Fin de la Dreamcast (I) : 2001, renaissance de la tragédie

Préambule relecture 2011…

Il y a 10 ans tout juste, le 9/9/99 presque un an après le Japon et un mois avant l’Europe, la console Dreamcast sortait aux États-Unis. En janvier 2001, Sega annonçait l’arrêt de la production de ce qui s’avèrera sa dernière console. À l’époque le choc culturel fut important. 10 ans plus tard, les papiers commémoratifs et de regrets continuent d’être publiés et Peter Moore, le patron de la division américaine d’alors, passé chez Xbox puis Electronic Arts aujourd’hui, a lui même écrit un hommage sur son blog professionnel. En attendant des papiers plus frais ici, tout droit sorti des archives d’O., voici ce que nous écrivions à l’époque (que l’on veuille bien nous excuser le style pompier d’alors)…

Dreamcast_Logo 

[Overgame ? Overjeu ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Presque toutes les explications ici…]

Fin de la Dreamcast (I) : 2001, renaissance de la tragédie

Comme dans toute bonne tragédie, il aura fallu une mort, celle de la Dreamcast, pour prendre la mesure du drame. Les jeux vidéo vivent une de leur plus grande crise de croissance et révèlent un symptôme : l’inversion des valeurs. Réflexions.

La Dreamcast chérie se meurt, la Playstation 2 qu’on aime détester court vers le succès commercial. Quand le commerce et la communication gagnent la bataille contre la créativité et l’originalité, il s’agit bien, comme l’a dit le philosophe Nietzsche, d’une inversion de toutes les valeurs. Cette fois il ne s’agit plus de mots ou de menaces, il y a eu mort mécanique de la Dreamcast, et les choses ne seront plus jamais comme avant. Les jeux vidéo sont passés du bricolage à l’artisanat pour devenir une industrie lourde et cette fois pour de bon, sans retour en arrière possible.

La tragédie a remplacé la comédie, non pas parce que la Dreamcast a rendu les armes, mais parce que les jeux vidéos sont dorénavant aux mains des marchands. Les mastodontes de la communication capables de vendre du doré pour de l’or. Si on arrive à nous vendre aujourd’hui du hardware dessiné sur du papier ou joli comme un bibelot sans que l’on sache bien quoi en faire, quels jeux réussira-t-on à nous vendre demain ? La Dreamcast nous offrait un repère qualitatif, même si elle sera encore présente cette année dans les foyers, sa disparition laisse l’année 2001 aux seules mains de la Playstation 2, une console pour l’instant plutôt décorative.

Heureusement, une tragédie sans spectateurs ne serait rien. S’il écoute son cœur plutôt que la publicité, le versatile public des jeux vidéo peut encore tout changer. Si les valeurs s’inversent, les tendances aussi.

RENVERSEMENT DE TENDANCE.

ACTE 1 : Sega, j’aurais dû t’être fidèle

Milieu des années 90, la formidable Megadrive agonise avec le Mega CD et le 32X. Sursaut polygonal avec la Saturn, échec suivi d’une petite mort. Résurrection incroyable avec la Dreamcast et… mort définitive des consoles Sega. Sega s’est fait aimer, puis détester, puis ridiculiser, pour retrouver l’état de grâce médiatique. Mais le marché est ailleurs…

Le revirement de situation est étonnant. Heureux challenger de Nintendo avec la Megadrive, Sega était devenu la risée des joueurs après les déceptions consécutives des Mega CD, 32X et Saturn. Quand la Dreamcast est sortie fin 1998 au Japon, le scepticisme prévalait, le public ricanait. Et puis, miracle, les jeux se sont mis à parler. De plus en plus originaux, de qualité croissante, les jeux Dreamcast sont devenus les meilleurs représentants de Sega qui s’est alors offert un retour en grâce inespéré. Car la Dreamcast est une machine formidable, les développeurs le confirment et les jeux le prouvent. Avant de déclarer forfait, la Dreamcast est, en plus, entrée dans l’histoire, en offrant la première aux joueurs consoles la possibilité de se retrouver sur Internet. C’est une machine qui avait tout pour gagner, cela n’aura pas suffit à retenir le raz de marée Sony. Cela prouve au moins deux choses. Tout d’abord que le public spécialisé, et sans pitié, est assez versatile pour changer d’avis ; ensuite, cela implique qu’une console et des jeux de qualité ne garantissent plus un succès commercial.

ACTE 2 : Sony, je t’ai trop aimé

Sony arrive sur le marché des consoles en 1994. La Playstation la joue underground et se fait connaître à la base de la culture jeune et branchée, pratiquement sur les dancefloors. D’abord reconnue par les spécialistes, la console de Sony se transforme alors en produit de masse. Admirée pour avoir revigoré le marché sous le nez de Sega et Nintendo, son succès forcera le respect mais attisera les jalousies. Profitant de son statut de confiance, Sony sur-médiatise le projet Playstation 2. Sans jeux, la nouvelle console chic et trop chère déçoit. Le scepticisme grimpe, la colère monte, la détestation n’est pas loin. Un nouveau challenger sera bien accueilli…

Appréciée universellement et pendant des années, la Playstation a-t-elle assez de souffle pour une nouvelle génération ? Car la Playstation 2, sa descendance, devient peu à peu un objet de dérision quotidien. Le mépris n’est pas loin. Le revirement de tendance est en train d’avoir lieu sous nos yeux, chaque jour. Les magasins expriment clairement du ressentiment vis à vis de la méthode imposée par Sony pour distribuer sa Playstation 2 (système de réservation téléphonique, quantités limitées, …). Quand ce n’est pas le prix et le manque de jeux de qualité, les stocks limités de consoles rendent agressifs les consommateurs trop impatients. Un jour objet de consommation populaire, la Playstation nouvelle version devient un objet rare et cher, un bibelot de luxe dont les multifonctions font perdre de vue l’utilité première : les jeux vidéo.

