Quantic Dream, un studio terre à terre

Lors de notre rencontre avec David Cage fin 2013 au moment de la sortie et donc de la promotion de Beyond : Two Souls, nous avons demandé au « maître artisan » David Cage (voir entretien fleuve complet) également maître des lieux de nous faire rapidement visiter son studio parisien…

Quantic Dream by Bliss

Installé depuis 1997 dans le 20e arrondissement sur la petite ceinture bordant Paris à l’est, pas très loin des bureaux d’Ubisoft campés à Montreuil, le studio de David Cage codirigé par Guillaume de Fondaumière s’est considérablement agrandi depuis le succès de Heavy Rain (3,5 millions d’exemplaires vendus). En 2004 le studio employait 60 personnes. Aujourd’hui le tramway flambant neuf passe devant, une station Velib trône juste en face et presque 200 salariés sont installés dans deux grandes salles après avoir investi un étage supplémentaire.

Les plafonds débonnaires qui laissaient voir autoroutes de câbles et de tuyauteries sont désormais recouverts du traditionnel faux plafond blanc à damiers des bureaux. Malgré les grandes baies vitrées aux extrémités d’un bâtiment de briques oranges aux allures d’école construit en 1984, peu de lumière du jour perturbe les interminables enfilades d’écrans d’ordinateurs (au moins deux par poste). Avec tant de garçons penchés sur leurs écrans, le lieu ressemble plus à une lan-party en cours qu’à des bureaux high-tech. Cage s’excuse presque de la banalité offerte aux regards.

Un rapide détour par le studio de motion capture planqué quelque part derrière une porte métallique verrouillée et la singularité du studio Quantic Dream se fait enfin sentir. Les petits points de lumière rouges ou vertes accrochées en hauteur à d’étranges structures métalliques maintiennent le lieu inoccupé dans une semi obscurité presque religieuse. Le son amorti des voix, lui, donne l’impression de pénétrer un caisson d’isolation géant. Mouchetées des pieds à la tête par les fameux capteurs de performance capture, les acteurs ont joué toutes leurs scènes sur ce plateau, cernés par 64 caméras. Si l’ensemble du travail a pris dix mois de tournage, l’enregistrement des performances des deux acteurs stars n’a duré qu’un mois. Ellen Page et Willem Dafoe, en particulier, se sont donc installés à Paris pendant deux périodes de 15 jours.

Quantic Dream loue son studio de motion capture (mocap dans le jargon raccourci) à des entreprises externes. « Mais ce n’est qu’une prestation de service » explique Cage peu motivé par le sujet entre deux volées de marches. « Nous louons le lieu, l’équipement et fournissons des techniciens mais nous n’intervenons pas. Je ne fais pas partie du packaging« , dit-il en souriant. Le voisin Ubisoft occupe parfois le plateau. Plus récemment toutes les captations du prestigieux Dishonored du studio lyonnais Arkane ont eu lieu ici. « Sans ma participation » confirme le maître des lieux.

François Bliss de la Boissière

(Publié en décembre 2013 dans le bimestriel Games)

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Quantic Dream 02 by Bliss Quantic Dream 04 by BlissQuantic Dream 03 by Bliss  Quantic Dream by Bliss

David Cage entretien : Le Maître Artisan 3/3, la quête métaphysique

L’auteur de Beyond : Two Souls parle d’une voix douce, presque doucereuse, en retrait comme s’il voulait se maîtriser lui-même, dire ce qu’il a dire, il y tient, mais sans agressivité. Les diagnostics les plus sévères sur le jeu vidéo d’aujourd’hui glissent alors sans provocation, telles des évidences de sagesse collective.

Quand on émet des doutes sur le bien-fondé d’enfermer des acteurs célèbres dans une gangue de cire numérique, David Cage se tend et déroule à volonté son argumentaire technique. Quand on lui dit que son jeu est peut-être, avant tout, une étude de caractère, il sourit et garde la formule. Quand on lui demande si par hasard sa démarche finale ne serait pas métaphysique, il s’éclaire et vous lâche le merci de celui qui n’est pas encore sûr d’avoir été compris.

François Bliss de la Boissière

Beyond Two Souls

Entretien 3e partie : la quête métaphysique caché

Bliss/EH : La fin propose un choix quasiment métaphysique qui se vit de manière intime. Votre objectif était là ?

David Cage : Oui, merci (grand sourire). Ce choix final est LA conclusion de votre expérience de jeu depuis la première minute. Vous le construisez à partir de votre vécu dans l’histoire, à travers les gens morts ou vivants pendant votre parcours. Vous pouvez vous retrouver dans la situation de souhaiter rejoindre « de l’autre côté » ceux que vous avez aimés ou, au contraire, vous dire : « Non, j’ai encore des choses à faire dans la vie, j’y crois et je reste là ». Je ne sais pas si tous les joueurs vont ressentir ça, mais c’est l’aboutissement de votre voyage. Et c’est le seul choix vraiment conscient, celui où il y a écrit : tu peux faire ceci ou cela. Je ne voulais pas que ce choix soit fait par hasard et que le joueur ne comprenne pas ce qui lui arrive. Ça devait être limpide.

Bliss/EH : Beyond ne serait-il pas avant tout une étude de caractère ?

David Cage : Je commence souvent à écrire avec une idée simpliste, et ce n’est qu’au bout d’un an que je sais de quoi je voulais parler. C’est très bizarre, peut-être que cela fonctionne ainsi pour des tas de gens, mais quelque part, c’est le stylo qui dit quelque chose et toi, tu es spectateur de ce que tu as écrit. Et tu réalises de quoi ta petite voix intérieure voulait parler. L’idée vraiment stupide et super cool d’une petite fille qui a un lien avec une entité surnaturelle m’a amené sur des sujets qui n’ont rien à voir. Et à la fin, cette idée devient anecdotique et l’histoire s’est changée, en effet, en une étude de caractère. Ce qui compte c’est son voyage, les moments auxquels elle est confrontée, ceux qui font de nous ce que nous sommes.

Bliss/EH : Le long monologue de l’une des fins dit quelque chose qui relève de la morale. A ce moment-là, vous vous exprimez directement ou c’est le personnage ?

David Cage : Oh, c’est nous deux évidemment (rires). Mais il n’y a pas vraiment de notion de morale ou de religion. En écrivant je me suis très peu posé la question de ce qu’il y a après la mort. Mais depuis, on me pose beaucoup la question. Paradoxalement j’ai écrit cette histoire avec beaucoup de foi dans le fait qu’il existe quelque chose après la mort alors qu’à titre personnel, je pense malheureusement, rationnellement, qu’il n’y a rien. Mais Jodie a des raisons d’y croire.

Bliss/EH : Cette histoire a été inspirée par une expérience personnelle…

David Cage : Oui, j’ai perdu quelqu’un de ma famille dont j’étais très proche et cela m’a beaucoup affecté. Avec des parents et des grands-parents assez jeunes j’ai été peu touché par la mort jusqu’à maintenant. Quand je me suis retrouvé dans un petit cimetière du patelin où je suis né à regarder un cercueil descendre dans la tombe… Je me suis dis… tout ça pour ça. Une visite dans les catacombes de Paris avait déjà provoqué en moi une expérience existentielle en contemplant ces empilements de crânes de gens qui se sont aimés, détestés, qui ont eu des passions, se sont battus pour devenir quelqu’un. Et ils finissent en pile. Je n’en tire pas quelque chose de nihiliste, mais cela met les choses en perspectives. Ce n’est pas très gai ce que je raconte (rires) mais cette réflexion a été une pierre angulaire lors de l’écriture.

