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Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 3/4

Médias traditionnels crispés et circonspects devant la réalité virtuelle, conservatisme historique du cinéma français, institutions toujours à la traine… Avant de proposer du divertissement et du tourisme virtuel décomplexé en France, la VR devra encore convaincre beaucoup de monde…

Dans cette troisième partie du long entretien qu’a bien voulu m’accorder Michel Reilhac il y a quelques mois, un des pionniers français de la réalité virtuelle explique le pourquoi d’un contexte général culturel peu favorable à la VR en France mais botte en touche le potentiel de diabolisation de la réalité virtuelle. Malgré le scepticisme, les critiques et une technologie encore balbutiante, « la réalité virtuelle est une lame de fond qui touchera tout le monde »…

Bliss : Ces dernières années, la réalité augmentée a commencé à se développer très franchement avec notamment les Google Glass et le projet Hololens de Microsoft, et puis tout à coup les technologies de réalité virtuelle ont fait un boom et se concrétisent plus vite…

Michel Reilhac : Mais ça recommence. Google ressuscite le projet sous le nom de Project Aura. Il va y avoir une sorte de fusion entre ce qu’on distingue encore entre réalité augmentée, réalité mixte et réalité virtuelle. Tout cela va progressivement se mélanger à différents degrés d’immersion. Je suis certain que dans peut-être deux ou trois ans nous porteront sur nous des lunettes connectées par Bluetooth ou équivalent à un boitier logé dans notre poche. Ce seront des lunettes pas encombrantes que l’on pourra mettre et enlever aussi facilement que des lunettes de soleil.

Bliss : D’ici deux ou trois ans vraiment ?

Michel Reilhac : Oui je le pense. Je suis stupéfait de la vitesse à laquelle cette technologie progresse.

Bliss : Mais en réalité les concepts s’inventent plus vite que leur concrétisation matérielle. Malgré tous leurs efforts, les casques Oculus Rift et HTC Vive peinent à trouver une bonne ergonomie. Ce sont encore des choses qui font sourire de l’extérieur. Tant que les gens n’ont pas essayé un casque récent pour voir ce qui se passe à l’intérieur, nous sommes dans le souvenir rigolo des années 90… Malgré les progrès, les difficultés mécaniques et ergonomiques persistent…

Michel Reilhac : Oui mais ça va se stabiliser. Nous en sommes au tout début, l’impatience collective est énorme. Et nous sommes incroyablement intransigeant. Il faut que tout soit parfait tout de suite parce qu’on a été nourri aux films d’Hollywood, à Minority Report, avec des interfaces de folie. Moins que cette version rêvée, et le produit devient irrecevable. Tout le tâtonnement de la technologie est beaucoup plus difficile aujourd’hui. À moins de lancer un produit avec une expérience utilisateur totalement fluide et une interface impeccable, le public rejette en disant : ça ne marche pas. Toujours parce qu’on est en-dessous des attentes. Quand les frères Lumière ont commencé le cinéma à la fin du 19e siècle, ils n’avaient pas ce problème parce qu’il n’y avait aucune attente ni la surenchère techno que l’on vit aujourd’hui. Pour eux, le cinéma au début a pu bénéficier – d’une certaine manière – du plein impact magique de cette nouvelle technologie. Aujourd’hui nous ne sommes plus du tout à ce niveau.

Bliss : Disons aussi qu’aujourd’hui les gens sont surtout plus informés.

Michel Reilhac : Et tellement plus blasés…

Bliss : Blasé aussi par rapport aux coûts de l’achat de ces gadgets qu’on nous demande de racheter assez fréquemment. Les gens commencent à compter leurs sous par rapport aux promesses. Mais du coup il va y avoir une nouvelle fracture numérique avec la réalité virtuelle. Quand les casque seront là en 2016, il y aura encore des gens qui seront mis de côté. Ceux qui n’y arrivent pas physiquement déjà, quelque soit l’âge après tout. Ceux qui en auront carrément peur… Il va y avoir une rupture. Ça va être un peu comme Facebook, il y a ceux qui y sont et ceux qui n’y sont pas. On a l’impression qu’on ne les entend plus. Il y aura ceux qui vont fréquenter la réalité virtuelle et les autres ?

