéo.

Beyond : Two Souls

« Annoncer que Beyond : Two Souls est joué par Willem Dafoe et Ellen Page n’est pour moi que du marketing. Parallèlement, quand les développeurs de Naughty Dog s’inspirent d’Ellen Page dans The Last of Us, ils créent un personnage cohérent qui se trouve avoir les traits de Ellen Page. Dans Beyond le personnage féminin ne sera toujours qu’un ersatz de la vraie Ellen Page. L’animation a cela de supérieur qu’elle permet de créer un personnage avec sa propre logique, celle de l’univers dans lequel il se déplace. Alors qu’un acteur virtualisé mis dans un univers virtuel ne sera toujours qu’une caricature de la réalité. Pour parler du travail de David Cage, j’ai été plus impressionné par l’univers de Heavy Rain. À tel point que pour La Belle et la Bête j’ai fait appel à Thierry Flamand et François Baranger, respectivement directeur artistique et concept artist sur Heavy Rain. »

Bioshock

« Pour résumer le problème, les films américains coûtent trop cher et donc tout le monde est pétrifié à l’idée de greenlighter un projet. Surtout quand il prétend adapter fidèlement un jeu vidéo. J’étais curieux de voir comment Hollywood allait se débrouiller avec Big Daddy et les petites sœurs. Mais comment faire passer dans un film hollywoodien une pareille idée où des petites filles, fruits d’expériences génétiques, sucent le fluide des cadavres ? Gore Verbinsky voulait faire le film exactement comme Ken Levine avait imaginé son jeu et dans une version non censurée. Et finalement Hollywood n’y est pas allé. »

Dead Island

« Je pense que cinéma et jeux vidéo vont de concert dans la même direction : l’accroissement du réalisme à l’écran. C’est comme l’idée du sang qui vient éclabousser l’objectif de la caméra. J’ai utilisé cet effet dans Silent Hill alors qu’on le voyait encore rarement à l’époque. Au cinéma le spectateur n’était pas censé avoir conscience de l’objectif de la caméra. Les réalisateurs ont pendant longtemps essayé de faire oublier qu’il y avait une caméra qui enregistrait l’histoire. Depuis l’irruption des found footage movies, tout est fait pour rappeler au spectateur que ce qu’il voit est filmé par une caméra, un téléphone portable ou une Go Pro. Comme si l’accroissement du réalisme impliquait dans tous les cas la présence de la caméra. C’est à mon sens une version très naïve du réalisme, telle qu’un enfant de 14 ans l’imagine. Aujourd’hui, je préfère des gimmicks plus simples : quand tu as le soleil dans le dos dans le jeu Dead Island, tu vois sur le sol l’ombre exacte du personnage sélectionné. Et c’est assez cool. »

Zombies

« Il y a encore quelques années nous vivions dans l’imaginaire résiduel de la Seconde Guerre mondiale, la lutte entre le bien et le mal, les forces occidentales face aux nazis. Aujourd’hui cet antagonisme s’est en grande partie évaporé et le zombie synthétise l’idée que l’ennemi c’est nous-mêmes, notre propre endormissement, celui des civilisations occidentales engourdies par la consommation et le matérialisme. George A. Romero a eu un éclair de génie en montrant ça dès 1978 avec Dawn of The Dead. Quelle est la grande leçon des élections Municipales en France ? La façon dont la société française veut se secouer de son endormissement en rejetant le gouvernement actuel et en plaçant le Front National a des hauteurs insoupçonnées dans certaines villes. Le principal ennemi et source d’angoisse numéro un des gens est dorénavant le fonctionnement social collectif. Le zombie est devenu le monstre qui nous est le plus proche. Il a envahi la BD, les séries télé, le cinéma et même les grosses productions hollywoodiennes. L’image très forte dans World War Z d’une marée de zombies déferlant dans les rues de Jérusalem doit plus au jeu vidéo qu’au cinéma. De la même façon, l’Attaque des Titans est un manga et un japanime extraordinaire (Shingeki no Kyojin publié par Pika Édition, NDR) où les titans en question sont des zombies géants qui cherchent à dévorer les êtres humains réfugiés dans des villes gardées par d’immenses murs. Oui nous sommes des morts-vivants en puissance et le zombie a gagné sa place de première créature de la pop culture. »

Demon’s Souls

« Demon’s Souls a la réputation d’être horriblement difficile mais voilà un jeu qui anoblit la condition du joueur. Tant que le Japon peut nous envoyer régulièrement un jeu comme ça dans la figure, je considèrerai le jeu japonais bien plus intéressant que le jeu américain. Dans Demon’s Souls il y a à la fois la modernité des jeux d’aujourd’hui et la tradition des jeux vidéo d’autrefois. Parce qu’il ne faut pas oublier qu’un art existe de par sa tradition. Demon’s Souls est dans la tradition du grand jeu japonais d’otaku, un jeu valorisant de par sa difficulté et sa jouabilité parfaite. »

Réalité Virtuelle

« Les photos de l’Oculus Rift m’ont rappelé le film cyberpunk Tetsuo 2 réalisé en 92 par le japonais cinglé : Shin’ya Tsukamoto. En voyant ces gens avec ces casques sur la tête je me suis dit qu’il s’agissait là d’une image de science-fiction assez effrayante. Finalement, l’idée qu’on s’emprisonne dans le virtuel est l’aboutissement logique de ce qu’on essaie de trouver à travers le jeu vidéo. La faculté que nous voudrions avoir de survivre dans les pires situations, de pouvoir renaître, va finir par se concrétiser. Un jour notre surmoi va se refermer sur nous. Je pense que le jeu vidéo est en train de redessiner la société humaine. »

À lire…

Entretien Christophe Gans : L’hybride jeux vidéo et cinéma 1ère partie où il nous parle de Dead Space, God of War, Otaku, Silent Hill et Onimusha…

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière en avril 2014

Photo de Christophe Gans © Nicolas Spiess

(Publié dans Games magazine #3)

 


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Les chevaliers blancs : du cinéma vérité en grand large

Sec, direct, pas neutre mais sans jugement définitif, un vrai film de cinéma fait vivre de l’intérieur l’opération de sauvetage douteuse de l’Arche de Zoé qui fait scandale depuis 2007.

