Les nouvelles amazones du jeu vidéo

Les femmes virtuelles imaginées par les créateurs de jeux sont apparues dans les jeux vidéo en croyant se suffire d’un physique avantageux. Elles ont aussitôt été exploitées dans de mauvais produits. Heureusement, une nouvelle vague d’héroïne arrive à point nommer pour remettre les compteurs à zéro. Une femme, cela vaut bien un homme. Et même plus si affinités…

Il fut un temps où tous les héros de jeux vidéo étaient exclusivement masculins. La seule et unique héroïne du jeu vidéo d’avant la 3D s’appelait Samus Aran, portait casque et armure asexuée et ne révélait son identité qu’à la conclusion-surprise du jeu Super Metroid en 1994. C’est dire si les formes féminines avaient peu la côte en dehors des couvertures de jaquettes racoleuses parfois hors-sujet. Depuis le succès planétaire surprise de Lara Croft dans Tomb Raider en 1996, l’industrie du jeu vidéo a finalement compris que les héroïnes peuvent rapporter gros grâce à la 3D. Facile après tout, puisque les joueurs, essentiellement masculins, le réclament, il suffit de placer une bimbo plus ou moins sculpturale devant l’écran et le tour est joué. Et les musclors d’Héroïc-Fantasy sont devenus des femmes barbares à peine habillées, les espions des espionnes, l’aventurier de base, une aventurière lambda… Placer une femme polygonée dans le rôle principal de n’importe quel produit interactif est devenu une telle exigence marketing que les jeux qui ne peuvent se passer d’un héros masculin proposent, en supplément, de traverser la même aventure avec une héroïne  (Les Resident Evil, Devil May Cry 2 pour n’en citer que quelques uns) ! Une option impliquant souvent une version plus facile du jeu (on ne relèvera même pas la phallocratie de base ici). Et l’exception initiée spectaculairement par Lara Croft est devenue une norme ridicule, avec pour seul justificatif celui de solliciter le voyeurisme masculin. Une sorte de femmexploitation excusant à peine des dizaines de jeux exécrables qui auraient dû se chercher ailleurs une identité.

Début 2003, le filon féminin ne s’épuise pas. Après un an de break pour cause de prestation cinématographique, Lara Croft revient sur console (Angel of Darkness) et plusieurs jeux annoncent ouvertement la couleur et le recours à des formes féminines. Mais cette fois la donne a changé. Car après les plans commerciaux sans lendemains d’éditeurs opportunistes, ce sont des créateurs de jeux de renom qui décident de donner la parole aux héroïnes. La séduction marketing est toujours là, mais le savoir-faire indéniable des studios concernés va au moins garantir que ces femmes là seront cette fois bien traitées. Et avec un peu de chance et d’application, elles mériteront leur statut d’icône pour leur plastique… et pour leur talent. Voici un portrait des nouvelles amazones du jeu vidéo….

Joanna Dark

La transformiste. À l’origine, cheveux courts et noirs, silhouette presque masculine, l’espionne du formidable Perfect Dark sur Nintendo 64 (2000) aurait dû être une icône lesbienne. Elle l’est peut-être. Après 20 ans de collaboration intime avec Nintendo, le mythique studio anglais Rare, géniteur de Joanna Dark se livre complètement à Microsoft et à la Xbox. Apparemment décidé à renaître sous toutes les formes, Rare présente une nouvelle Joanna totalement relookée. Cheveux roux et longs, corps de gymnaste longiligne, l’espionne qu’on aimait se féminise, rajeunit et devient manga. À l’origine un First Person Shooter fin et racé, le gameplay du prochain Perfect Dark Zero est encore secret. Seule certitude : rendez-vous immanquable.
Perfect Dark Zero : Xbox / Microsoft / 2003-2004

Joanna Dark Perfect Dark Rare

Samus Aran

La pudique. Casquée, dissimulée derrière une techno armure de pointe, la sauveuse d’univers infestés de vilains Metroids est une femme d’action qui ne s’embarrasse pas avec la séduction. Son retour attendu depuis sa dernière aventure sur Super Nintendo (1994) se fait simultanément sur GameCube et Game Boy Advance. Les deux jeux étant d’ailleurs susceptibles de communiquer entre eux via le câble prévu à cet effet. Transformée, elle aussi, pour son passage sur GameCube, Samus se cache plus que jamais derrière son viseur (le HUB, Head Up Display) pour un jeu d’aventure et d’action en vue subjective qui soustrait sa silhouette à notre vue. Il faudra alors guetter le reflet évanescent de son visage à l’intérieur de la visière lors des explosions…
Metroid Prime : GameCube / Nintendo / disponible
Metroid Fusion : Game Boy Advance / Nintendo / disponible