Michel Reilhac : En même temps il va y avoir une réappropriation. Regardez comment le public de Facebook a vieilli petit à petit, ou qui a grandi avec et qui est toujours sur Facebook. C’est pour cette raison que Snapchat a un tel succès. C’est un vrai réseau où les jeunes peuvent aller en étant sûrs de ne pas retrouver leurs parents. Mais sur Facebook il y a tout le monde, y compris des gens du 3e âge. L’appropriation a été plus longue mais elle existe quand même. Le téléphone portable pareil. Au début seuls les jeunes s’en servaient, et puis finalement le portable est totalement devenu un outil du quotidien pour tous.

Bliss : La société avec ses médias, notamment en France, et ses habitudes de chiens de garde méfiants, semblent ne pas avoir bien compris ce qu’il se passe avec l’avènement de la VR. À votre avis à quel moment vont-ils saisir ce qui arrive ?

Michel Reilhac : Je crois qu’ils ont très bien compris. Les médias sont quand même très informés mais ils sont totalement paralysés en interne par leur organisation humaine. C’est très visible sur les chaînes de télévision. C’est terrible à quel point elles ne peuvent pas se repenser parce qu’elles sont fossilisées autour d’une organisation en silos, en spécialisations. Ce qui se traduit par une forme de territorialité du pouvoir extrêmement forte avec des enjeux de pouvoir, des enjeux de susceptibilité, des enjeux d’autorité qui sont vraiment la règle dans le milieu audiovisuel. Le problème n’est pas l’information, les gens de la télévision savent grosso modo ce qui se passe, mais leur énorme difficulté à s’adapter. Le milieu dans lequel il y a un vrai rejet d’information est plutôt le cinéma. Le milieu du cinéma est incroyablement rétrograde.

Bliss : En France ?

Michel Reilhac : Oui, en France, le milieu du cinéma est ultra conservateur. Pas aux États-Unis. Là-bas tous les grands studios ont lancé des départements de contenu en réalité virtuelle. Tous les studios se posent la question de comment réagir, comment retrouver une réactivité qu’ils n’ont plus. C’est d’ailleurs le secret d’énormes compagnies comme Google, Apple, Amazon ou Facebook qui sont capables de se scinder. La restructuration de Google en Alphabet, par exemple, est un signe de cette volonté de retrouver de l’agilité. Je suis frappé du conservatisme incroyable du milieu du cinéma en France. Je le connais très bien puisque j’en viens.

Bliss : Vous allez à la rencontre du cinéma français avec vos projets en réalité virtuelle ?

Michel Reilhac : Beaucoup, oui.

Bliss: Quels retours avez-vous ?

Michel Reilhac : Certains sont très curieux, mais la majorité des réactions est négative… Je pense encore à quelqu’un vu récemment qui est un des plus gros vendeurs…

Bliss : Vous parlez de distributeurs, de producteurs, de créateurs ?

Michel Reilhac : De tout. Il y a vraiment un rejet en disant qu’il ne s’agit que d’un gadget, que ça ne remplacera jamais le cinéma…

Bliss : Cela rejoint mon interrogation de tout à l’heure. Vous dites que l’audiovisuel français n’est pas forcément sceptique devant la VR mais que le cinéma français si. Ce techno scepticisme ne serait-il pas celui de tous les milieux culturels en France ?

Michel Reilhac : Oui. Mais je le comprends. Car il y a une forme d’aristocratie dans les supports traditionnels. Par exemple aujourd’hui, lire un livre sur un beau papier d’une belle édition est un plaisir incroyable. Je préfère encore lire un livre comme ça que de le lire sur ordinateur ou tablette. Je fais une hiérarchie très claire de la nature du plaisir. Je suis ravi d’aller faire un repas gastronomique de temps en temps. Et je saurais très bien faire la différence avec m’acheter un sandwich à midi. La gradation du plaisir reste. À quel endroit dans cette échelle du plaisir médiatique va se retrouver l’expérience en VR ? On ne sait pas encore. Pour le moment c’est une expérience plutôt en bas de l’échelle. parce que techniquement ce n’est pas encore au point. Comme vous le disiez, les angles de vue ne sont pas encore parfaits, la définition n’est pas bonne, les casques sont encore inconfortables, on a l’air ridicule en les portant etc. Mais comme dans toute courbe d’innovation, nous sommes dans un processus où ce sont les early adopters, les gens qui s’enflamment pour la nouveauté qui commencent par adorer vraiment. Et je m’identifie à ce groupe là. On va voir si tout ça va générer progressivement un phénomène de masse et d’adoption.