Sans doute à tort, Sony est accusé de complot universel. Au sommet de l’industrie des jeux vidéo depuis quatre ans, Sony Computer est maintenant accusé d’avoir la grosse tête, d’avoir les yeux plus gros que le ventre. Un jour au service des joueurs, Sony est à nouveau au service de l’électronique grand public et révèle à toute une génération de joueurs un visage qu’elle ignorait. Le ressentiment actuel pourrait très bien devenir de la haine généralisée si des jeux solides ne viennent pas inverser le déclin médiatique. Aussi grossiers soient-t-ils, les énormes signes d’amitié lancés par Microsoft avec sa console Xbox pourraient être entendus des joueurs comme des développeurs.

ACTE 3 : Nintendo, je n’ose plus t’aimer

Nintendo invente les jeux vidéos à l’ouest du Pacifique au début des années 80. Chute du géant américain Atari, Nintendo devient le « Frigidaire » des jeux vidéo : dans les années 80 on ne joue pas aux jeux vidéo, on joue à la Nintendo. Nintendo est devenu la norme. La SuperNintendo sort après le succès de la Megadrive de Sega, les jeux sont indispensables mais l’Empire a tremblé et le doute s’immisce chez les joueurs. La sortie trop tardive de la Nintendo 64 avec un support cartouche d’un autre âge ne convient pas au public Playstation. « La N64 ne serait-elle pas une console pour les enfants ? » se demande le joueur… La gène s’installe…

Jaloux et excessivement protecteur de son succès des années 80, à l’image de son directeur / empereur intransigeant, Nintendo jouera trop les donneurs de leçons. Le message qualité / prudence / patience est sans doute juste, mais la manière de le faire passer est trop rude. Nintendo se révèle conservateur, voire réactionnaire, et commence à transpirer la suffisance. Cartouches trop chères, royalties trop importantes pour les éditeurs, Nintendo ne cherche pas à se faire aimer et se contente du respect que lui valent ses jeux uniques. L’irritation puis l’indifférence des joueurs s’installent dans une routine. La N64 n’a pas bonne image et Nintendo n’a plus la cote. Quelques rares jeux absolument indispensables empêchent la N64 de sombrer dans l’oubli mais qui avouera jouer sur une console pour les enfants ? Surtout que le vrai succès de Nintendo est sur Game Boy avec les Pokémon. Trois extraits de projets GameCube et c’est l’euphorie. Tous les bons souvenirs remontent et le pardon est au bord des lèvres…

ACTE 4 : Constance de la tragédie, je t’aime, moi non plus

La tragédie et les coups de théâtre sont une constance dans l’industrie des jeux vidéo. Le succès phénoménal d’Atari avant une chute digne de l’Empire Romain au début des année 80 aura donné le ton. Depuis, les succès et les échecs se suivent avec une régularité digne d’un sitcom planétaire. Et le public suit.

Avec le retrait de Sega du marché des consoles, une pleine page de l’histoire des jeux vidéos est en train de se tourner. Pour Sega évidemment, qui, tel le Phénix, devrait néanmoins renaître une deuxième fois grâce à ses équipes de développement, mais aussi pour le reste de l’industrie et les joueurs. Annoncé depuis longtemps sans pouvoir en mesurer la portée, le passage d’une industrie de jeux vidéo presque artisanale à une industrie lourde est cette fois énoncée au grand jour. A l’heure où les produits comptent moins que la façon de les vendre, le procédé qui consiste à mesurer la valeur d’un produit en fonction du nombre d’unités vendues, et non de sa valeur intrinsèque, vient d’être entériné dans la jeune industrie des jeux vidéo avec l’arrêt de la console Sega. La Dreamcast était le meilleur produit en rapport qualité / prix sur le marché. Faute, sans doute, de communication suffisante, et à cause aussi de l’hégémonique culture Playstation, la Dreamcast devient un échec commercial alors que c’est une réussite artistique et industrielle. De l’autre côté, tous les acteurs s’interrogent sur la soit disant technologie de pointe de la Playstation 2. Un an après sa naissance, aucun jeu n’est encore venu prouver sa puissance et pourtant, la nouvelle console de Sony se vend aussitôt sortie des usines.

La Playstation 2 est-elle aimée pour autant ? Pas vraiment, car en gagnant la bataille contre une Dreamcast respectée, Sony se met aussi dans la position du bourreau. Si Sony ne justifie pas vite la disparition de la Dreamcast au profit de sa console, la Playstation 2, qui n’a déjà pas bonne réputation, risque définitivement d’endosser le mauvais rôle. Les victimes attirent toujours la sympathie, et les gagnants inspirent la crainte. Plus que tout autre, le public jeux vidéo a prouvé maintes fois sa capacité à changer son fusil d’épaule. Si Sony ne regagne pas rapidement le cœur blessé des joueurs, la tragédie trouvera en la Playstation 2 un nouveau vilain et réclamera en la Xbox un nouveau champion. A moins que, d’un ultime coup de théâtre à l’arraché, l’ancêtre Nintendo ne vienne réclamer avec sa GameCube, la couronne d’un royaume qui était autrefois le sien.

Rideau tiré sur la Dreamcast, il reste encore Sony, Nintendo, et un nouveau challenger de poids, Microsoft. Le petit théâtre des jeux vidéo devenu grand va à nouveau frapper trois coups. Quel sera le prochain acte ? Lever de rideau probable fin 2001.

François Bliss de la Boissière

(Publié le 8 février 2001 sur Overgame)


 


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