Bliss/EH : Comment faites-vous pour réussir à lancer toujours de nouveaux jeux là où tout le monde se réfugie dans les suites ?

David Cage : Je ne sais pas, à chaque fois c’est un nouveau défi. Je fais les choses avec passion, enthousiasme et sincérité. Il faut convaincre l’équipe, puis Sony. Cela aurait été beaucoup plus facile avec un Heavy Rain 2 que de dire « allez on repart de zéro vous allez voir ça va être super ». Puis il faut convaincre les joueurs. Jusque là tout le monde a suivi. Mais depuis que je fais la promo de Beyond, le jeu qui me terrifie le plus est Heavy Rain ! C’est une compétition horrible parce que les gens vous jugent à l’aune de Heavy Rain et vous demandent si Beyond sera pareil. Eh bien non, c’est autre chose.

Bliss/EH : Certaines de vos déclarations provoquent des tempêtes. Pourquoi ces attaques contre le jeu vidéo actuel ?

David Cage : Il faut différencier ce que je dis dans une interview de deux heures et ce qui est retranscrit, extrait hors contexte et mis en gros titres par une certaine presse que je ne rencontre même pas. Vous vous retrouvez à vous justifier de choses que vous n’avez jamais dites. C’est très gênant. Ensuite, en effet, je m’inscris en rupture avec une partie du jeu vidéo. Non pas pour dire que ce que font les autres est nul, j’ai beaucoup de respect pour les jeux, les développeurs et les joueurs qui aiment tous ces jeux d’action. Je dis juste que les jeux basés sur des boucles de violence ne peuvent pas représenter 100 % du jeu vidéo. J’aimerais qu’il y ait un peu plus de place pour d’autres expériences. Qu’un Journey, un Unfinished Swan, un Papo & Yo ou un Gone Home existe est extraordinaire. Quand vous allez au cinéma, rien ne vous empêche d’aller voir Transformers un jour et un Woody Allen le lendemain. Dans le jeu vidéo il y a malheureusement beaucoup de Transformers et pas assez de jeux qui essaient de faire des choses différentes. C’est tout ce que je dis.

Bliss/EH : La différence, c’est que vos jeux font appel à de gros budgets…

David Cage : Vous avez raison, nous sommes dans une situation assez particulière et nous avons beaucoup de chances. Nous avons la liberté artistique d’un développeur indé avec les moyens financiers d’un développeur AAA. Nous faisons donc des jeux indés AAA…

Bliss/EH : Avec votre succès et votre ambition, comment êtes-vous perçus dans les milieux du jeu vidéo et du cinéma que vous côtoyez aussi entre Hollywood et le festival de Tribeca où Beyond a été présenté ?

David Cage : Je ne sais pas comment je suis perçu et ce n’est pas forcément ce qui m’empêche de dormir. Je suis sincère, il y a des gens qui apprécient et d’autres qui détestent. On est qui on est. Que voulez-vous que je fasse, que je me taise ? Que je fasse des shooters pour être comme tout le monde ? Non, je ne peux pas me renier, je ne peux pas être quelqu’un d’autre. Et les gens qui apprécient notre démarche apprécient que nous ayons un discours et des jeux pas comme les autres. Le truc le plus scandaleux que j’ai osé dire a été que le jeu vidéo doit grandir. Qu’est-ce que je n’avais pas dit là ! Il n’y a que moi qui vois les choses comme ça dans le milieu ? Pendant ce temps-là, en off, des gens viennent me voir : « Ah tu as eu drôlement raison de dire ça ». Pourquoi s’en cacher : oui, le jeu vidéo doit grandir.

Bliss/EH : Vous ne pratiquez pas le politiquement correct…

David Cage : Je ne cherche pas à provoquer, ni à me taire non plus. Si vous regardez les jeux que j’ai faits, je crois que vous y verrez une cohérence de la vision. Je ne suis pas un opportuniste, un mec qui fait des suites pour gagner du fric, qui s’est prostitué pour faire l’adaptation de tel ou tel film, qui fait un shooter quand les shooters se vendent. Non, je suis un mec qui croit en la même chose depuis 16 ans. Et les jeux vidéo ne m’ont pas attendu pour grandir, je le vois bien, il y a des gens qui évoluent. Pourquoi ? Parce qu’ils ont 40 ans comme moi et qu’à 40 ans tu n’écris plus les mêmes jeux que quand tu as 20 ans. Et heureusement, c’est logique et sain.

Bliss/EH : Quelles pistes pensez-vous suivre après Beyond ?

David Cage : J’aimerais aborder des thèmes avec plus de sens. Faire un jeu qui ait un parti pris sur une idée précise, m’attaquer à un sujet difficile, à un sujet de société. Mais je veux le faire de manière intelligente et sensible, avec un angle, parce que j’ai le sentiment que cela peut être très fort. Il est possible d’utiliser ce média pour dire quelque chose. Mais je suis un gamin dans un magasin de bonbons. Il n’y a qu’à tendre la main : ce sujet là, personne ne l’a jamais fait ! Et tu peux le faire, tu as tout ce qu’il faut, des gens qui croient en toi, qui vont te suivre. J’ai envie d’aller vers la comédie, vers un truc transgressif, de faire une suite à Kara… Mais écrire un projet prend un an. Donc la prochaine pâtisserie que je choisis, il faut que j’y crois vraiment, il faut que je me dise : c’est la meilleure…

Bliss/EH : Vous ne pensez pas d’abord à des manières de jouer ?

David Cage : Bien sûr, il y a des idées de jeux qui m’intéressent et sur lesquelles nous travaillons. Je crois que nous commençons à avoir des solutions pérennes parce que si, demain, je me lance dans une comédie interactive, une romance ou un soap opera, j’ai les outils. Même s’il y a encore beaucoup d’autres briques à ajouter à ce langage, on y travaille quotidiennement. Mais je suis très attaché au sens parce que je continue de penser que ce que l’on a à dire va devenir de plus en plus important. Si ça se trouve je n’ai rien à dire (rires) mais j’ai envie de le savoir. De voir si le jeu vidéo et l’interactivité permettent de dire quelque chose ou si nous sommes condamné à faire des jouets.

Début de l’entretien à suivre ici…

David Cage : Le Maître Artisan 1/3, même pas peur

David Cage : Le Maître Artisan 2/3, le voyage est l’essentiel

Propos recueillis fin 2013 par François Bliss de la Boissière et Erwan Higuinen

(Publié en décembre 2013 dans le bimestriel Games)

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David Cage entretien : Le Maître Artisan 2/3, le voyage est l’essentiel,

David Cage a changé en dix ans. Il a désormais cette aura particulière indéfinissable des gens habitués aux regards et aux caméras. Et peut-être au succès. Entretien fleuve 2e partie…

Bien que ses jeux en forme de manifestes disent le contraire, Cage, de sa voix toujours trop calme qui tient l’ego en laisse, affirme ne pas avoir de grand message à délivrer, ne se revendique ni artiste, ni même auteur. « J’ai juste l’impression d’être un artisan qui fait son travail ».

François Bliss de la Boissière

david-cage 2014 DR

Entretien 2e partie : Le voyage est essentiel

Bliss & EH : Le chapitrage désordonné du jeu semble dessiner à l’écran le concept de narration élastique que vous défendez depuis longtemps…

David Cage : Nous avons simplement présenté ces scènes par leurs titres, en montrant où elles se situent dans la vie de Jodie. L’idée était surtout d’aider le joueur à s’y retrouver. D’autant que nous voulions garder des choix implicites, qu’ils se fassent en jouant, aient des conséquences tout en gardant l’expérience fluide, organique. Ça peut poser problème à des gens parce que souvent, dans les jeux, il y a des gros panneaux qui clignotent : « à droite ou à gauche », « oui ou non ». Et là, il n’y a rien.