Bliss : Par rapport au tourisme virtuel aperçu dans les années 2000 mais vite éventé où on nous proposait de visiter tel monument ou telle cathédrale à distance en virtuel… La réalité virtuelle telle qu’elle existe aujourd’hui devrait remettre cette activité au premier plan, non ?

Michel Reilhac : Oui, l’immobilier est un domaine qui innove beaucoup puisque la visite d’appartement est pour le moment un gadget très cool. Le technologue créatif avec lequel je travaille à Londres est en train de préparer un projet de reconstitution de tous les châteaux de la couronne d’Angleterre. Je sais que tous les grands sites commencent à travailler dessus. La Tour Eiffel a un projet, la pyramide d’Egypte a un projet, le palais de Buckingham et tous les autres. Il s’agit de filmer l’intégralité du château en images réelles, ce n’est pas de la modélisation, et ensuite par le biais d’appareils pour le moment pas encore standardisés, de pouvoir se balader dedans. C’est à dire décider si l’on on va à droite, à gauche etc. C’est évident que ça va arriver.

Bliss : Mais en France n’est-ce pas l’État gestionnaire patrimonial qui est censé s’en occuper un petit peu ? Sinon des entreprises privées comme Google vont encore prendre la main, proposer leurs services et puis devenir propriétaire des dits monuments en version virtuelle… Google a bien photographié la terre entière…

Michel Reilhac : Ce serait vraiment vendre encore plus son âme au diable. Ce n’est pas tellement la technologie pour filmer ou rendre la visite possible où ses entreprises high-tech sont fortes, c’est dans la diffusion. Parce que techniquement, filmer un lieu en réalité virtuelle ne présente pas un enjeu insurmontable…

Bliss : Le savoir faire existe en France vraiment ?

Michel Reilhac : Nous ne sommes pas nombreux mais je ne crois pas que cela soit si insurmontable. Il suffit que quelqu’un s’accroche à un projet et…

Bliss : Je parlais plus d’une volonté institutionnelle, l’État, les ministères… Ils en sont encore à envisager timidement le numérique dans les écoles, à y mettre des tablettes du bout des doigts… Combien de temps leur faudra-t-il pour intégrer la VR ?

Michel Reilhac : Oui, voilà. Mais il y a toujours une frange pionnière. Au CNC il y a une direction des nouveaux médias qui soutient déjà la VR. La ville de Paris vient d’ouvrir un fonds de transmédia et de réalité virtuelle pour faciliter le financement de ce genre de projets. J’ai reçu un coup de fil par exemple de la direction de la Philharmonie de Paris qui voudrait me voir pour parler de musique classique et de VR, de voir ce qu’on peut faire avec l’orchestre Philharmonique de Paris. Je crois que tout le monde se pose un peu la question. Alors c’est toujours beaucoup plus long de faire arriver ce genre de choses jusqu’au public évidemment. Mais ce n’est pas un processus qui arrive de nulle part devant le grand public. Il arrive en grandissant dans des cercles fermés plus privés et puis ensuite en s’élargissant progressivement et en touchant par cercles concentriques qui s’élargissent vers un public de plus en plus large. Aucun succès n’arrive comme ça de rien. Y compris les contenus viraux, ça marche toujours par cercles concentriques.

Bliss : Ce processus d’adoption va inévitablement déclencher une diabolisation. Des médias vont y voir un nouveau concurrent, les producteurs de loisirs comme le cinéma… Dès qu’il y a un concurrent on le diabolise pour toutes les bonnes et mauvaises raisons.

Michel Reilhac : Absolument.

Bliss : Alors qu’allons nous pouvoir faire ? Les gens comme vous qui y travaillent déjà font forcément un travail pédagogique. Il ne vous suffit pas de montrer que c’est chouette, il vous faut expliquer ce que c’est. Il faut une patience terrible, un vocabulaire aussi pour éventuellement expliquer les bienfaits ou balayer les inquiétudes… Comment allons nous dédiaboliser, nous journalistes, vous créateurs, les décideurs concernés et le public…

