Apple, 33 ans pour réussir à jouer

Artistiquement, visuellement, ergonomiquement, humoristiquement, audacieusement, le Mac semble être né et conçu pour le jeu vidéo. Et pourtant, de promesses en attentes déçues, il aura fallu 33 ans et l’invention de l’iPhone pour que la pomme joue sérieusement…

Part I : La tentation du jeu

1955. Naissance du petit Steve Jobs à San Francisco le 24 février. Un 1er avril 21 ans plus tard, le jeune homme commencera à bouleverser la civilisation en fondant avec un compère une société informatique baptisée Apple. Avec un nom pareil, l’ordinateur se voulait déjà ludique.

1984 la 2e génération d’ordinateurs Apple se nomme Macintosh et présente pour la première fois une interface graphique et une souris pour la manipuler. Tout ça essentiellement pour travailler sans effort, pas pour s’amuser. Les artistes l’adoptent.

1993, sortie du jeu d’aventure graphique Myst sur Macintosh. Exploitant des images fixes photo réalistes pour immerger les visiteurs dans un autre monde surréaliste à la Jules Verne, le jeu aide à populariser le format CD-Rom dans les ordinateurs. Mais pour de nombreux gamers, Myst n’a jamais été un jeu.

Pendant son exil d’Apple, chassé par les actionnaires, Steve Jobs rachète le studio Pixar à George – La Guerre des étoiles qui ne voit pas venir celle-là – Lucas. Apple s’enlise dans le corporate pendant que Steve Jobs, toujours un coup créatif d’avance, s’amuse.

1996, sans Steve Jobs, Apple lance la console de jeux Pippin en partenariat avec la société japonaise Bandai. Un projet mort-né de console très informatique façon Xbox made in Mac avant l’heure qui se crash tragiquement faute de pertinence et de jeux disponibles.

Part II : Reset / retour à la case départ

 1998 de retour aux commandes d’Apple après s’être fait éjecté par les actionnaires, Steve Jobs fait appel à un designer de salle de bain pour relancer le look des ordinateurs Macintosh qui adoptent des formes et des couleurs acidulées. Les iMac aquarelles dédramatisent à nouveau l’informatique, séduisent les femmes et, toujours, les artistes. Malgré son design enfantin, l’iMac ne joue pas plus que ces prédécesseurs.

1999, la rockstar marketing Steve Jobs honore de sa présence l’Apple Expo de Paris pour présenter entres autres exclusivités un jeu développé uniquement pour Macintosh. L’équipe du studio Bungie le rejoint sur scène pour faire la démonstration du jeu… Halo ! Steve Jobs promet pour la énième fois que oui, les jeux arrivent en force sur Macintosh. On y croit. À tort.

Part III : L’approche latérale

2001, Apple détruit le Walkman avec un baladeur musical MP3 qui n’a l’air de rien. Quand l’iTunes Store devient opérationnel en ligne en 2003, l’iPod désintègre de facto le CD Audio et réinvente un business modèle avec la vente de musique dématérialisée. écouteurs blancs aux oreilles, le public suit pendant que l’industrie musicale crie au violeur. Ça danse mais joue de moins en moins.

2007 : L’iPhone et son petit frère l’iPod touch chauffent les oreilles des opérateurs de téléphonie mobile du monde entier et de Nintendo qui fait officiellement l’autruche. La DS fait semblant d’ignorer la menace que représentent les fonctions ludotactiles de l’iPhone/touch en adoptant un « i » à la DSi qui embarque, un appareil photo, voire deux.

2009 : L’Apple Store en ligne revendique 1 milliard d’applications vendues en neuf mois pour iPhone et iPod touch. 35 000 « applis » dont des milliers de jeux rarement intéressants développés avec 3 fois rien et vendus encore moins (de 1 à 5 euros) mais qui révèlent un inouï bouillonnement créatif. Au milieu de tout ce fatras, l’historique Myst devient lui aussi jouable sur l’iPhone/touch. Le Mac fête ses 25 ans sur le toit de la Grande Arche de la Défense *, et cette fois, la pomme croque vraiment du jeu.

* Exposition « Le Macintosh 25 ans déjà ! », Musée de l’informatique, Toit de la Grande Arche, Paris la Défense, tous les jours 10h-20h, jusqu’à décembre 2009, 01 49 07 27 27.