Bliss/EH :  Heavy Rain donnait envie d’essayer tous les embranchements, les personnages pouvaient mourir, il y avait presque du game over. Beyond ne fonctionne pas comme ça…

David Cage : Non, et c’est aussi une rupture avec les conventions. Certains nous disent que puisqu’il n’y a pas de game over, le joueur va s’en désintéresser, ne pas faire attention. Mais ce n’est pas un jeu de tir où vous recommencez jusqu’à réussir. Là, vous allez vivre la vie de ce personnage, voir des choses, en rater d’autres, mais vous racontez votre propre histoire. Nous avons voulu créer un voyage de 10-12 heures dont on se souvienne. Qu’il marque, qu’il y ait des moments forts et qu’on finisse le jeu en se disant : j’ai vécu quelque chose. L’essentiel, c’est le voyage.

Bliss/EH : Tous vos jeux évoquent la séparation du corps et de l’esprit, met en scène des variations du corps astral. Cela vous préoccupe ?

David Cage : Ce n’est pas quelque chose qui m’habite particulièrement. Je suis plus intrigué par la schizophrénie, l’idée d’être quelqu’un d’autre. J’ai fait plusieurs jeux dans lesquels on contrôlait différents personnages. Jodie et l’entité sont deux personnages à part entière, mais on contrôle aussi Jodie à différents âges, son apparence change, comme sa façon de parler, de bouger. C’est presque comme avoir un personnage différent dans chaque scène. Mais le point de départ de Beyond est ailleurs. Dans le métro, vous voyez parfois des sans-abris qui parlent tout seuls. Ils ont visiblement bu et on dirait qu’ils ont un dialogue enflammé. Ils écoutent, ils répondent. Je me suis demandé ce qui se passerait si eux voyaient vraiment quelque chose que je ne vois pas. L’idée de Jodie et de l’entité est venue de là. Mais ce n’est pas quelque chose qui me hante, je n’ai pas le sentiment qu’une âme puisse exister indépendamment du corps et je le regrette profondément. Ce qui ne m’empêche pas de me demander ce qui se passerait si… Écrire c’est aussi ça : imaginer des choses et les traiter comme si elles étaient possible.

Bliss/EH : Beyond se frotte à des thèmes inhabituels dans le jeu vidéo : le suicide, l’accouchement, la pauvreté, l’enfant-soldat… Vous avez rencontré des résistances pour les imposer ?

David Cage : La plupart des jeux sont basés sur des mécaniques de violence. Vous avez un flingue, vous courez, vous sautez, et voilà. Quelques uns essaient d’avoir un propos dans leurs cinématiques mais, à 90 %, l’expérience de jeu, c’est ça. Nous avons très vite décidé de ne pas créer une mécanique violente en boucle. Il y a tellement de jeux qui font ça très bien, on ne va pas en rajouter un. Nous essayons de mettre l’histoire, le propos au cœur de l’expérience. Et quand vous abordez ces thèmes, vous avez tout à coup plein de gens qui vous donnent plein de raisons de ne pas le faire. Il y a des scènes dans Beyond pour lesquelles, oui, on a dû se battre. Y compris pour des choses qu’on n’imaginait pas qu’elles puissent poser problème.

Bliss/EH : Comme quoi ?

David Cage : Par exemple dans la scène d’anniversaire où un personnage propose à Jodie de fumer. La discussion a été interminable. Mais elle a 14 ans, ce n’est pas bien de fumer. Que fume-t-elle ? Du tabac ? Oui, oui, c’est du tabac (rires)… La censure ne fait pas la distinction entre parler de quelque chose et en faire la promotion. Dans cette scène, Jodie prend une taffe, elle a la tête qui tourne, les autres se foutent d’elle et elle sort. Nous ne glorifions rien du tout. Et je vous passe les scènes de sexe parce que, là, on ne peut quasiment rien faire. Par contre, on voit des jeux où on tire sur un personnage et sa tête explose. Ça, c’est bon, ça va. Mais dès qu’on touche des sujets un peu sensibles…

Bliss/EH : D’où vient le choix des deux séquences anormalement longues avec les sans-abris et les Navajos ?

David Cage : Elles se sont produites comme ça, pendant l’écriture. J’ai l’habitude des scènes de 15-20 minutes et, là, je ne sais pas pourquoi, j’avais besoin de plus d’espace. Ce sont aussi des ruptures dans la narration, des histoires dans l’histoire.

Bliss/EH : Est-ce que ces personnages sont là parce que, comme Jodie, ils vivent à la marge ?

David Cage : Sûrement, mais je n’ai pas fait une analyse profonde. Quand j’écris, je suis mon instinct. Avec les sans-abris, il m’importait de raconter l’histoire de ces bannis et de montrer que, même en dehors de la société, il reste de l’humanité. Les gens vivent encore des choses, les ressentent, s’entraident. Ils sont peut-être plus humains que ceux qui passent sans les voir. Je n’ai pas de grand message social à transmettre, mais ça m’intéressait de vous mettre dans la peau d’un sans-abri, de vous asseoir par terre et de vous dire que vous deviez trouver de quoi manger.

Bliss/EH : Vous savez ce que font les gens dans la scène où, en tant qu’Aiden, ils ont le choix entre perturber le rendez-vous amoureux et ne pas agir ce qui est presque scandaleux pour un gamer ?

David Cage : Sur les 200 ou 300 personnes testées, nous avons été surpris de voir que plus de 60 % des gens ne faisaient rien. Et je suis d’accord, pour un gamer, ne rien faire… La scène est presque plus intéressante si vous ne faites rien parce que c’est le seul moment où vous allez avoir un peu de background sur Clayton. Vous allez enfin entendre qui il est, d’où il vient, les confidences de Jodie. Et puis, intentionnellement, ne pas agir, c’est agir parce que vous voulez que cette relation arrive. Et elle peut arriver ou pas. Sans révéler tous les secrets, même si on laisse la scène se dérouler, si Jodie s’est fait agresser dans le bar quand elle était ado, elle va le repousser.

Bliss/EH : Dans cette scène la curiosité du joueur est titillée jusqu’au voyeurisme et se retrouve peut-être dans l’accompagnement affectif de la situation mais aussi dans la curiosité de savoir jusqu’où le jeu va oser aller…

David Cage : L’idée n’était évidemment pas de se diriger vers la pornographie ni de se retrouver en situation de « mater ». J’essaie toujours de mettre le joueur dans la peau du personnage qu’il contrôle. Dans la première moitié de la scène vous jouez Jodie qui se prépare, ou pas, au rendez-vous amoureux. Dans la deuxième, vous jouez Aiden qui peut intervenir en pensant : « Ah non, elle m’appartient, pas question qu’elle ait une relation avec quelqu’un d’autre », ou ne rien faire en pensant qu’elle a le droit de fréquenter quelqu’un. Voilà deux versions de la scène selon la caractérisation des personnages que le joueur a décidé.

Bliss/EH : On s’identifie au personnage, on en sort, on veut le protéger ou le torturer… Est-ce que l’entité correspond à la position du joueur ?

David Cage : Je ne l’ai pas pensé comme ça en écrivant. Peut-être que c’est là, on écrit des choses sans se rendre compte, mais je n’ai pas assez de recul.

