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BEST OF JEUX 2012 : L’année du loot

Sans rire, ni pleurer, ni – comme d’habitude – s’interroger, le jeu vidéo s’est inventé en 2012 un nouvel argument commercial ridicule : le « loot ».

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Des RPG aux FPS, la pratique utilitaire bien banale du jeu vidéo consistant à ramasser sur sa route des orbs, des pièces de monnaie, des flacons, de la magie et des munitions s’est transformée en pratique de masse. Au point de devenir un argument marketing à part entière. Un bon jeu solo aujourd’hui doit garantir une grosse dose de… looting, c’est à dire, en bonne traduction de… pillage ! Après les assassinats et autres descentes militaires en piqué, le jeu vidéo continue de cultiver le bon goût. Fouiller ou fracasser les placards, caisses ou coffres ne suffit plus. Pour trouver sa dose de subsistances ou de pseudo richesses, il faut impérativement dépouiller le cadavre d’un civil, d’un soldat, d’un maniaque, ou d’un monster, gentil ou méchant peu importe. L’important étant qu’il soit à terre, criblé de balles, égorgé, nuque brisée, brûlé vif, mort si possible, mais pas forcément. L’agonie lente, voire perpétuelle à moins d’un coup de crosse final, fait désormais aussi partie du folklore obligé…

Sans connaître par cœur ni les règles de guerre ni les lois de la cité, il semble connu de tous que, dans la vie, le pillage et la fouille de dépouilles sont strictement forbidden sous peine de… Sans même parler du code de l’honneur, de la dignité ou du dégoût pur et simple. Une critique mesquine et déplacée parce que, bien sûr, le jeu vidéo aurait comme vertu cathartique d’autoriser ce qui serait « tabou ». Sauf que dans le jeu vidéo les lignes rouges virtuelles – mais intellectuelles – se franchissent sans le savoir, en toute tranquillité. Il n’y a donc pas là transgression consciente ni bras d’honneur d’insoumis, mais une banalisation de la bêtise humaine transformée en activité virtuelle sans queue ni tête. Le jeu vidéo du jour brouille les pistes d’un monde réel de plus en plus flouté au lieu de l’éclairer comme il en a le potentiel (merci éternel à Journey justement). Mariée au level-up, la collecte d’items divers existe évidemment depuis longtemps dans certains jeux très spécialisés comme les jeux de rôle japonais, américains ou massivement multijoueur en ligne. Mais elle se retrouve aujourd’hui au premier plan aussi des jeux d’action avec, en plus, une surenchère quantitative conduisant à l’absurde organisationnel et scénaristique : stockage mobile arbitraire et de toutes façons jamais suffisant qui oblige à abandonner au hasard son butin sur la route. La fusion des genres, RPG + action ou FPS, et la combinaison de la puissance de calculs et de l’absence d’imagination conduisent à un remplissage du vide par le… looting.

Symbole plus rigolo mais tout aussi tragique de cette fuite en avant vers la surconsommation en substitut d’action, au lieu de se réinventer un gameplay, Mario lui même oblige désormais à courir après 1 million de pièces jaunes sur 3DS ! Sans (ouf !) toucher au cadavre encore fumant d’un ennemi. Quoi que, les koopas tout de même…

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Top Jeux inédits 2012

Au sens figuré, le pillage culturel du jeu vidéo s’est aussi normalisé en son sein. Les clins d’œil et autres hommages au début joliment qualifiés de rétro gaming respectueux sont surtout devenus prétexte à fabriquer aujourd’hui à la chaîne des jeux pas très chers à partir des codes graphiques et interactifs d’hier. La frontière reste fine entre réimagination et pillage du patrimoine. Il n’empêche, dans les best-of des jeux inédits retenus (les suites à chiffres ont leur propre palmarès ci-après), le nombre de jeux uniquement créés et vendus en dématérialisé a explosé. Bien qu’il faille bien un peu déplorer la fin prochaine des jeux et boutiques physiques, le jeu vidéo en tant que moyen d’expression, lui, a déjà trouvé son nouveau terreau.

1 / Journey (That Game Company)
Un jeu-Monde comme il n’en existait pas encore. Après flow et Flower, le jeu vidéo tient réellement en Jenova Chen le nouveau phare lumineux du médium interactif. Celui qui ouvre la voie et l’horizon, celui qui comprend le jeu vidéo traditionnel et refuse de le soumettre aux diktats barbares contemporains et aux conventions archaïques. L’œuvre de Jenova Chen compense en la complétant l’absence de celle de Fumito Ueda et de son Last Guardian qui manque toujours à l’appel. Le voyage espéré en début d’année a fait plus que se confirmer. Nouvelle preuve de la marque durable de cette œuvre majeure, Journey a été nominé 11 fois aux prochaines récompenses de The Academy of interactive Arts & Sciences (DICE).

2 / Dishonored (Arkane Studios)
Depuis le premier Assassin’s Creed on n’avait pas vu lancement médiatique aussi assourdissant. À tel point que la méfiance devenait de facto un pré requis. Sur le terrain, c’est à dire entre les murs et sur les toits de la cité de Dunwall imaginée par Viktor Antonov, le buzz collectif pénible se transforme en joie solitaire. Depuis Bioshock on n’avait pas vu ça, une telle cohérence entre le fond et la forme, les visuels et le level design, le scénario et les dialogues, un tel équilibre entre contraintes et liberté d’action. Seul le titre cloche. Honored aurait été plus à sa hauteur.