Entre activisme sincère et roublardise plus ou moins assumée, une équipe commando de l’ONG Arche de Zoé tente de rapatrier du Tchad vers la France une centaine d’enfants supposément orphelins. Des parent adoptants en France les attendaient pour les accueillir. On ne refera pas ici l’actualité, le dossier n’est toujours pas clos (attention spoiler si on a oublié ou pas suivi l’affaire) , et le film, justement, n’oublie pas de poser et soupeser tous les enjeux.
La mise en en scène et le traitement sont à ce titre remarquables. La caméra épouse d’abord les gestes, l’organisation, le paysage. Que font ces gens qui déballent rapidement du matériel d’un avion avant de filer dans un désert de poussière à bord de 4×4 ? Quel est ce camp retranché qui les accueille ? Le film fait confiance aux images d’abord, à ce qui se passe dans le cadre plutôt qu’à ce qui se dit.
Avide depuis longtemps maintenant de ces rôles d’artisans, de métiers, Vincent Lindon est encore une fois une force en action. Même quand il reste immobile. Il est rejoint par une Louise Bourgoin formidablement butée et un Reda Kateb tout aussi fermé et concentré sur la tâche devant lui. Avec eux, le spectateur est méfiant, tendu vers l’avant, vers un objectif inconnu mais puissant. L’approche serait presque documentaire si le filmage n’était pas aussi cinémascope, aussi attentif aux moments de creux qui en disent plus long que l’action. Il y a du Ridley Scott dans la maitrise généreuse du cadre, du Michael Mann quand les focales isolent les personnages du paysage et font pénétrer dans leurs pensées. Sans surenchère spectaculaire ni économie de moyens, le film finit petit à petit par mettre sur la table toutes les questions en suspens, les doutes du spectateur et des personnages. Tout sera dit et presque montré, sauf le bilan qu’il faut en tirer parce que, évidemment, cette histoire vraie comme le  monde n’est ni toute blanche ni toute noire. Le film mérite notre patience.

François Bliss de la Boissière


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RIP le jeu vidéo japonais : fin de la parenthèse enchantée

Devinette pamphlétaire : Pourquoi Bloodborne, Metal Gear Solid V, Xenoblade Chronicles X, Splatoon et Mario Maker n’apparaissent pas dans mon best of jeux 2015 ? Interrogation légitime et réponse directe sulfureuse malgré elle : parce que j’assume ouvertement en tant que joueur, puis en tant que critique, ne plus me reconnaître dans le toucher perclus de rhumatismes et d’arthrose de la majorité des productions japonaises.
Mieux, je le conteste et le dénonce aussi bien en tant qu’oeuvre (ou ce qu’il en subsiste) qu’en tant qu’objet de consommation hors de prix. Y compris ce qu’il reste des plus haut de gamme. C’était déjà vrai les années précédentes, c’est devenu une certitude maintenant que la dernière grosse production made in Konami malgré elle, est sortie. Et, même si on nous dit que, en chiffres, tout va bien chez Mario,  Nintendo a perdu son mojo.

Fin du jeu punitif et masochiste à la japonaise

Bien sûr MGSV est une réalisation soignée nettement plus accessible que les précédents MGS… pour un jeu japonais. Car, comparé à des équivalents occidentaux, la prise en main et les situations de jeu continuent de se réduire à des exercices de constriction et de masochisme plutôt que de générosité et d’élan vers l’avant. Pour une raison ou une autre, volontaire ou pas (technique, UI, gameplay…), il faut à chaque fois lutter CONTRE les jeux japonais pour y jouer. Aucun des bugs pourtant grossiers de Just Cause 3 ne heurtent autant le joueur et le plaisir de jeu que les hoquets techniques permanents et dilués dans le gameplay de Xenoblade Chronicles X ou la difficulté castratrice de Bloodborne. Les puristes indécrottables du jeu vidéo made in Japan s’accrochent et revendiquent des difficultés à leur mesure sans faire le distingo entre jeu d’adresse voulu par les auteurs, programmations mal fichues et culture de l’auto flagellation qui souvent s’additionnent. Grand bien leur fasse. En réalité, ni le marché planétaire ni les gamers dernières générations encore silencieux ne soutiennent cette culture dépassée du passé arcade.

Shadows of the colossus

Dans un jeu moderne, actuel donc, les développeurs ont la responsabilité auprès du public/consommateur de proposer un dosage de difficulté modulable et non d’imposer un mur infranchissable ou exigeant des efforts excessifs. Je considère cela comme une politesse minimum due au client. L’interface technique doit être au service du joueur et non faire plier celui-ci à ses exigences mal formulées ou mal programmées (oui, l’américain Fallout 4 en est aussi coupable en 2015). Nintendo en personne a fini par le comprendre en introduisant le Super Guide dans ses Mario en 2D. Les bacs d’occasions se remplissent trop vite de ces jeux survendus par une pseudo élite du jeu vidéo érigée en porte-parole collectif. Erreur incestueuse d’un milieu qui s’accroche à ce qu’il connaît, ou croit devoir reconnaître comme un passe indispensable, et fige le présent dans l’ombre des statues du passé. Si on comprend et partage l’amour et le respect du jeu vidéo japonais qui a donné sa seconde chance à une industrie mort née au début des années 80 (on l’a accompagné et même participé à sa reconnaissance transculturelle au tournant des années 90-2000 et jusqu’à il y a peu encore) il faut aussi admettre l’évidence même quand elle embarrasse. Même quand elle gagne peu à peu aussi l’intouchable Nintendo. Même s’il y aura encore de beaux restes. Même si Atsushi Morita, le président de Sony Computer Japon espère réveiller la scène japonaise à l’international. Ce que plusieurs créateurs japonais ont eux-même prédit et annoncé ces dernières années doit désormais être acté : le jeu vidéo japonais, en particulier sur console de salon, est mort*.

