Les éclaireurs tout à la fois acteurs, visionnaires et true believer de la réalité virtuelle sont rares. Encore plus en France. Danseur, curateur de talents, ancien directeur des programmes d’Arte France devenu auteur et réalisateur transmédia de projets en « réalité virtuelle », le français Michel Reilhac en fait pourtant partie. Il a bien voulu répondre à un jeu de questions/réponses presque aussi folles que l’horizon inconnu de la VR laisse envisager.
Lors d’un débat au départ raisonnable puis complètement fou sur le potentiel de la réalité virtuelle à la Gaîte Lyrique à Paris fin 2015 (encore lisible ici), Michel Reilhac s’est distingué en prenant le risque d’avouer sa passion immodéré pour la VR. Pour lui, il y a clairement un avant et un après la réalité virtuelle. Il n’a pas peur de le dire, ni même d’avancer les théories les plus folles. Je ne pouvais qu’aller à sa rencontre pour reprendre le fil de cette conversation.
Où la route vers la réalité virtuelle passe par le jeu vidéo, les avatars et les techno prothèses avant de conduire au métavers…
Bliss : Comment avez-vous commencé à vous intéresser à la réalité virtuelle ?
Michel Reilhac : Eh bien c’est très marrant mais dès 1991, au Fresnoy qui n’était pas encore le grand centre de création d’images de la région de Lille, le directeur Alain Fleischer m’avait donné carte blanche pour faire une installation dans cet ancien parc d’attractions pour le public ouvrier de la région du Nord Pas de Calais. Le lieu était abandonné depuis une trentaine d’années et allait être rénové en centre de l’image. J’avais conçu un dispositif avec un artiste américain qui faisait des installations en réalité virtuelle. On mettait un casque et on avançait dans un paysage de polygones et de triangles très rustiques. Le parcours se déroulait à l’intérieur de ces locaux absolument immenses où l’on avait conservé la poussière, les vestiges, des objets éparpillés à droite à gauche dans cet endroit incroyablement hanté de pleins de fantômes du public qui fréquentait. J’ai découvert et expérimenté la réalité virtuelle à ce moment là. J’ai ensuite suivi ça de loin. J’ai failli acheter à la fin des années 90 début des années 2000, une lunette de jeu en réalité virtuelle mais elle était très chère et je n’étais pas assez impliqué dans le jeu vidéo pour en profiter vraiment. Et puis au moment de l’apparition d’Oculus Rift il y a deux ans, j’ai rencontré des gens qui avait le casque cela m’a permis d’en faire l’expérience. J’ai compris à ce moment là à quel point cela avait incroyablement évolué. J’ai trouvé ça complètement passionnant. J’ai commencé à regarder des vidéos de Chris Milk, à rencontrer des gens qui réalisaient des choses en VR, et puis voilà. Et maintenant je suis à fond dedans parce que, créativement, je trouve génial d’être là au moment où on doit inventer un nouveau langage, une nouvelle forme. Participer à cette invention est juste merveilleux.
Bliss : Cela vous était déjà arrivé d’être présent à la naissance d’une nouvelle forme d’expression ?
Michel Reilhac : Oui. Au tout début des années 80 j’étais danseur contemporain aux États-Unis, et la génération de danseurs et de chorégraphes à laquelle j’appartenais à New York est rentrée en France. Culturellement nous n’étions pas à notre place là-bas. Nous voulions utiliser la danse pour dire ce qu’on voulait. Je donc suis revenu en France en 82 et j’ai vécu les 10 premières années de l’explosion très forte de la danse contemporaine en Europe. Je retrouve aujourd’hui avec la réalité virtuelle exactement la même énergie, la même sensation de forger un nouveau langage.
Bliss : Vous ne faites donc pas de différence entre l’expression du corps, on va dire, biologique, et son prolongement par la technologie ? Penser que la technologie et l’humain sont dissociés fait partie des grands tabous des conversations. Pour vous ce serait la prolongation d’un même langage, d’une même énergie ?
Michel Reilhac : Oui, complètement. D’une manière générale je pense que la technologie est une forme de prothèse qui permet, dans certains cas, d’agrandir le champ de perception. Tout dépend de la manière dont on l’utilise et cela a été vrai pour moi quand je me suis rendu compte que le corps était vraiment au coeur de mon travail sur « Viens » (court métrage en vidéo en 360°, présenté au Festival de Sundance 2016, ndr). Le corps, l’intimité, le rapport à l’autre est essentiel. Sans pour autant devenir un fervent des réseaux sociaux comme exemple de substitut aux relations réelles. Je trouve très bien qu’il y ait à nouveau une tendance qui ramène notre goût vers des expériences réelles. Il n’y a qu’à voir le succès des bars, de la cuisine, de la gastronomie, le succès du vinyle pour la musique, du vintage pour la mode. Autant de signes du besoin de ne pas se déconnecter du réel.