Samus Aran Metroid Prime Nintendo

Kelly O Lenmey

La valkyrie. Membre du commando futuriste des Gunvalkyrie qui comprend aussi des hommes. Son jeu est sorti il y a déjà quelques mois sur Xbox. Un shoot nouveau genre qui essaie de réconcilier frénésie et précision d’antan avec l’ouverture 3D des jeux récents. Résultat : un jeu à la difficulté hors norme, automatiquement réservé aux hardcore gamers. GunValkyrie démontre néanmoins qu’un jeu vidéo avec une femme en héros principal n’a pas besoin d’être bassement populiste et mal fait sous prétexte que l’héroïne est belle. Un jeu pour puristes de la manette qui réserve, sans tout à fait le vouloir, le contrôle de l’héroïne à une élite. Une femme de qualité, ça se mérite, c’est bien connu.
Gun Valkyrie : Xbox / Sega / disponible

Kelly O Lenmey Gun Valkyrie Sega

Kameo

La transfuge. Conçue sur GameCube mais jamais accouchée, Kameo a été aperçue par quelques privilégiés lors d’une discrète écographie publique à l’E3 de 2001, le salon des jeux vidéo de Los Angeles. Depuis, plus de nouvelles, jusqu’à l’annonce tonitruante du rachat du studio anglais Rare par Microsoft en septembre 2002. Cette fois, la princesse indienne Kameo se montre au grand jour. Elle est fine, a des ailes de libellule, ressemble à une fée clochette à l’âge adulte. Son talent ? Mettre, littéralement, les hommes dans sa poche, ou plutôt : l’élevage, le dressage et le contrôle de dizaines d’animaux et monstres exotiques. Premier jeu Xbox du studio Rare. Une création originale et féerique, dans tous les sens du terme.
Kameo : Elements of Power : Xbox / Rare / printemps 2003

Kameo Elements of Power Rare

Malice

La capricieuse. Elle a un marteau, cela veut dire qu’elle frappe dur, mais comme elle évolue dans un monde cartoon à la Lewis Carroll, on imagine bien que ses coups de maillet ne sont pas plus définitifs que ceux que reçoivent le Coyote ou Sylvestre. Malice est la plus jeune du pack, après avoir frimé avec les premières démos technologiques de la Xbox il y a deux ans, elle prend finalement son temps pour arriver sur le marché et faire sa maligne dans un jeu d’action-plateforme. Malgré ses grand yeux et son air effrontée, elle est donc timide, peu sûre d’elle même. Déjà capricieuse ?
Malice : Kat’s Tale : PS2 / Xbox / Argonaut Games / VU Games / 2003

Malice Argonaut

Orta

La cavalière. À cheval sur son dragon, Orta refait la charge des valkyries à elle toute seule. Petite sœur officieuse du mystérieux Arzach de Moebius, Jean Giraud lui-même avait conçu pour Sega le design du premier jeu Panzer Dragoon alors paru sur la défunte console Saturn. Essentiellement un jeu de tir sur Xbox, le dragon volant contrôlée de main de maître par Orta, et le joueur à l’extrémité de la manette, survolent des contrées fabuleuses tout en détruisant les postes de commandes… de l’Empire. Une amazone montant à cru un dragon géant et transformiste pour déclencher le règne du feu ? Il n’y avait que les japonais de Sega pour l’oser.
Panzer Dragoon Orta : Xbox / Sega / disponible

Orta Panzer Dragoon Orta Sega

Lara Croft

Cover girl indestructible. Cinq jeux, autant d’incarnations en mannequins adipeuses, un long métrage, des clips publicitaires, d’innombrables couvertures de magazines, une place de choix à la très hype expo Game On du Barbican de Londres en 2002, déjà une mort et au moins une résurrection, qu’on le veuille ou non Lara Croft est l’aventurière de référence. Au fond, toutes les autres héroïnes cherchent à imiter, sinon ses manières de plus en plus raides dans les jeux éponymes, mais son succès. Un exemple sans doute trop suivi.
Tomb Raider : The Angel of Darkness : PS2 / PC / Eidos / disponible