Nintendo rejoue Sega ?

Quand de mon petit coin du web j’appelle Nintendo à s’allier à Apple avant qu’il ne soit pour de bon trop tard, c’est un appel au secours raisonnable : il faut sauver le petit soldat Nintendo ! Il faut que Nintendo se sauve lui-même de lui-même. Splatoon et Super Mario Maker sont absolument adorables et ne souffrent pas des grincements mécaniques d’autres productions japonaises (encore que, sur Wii U, les limites se ressentent vite). Mais d’un point de vue créatif, Nintendo tourne en rond et se délite jeu après jeu. Dans aucun conte de fées il n’est acceptable que le bonheur se rémunère en argent comme l’a osé honteusement Tomodachi Life en 2014, entérinant malgré lui l’innocence perdue de Nintendo. Le storytelling Nintendo nous raconte que Splatoon a été conçu en interne par une nouvelle génération de développeurs. Sauf qu’on jurerait que Splatoon a été conçu par le Sega des années 2000. Les jeunes créateurs japonais chez Nintendo n’auraient donc pas d’autre porte de sortie créative que de singer le style de l’ex grand concurrent ?

Nintendo botte en touche

Que reprocher à Mario Maker à part arriver après (x3) LittleBigPlanet aux même fonctions « make it yourself » ? De déléguer aux joueurs la pseudo réalisation d’un nouveau Mario au lieu d’en concevoir un lui-même. Oui cela sonne comme de la mauvaise foi. Pas tout à fait. Offrir au peuple un piano à chacun ressemble en effet à un geste de générosité démocratique. Quel meilleur moyen pour déclencher des vocations, trouver le prochain Chopin ou, pour rester dans notre domaine, le prochain Miyamoto ou Yugi Naka ? Sauf que Nintendo n’est pas fabricant de pianos. Nintendo est le compositeur de génie dont on attend la prochaine mélodie, la prochaine symphonie. La critique en place a beaucoup raillé Wii Music qui allait déjà chercher la créativité du joueur au lieu d’offrir un jeu au sens traditionnel. J’avais salué l’insaisissable Wii Music, je grinche à ce Mario Maker industriel qui autorise Nintendo à botter en touche et à nous balader dans des « stages » de bric et de broc en attendant la NX et, on l’espère encore, un vrai et innovant Mario… Si possible à jouer, pas à faire soi-même maladroitement en kit. Mais, ok, that’s me.

Mettre pavillon bas

Voilà trop d’années maintenant que l’on se sent obligé d’expliquer régulièrement que le jeu vidéo japonais n’est plus que le souvenir de lui-même. Avec cette impression très désagréable de bégayer les mêmes faits et arguments (principe de base épuisant du journalisme), d’avoir à justifier, et donc de radoter. Sans doute parce que, même si les chiffres de ventes confirment * déjà (hors l’insulaire Japon et son boum sur mobiles s’entend) depuis longtemps le déclin populaire des productions japonaises (voir par exemple le dernier relevé des ventes dématérialisées), la culture manga-anime japonaise est si forte en France qu’elle continue d’irriguer les influenceurs et intellectuels du jeu vidéo incapables de remettre en question cette tranche de leur culture. Elle appartient pourtant désormais au passé et au rétrogaming. Après l’ultime effondrement de Konami et Kojima cette année, à quoi s’ajoute un Nintendo en perte ou en quête d’identité – on ne sait plus, je vais pour ma part considérer le dossier jeu vidéo japonais clos. Quelle que soit l’autorité que l’on me prête, ou pas, sur la culture du jeu vidéo, il ne m’appartient évidemment pas à moi seul de tirer le rideau sur tout un pan de la culture qui continuera d’exister dans nos coeurs, nos mémoires et nos musées. Mais puisque je prends la parole régulièrement, et parfois encore professionnellement, je m’engage à ne plus rappeler l’évidence en brandissant le même drapeau rouge d’alerte au soleil levant devenu couchant. Pour ne plus braquer ou blesser le lecteur désormais averti, et ne plus se trouver dans la posture du ruminant.

Âge d’or et dernières salutations

On essaiera avec curiosité, respect, et même amusement, les prochaines productions japonaises et en particulier les StarFox Zero, Dark Souls III, Final Fantasy XV, Street Fighter V et l’incongru remake Final Fantasy VII prévus en 2016. Mais sans en attendre rien de plus que précédemment. Et pour les « critiquer » on n’invoquera plus toute l’histoire du jeu vidéo pour tenter de ménager l’affection désormais hors sujet de la culture passéiste du jeu vidéo japonais. Pour tout dire, l’espoir (à dissocier du désir) qu’il nous reste encore vis-à-vis de The Last Guardian repose essentiellement sur le fait qu’un certain Mark Cerny et ses équipes sont venus à la rescousse (technique) de la Team Ico et Fumito Ueda. Et, oui, même si on a été échaudé par les limites techniques de Twilight Princess et Skyward Sword, on croit encore au prochain Zelda Wii U ou, surtout, NX.
Il faut sans doute encore un peu de recul pour refermer sans douleur la blessure. Mais peut-être qu’après l’avoir précisément datée, les historiens qualifieront la parenthèse enchantée pendant laquelle le Japon était maître du jeu comme le 2e Âge d’Or du jeu vidéo après celui des origines. L’histoire du jeu vidéo d’aujourd’hui et de demain s’écrit en Amérique du Nord et en Europe. Deal with it.