Bliss/EH : Le survol des décors par l’entité ne serait-il pas tout simplement un outil des développeurs mis en scène dans le jeu ?

David Cage : Ses déplacements ressemblent en effet à la caméra libre utilisée pour débugger les jeux. Mais j’étais plus intéressé à faire d’Aiden un personnage à part entière et lui donner un rôle plutôt qu’un pouvoir. Quand on écrit, il y a la tentation d’imaginer un super-héros super cool. Avec ses pouvoirs, Jodie va détruire des trucs, ça va être génial, elle va être super contente. Mais en réalité, qu’est-ce que c’est ennuyeux ! N’est-ce pas plus intéressant qu’elle souffre de ce pouvoir ? Qu’elle ne puisse pas mener une vie normale, avoir une relation amoureuse, une amitié, des copains ? J’ai essayé d’ancrer dans une forme de réalité l’histoire d’une petite fille autour de qui il se passe des choses bizarres.

Entretien à suivre ici…

David Cage : Le Maître Artisan 1/3, même pas peur

David Cage : Le Maître Artisan 3/3, la quête métaphysique

Propos recueillis fin 2013 par François Bliss de la Boissière et Erwan Higuinen

(Publié en décembre 2013 dans le bimestriel Games)

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Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n
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David Cage entretien : Le Maître Artisan 1/3, même pas peur

Ses déclarations agacent, son succès aussi sans doute, comme son côté homme orchestre. Mais sa parole est libre et son travail parle pour lui. Envers et contre tous, l’auteur/producteur/scénariste/dialoguiste/directeur d’acteurs/réalisateur de Beyond : Two Souls suit son petit bonhomme de chemin. Rencontre.

David Cage © Sony Computer

Il y a un malentendu David Cage. Ses prises de paroles publiques et sa dénonciation des travers créatifs de l’industrie du jeu vidéo passent pour de la suffisance, voire du mépris envers les gamers nourris au point’n click avant-hier, aux jeux de plateforme hier, aux FPS aujourd’hui, et aux jeux de rôles depuis toujours. En réalité David Cage défend sa cause, prêche à la ronde ce qu’il aspire à entreprendre lui-même. Après tant de projets improbables, intrigants mais critiqués à chaque fois en amont de leurs sorties, The Nomad Soul, Fahrenheit, Heavy Rain et Beyond : Two Souls prouvent au moins une chose : David Cage applique à lui-même les leçons qu’il semble distribuer à la cantonade. « Vous vous rendez compte, j’ai apparemment choqué l’industrie du jeu vidéo en suggérant qu’elle devait… « grandir » « . En osant aborder dans son dernier jeu des thèmes aussi essentiels qu’inusités dans le jeu vidéo que l’amour (filial et amoureux), la maternité, le sexe, la pauvreté, les enfants soldats et le suicide, Cage fait magistralement la démonstration de ce qu’il voulait dire par… « grandir ».

François Bliss de la Boissière

Entretien 1ère partie :  Même pas peur

Note aux lecteurs : l’interview contient des spoilers qui peuvent gâcher l’expérience du jeu Beyond : Two Souls.

Bliss/EH : Vous travaillez désormais avec des pointures d’Hollywood. Vous aviez dit que votre expérience avec David Bowie sur The Nomad Soul avait chassé toute peur…

David Cage : Quand j’ai travaillé avec Bowie j’étais totalement inconscient. Et ça m’a rendu un service extraordinaire. Si j’avais été pleinement conscient de ce qu’était la légende Bowie, j’aurais été paralysé. Je savais qui il était sans spécialement connaître son travail… Naïvement, et très horrible de ma part, nous nous sommes parlés, nous avons travaillé ensemble, lui comme acteur ou compositeur, moi qui créais un jeu, on avait envie de faire un truc ensemble et on l’a fait. Je pense que quand vous travaillez avec des monuments comme David Bowie ou Willem Dafoe, vous êtes obligés de faire abstraction de leur réputation.

Bliss/EH : Avec sensiblement la même technologie de performance capture que vous, James Cameron a créé un mixte entre un humain et une créature fantastique et, du coup, a donné de l’humanité à cette créature. Dans Beyond, des acteurs humains sont au contraire placés dans une gangue virtuelle qui gomme un peu de leur jeu.

David Cage : Vous êtes le premier à me dire ça. Voilà six semaines que je fais le tour du monde pour parler de Beyond et ce que tout le monde relève, c’est la qualité de l’acting, l’intensité dans les regards, l’émotion. Si vous pensez cinéma, je vous suis complètement, le résultat est moins bien que l’acteur en vrai. Mais vous savez quoi ? L’acteur en vrai n’est pas interactif. Donc c’est super dans un film mais, moi, je suis dans un jeu. Je ne vois pas comment faire autrement. Si vous me demandez si la technologie est à 2000 % fidèle à l’original, la réponse est non. Mais je pense que Beyond fait partie du haut du panier. Et vous me comparez à James Cameron qui a des centaines de millions de dollars de budget… J’ai vu des choses dans Beyond jamais vues en temps réel. Avant, on ne pouvait pas filmer le personnage qui ne parle pas parce qu’il ne se passait rien. Et là, il y a des moments où vous regardez dans les yeux d’Ellen Page et vous voyez exactement ce qu’elle ressent. Ça ripe encore mais infiniment moins. Après, on peut voir la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine. Je sais d’où est partie cette industrie. Est-ce que c’est enfin parfait ? Non. Est-ce que nous avons fait un putain de progrès ? Oui.

Bliss/EH : Le photoréalisme est-il le but ultime ?

David Cage : Non, pour moi jamais. Ça a l’air paradoxal parce que je travaille sur des jeux plutôt réalistes, mais je suis intéressé par le rendu qui correspond à l’histoire que je veux raconter. Demain, je pourrais faire un truc complètement cartoon si j’ai une histoire qui nécessite ce type de rendu. Copier la réalité est difficile. On essaie d’atteindre un point où on peut faire oublier les différences au joueur. Parfois on y arrive, parfois un peu moins. Quand vous regardez un anime japonais, ce n’est pas réaliste du tout mais, il y a un moment où ce n’est plus ça qui compte mais l’histoire, les personnages. Pixar a démontré qu’on pouvait obtenir quelque chose d’extrêmement émouvant avec des souris, des robots, des jouets en plastique. Je serais stupide de considérer le photoréalisme comme le Graal.

Bliss/EH :  Ellen Page a-t-elle été consultée sur son look et sa nudité requise dans le jeu ?

David Cage : Nous en avons discuté, montré la direction envisagée et parlé des scènes de nudité et d’amour qu’elle aurait. Cela s’est passé très simplement. Il était évident que nous n’allions pas faire un porno. Mais ni Ellen, ni Willem, ni David Bowie à l’époque de Nomad Soul, n’interviennent pour dire : ça oui, ça non. Les gens qui rejoignent un projet par passion ne jouent pas les dictateurs.

Bliss/EH : Comment avez-vous procédé pour les scènes où elle est enfant ?

David Cage : Nous avons travaillé avec une actrice américaine de 8 ans, Caroline Wolfson, qui faisait déjà du théâtre. Elle a pris des cours de comédie pendant un an et elle s’est prêtée au jeu de façon très sérieuse. Pour l’apparence physique, nous nous sommes appuyés sur les films d’Ellen puisque nous avons la chance de travailler avec une actrice qui tourne depuis l’âge de 6 ans.

Bliss/EH : Quel est votre processus d’écriture ? Vous écrivez en anglais ?