Lara Croft

Nova

Star prétendante. Totalement préfabriquée, cette sportive héroïne récemment annoncée devra savoir tout faire, à commencer par nous faire croire qu’elle est un croisement naturel de Solid Snake (Metal Gear Solid), de Lara Croft et d’un assassin Ninja (Elektra ?). Le fantôme du titre c’est elle. Combinaison moulante ou pas, un tel profil racoleur serait à dédaigner s’il ne provenait pas du très respecté studio américain Blizzard. Et comme les aventures de Nova se passeront dans l’univers hyper codifié, et célébré, de StarCraft…

Starcraft Ghost : PS2 / Xbox / GameCube / Blizzard / fin 2003 (annulé par Blizzard et jamais sorti)

Nova 
Starcraft Ghost Blizzard

PASS

La voix de son maître. Les Japonais l’assument les premiers. Tous ces jeux où l’on contrôle des femmes virtuelles dans des circonstances extraordinaires ne sont que des substituts de quelque chose de beaucoup plus simple et fantasmatique. Quitte à s’offrir le contrôle d’une femme virtuelle, autant la concevoir belle, sexy, docile, à domicile. Seule l’élégance des graphistes japonais et la dérision qui est généralement la leur permet de rester digne devant ce sexy robot qualifiée de… PASS (Personal Assist Secretary System). Cette N.U.D.E. (NUDITE en français !) aura le privilège de répondre à vos commandes édictées à l’aide du micro Voice Communicator de la Xbox. Mais quel sera donc son domaine d’intervention ? Al Pacino en a trouvé un récemment dans le film S1m0ne. Pour les joueurs, réponse en 2003 sur Xbox.
N.U.D.E. Natural Ultimate Digital Experiment : Xbox / Red Entertainment / printemps 2003 Japon

PASS NUDE Red Entertainment

Yuna

Cow-girl. Le personnage féminin qui inspirait la fantastique aventure de Final Fantasy X sur PlayStation 2 devient l’héroïne principale de Final Fantasy X-2, une demi suite que le studio Squaresoft a relâché début 2003 au Japon. De simple magicienne en costume traditionnel capable de maîtriser les flots d’un tour de passe-passe dans Final Fantasy X, Yuna devient une femme d’action, armes aux points dans cette suite. Un changement de look pro Lara Croft certes suspect, mais jusque là, à part le film en images de synthèse Final Fantasy, le studio japonais Square Soft n’a jamais raté un jeu de sa série fétiche.
Final Fantasy X-2 : PS2 / Squaresoft / 2003

Yuna Final Fantasy X-2 Squaresoft

Cate Archer

James Bond girl killer et même, probablement : Austin Power killer. Elle a les traits délicats, la taille fine. Sortie directement des années 60 kitsch, elle troque rarement ses mini tailleurs colorés contre des collants tendance espionnite aiguë. Et pourtant, pas d’erreur, c’est bien elle qui porte la culotte dans ce jeu d’action traversé à la première personne. Doucement James, aux pieds Goldmember ! Sous son apparence gentiment rétro se cache une moderne attitude. Armes aux poings, humour aux lèvres, coquète, Cate revendique ouvertement sa féminité et tire vers le haut les jeux d’action trop souvent lourd de testostérone. Chapeau bas mademoiselle.
No One Lives Forever 2 : A Spy in H.A.R.M. Way : PC / Monolith / Sierra / VU Games / disponible

Cate Archer Monolith

Vanessa Z. Schneider

La cyber libellule. Premières images, premiers flingues. Vanessa doit détruire robots et droïds à l’aide d’un armement spectaculaire. Et puis, encouragé par Nintendo, le studio Capcom change son fusil d’épaule. Fini les armes, les pistolets massifs, la cyber héroïne projette désormais des rayons d’énergie du bout des doigts et porte des costumes façons libellules. Cyber magie ! Plus courageux encore, assortie à un univers graphique glacial hyper design peu habituel dans les jeux vidéo, Vanessa enchaîne les pas de danse techno pour éviter les tirs ennemis. Ulala ! diront les amateurs du fameux jeu de danse Space Channel 5 ! Oui, un peu, mais cette fois le jeu est vraiment dangereux.
P.N. 03 (Product Number 03) : GameCube / Capcom / 2003

Vanessa Z. Schneider P.N. 03 Capcom

François Bliss de la Boissière

(Écrit entre 2002 et 2003, destiné originellement à Playboy magazine, jamais publié)


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‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.