François Bliss de la Boissière (Chronotrigger)

(Publié en 2009 dans AMUSEMENT #5)


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Rhythm Paradise : Nintendo Power

Pour réussir un tel mixe d’épure, d’humour, d’ambiance mécanique rythmée à la Kraftwerk, et de challenge hardcore gamer, il faut un maître du jeu hors pairs. À ce petit jeu là, Nintendo reste el maestro.

Il y a quelque chose d’effrayant et de déconcertant à jouer un jeu signé Nintendo de nos jours. Contrairement à la concurrence sur consoles haut de gamme, le joueur Nintendo embarqué sur Wii ou comme ici sur DS, manipule des idées, des concepts plutôt que des millions de polygones. En abordant la catégorie devenue populaire des jeux musicaux rythmique avec Rhythm Paradise, Nintendo dégueule à la cantonade des dizaines d’idées là où la plupart des autres jeux se construisent sur une ou deux idées. Un intimidant tsunami d’imagination que tout adulte concerné abordera avec une stupeur 50 fois renouvelée. Ignorant la préciosité de cette source d’imagination, un enfant, évidemment, se contentera de comprendre instinctivement les mécanismes et s’y appliquera fidèlement, en tolérant comme un exercice commun de sa vie d’apprentissage l’indispensable répétition conduisant à la réussite.

Comme chaque nouveau jeu Nintendo, à commencer par l’irrévérencieuse série des WarioWare, Rhythm Paradise déconstruit 30 ans de syntaxe et de codes visuels du jeu vidéo pour s’employer aussitôt à les reconstruire avec la complicité du joueur. Double preuve de la double lecture, de la double résonnance et de la dualité permanente de Nintendo, le jeu se pratique en tenant verticalement les deux écrans de la DS devenu livre électronique. Alors que les propositions de jeux se dessinent sur l’écran de gauche, le stylet, lui, agit sur l’écran de droite toujours vide et vierge. Les actions simplistes, maintenir le stylet appuyé pour faire durer un chant de chorale, tapoter sur un rythme à 3 ou 4 temps, glissements vifs du stylet pour projeter un objet comme une raquette de ping-pong, se pratiquent donc en dehors du terrain de jeu. Les robots d’une chaine de montage qu’il faut remplir de carburant défilent à gauche, mais le stylet qui l’immobilise appuie sur l’écran vide à droite. Les 3 clappements de mains suivis d’un léger glissement vers le haut sur l’écran noir à droite doivent coordonner un petit singe avec une foule de petits singes applaudissant en rythme à gauche sous peine de regards accusateurs. L’intervention visuellement et spatialement décalée de la main du joueur à droite doit pourtant coïncider avec l’action présentée à gauche. Le son et en particulier le beat des musiques créent le lien immatériel qui doit inciter le joueur à coordonner son geste détaché avec l’image et passer de l’abstraction au concret.

La description est rude alors que, jeu en main, la façon de jouer se comprend très vite. Mais il ne faut pas s’y tromper, pour arriver à ce résultat étonnant, capable de faire appel à toute la mémoire sensorielle et culturel du gamer pour mieux le déstabiliser et le challenger, Rhythm Paradise est l’aboutissement d’une réflexion et d’une compréhension intime, intellectuelle et tactile, des fondements du jeu vidéo. Derrière le minimalisme des animations et des musiques et, logiquement, celui des gestes demandés au joueur, se cache un maître du jeu aux pieds duquel l’orgueilleux gagnant qui réussira à dompter les 50 épreuves devra humblement s’incliner.

François Bliss de la Boissière (Beat agent)

(Publié en 2009 dans AMUSEMENT #5)


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Confession of a (virtual) mass murderer

Préambule.