Bliss : Beaucoup de gens utilisent la technologie au quotidien sans s’en rendre compte pleinement, voire même en la reniant. Presque tout le monde à un smartphone dans la poche…
Michel Reilhac : Oui et d’ailleurs on va voir ce qui va se passer dans ce domaine avec la réalité virtuelle. Il va falloir une nouvelle éducation pour éviter l’addiction violente.
Bliss : Vous anticipez déjà une consommation excessive de la réalité virtuelle ?
Michel Reilhac : À partir du moment où il y a déjà une addiction au jeu massivement multijoueur en ligne, il va y avoir un phénomène d’addiction, au jeu en réalité virtuelle en particulier, extrêmement fort. La question va être : comment va-t-on y réagir, comment va-t-on la domestiquer ?
Bliss : En tant que joueur et critique de jeu vidéo je suis très chatouilleux sur ce mot là parce que le jeu vidéo ne provoque pas d’ »addiction » pathologique, ce n’est pas une… maladie. Il s’agit d’un usage intensif et sans doute exagéré socialement parlant. C’est ce que vous voulez dire ?
Michel Reilhac : Oui mais en même temps depuis 4 ans environ en Chine, l’addiction au jeu vidéo est considéré comme une addiction à une drogue dure et est traitée comme tel dans des cliniques militaires. Et pour certaines personnes il s’agit vraiment d’une pathologie. C’est la seule chose qui m’angoisse avec la réalité virtuelle, cette l’ombre qui plane, je dirais, sur ce qui va se passer. Et comme à chaque fois on va voir comment arriver à le contrôler.
Bliss : Le jeu vidéo est aussi déjà accusé de beaucoup isoler socialement alors qu’il créé énormément de liens sociaux. De nos jours tout le monde se regarde en train de jouer parce que, justement, chaque personne a une expérience différente du même jeu. On va donc retrouver ce besoin de conversation collective autour de la réalité virtuelle. Les nouveaux usages ne sont qu’un déplacement des conversations, ils ne les arrêtent pas.
Michel Reilhac : Oh oui. Je pense que ce sont des attitudes et des réactions qui mettent un peu de temps avant de se mettre en place. Personne n’aurait imaginé l’énormité du succès d’une chaine comme Twitch par exemple où l’on regarde des gens jouer. Cela montre bien que le désir est celui de la représentation du réel, d’un déplacement du réel, et de son partage. Du coup la réalité virtuelle va trouver ses modes de partage, soit à postériori, soit pendant l’expérience puisque Facebook a récemment ouvert l’accès à son Social VR qui sont des salons virtuels dans lesquels cinq personnes partagent le visionnage de contenu ensemble puis se parlent par le biais de petits avatars. Ces petits avatars ont pour l’instant une gamme d’expression limitée à 5 mais permettent de se parler en audio. Et cela s’expérimente avec un casque VR. Oculus a annoncé ce qu’ils appellent The Rift Arcade avec des reproductions de jeux à l’ancienne. L’utilisation de la VR comme un lieu collectif de rencontre, de débat et de partage va arriver très vite avec la commercialisation des casques.
Bliss : Question joker : Est-ce qu’il ne faudrait pas s’empresser de se faire modéliser un avatar ?
Michel Reilhac : Marrant, je ne me suis pas posé la question…
Bliss : Parce que là nous parlons d’avatars basiques comme les Mii ou ceux du Xbox Live. Mais très vite cela ne va pas suffire. À moins de se créer des super avatars…
Michel Reilhac : Clairement. Cela rappelle les avatars qu’on se créait dans Second Life. Je pense que ce qui va vraiment arriver va être la création de ce qu’on appelle un métavers. C’est à dire un équivalent de Second Life mais à une échelle infiniment plus grande et être accessible via les réseaux sociaux existants. C’est ce vers quoi on va. Facebook va être une porte d’entrée vers le métavers. Il va y avoir des chaînes, des fournisseurs de jeux, etc, qui seront autant de portes d’entrées dans le métavers. Et à la différence de Second Life qui était un endroit propriétaire, le prochain métavers deviendra un peu comme le Cloud dans lequel on pourra aller en réalité virtuelle.
Bliss : On rejoint donc le concept de cyberspace où l’on aura accès à toutes sortes de services dans un monde virtuel…
Michel Reilhac : Exactement. Mais il faudra attendre encore à peu près 3 ans. Parce qu’il faut que l’on retrouve la transcription du mouvement de la réalité physique dans la réalité virtuelle. Il existe déjà de nombreux prototypes, plein d’approches différentes dont je ne connais pas tous les détails mais que je vois testés. Je ne sais pas encore lequelle fonctionnera. Et puis il y a également tout le travail mené par Microsoft autour de HoloLens. Ces nouvelles générations d’hologrammes vont accentuer la porosité de la perception numérique dans la réalité physique.
À suivre…
Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 2/4
Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 3/4
Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 4/4
Entretien François Bliss de la Boissière
(Photo de Une : Jean-Fabien)
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