David Cage : J’ai écrit le récit en français de manière chronologique parce que je voulais trouver une cohérence à mon personnage. Il a ensuite été traduit puis un dialoguiste américain l’a adapté. Après, sur des post-it, j’ai mélangé les scènes, je voulais qu’elles se répondent. Ce travail a été intéressant pour garder l’arc narratif, la structure classique, sans la lier à la chronologie. Vous vous dites : j’ai besoin d’une scène forte ici par rapport à ce personnage-là ou, pour raconter la relation entre Jodie et Aiden, j’ai besoin d’un conflit. Et vous jouez sur les émotions en ne tenant moins compte de la timeline. Ça crée une dynamique différente. Quand vous commencez le jeu vous avez l’impression qu’on saute d’un truc à l’autre mais, normalement, il y a un moment où les choses tombent à leur place et, tout à coup, vous embrassez la vie de Jodie.

Bliss/EH : Les scènes militaires tôt dans le jeu sont-elles là pour répondre à une demande des gamers ou de l’éditeur ?

David Cage : Personne ne me dit rien, ou si on me dit quelque chose, je n’écoute pas beaucoup. Je suis un peu borné et je fais ce que j’ai envie. Évidemment, j’écoute mon équipe, mais nous ne sommes pas du genre à téléphoner au marketing pour savoir quoi faire. Ce ne sont pas eux qui écrivent mon script et ce n’est pas moi qui fais la campagne marketing.

Bliss/EH : Ce tutoriel où l’on se cache pour tuer n’est pas une réponse à ceux qui vous reprochent de ne pas faire de « vrais » jeux ?

David Cage : Ce n’était pas en réaction à quoi que ce soit. Simplement, dans le récit, Jodie va être entraînée par la CIA et des scènes importantes en tirent parti par la suite. On ne voulait pas faire du Metal Gear, ni du Splinter Cell et ça reste marginal. Mais, dans quinze ans de la vie de quelqu’un, il ne peut pas y avoir que des scènes intimistes. La vie, c’est se sentir heureux, triste, mal à l’aise… Ce sont tous ces moments, toutes ces couleurs, ces atmosphères qui vont former une vie. Et ce qui m’intéressait, c’est qu’à la fin, vous disiez : putain, j’ai vécu tout ça ! Et là-dedans, oui, il y a une scène d’infiltration, mais il y a aussi une scène d’amour, des scènes d’enfance…

Bliss/EH : La fusillade collective imposée au joueur en Somalie était-elle indispensable ? C’est une concession, une recherche de polémique ?

David Cage : Non, non, non (d’une voix très basse)… ma démarche était vraiment narrative, personne ne m’a rien dicté. Quand tu racontes une histoire comme ça, tu dois décider où poser tes embranchements. J’ai écrit une variante où Jodie refuse d’accomplir sa mission mais je me suis retrouvé dans une situation beaucoup moins intéressante. Elle basculait du côté des gentils, sa relation avec Clayton fonctionnait moins bien, sa fuite de la CIA pas du tout… Jodie est conditionnée, elle y va à reculons mais elle pense le faire pour les bonnes raisons…

Entretien à suivre ici…

David Cage : Le Maître Artisan 2/3, le voyage est l’essentiel

David Cage : Le Maître Artisan 3/3, la quête métaphysique

Propos recueillis fin 2013 par François Bliss de la Boissière et Erwan Higuinen

(Publié en décembre 2013 dans le bimestriel Games)

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Jonathan Blow : Master class

L’auteur de Braid a rejoint ces rares créateurs qui font des jeux par intime conviction, les Fumito Ueda, David Cage, Lorne Lanning, Ken Levine (la liste est courte)… qui cherchent à raisonner le monde en utilisant le médium jeu vidéo. Mais à créations atypiques, auteurs singuliers… Jonathan Blow, comme ses semblables, ne se laisse pas facilement attraper.

Jonathan Blow © Giant Bomb

Le brouhaha Internet a fini par institué le polémique et trop jeune Phil Fish – créateur du magnifique Fez – en porte-parole énervé de la scène indé alors qu’en réalité, sous des manières de gentleman réfléchisseur, Jonathan Blow est sans doute le représentant involontaire (il refuse de jouer les porte-drapeaux) le plus à vif. Question de tempérament. Aux questions qui provoquent des coups de chaud et de sang chez le jeune Phil Fish (retiré depuis de l’oeil public), Jonathan Blow répond à froid, avec méthodes ou, le plus souvent, laisse glisser. Si on insiste il résiste, joue à l’occupé (il l’est, son jeu The Witness sort en exclusivité sur PlayStation 4 avant la fin de l’année), à celui qui ne comprend pas tout. L’exercice de l’interview ne l’intéresse pas et au fil des échanges, l’intervieweur se retrouve en train d’appliquer peu à peu malgré lui un nouveau tutorial d’échanges. Et quand l’auteur de Braid daigne répondre, il n’y a pas de gras, il parle directement à l’os.
Prétentieux ? Sans doute. Esprit fort et indépendant surtout. Programmeur d’abord, créateur précieux de jeux uniques ensuite, Jonathan Blow parle comme il conçoit ses jeux et donc nécessairement le monde. Ce qui est dit est moins important que ce qui est impliqué. Pour créer des jeux au gameplay émergeant (jamais le mot déjà passé de mode ne sera utilisé) il fallait bien une pensée au fonctionnement émergeant natif. Discussion à trous mais avec quelques clés…

Bliss : De Braid à The Witness, vous êtes à la recherche d’une communication muette directe entre le jeu et le joueur, et notamment directement à partir du gameplay… Comment fonctionnez-vous ?

Jonathan Blow : Oui, il y a définitivement dans mon style quelque chose qui fait que j’accorde de l’importance à une communication ne passant pas par le langage. Plutôt que de le dire en mots dans un tutorial laborieux, j’essaie que mes jeux fassent par eux-mêmes la démonstration de ce que vous pouvez y faire. Le processus de conception consiste essentiellement à, d’abord, écouter le jeu, attentivement, de façon à découvrir où celui-ci veut aller et ce qu’il veut montrer aux gens ; puis à décortiquer le résultat en petits paliers simples. Il s’agit de simplifier pour la personne qui joue le voyage qui va de l’absence de connaissance du jeu jusqu’à une connaissance profonde. Cela ne me semble pas si difficile à faire, et le résultat a tendance à être très intéressant. Mais ce n’est pas une pratique adoptée par l’industrie en général.

Bliss : D’abord cérébraux, vos jeux pourraient fonctionner avec n’importe quelle apparence visuelle, et pourtant vous mettez un point d’honneur qu’ils soient spéciaux et « parfaits », pourquoi ?

Jonathan Blow : Les visuels soutiennent le jeu de bien des manières. En premier lieu, de bons visuels font partie de la façon dont vous communiquez au joueur qu’il est entre de bonnes mains. Si le joueur voit que la représentation visuelle n’a pas été soignée, alors il sait aussitôt qu’il ne s’agit pas là d’un jeu où chaque détail a été minutieusement préparé. Alors, si les visuels ne sont pas fignolés, peut-être que le gameplay non plus. Et quand arrive le moment inévitable où le joueur ne comprend pas – encore – ce qui lui arrive, au point de, en quelque sorte, commencer à contester le jeu dans son ensemble, le joueur accordera moins le bénéfice du doute au jeu. Tandis que quand l’expérience commence bien, il est beaucoup plus facile pour le joueur de faire ensuite confiance au jeu, de savoir que si quelque chose ne semble pas clair, c’est probablement intentionnel, qu’il existe une raison. Ce processus se passe essentiellement inconsciemment, je pense.