Alors que le débat sur l’exploitation de la violence (aux hommes, aux femmes ou aux minorités, le jeu vidéo ne fait pas dans le détail) se propage enfin dans le milieu après le catastrophique E3 2012 (voir fil Twitter @Bliss_voice), l’industrie du jeu vidéo va-t-elle enfin réussir son auto-critique ? En attendant ce processus de maturation souhaitable qui lui évitera peut-être de sombrer pour de bon dans un ghetto culturel, il appartient aux observateurs privilégiés, et aux joueurs eux-mêmes, de mettre inlassablement le débat sur la table. Depuis longtemps porte-parole d’un jeu vidéo pacifié et artistique, nous avions dès 2009 profité de l’espace de libre expression offert alors par le chic trimestriel de jeux vidéo et toutes ces choses, AMUSEMENT, pour encore une fois essayer de porter le fanion blanc jusqu’à la ligne de front. Et plutôt que de s’immoler bêtement en affichant une pseudo innocence, pourquoi ne pas tomber carrément le masque et plaider coupable ? Se reconnaitra qui voudra derrière cette confession…

Dans Blade Runner, Roy, le Replicant Nexus-6, le disait déjà et mieux que moi. « I’ve seen things you people wouldn’t believe. Attack ships on fire off the shoulder of Orion. I watched C-beams glitter in the darkness at Tan Hauser Gate. All those moments will be lost in time like tears in rain. Time to die. » Oui j’ai vu et fait des choses inimaginables pour un être humain…

Confession of a (virtual) mass murderer

« J’ai ça dans le sang. On ne m’a pas forcé, ni même appelé. Quand les premières vagues d’envahisseurs ont débarqué de l’espace dans les années 80 j’étais en première ligne. À partir de là j’ai compris où était mon destin et je me suis mobilisé tout seul. J’ai eu des creux, ou plus exactement il y a eu des accalmies, une pax americana provisoire imposée par une pax nintendona japonaise, mais dans l’ensemble on a eu toujours besoin de mes services. Et j’ai progressé à la vitesse de la technologie. Après les premiers plâtres essuyés par les bornes publiques, les premiers home computers, les machines de puissance 8, 16 et 32 bits, la guerre s’est vraiment déclarée quand la 3e dimension fut maîtrisée dans les années 90. L’appel aux armes n’était pas négociable. J’étais là pour ça, et – je m’en rendis compte alors – toutes les années précédentes se résumaient à une longue séance d’apprentissage. Le maniement des fusils d’assaut, à pompe ou à lunette n’ont plus de secret pour moi, pas plus que les grenades, les lance-flammes, les lance-roquettes, les mitrailleuses, les mortiers. Les AK-47, MP44, Mini-Uzi, M1014, Dragunov, et la conduite de tanks font partie de ma vie active comme les stylos, les parapluies, cartes bleue et les voitures occupent celle des gens ordinaires.

Terminé les esquisses, les calculs de loin, les simulacres robotiques. J’ai pénétré physiquement le champ de bataille, tête en avant, sans aucune hésitation ni remise en question. J’ai accepté toutes les missions, tous les fronts, dans les tranchées comme aux confins des frontières de l’univers connu. Je me suis familiarisé avec ces nouveaux espaces de combat en pénétrant le bunker d’Hitler ou j’appris à éliminer sans questionner les diables nazis de la mission Wolfenstein. Le massacre sans ciller des démons inhumains de la mission Doom confirmèrent la résistance de mes nerfs, mon indifférence naturelle à l’effusion de sang. Contre les démons ou les aliens, malgré le risque de contact avec l’ennemi, la tronçonneuse déchiqueteuse a même fini par devenir un instrument de choix. À l’adresse distante des coups de feu d’hier s’ajoutait tout à coup la brutalité de l’arme blanche ultime, celle qui permet de renifler son adversaire, de goûter son sang et sa sueur avant de vider ses tripes. Les récentes campagnes des Gears of War où je me suis particulièrement distingué ont mis en lumière ces années de pratique. La guerre est sale, elle tache, ça me convient, je n’ai jamais vraiment cru au pacte de civilisation. Une paix mascarade pour mieux justifier telle ou telle guerre, étouffer nos nécessaires pulsions primitives. J’ai remis les compteurs à l’heure. Je vis sans masque. Je traverse au grand jour les guerres qui se trament dans les coulisses. J’en ai le tempérament et on m’a donné les outils pour le vivre, pourquoi les refuser ? Les premières campagnes guerrières sérieuses utilisaient un langage policé qui masquait les enjeux. Dans les Quake et autres Unreal, une mort valait un frag, un acronyme obscur évoquant les grenades à fragmentation de la guerre du Vietnam. Depuis les affrontements terroristes/antiterroristes de Counter Strike, notamment, les précautions de langage n’ont plus court. Un mort est un mort, un kill est un kill.