Zelda Wind Waker : Le vrai souffle de l’aventure

De la 2D qui l’a vu naître à la 3D qui l’a fait renaître, on croyait avoir tout vécu en compagnie de Link et Zelda. Mais l’inspiration de Nintendo semble inépuisable. Cette fois Link part à la rescousse du monde à bord d’un frêle voilier. Avec, au bout de la baguette magique : le contrôle du vent à volonté ! Il était une fois un grand petit navire…

Tous les jeux Zelda sont des sommes. À chaque jeu, Nintendo cherche l’essence du jeu vidéo et la trouve. Peu importe la console, la technologie du moment, le public soi-disant visé. Guidé par l’instinct de Shigeru Miyamoto, les grandes aventures Nintendo comme les Zelda ou les Mario deviennent de grandes aventures pour les joueurs et pour toute l’industrie. Après les monuments du jeu vidéo que furent A Link to The Past sur SuperNintendo et Ocarina of Time sur Nintendo 64, The Wind Waker est bien une nouvelle flèche de brillance créatrice. Cette fois plantée en plein cœur de la bancale frime photo-réaliste pourchassée par toute la concurrence. Le contre-pied esthétique assumé par The Wind Waker est plus qu’un caprice et certainement pas un parti pris rétro régressif comme on a pu lire ici et là. Le toon-shading (1) du nouveau Zelda est un véritable manifeste artistique. Même si une trop grande partie du public intoxiqué par le mafieux réalisme d’un GTA3 empêchait ce nouveau Zelda d’être le succès planétaire qu’il mérite, The WW restera comme une réussite étourdissante.

Nouvelles frontières émotionnelles

Comment expliquer avec des mots l’impact sensoriel de The Wind Waker ? À peine le jeu lancé, le vent, la mer, les mouettes, un ciel bleu carte postale, des personnages étranges et attachants vous accueillent dans un monde chaleureux plein de promesses. Nous voilà embarqués dans une aventure épique, artistique, cérébrale et physique sans équivalent dans aucun autre médium. Une fable singulière capable de mélanger avec un dosage miraculeux : action, suspens, sentiments, drame, humour. Une aventure merveilleusement portée par le vent et l’océan. Un jeu vidéo suscitant curiosité, désir, empathie. Une quête capable d’envoyer le joueur disponible au fond de lui-même, à la recherche de son âme d’enfant, là où résident encore l’espoir d’un monde meilleur, le rêve d’un destin unique. Nous sommes là, en effet, à la frontière tactile qui fait toute la différence entre un film cinématographique et un jeu vidéo… graphique.

Le cinéma est sans doute encore le plus fort vecteur de l’émotion mise en scène, mais, tout en s’approchant du Graal monopolisé par le cinéma, un jeu comme Zelda ouvre en réalité une autre antenne de perception émotionnelle. Sans doute complémentaire. L’interactivité, ce flux tendu entre le spectateur actif et l’avatar dans l’écran, génère une relation charnelle inédite ailleurs. Phénomène d’autant plus étonnant que l’on assimile le jeu vidéo à de la réalité virtuelle, immatérielle. Très concret, le contrôle merveilleusement articulé du petit personnage Link est un choc doux dès les premières minutes. Un trouble émotionnel doucereux ayant peu à voir avec l’esprit de compétition, avec les injections brutales d’adrénaline si fréquentes dans le jeu vidéo. Le terme galvaudé « d’immersion » a forcément été inventé pour décrire le plongeon sensoriel dans le monde dessiné si tangible de The WW. La vue, l’ouïe, et le touché envoient au cerveau des signaux qui ne se discutent plus : ce monde là, aussi fantaisiste soit-il, existe vraiment. C’est empirique. Joueurs blasés, néophytes, garçons comme femmes ne peuvent que saluer la relation étroite entre la manette et les actions du petit personnage. Les fluides animations corporelles et l’expressivité cartoon du visage de Link, l’apprenti héros, encouragent tous les gestes, toutes les audaces. Un plaisir qui ira croissant avec un personnage non seulement capable « naturellement » de trotter, de se suspendre aux rebords des tables et des corniches, de ramper sous les meubles, de grimper sur les toits, de se plaquer contre les murs, d’attraper des cailloux, de jeter au loin cruches et tonneaux, de courser le cochon domestique et de couper herbes folles et arbustes, mais bientôt de manier l’équipement complet d’un chevalier en devenir.