François Bliss de la Boissière

* Et sans doute aussi au Japon si l’on en croit le suivi méticuleux des chiffres de vente de Oscar Lemaire 

Tweet chiffres Oscar Lemaire


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Entretien Christophe Gans : L’hybride jeux vidéo et cinéma 1/2

Ex critique de cinéma devenu cinéaste, Christophe Gans ne veut plus distribuer les bons et les mauvais points. Mais sa passion critique et son sens de la formule sont toujours vivaces. Pour parler jeu vidéo on lui a laissé toute la parole. VERBATIM…

Là où l’Amérique a son Quentin Tarantino, la France a son Christophe Gans. C’est à dire un ogre d’images à la passion cinéma dévorante et virale qui cumule sans hiérarchie dominante le savoir encyclopédique de Martin Scorsese et la culture du cinéma bis de vidéoclub. Mais quand Tarantino reste bloqué à l’argentique et à l’analogique, Gans embrasse avec gourmandise la culture numérique. Car à sa passion cinéma azimutée est venue se greffer celles, toute aussi sincère et viscérale, du manga et du jeu vidéo.  Rencontré début 2014 peu après la sortie de son dernier film La Belle et la Bête, nous avons entrainé le réalisateur de Silent Hill dans une conversation passionnée autour du jeu vidéo et de sa relation tumultueuse avec le cinéma…

Jeux vidéo

« À une certaine époque je ne pouvais pas me passer d’enfourcher Epona, le cheval de Link, et de galoper dans les mondes de Zelda : Ocarina of Time ou Majora’s Mask. C’était un besoin physique. De la même façon, j’ai dû jouer 6 ou 7 fois au premier Bioshock. J’y reviens régulièrement. J’aime déambuler dans Rapture, regarder autour de moi et comprendre les détails de cette utopie qui a capoté. Ken Levine sait surement qu’il y a des gens comme moi qui retournent régulièrement dans Rapture, la réexplore et finalement apprécie son travail. Je suis un collectionneur de jeux vidéo. Il y a chez moi un mur entier avec toutes les consoles et leurs jeux dans des boitiers impeccables, avec les notices. J’ai les dernières consoles, évidemment. J’attends comme un fou d’essayer Titanfall sur Xbox One. Sur PS4, j’ai d’abord joué à la version revampée de Tomb Raider parce qu’il m’intéressait de voir en quoi la PS4 apportait quelque chose de plus par rapport à la PS3. Et en effet on mesure vraiment le plus. Mais de temps à autre je ressors ma veille Super Nintendo et je relance un bon vieux RPG. Je fais partie de ceux super contents de pouvoir télécharger des jeux de rôle sur leur tablette. Faire ses choix dans les menus et tableaux a toujours été laborieux avec une manette, alors que c’est idéal et intuitif sur tablette. J’ai dernièrement téléchargé Final Fantasy VI et je vais m’y remettre. Je m’en réjouis d’avance. »

Dead Space

« Les monstres de Dead Space doivent beaucoup à The Thing de John Carpenter. Le virus qui infecte leurs chairs et les a transformé en xénomorphe de combat capable de survivre dans n’importe quel environnement est purement carpenterien. En particulier dans Dead Space 3, jeu maudit qui pendant 8 heures avance comme un mauvais remake des deux autres avant de prendre son ampleur réelle sur la planète gelée. Il y a cette impression très bizarre d’une bifurcation industrielle et conceptuelle en plein milieu du jeu. Ce Dead Space dans la neige devient littéralement un hommage à The Thing. »

God of War

« J’ai eu entre les mains l’adaptation de God of War que préparait à un moment Hollywood et c’était à se taper la tête contre les murs. On connaît tous le jeu vidéo conçu de manière très exemplaire, définition des personnages, esthétique, histoire, niveau de violence etc. Le scénario que j’ai eu entre les mains était une trahison à chaque page. Pour résumer, il faisait de Kratos un bon papa, un sous Maximus (Gladiator, NDR). Jamais je ne m’y serait lancé. Jamais ! Hollywood est une vieille institution, une vieille dame pas partageuse qui n’a pas envie de traiter d’égal à égal avec une industrie concurrente potentielle. Quand Ubisoft ou Electronics Arts s’assoient à une table avec des cadres d’Hollywood, je suis persuadé qu’ils s’entendent dire : « Nous allons faire du cinéma hollywoodien à partir de votre franchise, nous allons garder le titre, et soyez heureux que nous gardions aussi le personnage central. » »

Otaku

« Le manga et sa soeur, la japanime, sont véritablement le chainon manquant entre le cinéma et le jeu vidéo. Quand je me lance dans Crying Freeman en 1995, les gens me demandent pourquoi adapter une BD japonaise, pourquoi ne pas américaniser l’histoire… ? Depuis, les manga font l’objet de grandes analyses, la japanime fait l’ouverture de Berlin. En son temps, les revues de jeux vidéo étaient les seules à avoir pris la défense de Crying Freeman. Logique ! En 1995 cet univers était encore de la contre-culture et je m’y suis accoudé pour faire mon premier film. En 15 ans, nous sommes passés du mépris le plus total à une vraie forme de légitimité. Ça se déroulera de la même manière pour le jeu vidéo. »

Silent Hill

« Quand j’adapte Silent Hill je me mets au service de la Team Silent. Il est hors de question pour moi de me substituer aux créateurs et de m’attribuer les mérites de Silent Hill, d’entacher une création admirée par tant de gens. Pour autant, je suis heureux de voir reprise dans les nouveaux jeux Silent Hill l’idée qui était la mienne dans le film du passage d’une dimension à l’autre sous la forme d’une peau qui se pèle. Le film a été diversement apprécié, mais il est encore aujourd’hui considéré comme l’adaptation la plus orthodoxe d’un jeu vidéo. Et c’est une victoire pour moi. Depuis, la Team Silent s’est fait déposséder de sa création. À partir du 5e épisode l’éditeur a décidé de produire Sillet Hill pour le reste du monde en faisant appel à des studios occidentaux. Comme au cinéma, nous assistons aujourd’hui à une globalisation du marché. Les particularismes qui faisaient autrefois la force des cinématographies japonaises, italiennes, françaises ou américaines, sont en train de finir de s’effacer. Aujourd’hui Silent Hill est un survival horror comme un autre. »

