Monument Valley : l’état de grâce

Monument Valley est à l’iPad ce que Journey est à la PS3 : un marqueur culturel, une mini déclaration d’intention artistico interactive pour son support (tactile) en particulier et le jeu vidéo au sens large. Et comme Journey, en bonus humaniste, le parcours apparemment sans but à travers les monuments du titre nourrit, architectures après architectures, une quête existentielle.

Monument Valley Wide Banner

Totalement original au bout des doigts malgré ses nombreuses références émotionnelles et conceptuelles (en vrac Ico, Zelda, Prince of Persia, Echochrome, Wonderputt pour le jeu vidéo, le peintre illustrateur M.C. Escher pour ses « constructions impossibles »), Monument Valley touche à l’intime tout en faisant vibrer un bien commun à tous. L’esthétique ligne claire vectorielle, les couleurs tantôt pastels ou vibrantes et, surtout, leurs juxtapositions, étalent une iconographie enfantine avec un goût trop sûr aussitôt suspect. Chaque élément semble naturel et à sa place, et pourtant. Au détour des oranges sanguines et des verts émeraudes gorgés de sève et de chlorophylle se glissent des gris mortuaires et des blancs sépulcraux. La présence de corneilles craillantes aux fenêtres ou tournant en rond sur des escaliers sans fin le souligne, la mort plane au-dessus de ces monuments désertés. La musique faussement effacée où affleurent dans un même mouvement le souffle du vent et de la mer, le bruissement des arbres et des cascades, ne laisse guère de doute, ce monde abandonné des hommes a été visité par la grâce et les dieux.

Suggestif

Sans rien soustraire au mini spectacle retenu, Monument Valley cultive avec raffinement un art de la suggestion. La brume colorée, d’où surgissent ou s’enfoncent les bâtiments, et la 3D isométrique dont les perspectives cachent toujours un pan de l’architecture, génèrent un hors champ invisible mais palpable. En mots rares et puissants, une mythologie mystique et mathématique s’installe et rend logique le périple anonyme. Ida, la petite princesse « insensée » et « silencieuse » est « condamnée à marcher parmi ces monuments » parce que « ceux qui ont volé la géométrie sacrée ont oublié leur vraie nature ». Toujours en équilibre sur des tripoutres (le fameux triangle möbusien du mathématicien Penrose), elle cherche son chemin dans les labyrinthes architecturaux en trompe l’oeil pour aller déposer au sommet de chaque édifice un cube, ou peut-être un éclat de triforce, qui ouvre le prochain portail kaléidoscopique et sans doute la mémoire.

Sacré

Sans violer ni briser la sérénité et l’ordonnancement sacré, le doigt du joueur active quelques manivelles ou molettes et participe à la reconstruction/déconstruction de cette architecture mystérieusement enlacée sur elle-même. Des blocs de bâtiments pivotent sur leur axe, se déboitent et se ré-emboîtent en de nouvelles compositions jusqu’à révéler le chemin de portes jusque là inaccessibles. De châteaux en temples et mosquées, la traversée sensorielle des dix tableaux a valeur d’initiation physique et spirituelle. En transformant, sans le dénaturer, le Rubik’s Cube claustrophobe en boite à musique pleine de courants d’air, Monument Valley propose tout simplement un voyage intérieur avec les fenêtres grandes ouvertes sur le monde. Avec douceur et délicatesse, parce que dans cette vallée de cathédrales devenues mausolées, « il ne reste plus personne pour nous pardonner », le jeu vidéo est ainsi convié à refaire ses humanités.

Monument Valley
Ustwo
iPad/iPhone/Android

François Bliss de la Boissière

(Publié en mai-juin 2014 dans le bimestriel Games)

 


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Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n
‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.


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