Le jeu tout en un

On ne reprochera pas trop à Link de s’appuyer sur cette vieille convention qui consiste à faire croire le héros capable de transporter des dizaines d’objets sans que ses poches ne débordent. Car Link tient entre ses doigts chaque objet et arme dont il se sert avec pertinence : la longue vue comme l’appareil photo anachronique. Le boomerang capable de verrouiller plusieurs cibles, l’arc aux flèches de feu ou de glace, les petites bombes bleues bien utiles pour ouvrir des passages secrets, le grappin permettant de survoler les obstacles, et même le Game Boy Advance qui autorise la participation d’un partenaire à l’aventure (voir encadré) est visible entre les mains de Link. Un détail qui, comme le reste, donne une véracité inédite. L’utilisation de tant d’accessoires est pourtant un modèle d’ergonomie. L’accessibilité est immédiate avec un menu simplifié à l’extrême. Et l’implémentation particulière des boutons de la manette GameCube donne accès à une multitude d’actions simultanées. À bord de son voilier, le bric-à-brac organisé de Link se découvre même des fonctions inattendues : suspendu à une mini grue, le grappin drague le fond de l’océan à la recherche de coffres ; les bombes sont projetées par un canon transformant tout à coup une scène d’affrontement sur mer en bataille navale ! Vertigineux, la variété des actions et des situations semble parfois sans limite.

La fusion GameCube + GBA
 Nintendo ne joue pas en ligne, mais Nintendo incite le plus possible à jouer connecté off line, surtout avec ses consoles. Et l'idée est plutôt bonne, même si l'on n'enviera pas la personne qui jouera sur l'écran de sa GBA au lieu de la TV. Comme le boomerang ou le grappin, le Game Boy Advance est un accessoire que Link utilise dans le jeu. Aussitôt sélectionné dans l'inventaire du héros, une personne, réelle cette fois, peut participer au jeu via un GBA connecté. Dans la peau prétexte du farfelu personnage Tingle, dont on entend la voix interpeller Link si nécessaire, le joueur GBA repère les lieux sur la carte schématique affichée sur son écran, jette des bombes sur les ennemis, file un coup de potion magique au héros mal en point, soit pour le soigner, soit pour le rendre invincible un moment… Le plus irrésistible sera de savoir que seul Tingle est capable de voir des endroits cachés aux yeux de Link. Oui, il y a encore des grottes inédites à découvrir ! Facultatif, mais infernal.

Un océan de mystères

Nintendo a piégé les observateurs pendant des mois avant la sortie du jeu. La grande affaire annoncée de The Wind Waker était le vent. Prouesse technologique possible grâce au GameCube. Le monde matériel de Link est en effet complètement affecté par le vent : arbres, végétation, vêtements, moulin à vent oscillent et tournent au gré des alizés. Une fois entre les mains tendues au-dessus de la tête du héros, tel un parachute ascensionnel naturel, une grande feuille magique laisse même le héros planer d’un endroit à l’autre. Indispensable pour atteindre des endroits cachés ou éloignés. Une feuille capable aussi de repousser les adversaires à coups de bourrasques. Tout cela grâce à la gestion de ce corps immatériel et capricieux qu’est le vent. Mais en réalité, le vrai choc proviendra de l’océan. La prise de conscience de sa réalité énorme : le monde de Link est un archipel constitué de dizaines d’îles éparpillées sur des miles marins d’eau salée !

La Triforce est avec lui

Sur chaque île réside un mystère, ou plusieurs. Des restes de civilisation, des villages, des donjons aussi inquiétants que fascinants à explorer. Des rats trop malins pour être honnêtes, cherchent à vous piquer vos rubis dans les sous-sols mal fréquentés. Des oiseaux aux plumages hyper colorés défient Link sur le sommet des montagnes. Des gardes armés aux gueules de chiens ou de porcs improbables vous entraînent dans des combats à l’épée redoutables d’efficacité. Epée contre lance, épée contre torches enflammées, Link peut désormais attraper les armes ennemies abandonnées sur le terrain, s’en servir pour mieux se défendre, ouvrir des portes plus résistantes. Les péripéties ne se comptabilisent plus, elles se traversent avec une avidité croissante. Ce n’est pas un anneau qu’il faut reconstituer mais la Triforce. L’énergie vitale du monde.