Onimusha

« L’histoire de l’interruption de l’adaptation d’Onimusha est très triste. Je me souviendrai toujours, l’équipe des décorateurs du film étaient déjà à pied d’oeuvre en Chine, et j’étais au bureau à 1h du matin en train de travailler sur le film. Je reçois un SMS : « Il paraît qu’Heath Ledger est mort ». Je me tourne vers mon producteur exécutif et je lui dis : « Si c’est vrai on est cuit ». Heath Ledger n’avait rien à voir avec mon projet sauf qu’il jouait dans L’Imaginarium du docteur Parnassus de Terry Gilliam que mon producteur Samuel Hadida finançait également. Et ça n’a pas coupé : l’assurance de garantie de bonne fin s’est mise en branle. Seul comptait le sauvetage financier de Parnassus. Et c’est notre projet qui a morflé. Quelques concepts d’Onimusha ont atterri dans La Belle et la Bête. À la fin, une espèce de soleil nucléaire incendie tout et pétrifie les gens au milieu de grandes herbes agitées par le vent. Ce petit moment donne une idée de ce qu’aurait été l’esthétique dark fantasy à sauce japonaise du film Onimusha. »

À suivre…

Entretien Christophe Gans : L’hybride jeux vidéo et cinéma 2ème partie où il nous parle de Beyond : Two Souls, Bioshock, Dead Island, Zombies, Demon’s Soul et de Réalité virtuelle… 

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière en avril 2014

Photo de Christophe Gans © Nicolas Spiess

(Publié dans Games magazine #3)

 


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Carol : le méli-mélodrame politiquement correct de Todd Haynes

En détournant le mélo amoureux contrarié, Carol ne laisse pas le coeur indemne. On accepte volontiers la manipulation d’une romance à risques entre deux femmes des années 50 puisque même de nos jours cette liberté là n’est pas tout à fait acquise dans nos sociétés. Observer l’amour défier les conventions et gagner son droit d’exister contre la société et ses préjugés d’hier fait toujours mouche. Surtout aussi bien interprété et élégamment mis en scène. Mais treize ans (!) après le formidable Far from Heaven, l’Amérique des années 50 de Todd Haynes rejoue et surjoue cette fois un peu trop l’époque sans y apporter une plus value formelle adaptée ni un fond politique durable.

C’est que, depuis, les Mad Men sont passés par là, et la représentation des années 50-60 de la série de Matthew Weiner n’est pas loin de faire office d’ultime mètre étalon à l’écran. Surtout que la précédente référence en la matière restait… le Far from Heaven du même Todd Haynes. Film au classicisme formel coloré et classieux emprunté à Douglas Sirk qui permettait de mieux fissurer le vernis superficiel de l’American way of life post Seconde Guerre mondiale. Carol se passe essentiellement à New York et sa banlieue bourgeoise et non plus dans une province idéalisée de la Nouvelle-Angleterre. Le décor est alors plus urbain, plus sombre, les gens supposément moins coincés dans leurs rôles, peut-être plus avertis et, sans doute, plus aptes à prendre des risques et à se libérer des contraintes sociales. C’est du moins ce que le film laisse poindre.

Todd Haynes s’appuie ainsi sur un roman « lesbien » de Patricia Highsmith audacieux en 1952, filme « comme si » en Super 16 mm et cherche ses plans dans les cadrages sous verre mouillé du photographe Saul Leiter. Des pedigrees indiscutables. À l’oeil cependant, sur grand écran, le film est flou et presque terne, notamment dans les intérieurs. La reconstitution historique avec ses belles voitures, ses intérieurs feutrés et ses costumes recherchés en prend un coup. Le grain et le piqué ont des limites plastiques en 2015 que le maniérisme rétro ne peut plus toujours justifier. Surtout que, encore une fois, de Douglas Sirk à Vincente Minnelli, le cinéma Technicolor des années 50 claque encore à l’écran plus que celui de toutes les autres époques. Les décors que l’on devine – seulement – brillants de Carol font alors un peu rabougris et tristes. Si c’est l’idée artistique, elle tombe à plat et bride le film.

Heureusement le jeu intense des actrices, lui, remet de la lumière sur la pellicule gonflée. À ce titre, aux côtés d’une Cate Blanchett toujours admirable mais pas très loin de sa Jasmine grande bourgeoise décalée de Woody Allen, le jeu tout en naturel et passion retenue de Rooney Mara impressionne grandement (Palmée à Cannes). Dommage cependant que Todd Haynes n’adresse pas ouvertement le rapport de classe qui lie d’abord les deux personnages féminins. La mise en scène veut nous faire croire dès le départ à un coup de foudre amoureux équitable alors que, forcément, la petite vendeuse Thérèse (Rooney Mara) doit d’abord être fascinée par la grande bourgeoise Carol au double pouvoir de décision et d’achat capricieux. Les invitations de Cate Blanchett sont d’abord des invitations à venir goûter non pas un rapport amoureux inavouable mais le mode de vie de l’Amérique bourgeoise. Le film veut nous faire croire à une relation désintéressée alors que celle-ci démarre et s’articule d’abord à partir d’un rapport hiérarchique de classe. Carol veut et décide. Soumise et fascinée, la jeune Thérèse dit oui à chaque fois. Tard dans le film, une Thérèse culpabilisante reconnaitra d’ailleurs à juste titre sa réédition permanente aux désidératas de Carol. Mais cette passivité est mise au compte de la passion et non du rapport de classe qui pourtant prédomine. Le réalisateur a visiblement préféré éteindre ce thème là pour mieux en souligner d’autres. Notamment celui de tous les hommes clichés que le film épingle avec raison sans rémission. Sauf que l’affreux mari joué par Kyle Chandler (Super 8, Bloodline…) – pour une fois en mode contre-emploi, entraine le portrait sensible de deux personnes vers la caricature d’une époque.

D’abord au service du mélo assumé, situations et personnages sont systématiquement présentés de manières partiales. En escamotant la dimension sociale et politique hurlant d’être traitée en parallèle à la romance, comme dans Far from Heaven, Carol se contente assez naïvement de présenter une histoire d’amour sans autre enjeu que celui du droit légitime de s’aimer entre personnes de même sexe. Une évidence de nos jours. En particulier en France où La Vie d’Adèle et La Belle saison, cette année, sont déjà passés par là.