Michel Reilhac : Ça passe par le fait de savoir dès maintenant que l’enthousiasme d’une minorité pour la réalité virtuelle sera contre-attaqué par un scepticisme massif des médias, des critiques, des journalistes et du public qui d’abord seront déçus par rapport aux attentes fantasmatiques. Puis les gens vont faire l’expérience petit à petit et je pense que cela va faire boule de neige. Mais avec des réticences sur le côté encore rustique, mal défini de la définition de l’image, de la lumière, du confort de vision, le fait qu’il y a des gens qui sont très facilement mal à l’aise et qui ont mal au coeur, même sur des expériences qui à priori ne nous font pas bouger. Donc ça va vraiment être un dosage. Je pense que la lame de fond est déjà tellement puissante, les investissements qui ont déjà été faits sont tellement énormes, qu’une stratégie de persistance va s’installer et complètement ignorer le côté critique. La réalité virtuelle va exister malgré tout. Je peux faire un parallèle avec toutes les grandes innovations artistiques. Quand l’impressionnisme est né, une majorité de gens a trouvé ça absolument scandaleux et merdique. Et ils avaient tort. C’est une question de comportement face à l’innovation. L’innovation fait très peur, de manière générale. Donc on se défend de l’inconnu que représente l’innovation parce que le cerveau fonctionne exactement comme une base de données. Quand il est confronté à quelque chose de nouveau, il va chercher dans sa base de souvenirs ou de connaissances ce qui ressemble le plus à ce qu’il est en train de voir. Ce sont les touristes qui sont à Bali et qui vont dire : « c’est dingue on dirait mon week-end en Bretagne avec ma cousine ». Et les critiques de films qui comparent tout le temps un film nouveau avec un autre film. Ils ont toujours besoin d’étalonner un film par rapport à ce qui existait avant. Dans tous les domaines on fonctionne par référence. C’est vraiment un réflexe neurologique. Donc il va y avoir un fort mouvement critique contre la VR parce que l’innovation est à craindre par définition. Mais je pense que ça ne changera rien et que les améliorations technologiques vont continuer et que progressivement on croisera, par exemple,  un film en VR qui va vraiment impacter l’esprit des gens par sa charge émotionnelle, poétique, sociale etc. Il y aura des oeuvres qui feront référence. Les conditions de vision vont s’améliorer et petit à petit et la VR va devenir quelque chose qu’on va prendre comme acquis.

Lire également…
Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 1/4
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Entretien François Bliss de la Boissière

(Photo de Une : Jean-Fabien)

 


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Connected people 2.0

Un multi connecté d’aujourd’hui participe activement à une transformation qui concerne l’humain, sans doute, mais aussi physique au sens large, et donc, inévitablement, métaphysique.

Matrix connected people

L’accélération technologique nous rapproche chaque minute d’un éventuel nouvel indice répondant aux grandes énigmes cosmiques et existentielles du comment et du pour qui ou quoi. Son emballement incontrôlable peut par exemple conduire à l’éventuelle « singularité » technologique envisagée par quelques penseurs qui provoquerait une mutation brusque de l’évolution grâce à l’intelligence artificielle. Ou elle peut simplement nous permettre de regarder le monde avec de nouveaux yeux.

W.I.P digital

L’utilisation quotidienne de tous les outils connectés aujourd’hui fait participer l’humain ordinaire à un énorme work in progress. Il le place sur le cadre mouvant d’une œuvre en devenir que personne n’est en mesure d’imaginer. Nul ne sait où conduit la révolution numérique. Le jeune Mark Zuckerberg refuse de prendre le risque de verrouiller son projet Facebook en appliquant les modèles économiques classiques parce qu’il ne sait pas encore lui-même ce qu’est Facebook, jusqu’où et en quoi ce germe de réseau social planétaire peut évoluer. Hier l’exponentielle puissance informatique faisait rêver à des super androïdes rêvant, eux, de moutons électriques. Aujourd’hui la contagion numérique dématérialise rapidement toutes les couches du réel que l’on croyait jusque là tangible et repousse encore l’horizon. Les rouages digitaux qui se développent et se structurent à grande vitesse, des puces aux logiciels, de l’archivage des données aux réseaux sociaux en temps réel, ne sont que les petits jalons d’un autre monde en construction pour l’instant caché derrière un écran. Le basculement du monde observable vers une autre manifestation du réel est amorcée depuis une poignée de décennies seulement. Après avoir augmenté les capacités intellectuelles de l’homme avec l’ordinateur, le numérique se propage en un espace non quantifiable qui duplique le monde réel. Là, quelque part de l’autre côté de l’écran se retrouve notre vie familiale en photos ou en vidéo, notre travail, passivement stocké ou actif sous forme de programme invisible ou d’interactivité de surface. Vingt ans seulement après sa naissance, le nouvel océan numérique a déjà la capacité d’absorber toutes les images et tous les sons, la parole et la musique, l’intelligence et la bêtise humaine. Concrètement, la musique n’existe plus dans l’univers physique que par habitude. L’image et les livres ont aussi permuté. Le transfuge des corps est imminent. Les grossiers avatars d’aujourd’hui proposés par les jeux ou les réseaux sociaux vont vite être remplacés par des doubles numérique plus sérieux. Les techniques de motion-capture du cinéma et du jeu vidéo s’y emploient sans le revendiquer. Comme toutes les formes vidéoludiques d’interactivité et la récente 3D stéréoscopique. Bienvenue à la Google Earth.