La formidable légèreté de l’insolence

Cette histoire de petit garçon endossant le destin d’un héros légendaire pour sauver, au choix, sa petite sœur enlevée par erreur, une pirate en détresse, un royaume oublié avec son Roi, sa Princesse, un esprit de la forêt égaré, des arbres en voie d’extinction, pour ne pas dire le monde entier, pourrait être plombée de moralisme pontifiant. Il n’en est rien. Toujours conscients d’eux-mêmes, les dialogues futés ont assez d’ironie et de 2e degré pour ne pas tomber dans la niaiserie enfantine. Une qualité commune aux productions Pixar par exemple qui savent s’adresser aux enfants et aux adultes sans insulter l’intelligence des uns et des autres. Les personnages se moquent souvent ouvertement de Link, poussant le jeune héros à prouver ses aptitudes, son courage. Seuls les petits cris stridents des voix japonaises originales écorchent parfois les oreilles occidentales. Tout le reste est écrit avec recherche, merveilleusement bruité, rythmé par la musique. L’insolence est permanente, mais gracieuse. Nintendo rappelle, en creux, que la transgression et le ferment de la révolte ne consistent pas à voler des voitures ou à frapper des passants. Entrer et sortir chez les gens sans forcément leur accord est déjà un acte d’effronterie. Monter sur les tables, chasser du pied les assiettes, briser les tasses sont des gestes symboliques bien plus fort qu’ils n’y paraissent. Carpe Diem disait le professeur Robin Williams dans le Cercle des poètes disparus. Montez sur la table pour regarder le monde autrement ! C’est ce que fait Link.

L'art de faire vrai
 Contrairement aux apparences, les grands yeux de Link ne sont pas là pour faire manga. Ils répondent en réalité à la volonté des auteurs de rendre le personnage expressif. Les grands yeux se voient de loin, même lorsque la caméra est éloignée, même en pleine scènes d'actions hystériques. Outre les émotions que son regard exprime selon les situations drôles ou tristes, surprenantes ou ennuyeuses (ses paupières alors s'affaissent), les grands yeux de Link se dirigent vers les centres d'intérêts du décor. Pour mieux aider le joueur. Ce n'est pas toujours concluant quand un regard heureusement incapable de regarder dans le dos, invite, par défaut, à se diriger sur le côté, mais dans l'ensemble cela fonctionne. Avec sa tête ronde et ses yeux exagérément expressifs, Link a l'air plus vivant, plus vrai que bien des héros au look réaliste. C'est d'ailleurs toute la magie du design cartoon de The Wind Waker qui s'appuie sur un rendu dessiné pour créer un monde crédible de bout en bout.

 Qui est le Roi du monde ?

James Cameron a eu besoin de la proue hypertrophiée du tristement célèbre Titanic pour faire dire à son personnage principal : « Je suis le roi du monde ». À bord de son frêle esquif rouge, en pleine mer bleu azur, à des kilomètres de toute côte, Link EST le roi du monde. C’est en tous cas l’ivresse ressentie en mettant le cap sur l’horizon sans fin après les premières heures de jeu. Le sentiment mélangé de puissance et de fragilité éprouvé, seul, en pleine mer, est forcément celui des valeureux explorateurs de nouveaux mondes. Une émotion primitive, primordiale, diffuse, inattendue dans un jeu vidéo. Une euphorie portée par des variations climatiques spectaculaires, une partition musicale allégorique. Après tout c’est bien Link qui contrôle la direction du vent avec son bâton magique (The Wind Waker du titre original) pour diriger son embarcation du nord au sud, de l’est à l’ouest d’un océan sans limites visibles. Lui et lui seul parle aux poissons, affronte avec bravoure les pieuvres géantes, les requins, résiste aux orages nocturnes, aux sirènes de l’insaisissable Hollandais Volant, combat à l’arme blanche les avants-postes des pirates, racle les grands fonds à la recherche de trésors, contrôle les tornades… Lui et un voilier un peu magique quand même. Car avec sa tête de dragon bavard, ce voilier n’oublie pas de rappeler au héros exalté par l’immensité du monde que son destin l’attend.