François Bliss de la Boissière


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BEST OF FILMS 2015 : Rétrofuturs (la tête dans les étoiles)

Quelle période faste pour les amateurs de SF ! Ce qui était hier le plaisir des ados, geeks et autres nerds, est devenu le genre le plus attractif des salles de cinéma. Star Wars rattrape ainsi le record de Avatar au box office mondial et confirme l’aspiration populaire à décoller vers le futur et l’imaginaire. Beaucoup se plaignent de l’omniprésence des effets spéciaux numériques, et « beaucoup » a raison quand ils prennent la vedette sur les acteurs et l’humain. En réalité, puisque tout semble désormais possible à l’écran, le cinéma est vraiment en train d’atteindre la magie totale qu’on lui accordait un peu prématurément au siècle dernier. Et inévitablement, le cinéma redevient ce phénomène de foire délirant de ses débuts avec des orgies de trucages, cette fois numériques, plus ou moins spectaculaires ou de bon goût. Je crois que Méliès serait ravi de nos jours et s’amuserait comme un fou.

Mes 10 films de 2015 *

 

  1. Mad Max: Fury Road (George Miller)

  2. Ex Machina (Alex Garland)

  3. The Martian (Ridley Scott)

  4. Birdman (Alejandro Gonzalez Inarritu)

  5. Bridge of Spies (Steven Spielberg)

  6. La Belle Saison (Catherine Corsini)

  7. Maryland (Alice Winocour)

  8. Mon Roi (Maïwenn) / La Tête Haute (Isabelle Bercot)

  9. Dheepan (Jacques Audiard)

  10. Star Wars : The Force Awakens (J.J. Abrams) / Jurassic World (Colin Trevorrow)

Réalisateurs, vieux de la vieille et up & down

Si la carrière de J.J. Abrams est désormais totalement en orbite intergalactique (qui en doutait ?), le cinéma a perdu hélas en 2015 deux cinéastes majeurs des 90-2000. Michael Mann et P. T. Anderson ne sont évidemment pas morts, mais leurs derniers films ne sont plus que la caricature de leur cinéma. Six ans après le déjà discutable Public Ennemies, la présentation vieillotte des menaces cyber de Hacker dans un emballage superficiel de thriller file un terrible coup de vieux au cinéma de Michael Mann. Si l’on accordait le bénéfice du doute aux bizarreries indigestes mais si bien filmées en 70 mm de The Master, le décousu, pénible, lambin et complaisant Inherent Vice ne fait plus rire. P. T. Anderson s’enfonce ainsi dans un cinéma d’auteur private joke qui ne parle qu’à lui même et à ses acteurs. Avec l’incongru Knight of Cups (quête existentielle au coeur d’Hollywood blingbling ?), le soporifique Terrence Malick confirme qu’il ne prie plus que pour lui-même.
En parallèle, Ridley Scott (78 ans !) ne s’essouffle pas et continue de filmer des blockbusters à une cadence invraisemblable. Et tous les 3 ou 4 films il en réussi un vraiment bon. Tel The Martian que la Fox lui a proposé et qu’il a accepté en 24h. Après Alien, Blade Runner et Prometheus, et avant même la sortie de Alien Covenant, cela fait de lui devant Spielberg et J.J. Abrams le plus grand réalisateur de SF au monde avec James Cameron. Galon qu’il gardera probablement jusqu’à la sortie des 3 prochains Avatar.
Un peu dépassé par les évènements et la vague super-héros mais toujours actif contrairement au grincheux et déconnecté George Lucas, Spielberg, de son côté, lâche tranquillement un Bridge of Spies incroyablement pertinent à l’heure des frontières redevenues floues. Il rejoint sur le tard le classicisme historique visant la postérité de Clint Eastwood.

Coming out

2015 est l’année où des doubles talents aspirants réalisateurs ont réussi à s’exprimer avec leur premier film.  Avec Ex Machina le scénariste Alex Garland tape en plein dans le mille des problématiques de notre prochaine cohabitation avec l’Intelligence Artificielle. Cette version peut-être douce et cérébrale de Terminator aura certainement plu à Elon Musk. L’industriel s’est fendu d’un appel collectif à se méfier de la naissance incontrôlée d’une prochaine l’I.A potentiellement supérieure à l’homme.  Ryan Gosling a su prouver qu’il n’était pas seulement une belle gueule et un bon acteur avec son premier film Lost River entre David Lynch et Jim Jarmusch. Une carrière de réalisateur à la Sean Penn est à sa portée. Plus quelconque mais tout de même digne d’attention dans la veine des films parlés de Richard Linklater, le premier long métrage de Chris Evans réalisateur (Before we go) lui ouvre sans doute d’autres portes que celles gagnées à la force des muscles de Captain America.

Elles pour toutes

Les bonnes étoiles du 7e art ont aussi offert en  2015 une belle année, « saison », pour les femmes au cinéma, plus seulement devant mais derrière la caméra et dans les esprits. Ainsi, tout naturellement, 4 magnifiques films de réalisatrices qui frappent au ventre autant qu’à la tête s’installent dans mon palmarès pourtant plus orienté vers l’imaginaire que les drames quotidiens. Oui le cinéma français est visuellement plus modeste et plus terre à terre que le cinéma américain et ses gros moyens (sauf les films tellement stylés de Jacques Audiard) mais quand il réussit une étude de caractère, le cinéma français reste sans égal.  À l’écran, la place de la femme dans la société à plusieurs époques a été au centre d’un nombre inhabituel de films. Même si parfois maladroits, les Suffragette, Wild, Journal d’une femme de chambre, Les jardins du Roi, Far from the Madding Crowd, La Femme au tableau, Ricki and the Flash, Testament of Youth, Joy et même Big Eyes ont fait leur maximum pour rendre hommage au talent et à la détermination des femmes qui n’ont, évidemment, rien à envier aux hommes. Et qui d’autre que la guerrière Furiosa prend le pouvoir sur le monde des hommes-bêtes de Mad Max : Fury Road ?