Trou noir numérique

Que les idées soulevées par Matrix ou Avatar fassent l’objet de thèses pourraient faire sourire si les astrophysiciens les plus sérieux ne conceptualisaient pas eux-mêmes à coups de calculs mathématiques des phénomènes de SF comme les trous noirs impossibles à observer. Un gouffre où la matière disparaît pour muter en… anti-matière ? Où va donc l’humanité et ses accessoires en se projetant d’abord psychiquement puis de plus en plus physiquement vers le numérique dématérialisé ? Qui sait vraiment comment naît un trou noir ? Ce glissement vers un monde miroir amorce peut-être l’éternel retour Nietzschéen devenu un Big Crunch entre les mains des scientifiques. Ceux-ci déduisent qu’après le Big Bang expansif, une contraction physique symétrique de l’univers redistribuerait une nouvelle fois les cartes cosmiques. Un jeu de rôle à répétition. L’éclosion introspective digitale a déclenché une fuite de la matière du monde vécu vers un espace mathématique de plus en plus abstrait, de moins en moins observable de notre point de vue purement biologique. Ce nouveau monde là se manifeste pour l’instant à l’homme sous forme horizontale, à plat, et justifie la multiplication des écrans, seule interface à notre portée. Encore plus depuis qu’ils deviennent tactiles et permettent de garder encore le contact en l’effleurant du doigt.

Vivre le futur

Là, maintenant, la multiplication des objets intelligents communicants, ceux qui relient intimement les êtres humains en faisant circuler entre eux et sans délai leur production intellectuelle, anticipe sur l’internet des objets où tout matériau sera en mesure de communiquer d’une manière ou d’une autre. Instrument de cette hyper réalité, l’homme va ainsi donner aux objets inertes de son choix ce qu’il cherchait déjà dans l’eau ou la roche : au minimum une mémoire, au plus une intelligence contextuelle. Comment ne pas voir dans cette explosion de communications multidirectionnelles, réellement transgenre, transclasse, transmatériaux et intentions, le bouillonnement d’un cerveau d’enfant où l’on sait que naissent des millions de nouvelles connexions synaptiques par seconde. Nombres d’entre elles ne servent à rien mais des routes s’ouvrent, des passerelles et des raccourcis se modélisent chaque seconde de façon à ce que le cerveau devienne cet organe capable de comprendre, apprendre, communiquer, imaginer et donner naissance à une forme d’auto-conscience.
Pour devenir vraiment consciente, la biosphère hippie de James Lovelock va peut-être devoir passer par une étape technosphère. La croute technologique de mère Gaïa protègerait temporairement un noyau numérique infinitésimal où serait condensée l’activité humaine. Une fois tombée, la chrysalide technologique révélerait une nouvelle entité numérique. Un transhumain pourrait en sortir. Ou, plus probablement puisque la Terre n’est pas plate ni l’humain central, un nouveau phénomène cosmologique qui n’aura fait qu’utiliser l’homme-outil pour exister. Avant d’en arriver là, si les 6 milliards de SMS envoyés depuis le début de l’année ne ressemblent pas pour vous, comme les mails avant eux, puis le tchat instantané, à de la télépathie assistée, alors oui, déconnectez-vous comme l’ordonne Douglas Rushkoff et continuez de parler tout haut sur la place de votre village. Le brouhaha et l’oreille du monde sont désormais numérique et globaux. Se déconnecter est devenu impensable. à moins de fermer la porte à l’évolution et à un futur de plus en plus proche.

François Bliss de la Boissière

(Publié en avril 2011 dans Chronic’art)

 


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