Jeu phénomène signé Shigeru Miyamoto

Un des grands quiproquos planant sur Nintendo vient dans l’insistance apparemment conservatrice de continuer à créer des jeux avec des personnages vieux de 15 ou 20 ans comme Zelda ou Mario. C’est oublier que, contrairement aux films, les jeux vidéo ne sont presque jamais signés sur les boites ou dans les génériques d’introduction. Les noms des producteurs, directeurs et artistes apparaissent dans les génériques de fin ou en dernière page de manuel, comme une légende technique. Imaginons ne pas lire le nom de Steven Spielberg au début du 4e épisode des Aventuriers de l’Arche perdu ! À la place du titre Super Mario ou Legend of Zelda, il faut pourtant lire sans se tromper : jeu signé Shigeru Miyamoto. Même si la réalisation de The WW a été prise en charge au quotidien par un certain Eiji Aonuma, déjà co-responsable de Majora’s Mask sur Nintendo 64, The WW est bien imbibé de l’inimitable « touché » moelleux de Miyamoto. Un artiste qui a gagné contre vents et marées un pari fou avec The Wind Waker : les graphismes façon dessin animé ont été conspués unanimement au début du projet ! Un artiste si ouvert vers le monde qu’il n’a pas manqué d’incorporer dans son jeu l’influence d’autres jeux d’artiste, comme le poétique Ico de Sony sur PlayStation 2.

Bonus de rattrapage
Les graphismes cartoon de ce nouveau Zelda ont soulevé des concerts de protestations pendant deux ans. Craignant que ce Zelda décrié ne se transforme en échec commercial avant même d'arriver dans les mains des consommateurs, Nintendo a eu l'heureuse idée de faire un cadeau aux premiers acheteurs du jeu. Les tous premiers clients de The Wind Waker ont droit, sans supplément de prix, à la réédition sur DVD GameCube du chef d'œuvre reconnu The Ocarina of Time paru sur Nintendo 64 en 1998. Une réédition optimisée : affichage plus fluide, image nette quasi-parfaite. Plus généreux encore, Nintendo offre en parallèle l'inédit Master Quest, une version hard de Ocarina of Time, un jeu jamais sorti et donc entré dans la mythologie Nintendo. Malin, sous couvert d'une grande générosité, Nintendo s'appuie sur ce disque bonus pour créer un événement indiscutable autour de la sortie de The Wind Waker. Adieu les réserves, la polémique, même si The Wind Waker n'est pas le jeu "réaliste" que les joueurs auraient voulu, les deux jeux bonus réduisent à néant toutes les réticences.

Le grand voyage immobile

Faut-il alors soulever quelques vagues dans l’océan de louanges unanimes ? Est-ce utile de dire que l’on peut finir par s’ennuyer à force de traverser à la voile un océan aux dimensions presque trop réalistes ? Est-ce bien la peine de regretter que le nombre de donjons ne soit pas tout à fait suffisant (2) pour donner à l’aventure la densité qu’elle mérite ? Des réserves sans doute hardcores qui se noieront naturellement dans des dizaines de mini jeux et de quêtes annexes, des centaines d’instants de magie pure ou simplement d’humour où toute raison s’abandonne au charme kawaii (3) irrésistible d’un travail trop bien fait pour l’époque. Car tous comptes faits, polémique ravalée, succès international incertain, création hors normes et donc risquée, il faut bien avouer qu’on ne joue pas à The Wind Waker, on le vit. Pendant des dizaines d’heures, et donc des jours.
Les moments d’émerveillements sont devenus si rares dans notre société de consommation hyper formatée que lorsqu’un produit transcende sa formule pour se hisser au niveau d’une œuvre universelle aussi accessible que distrayante, il est un crime d’y résister. Sur terre ou sur mer, il est des voyages qui ne se refusent pas. Surtout assis sur son canapé.

(1) Le toon-shading, variation made in Nintendo du cell-shading 
(2) Miyamoto a reconnu que pour des raisons de délais, deux donjons au moins ont été supprimés du jeu à la dernière minute.
(3) kawaii : mignon en japonais. Véritable tendance culturelle au Japon qui va des produits de consommations courantes à l’expression artistique.

François Bliss de la Boissière

Zelda Wind Waker VSD HS Bliss
Zelda Wind Waker VSD HS Bliss
Zelda Wind Waker VSD HS Bliss
Zelda Wind Waker VSD HS Bliss
Zelda Wind Waker VSD HS Bliss

(Écrit en avril 2003 et publié en mai 2003 dans VSD Hors série Jeux vidéo #1)

 


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