Bliss : Braid et The Witness mettent en scène la solitude à une époque où les jeux vidéo s’enorgueillissent en affichant des dizaines de personnages à l’écran, jouables ou non jouables. Votre approche est artistique technique ?

Jonathan Blow : Oui, ces deux jeux parlent du fait d’être seul, mais ils présentent des façons différentes d’être seul. Chaque jeu a son propre parfum. Mon prochain jeu n’aura probablement pas ce sentiment de solitude. Mais pour un jeu d’aventure comme The Witness inspiré par l’esprit des deux premiers Myst, être seul semblait juste.

Bliss : Qu’est-ce qui est important pour vous : que votre jeu dise quelque chose sur la condition du médium jeu vidéo ou qu’il dise quelque chose sur le monde autour de lui ?

Jonathan Blow : C’est différent pour chaque jeu, et pour moi qui change avec le temps. Avec Braid j’étais un peu en train de montrer que le jeu vidéo peut faire certaines choses. Mais, honnêtement, je ne suis plus intéressé par ça désormais. Le problème c’est que tant de jeux idiots continuent à être faits. Je ne suis pas sûr que je puisse adresser de manière productive cette inertie culturelle, à part en faisant davantage de bons jeux, ce qui est bien mon intention. Quant à dire quelque chose sur le monde, eh bien, peut-être, mais je ne raisonne pense pas tout à fait de cette manière. Je ne suis pas vraiment intéressé à concevoir un jeu avec un thème politique, par exemple. Je suis surtout captivé par l’observation ce qui se passe sous certaines circonstances, et d’en faire un rapport détaillé. Donc il s’agit sans doute d’un commentaire « à propos du monde » d’une certaine façon, mais pas vraiment de la manière que les gens attendent.

Bliss : Un jeu peut-il être ouvertement utilisé comme le moyen d’expression d’une personne ?

Jonathan Blow : Je ne comprends pas pourquoi quelqu’un poserait encore cette question. Nous sommes dans un monde où quelqu’un peut empiler une pile de rochers sur une plage interprété alors évidemment comme une expression artistique, mais par ailleurs un jeu vidéo ne pourrait pas l’être ? Quel sens cela fait-il ? Je ne me sens pas concerné par la notion populaire de jeu vidéo. La plupart des jeux vidéo d’aujourd’hui peuvent sauter d’une falaise sans que que cela m’atteigne. Visiblement un grand nombre de gens ont envie de jouer de tels jeux, très bien, mais moi, non.

Bliss : Vous vous désintéressez du jeu vidéo d’aujourd’hui mais votre envie d’en faire vous-même vient bien de quelque part. Quelles ont été vos premières influences ?

Jonathan Blow : Jeune je jouais à énormément de jeux vidéo. Je peux vous dire quelques favoris, comme l’aventure textuelle Trinity de Brian Moriarty (1986), ou la station de travail de collège Netrek (un des premiers jeux en ligne en 1988, ndr) mais c’est assez difficile de voir une connexion entre eux et ce que je réalise maintenant. Je dirais que plus récemment le jeu non électronique Zenda m’a influencé substantiellement. Plus spécifiquement, pour Braid le livre Villes Invisibles (1973) de Italo Calvino a eu une influence majeure, bien que cela soit difficile de voir ça dans le résultat final.

Bliss : Qu’est-ce qui vous a marqué esthétiquement, des peintres, des illustrateurs, des… architectes ? Braid a une esthétique jeu vidéo mais The Witness semble utiliser des techniques d’aquarelle…

Jonathan Blow : Visuellement, je choisis n’importe quel style réclamé par un jeu. Cela change d’une réalisation à l’autre. Le style de Braid n’est pas venu directement d’un peintre en particulier, mais parce que je voulais un monde qui exprime une touche humaine là où la plupart des plateformers du moment utilisaient des palettes stériles de couleurs 3D précalculées. Je voulais provoquer une incertitude dans le ressenti des déplacements tout en s’assurant que tout ce qui peut être touché pendant le gameplay paraisse solide et certain. The Witness a un style visuel très différent parce que le gameplay est différent. Ce que font les peintres quand ils peignent une scène est vraiment différent de ce que nous faisons maintenant quand nous devons restituer une scène en 3D dans un ordinateur. Je ne sais même pas vraiment comment franchir le pont qui sépare les deux en terme de moyen d’expression. Je pense que si vous essayez de restituer une apparence graphique façon peinture cela va juste être une faible imitation, à moins de travailler très dur à comprendre quels sont les vrais paramètres expressifs du système que vous devez préparer, puis, plutôt que de copier la peinture de quelqu’un, de les utiliser pour aller là où ils veulent aller. Je pense que pour faire un bon travail avec ça il faudrait un vaste projet de recherche, ce qui pourrait m’intéresser d’entreprendre un jour, mais là maintenant j’ai beaucoup d’autres choses à m’occuper.

Propos recueillis en septembre 2013 par François Bliss de la Boissière

Bio check

Indépendant à tout prix

42 ans, programmeur et concepteur américain de jeux vidéo, Jonathan Blow est définitivement apparu sur la carte des grands du jeu vidéo lors de la sortie de l’ovni vidéoludique Braid en 2008 conçu en 4 ans. Développeur autonome, il fait néanmoins entendre sa voix dans les diverses manifestations professionnelles du secteur (Game Developer Conference…). Bien que co-fondateur de l’Indie Fund qui finances des projets indépendants, Blow se défend de représenter la scène ou les jeux indés dont il se « sent actuellement plutôt éloigné ». Son jeu The Witness, un héritier contemporain de Myst, doit sortir en exclusivité provisoire sur la PlayStation 4 de Sony.

François Bliss de la Boissière

(Publié en décembre 2013 dans le bimestriel Games)

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Consoles Next-gen, la guéguerre est déclarée 3/3 : Reality check

Nouvelles techno pour quoi faire (de mieux) ? 3e et dernière partie d’une réflexion sur un conflit entre marques et constructeurs qui n’a plus de raisons d’être qu’en surface. Dans leurs entrailles technologiques, les 3 concurrents en lice jouent le même jeu ou presque.

Next-Gen DR

Dur

La PlayStation 4 et la Xbox One sont équipées de processeurs AMD comme la Wii U avant elles. Le ventre de toutes les nouvelles consoles ressemblent désormais à celui d’un PC haut de gamme. Les nuances des différences techniques entre les consoles Microsoft et Sony ne parlent qu’aux développeurs les plus pointus. Premier argument de séduction, les qualités graphiques augmentées des unes et des autres se vérifieront empiriquement et devront sans doute attendre la deuxième vague de jeux. La Xbox One est cette fois équipée d’un lecteur Blu-ray, les jeux tiendront (enfin) sur un seul disque comme sur PlayStation 3 et 4.

Futur proof

Les consoles sont de facto compatibles 3D stéréoscopique et, potentiellement, UltraHD (résolution 4K : 3840×2160), le nouveau super format des écrans TV disponibles en magasins et appelés à se démocratiser les prochaines années. Tactile. Les changements les plus tangibles viennent des manettes. Celle de la Xbox One équipe pour la première fois les gâchettes de moteurs de vibrations et de résistances indépendants aptes à rendre plus palpables encore les mondes virtuels. La Dualshock 4 change radicalement de prise en main et de design avec des sticks et des gâchettes ne glissant plus. Elle incorpore un mini pad tactile cliquable aux possibilités inattendues.