It’s a Mad Mad Mad Mad World

Contrairement à d’autres, contemporains ou anciens, George Miller est sans doute un réalisateur économe qui prend son temps. Mais quand il sort un film, comme James Cameron d’ailleurs, il change le langage même du cinéma. Bien plus qu’une suite ou un reboot opportuniste que les producteurs espéraient sans doute, Mad Max : Fury Road, comme le nom de sa vraie héroïne Furiosa le dit, est une furieuse claque de cinéma dans une décennie cinématographique un tantinet désabusée et ronronnante à l’abri des boucliers numériques. Aussi énervé et sauvage que esthétique, Fury Road n’avait même pas besoin d’être en plus intelligent et porteur d’un message (écolo, féministe) pour balancer à la tête du monde une leçon de cinéma d’une pureté rock enfantine rare.
Finalement, le copié-collé assumé du metamodernisme** existe aussi au cinéma et ce de manière particulièrement flagrante en 2015. Les 4 reboots/remakes/relectures (comment les qualifier réellement ?) de Jurassic World, Terminator Genisys, Star Wars et même Mad Max installent un cinéma de la régurgitation, de l’auto citation, du recyclage à peine masqué. Ils ressemblent à cette époque trois-pas-en-avant-deux-pas-en-arrière, celle qui cherche à avancer avec tous les moyens technologiques du futur et n’arrive qu’à regarder et revivre le passé.

* Sur 89 vus en très grande majorité en salles (liste ici) Avec regret, on reportera au palmarès 2016 le fulgurant Steve Jobs de Danny Boyle/Aaron Sorkin et le monstrueux The Revenant de Inarritu. Futurs oscarisés que les distributeurs français déconnectés du 21e siècle n’ont pas jugé bons de sortir en 2015 en France. Ils font la joie et la tristesse du téléchargement improvisé. On retournera les voir en salle plutôt deux fois qu’une.

** « Today, we are nostalgists as much as we are futurists » (Metamodernisme Manifesto)

Quelques navets irrécupérables/inexcusables

  • Everest
  • The Walk
  • Le Tout nouveau Testament
  • In The Heart of the Sea
  • Welcome Back (Aloha)
  • Fantastic Four
  • Maze Runner : Scorch Trials
  • Chappie
  • Gunman
  • Love

Quelques coups de coeur (qui a ses raisons que…)

  • Imitation Game
  • American Ultra
  • Loin des hommes
  • La Tête haute
  • Valley of Love
  • Ricki and the Flash
  • La Résistance de l’air
  • Big Hero

François Bliss de la Boissière

 


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BEST OF JEUX 2015 : Réincarnations

Si 2015 est une sorte d’année de transition malgré elle en attendant de grosses pointures repoussées à 2016 (vous les connaissez), 2015 est aussi une année de consolidation industrielle, technique et sans doute artistique comme je commençais à l’expliquer ici. Plusieurs éléments concordants l’indiquent.

À l’affût

Des productions indépendantes atteignent désormais la qualité et l’ambition des blockbusters produits par de gros éditeurs (voir les 3 premiers de ma liste). Les (trop ?) nombreuses rééditions HD ont permis à certaines équipes de se familiariser avec les besoins et capacité des dernières consoles. Les prochaines grosses productions devraient profiter de cette expérience. Le report assumé et donc planifié à 2016 de plusieurs gros titres me semblent démontrer une forme d’assurance plutôt que de dérapages incontrôlables comme le jeu vidéo en a si fréquemment connu. Même Ubisoft a su redresser la barre dans les temps avec un Assassin’s Creed annuel (Syndicate) techniquement presque irréprochable malgré quelques craintes.

Nouvelle ère

L’assurance indiscutable de Destiny 2.0 avec ses extensions pas si corrompues rassure aussi sur l’ambition et les capacités de Bungie dont on a failli douter… Même si mal compris par les gamers qui confondent qualité intrinsèque et temps de jeu à la minute, la maîtrise visuelle de The Order : 1886 et Until Dawn entérine l’ambition graphique de Sony Computer et promet un bel avenir à la fusion jeu vidéo et cinéma qui se prolongera forcément avec le casque PlayStation VR. Et puis 2015 est aussi sans doute la dernière année d’une certaine idée du jeu vidéo. La lecture de la séquence en deux temps qui voit en 2015 la confirmation de l’effondrement du jeu vidéo japonais (Konami en tête, on y revient prochainement en détails) juste avant le débarquement de la réalité virtuelle en 2016 (même avec des freins tarifaires) annonce l’ouverture d’un nouveau chapitre dans la folle histoire du jeu vidéo.

Mes 10 jeux de 2015

 

  1. The Witcher 3 : Wild Hunt (CD project Red)

  2. Ori and The Blind Forest (Moon Studios)

  3. SOMA (Frictional Games)

  4. Rise of the Tomb Raider (Crystal Dynamics)

  5. The Order : 1886 (Ready at Dawn)

  6. The Talos Principle : édition deluxe (Croteam) PS4 et Mac

  7. Mad Max (Avalanche Studios)

  8. Destiny : Le Roi des Corrompus (Bungie)

  9. Until Dawn (Supermassive Games)

  10. Rare Replay/Zelda Majora’s Mask/Uncharted : The Nathan Drake Collection

Quand on a la chance de jouer à une majorité des jeux sortis dans une année, en retenir 3 ou 5 dans un top est vraiment insuffisant. On s’y efforce sous la demande, par exemple en 2014 et en 2015, mais la frustration est grande. Surtout parce qu’une courte sélection ne suffit pas à représenter l’étendue des expériences vécues dans une année jeu vidéo.