Désormais on me remet des médailles. Tous les jours. Selon les contrées et les conflits ils appellent ça des « succès », des « trophées ». Plus personne n’ignore ma field reputation. Je suis respecté d’un bout à l’autre de la planète. Je laisse la liste de mes exploits toujours visible en ligne. Les batailles devenant de plus en plus publiques, le style compte autant que la quantité. Je reçois des médailles quand je réussis, comme il y a peu en Afrique dans Resident Evil 5, à tuer 20 victimes expiatoires d’une balle dans la tête, ou à en abattre 30 d’une traite à la mitrailleuse. Les 75 Helghasts tués au couteau et les 30 éliminés avec un tank m’ont valu les honneurs de Killzone 2. Dans l’hystérie de la mission Call of Duty 4 Modern Warfare j’avais réussi à obtenir des récompenses pour les 4 soldats tués d’un seul coup de feu et pour les blessés achevés au couteau alors qu’ils rampaient. Dans la dernière campagne COD nommée World at War, j’ai été salué pour avoir réussi les objectifs assez précis comme de tuer 8 soldats japonais au mortier, ou en abattre un seul immobile caché dans les herbes. Dans Fear 2 ce sont les 10 ennemis rôtis au canon à Napalm et les 10 autres épinglés au mur avec une masse qui m’ont valu reconnaissance. Dans la mission collective Left for Dead j’ai réussi plusieurs objectifs notables avant mes coéquipiers : faire sauter d’une seule explosion de grenade 20 créatures infectées, enflammer 101 de ces mêmes zombies, et en réduire en bouillie 1000 d’entre eux avec une mitrailleuse montée sur pied. J’ai été félicité jusque dans mes missions dans l’espace grâce au démembrement au cutter-laser de 1000 des créatures mutantes de Dead Space. Plus ambigüe, la mission GTA IV m’a posé davantage de problèmes. Mis à part les assassinats commandités et la mauvaise plaisanterie des 200 pigeons à tirer comme des lapins, aucune victime volontaire ou collatérale ne m’a valu une récompense. Il est vrai que la guerre des gangs a lieu en terrain civil. Je me suis adapté.
Mes dernières fiertés ? Les médailles reçues pour les 1 500 soldats Helghasts éradiqués dans Killzone 2, les 53 595 zombies tués exactement de Left for Dead, les 100 000 Locustes abattus de Gears of War 2 et les 10 000 personnes éliminées dans Chroniques of Riddick.

Le cimetière de mes plus ou moins honorables victimes n’existe pas physiquement, sinon on l’appellerait sans doute un charnier. Mais, je le revendique, un charnier cosmopolite. Car je n’ai fait aucune différence, aucune ségrégation. Les Helghasts abattus pendant leur guerre civile rejoignent sans grincher les africains enragés de Resident Evil 5. Les corps des mafieux et les victimes civiles de Grand Theft Auto IV s’enchevêtrent avec les cadavres mutilés des restes d’humanoïdes de Dead Space. Les guerriers Locustes du futur éliminés à la tronçonneuse ou à l’arme chimique s’entassent sans distinction avec les soldats allemands ou japonais d’une guerre du passé.

On me demande parfois si les râles de mes victimes ne hantent pas mes nuits, si je ne suis pas mort à l’intérieur. Je ne crois pas. Le sang bat dans mes veines. J’ai toujours une pulsion de vie. J’aime ma femme. Mes enfants commencent à être en mesure de participer à des campagnes en ligne. Ils profitent de mon expérience et ils apprennent à tirer avec de nouvelles interfaces qui permettent de viser directement dans le prolongement du bras. Au « Tu ne tueras point » que l’on me brandit parfois je réponds en toute lucidité : commandement tenu. Une mission est une mission. Un ordre, un ordre. Guerrier, soldat, mercenaire, assassin, justicier, psychopathe… Jouer à tuer n’est pas tuer. Je ne regrette rien. »

Note : Tous les chiffres et récompenses évoqués sont réels. Selon un ordre gradué d’importance, les récompensent baptisées Succès sur Xbox 360 et Trophées sur PS3 se greffent au profil du joueur ensuite visible par tous.

François Bliss de la Boissière (killing machine)

(Article paru en 2009 dans le trimestriel AMUSEMENT n°5.)

 


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