Social

La grosse révolution au potentiel viral incalculable associée à l’accès aux réseaux sociaux consiste à pouvoir capturer et enregistrer des extraits images ou vidéo de sapartie et à les partager. Contrôle à distance. Xbox One et PS4 sont en théorie plus autonomes, capables de télécharger de lourds fichiers (jeux et films) en tâche de fond, en mode veille, se pilotent à distance par Internet ou des applis mobiles. Les caméras associées à chaque console permettent de manipuler des éléments par le geste, d’apparaître en pied dans l’écran et de reconnaître la manette du joueur et sa position dans la pièce.

Point noir

Aucune console n’est spontanément rétro compatible avec les jeux des générations précédentes.

 

Lire aussi…
Consoles Next-gen, la guéguerre est déclarée 1/3 : endémique
Consoles Next-gen, la guéguerre est déclarée 2/3 : à pomme  et à vapeur

François Bliss de la Boissière

(Aurait dû être publié en décembre 2013 dans le bimestriel Games sauf que l’encadré imprimé par erreur sur la page de Games #1 ci-dessous ne contient pas le texte prévu. Celui-ci est donc lisible ici-même.)

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Consoles Next-gen, la guéguerre est déclarée 2/3 : à pomme et à vapeur

La PlayStation 4 et la Xbox One semblent siffler le top départ de la 8e génération de consoles de salon fin 2013 alors qu’en réalité, dilué, le palier générationnel a déjà été franchi il y a de longs mois. Réflexions en 3 parties autour d’un conflit chronique depuis… toujours.

Next-Gen DR

Trop low-tech pour flasher les esprits, la Wii U a ainsi été la première fin 2012 à mettre entre les mains une tablette permettant de jouer en coordination avec l’écran du téléviseur. Une innovation doucement complexe et next-gen tellement évidente que les deux concurrents Sony et Microsoft n’auront de cesse, encore une fois, d’imiter Nintendo et de proposer des contrôles similaires via des applis sur tablettes ou même en passant par la PSVita devenue manette auxiliaire avec écran tactile de la PlayStation 4. Mais, pour la première fois, ces trouvailles de gameplay et de contrôles tactiles désormais répandus n’ont pas été inventées par un des acteurs du jeu vidéo.

La pomme…

Le premier vrai danger pour l’industrie historique du jeu vidéo vient de l’extérieur et s’appellent Apple, et dans une moindre mesure, Android. Un flux ininterrompu d’applis interactives tactiles, jeux vidéo en tête, alimente sans tarir les 250 millions d’iPhone, les 153 millions d’iPad et les 500 millions de smartphones et tablettes Android. Des appareils mobiles potentiellement capables de communiquer avec le téléviseur, d’y faire afficher leur contenu et donc leurs jeux. Initiées par des start-ups qui confondent encore bonnes intentions et savoir-faire (nombre de prétendant aux consoles de salon se sont cassées les dents au fil des âges : 3DO, Jaguar, Pippin, Phantom…), les mini consoles Android à glisser sous le téléviseur ne sont pour l’instant que de pales imitations de consoles de salon. Google en personne, grand maître de l’écosystème Android, fera peut-être mieux en sortant une console à son nom. C’est prévu. En cachant le mieux ses ambitions, le concurrent le plus inquiétant de Nintendo, Sony et Microsoft se nomme donc Apple. La marque devenue la plus populaire au monde devant Coca-Cola et Google a déjà posé une bombe à retardement sous le téléviseur. Il suffirait d’une mise à jour logicielle pour que le discret galet Apple TV qui diffuse pour l’instant des chaînes de VOD devienne apte à afficher des applis et donc des jeux. Une mise à jour suffirait pour transformer un Apple TV qui ne coûte que 109 € en console de salon. Les iPhone et iPad déjà dans les foyers devenant de facto des manettes tactiles.

… et la vapeur

Alors que ces challengers sont bien connus, l’arrivée récente du projet Steam Machine du bien aimé et fortuné studio Valve ouvre une porte inattendue. Si passer des jeux PC/Mac à la moulinette Linux pour les afficher dans un PC tout en un à brancher sous le téléviseur s’avère une solution aujourd’hui incertaine, la révélation surprise de la manette tactile SteamOS osant éradiquer les sticks analogiques, concrétise l’ambition de Steam de conquérir à son tour le salon. Une chose est sûre, ultra puissantes, polyvalentes, aussi ouvertes sur le monde virtuel, le nuage que le salon, toutes ces machines sont aptes à évoluer en temps réel, à se diriger de façon organique là où les joueurs et les consommateurs iront. Dans 3 ou 5 ans, la même console dans la même boite n’offrira sans doute pas le même service qu’aujourd’hui.

À suivre…
Consoles Next-gen, la guéguerre est déclarée 1/3 : endémique
Consoles Next-gen, la guéguerre est déclarée 3/3 : reality check

François Bliss de la Boissière

(Publié en décembre 2013 dans le bimestriel Games)

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GAMES_01_Next-gen by Bliss 02

Consoles Next-gen, la guéguerre est déclarée 1/3 : endémique

La 8e génération de consoles de salon est là, plus grosse, plus lourde, plus bruyante, plus chère que jamais. Et encore une fois elle défie toutes les conjectures. Réflexions en 3 parties sur un conflit chronique depuis… toujours.

next-gen DR

Il n’y a pas si longtemps, les prévisionnistes de la high-tech annonçaient les PlayStation 3 et Xbox 360 comme étant la dernière génération de consoles de jeux vidéo. Leurs descendantes allaient devenir des petites « box » donnant uniquement accès à des services dématérialisés, dont le jeu vidéo. C’était mettre la charrue avant les bœufs, confondre les emballements sans gravité de la Loi de Moore et la pesanteur naturelle de la population et du marché physique. C’était oublier que dans l’exercice de la démocratie directe générée par Internet, les gamers sont au premier rang, qu’ils défendent leur histoire, leurs droits de consommateur et un certain savoir-jouir attaché à leur console, objet affectif, fétiche et de nos jours pièce à collection. Comme l’aura démontré à son corps défendant le précurseur Onlive et sa tentative de proposer du jeu (PC) en streaming, ni le marché, ni la technologie, ni les réseaux ne sont prêts. Les consoles de salon réduites en mini box ce sera peut-être pour la prochaine génération, dans 7 ou 10 ans. En 2013, les nouvelles consoles rejouent alors la carte de la puissance ici et maintenant et se contentent de rêver l’amorce d’une vie éternelle de services dans le nuage. En espérant que les joueurs les suivent.

Rédemption et inceste

Depuis sa renaissance inespérée après le crash de 1983 qui a vraiment failli étouffer l’embryon, l’industrie interactive s’autorégule. Le jeu vidéo cultive l’égo du joueur mais dès que le succès d’une marque prend le dessus et trop d’assurance sur la concurrence, le marché remet la pendule des orgueils à l’heure. Sega est venu défier Nintendo qui caracolait seul en tête dans les années 90. La PlayStation 2 de Sony s’est épanouie sur les cendres fumantes de la Dreamcast de Sega. L’outsider Xbox 360 a pris la place du cœur des core gamers devant l’arrogante PlayStation 3. L’histoire est connue, au point de devenir prévisible, et pourtant elle se répète. En déclarant la Xbox One maîtresse des services télé et des chaînes de sport, Microsoft a cru pouvoir impunément faire le coming out du « media center » refoulé depuis les années 2000. Aveuglé par le succès (80 millions de Xbox 360 vendues), l’arriviste Microsoft a le premier oublié les fondamentaux du jeu vidéo à vocation exclusive que les vétérans Nintendo et Sony entretiennent jalousement, quitte à masquer leurs intentions. Les trois fabricants chassent pourtant les mêmes chimères de convergences audiovisuelles : le GamePad Wii U pilote la télévision, les PlayStation 3 et 4, Xbox 360 et One proposent des services de VOD et d’écoute de musique… Et le jeu vidéo dans tout ça ? Pour les nostalgiques de l’âge d’or du jeu vidéo, l’époque bénie des consoles uniquement dédiées au jeu vidéo est révolue et marque la fin d’une ère. Machines hybrides à tout faire, les nouvelles consoles auraient perdu leur vocation initiale et donc leur personnalité. Le conflit entre les marques traditionnelles n’a pourtant jamais été aussi saignant, les enjeux économiques et technologiques aussi importants. Surtout que les nouveaux challengers Apple et Steam viennent à leur tour défier les monstres sacrés du jeu vidéo.