Indés au top

Au-delà du goût et du plaisir éventuellement subjectif, les trois premiers jeux de ma liste couvrent étonnamment le spectre des possibles du jeu vidéo d’aujourd’hui. L’open world maitrisé et non pas juste exploité en mode remplissage avec The Witcher 3 ; la régurgitation artistiquement rehaussée – et non bêtement rejouée – des fondamentaux du jeu japonais avec Ori and The Blind Forest ; la maturité de l’immersion sensorielle en vue subjective dont vont hériter directement les prochaines expériences en réalité virtuelle avec le tétanisant SOMA. Ces 3 jeux portent plusieurs messages. Ceux de leurs thématiques explicites ou en creux : la mise au premier plan de la valeur physique et temporel de l’espace et des éléments, la poésie et l’animisme intégrée au gameplay, évolution de l’être humain en milieu technologique ; et ceux de leurs réussites : 3 jeux haut de gamme développés par des studios indépendants. Ces 3 projets hyper soignées ont réussi à fusionner le fond et la forme, sont allés au bout de leur ambition. Et, signe du futur au présent, deux d’entre eux n’existent qu’en format dématérialisé.

L’horizon est la limite

Malgré toutes les pubs intrusives, Rise of the Tomb Raider n’a pas fait l’évènement qu’il mérite confiné sur Xbox One et pourtant, voilà un des jeux les mieux conçu et réalisé au monde. Sorti fin décembre 2014 sur PC puis en mai sur Mac et récemment sur PlayStation 4, The Talos Principle et son extension Road To Gehenna est non seulement un époustouflant puzzle game en vue subjective (l’imminent The Witness de Jonathan Blow sera mesuré à cet exploit) mais un objet interactif à thèse d’une intelligence et d’un humour rares. Plus fini et sérieux que le rigolo foutraque Just Cause 3, Mad Max est comme The Witcher 3 d’abord une expérience sur l’espace, la nature et ses éléments, l’horizon, connu et inconnu. Celui, justement, que le jeu vidéo repousse chaque année un peu plus.

Les maux de la fin

Un petit mot sur les jeux Nintendo dont toutes les franchises connues sont sorties sous une forme (exploitative) ou une autre sans qu’aucune ne retienne l’attention plus que la réédition de Majora’s Mask. Oui Super Mario Maker et Splatoon sont funs et intéressants mais toutes les autres productions Nintendo sont en dessous du standard de la marque (on en parle ici). Difficile de savoir si cette année aussi de transition (et de tristesse) pour Nintendo conduira à un retour en force ou à un repli sur le marché Japonais entièrement dévoué au jeu mobile low-tech.
Toutes les rééditions HD occidentales sont méritantes. Pour évacuer les polémiques à l’exploitation mercantile, rappelons qu’elles visent d’abord les nouveaux propriétaires de consoles « nextgen », les switchers (une grosse génération Xbox 360 a basculé vers la PS4, n’est-ce pas ?) et les esthètes qui apprécient un rehaut graphique et technique (j’en suis). Celles retenues ex aequo dans ma liste sont particulièrement exemplaires et indispensables pour toutes sortes de raisons historiques. Rare Replay offre enfin l’occasion de revisiter l’histoire du studio anglais manettes en main (et ça fait parfois mal). La réédition très classieuse de la trilogie Uncharted parfaitement jouable sur PS4 anticipe bien Uncharted 4 et offre l’occasion d’une relecture après la secousse The Last of Us du même Naughty Dog. Et bien entendu, pouvoir enfin relancer le trésor Zelda Majora’s Mask quand bon nous semble ne se discute même pas.

François Bliss de la Boissière


Illustration de Une : The Talos principle / Road to Gehenna


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The Hateful Eight : Le 8e film de Tarantino est aussi son 1er

Tarantino ne faiblit pas même s’il s’enferme dans un cinéma autarcique de plus en plus étouffant malgré le cinémascope survendu et souvent inutile*. Fidèle à lui-même, pire que jamais, il adore gicler sur la toile et les spectateurs ses mots crus, cruels, sales et baignés dans le sang. Avec toujours ce risque d’être lu au premier degré et d’entendre ses insultes racistes (mais pas misogynes, non, le personnage féminin est aussi mal et bien traité que les masculins) reprises sans contexte dans la rue. Bien sûr, comme avec les frères Cohen, ce portrait d’imbéciles bavards se croyant plus malins les uns que les autres dresse le portrait à rebours d’une Amérique primitive. Soit, l’antithèse du cinéma d’Aaron Sorkin. Mais pour rhabiller les mythes de l’Empire contemporain – cette fois la gueule de bois bicolore post Guerre de Sécession – il faut écouter penser tout haut à longueur de raisonnements demeurés des personnages grotesques et caricaturaux. Surtout que, appuyé exceptionnellement par une composition originale de Ennio Morricone, le western sauvage de Tarantino joue pour de bon une partition empruntée à Sergio Leone et ses suiveurs. Plus spaghetti que Django Unchained, son western théâtral surjoue les cadres interminables, les moments suspendus indéfiniment, parfois sans autre raison que la fascination d’un gros plan ou du vide des cerveaux. Ce n’est pas un secret, Tarantino fait du cinéma bis de citations avec les moyens et la liberté d’un blockbuster d’auteur. Que l’emballage sérieux ne trompe pas, après les particulièrement militants Inglourious Basterds et Django Unchained, The Hateful Eight renoue avec sa filmo de films de genre les plus gratuits comme Kill Bill et Death Proof.

Et pourtant. Malgré les embarras, les exagérations, les prétentions, l’auto complaisance et l’auto satisfaction flagrante d’un Tarantino encouragé par ses comédiens prêts à tous les outrages, le film finit par s’imposer. Peut-être à cause de sa longueur patiente, de sa facture impeccable, The Hateful Eight arrache des rires et sourires puis hypnotise avec son décor, ses costumes et ses gueules cassées. Peut-être aussi parce que, comme le dernier Star Wars, Tarantino refait avec son 8e film son premier film. Huit-clos, whodunit, règlement de comptes, flashback explicatif, présence de Tim Roth (dans le rôle de Christoph Waltz) et Michael Madsen (dans son propre rôle)… The Hateful Eight est le remake version western de Reservoir Dogs. Le huit-clos sanglant dans une cabane de bois frôlant aussi avec le Evil Dead de Sam Raimi, gageons que pour l’un de ses deux derniers films, Quentin Tarantino s’essaiera frontalement au film d’horreur.

* Tarantino envisage sérieusement de faire une adaptation pour de bon théâtrale de son scénario.

François Bliss de la Boissière


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