À suivre…
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François Bliss de la Boissière

(Publié en décembre 2013 dans le bimestriel Games)

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GAMES_01_Next-gen by Bliss 01

Naissance de blissTUBE

Comme quelques images valent plus que bien des mots et en attendant de prochains articles (on ne se l’interdit pas), rendez-vous sur…

blissTUBE sur YouTube pour consulter des vidéos made in « exclusives »

blissTube

Et…

blissTUBE sur Tumblr pour consulter des photos chics & softs 

tumblr blissTube

Opinions et news à suivre également sur Twitter @Bliss_voice

 


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Éric Viennot/Kickstarter : Same player shoot again

Malgré deux tentatives, le projet de jeu Taxi Journey lancé sur la plateforme vedette de financement participatif Kickstarter a échoué. Beau joueur, l’auteur français transmédia de Alt-Minds revient sur l’expérience. Décryptage.

Eric Viennot DR

Bliss : Vous avez l’habitude de faire appel à de très gros partenaires institutionnels pour monter vos projets (Corto Maltese dernièrement), pourquoi procéder autrement avec Taxi Journey ?

Éric Viennot : La plupart des gros éditeurs sont de plus en plus frileux pour sortir des jeux alternatifs et préfèrent se recentrer sur quelques IP. Cela laisse peu de place pour des jeux qui ne sont pas des blockbusters, les fameux Triple A. Taxi Journey est une nouvelle licence avec un gameplay original de type puzzle-aventure et un parti pris graphique très fort, justement le genre de projet qui pourrait trouver un mode de financement alternatif.

Bliss : Qu’est-ce qui vous a incité à arrêter le premier lancement du projet Kickstarter Taxi Journey en juin dernier avant l’échéance annoncée ?

Éric Viennot : Après un démarrage difficile, nous avons estimé au bout d’une semaine que nos chances de réussir étaient réduites et qu’il serait plus sage de relancer la campagne en septembre. Cela nous laissait plus de temps pour travailler le gameplay et surtout créer une communauté de fans, ce que nous n’avions pas eu le temps de faire en amont du lancement Kickstarter.  Malheureusement cela n’a pas été suffisant.

Bliss : Taxi Journey a plus de 21 000 fans Facebook mais n’a récolté que 1161 contributions pour un total de 40 403 $ sur les 130 000 $ espérés. Pourquoi un tel écart ?

Éric Viennot : Les jeux qui marchent le mieux sur Kickstarter sont les RTS, les RPG ou les hack’n slash. Taxi Journey ne fait pas partie de ces catégories. On a beaucoup discuté avec les membres de la communauté. Beaucoup n’ont pas concrétisé leur attachement à l’univers du jeu par une promesse d’achat, parce qu’ils nous disent qu’ils auraient souhaité avoir une démo jouable avant de s’engager. Nous avons reçu des centaines de mails à ce sujet. Depuis quelques mois, Kickstarter s’est transformé en plateforme de pré-achat. Il y a désormais énormément de projets qui sont lancés. Pour se démarquer, de plus en plus de développeurs arrivent avec une démo jouable. Cette concurrence entraine également une baisse des prix que nous n’avons pas anticipé. Bref, cela a été compliqué de transformer l’essai.

Bliss : Le principe du financement participatif semble peut-être davantage dans les mœurs du modèle économique libéral américain où les citoyens doivent s’associer pour compenser le désengagement de l’État. Ce modèle peut-il vraiment fonctionner en France sans un grand changement culturel ?

Éric Viennot : Je ne crois pas que les gens qui participent à ces campagnes KS le fassent par esprit capitaliste puisque les sommes qu’ils mettent à disposition ne leur permettent pas d’être co-producteurs et donc d’espérer faire un retour sur investissement. La plupart le font par passion, simplement pour permettre à des projets originaux de voir le jour. En le faisant, ils ont le sentiment de participer à une aventure, de pouvoir en échange influer sur certains aspects du projet. Je suis resté assez utopiste et je pense encore que dans certains domaines, Internet peut toujours jouer un rôle de contre pouvoir contre les lobbys et la puissance financière. En un sens, et par rapport au sujet qui nous préoccupe, la dématérialisation et le crowdfunding sont assez complémentaires : ils mettent en contact direct consommateurs et producteurs indépendants. La dématérialisation résout le problème de surface linéaire accordée au produit qui a été longtemps un frein aux productions indépendantes. Mais cela modifie considérablement le rôle et le métier des producteurs qui doivent avoir des compétences d’éditeurs afin de faire la promotion de leurs titres, ce qui n’est pas toujours dans leur ADN.
Quant à savoir si c’est un truc typiquement anglo-saxon, oui c’est vrai. En France, on voit qu’investir, même des petites sommes sur KS, reste réservé encore à une élite hyperconnectée et parlant bien anglais.
Cela dit, le succès de certains projets financés sur des sites français de financement participatif prouve que cela peut aussi attirer le public français mais davantage dans les domaines de la musique et du cinéma que dans celui des jeux vidéo. Car la plupart des hardcore gamers ne s’intéressent encore majoritairement qu’aux grosses licences (GTA, Call of Duty…).
Nous savons, vous comme moi, que le gros du public des gamers est très conservateur.

Bliss : De nombreux projets de jeux sont lancés sur Kickstarter mais beaucoup ont aussi capoté, au point de faire douter de la pérennité du processus. A-t-il un avenir durable ?

Éric Viennot : Il y a indéniablement un effet de mode et il y aura, comme avec toutes les bulles, un retour de bâton. Notamment quand on verra que certains projets pourtant financés ont du mal à sortir ou sortent atteindre le niveau de qualité souhaité. D’ailleurs, les annonces comme celle de Tim Schafer ont déjà entamé la confiance de certaines personnes (après avoir récolté 3 M$ le vétéran de LucasArts et auteur de Psychonauts en a réclamé d’avantage pour boucler son projet Broken Age, ndr). La nature a horreur du vide et je vois bien d’ici quelques années l’apparition de modèles mixtes de financement et l’apparition de nouveaux éditeurs dont la vocation sera justement de financer et produire des jeux indés puisque malheureusement la plupart des gros éditeurs ne font plus ce travail. Je l’ai souvent dit : je ne vois pas pourquoi on ne verrait pas à l’avenir des mécènes passionnés investir dans les jeux vidéo plutôt quand dans l’art contemporain.

Bliss : Envisagez-vous de refaire appel à Kickstarter et si oui que changerez-vous dans votre approche ?

Éric Viennot : Pourquoi pas si l’occasion se présente. Mais sans doute pas pour ce type de jeu.

Propos recueillis fin 2013 par François Bliss de la Boissière

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