3 / Gravity Rush (Sony Computer Japon)
Double choc 2012. Un des jeux les plus innovants et enthousiasmants de l’année existe uniquement sur la déjà mal aimée PlayStation Vita et a été conçu par une équipe japonaise en pleine forme créative ! Deux atouts improbables à l’aube des années 2010 et pourtant. Réalisation graphique audacieuse, canons du beat-em all à la japonaise respectés mais pas seulement, l’aérien Gravity Rush dynamise l’exploration libre de la magnifique ville suspendue grâce à la manipulation de la pesanteur et les commandes singulières de la nouvelle console Sony. Un jeu signé Keiichiro Toyama (Silent Hill 1, Forbidden Siren) qu’il ne faudra désormais plus lâcher.

4 / Sound Shapes (Queasy Games)
Trop passé inaperçu, ce jeu de plateforme néo rétro hyper design et jouable au choix sur PlayStation 3 et/ou PS Vita fusionne avec un culot réussi plusieurs milieux artistiques : graphistes, musiciens et concepteurs de jeu. Le touché quasi parfait du gameplay met en scène des décors dessinés faussement abstraits d’une grande pureté plastique et des musiques électro d’un grand chic.

5 / Deadlight (Tequila Works)
L’héritier direct et responsable de Another World, Flashback, Prince of Persia (original), Oddworld : Abe’s Oddysee et donc un jeu de plate-forme/action en scrolling horizontal profitant de l’Unreal Engine pour fignoler tous les détails visuels et d’animation à la hauteur d’un blockbuster en 3D. L’ambiance générale, le rythme posé, l’assurance du gameplay, l’écriture et les dialogues, dont les voix américaines très solides, en font un jeu d’une grande maturité. Au point d’arriver à faire pardonner l’exploitation rabâchée des zombies. Réduits à l’état de silhouettes noires ils sont judicieusement baptisés « ombre ». Sans doute un contre-point au titre du jeu. Version furtivité plus cartoon, le brillant Mark of the Ninja le talonne.

6 / Little Inferno (TomorrowCorporation)
Quand on pense aux mille efforts des blockbusters pour se donner l’air transgressif alors qu’il suffit d’un feu de cheminée pour foutre le feu aux bonnes manières ! Tous supports physiques ou dématérialisés confondus, la plus étonnante pépite de la Wii U se cache pour l’instant dans le tout nouvel eShop Nintendo avant de sortir, comme il était prévu, sur iPad (dispo aussi sur PC/Mac et Linux). Les créateurs du fantastique World of Goo accouchent d’un jeu au plan fixe sur une cheminée où le joueur jette tout ce qu’il trouve dans des catalogues inutiles, y compris des nounours en peluche. Dans un plaisir forcément hautement subversif, tout est consommé jusqu’aux cendres. Y compris l’enfance et l’amour.

7 / Papo & Yo (Minority)
Le jeu a clairement quelques raideurs techniques mais l’intention derrière ce projet mérite toutes les louanges. Il fallait oser glisser le joueur dans la peau d’un petit garçon se faufilant dans une favela brésilienne. Il fallait oser lui associer, sans perdre son sérieux, une créature géante rose tantôt docile ou colérique. Il fallait oser y glisser une métaphore du fils et du père sous l’emprise de l’alcool.

8 / Escape Plan (Fun Bits Interactive)
L’ambiance gothique cartoon noir et blanc encre de chine vaut tous les messages dans ce jeu de réflexion-action pas si sobre qui exploite malignement le dos tactile de la PS Vita. Comme dans un film muet, le mélange de cruauté et de candeur met en valeur les deux personnages que l’on peut qualifier de Laurel & Hardy du jeu vidéo. C’est un compliment.

9 / Little Big Planet PS Vita (DoubleEleven)
Sans trop de surprise sinon une bonne, entre les mains d’un nouveau studio, le bébé de Media Molecule continue sa belle route créative et n »oublie pas de mettre en valeur les fonctions tactiles recto-verso de la PS Vita. Le jeu redevient expérimental pour le plus grand plaisir.

10 / The Walking Dead (Telltale Games)
Malgré de gros soucis technique et même ergonomique, le jeu émotionnellement presque digne de la série marque les esprits et l’industrie du jeu vidéo en réussissant d’une pierre deux coup (et 5 épisodes) ce qui échappait jusque là au médium : à savoir un modèle dramatique interactif et un modèle économique interdépendant. La progression dramatique réussie entretient le format épisodique à rebondissements et, réciproquement, le fractionnement en épisodes génère une tension et un désir d’en savoir plus. Un certain David Cage qui espérait déjà accoucher de ce modèle au début des années 2000 avec Fahrenheit doit grincer des dents, ou être content d’avoir eu raison. Et, pour faire bonne mesure, le jeu trouve aussi toute sa place sur l’écran tactile de l’iPad.

Top suites 2012

Elles sont là, ronflantes, rassurantes pour la population gamer qui en veut pour son argent, obligées par l’économie et la technologie qu’il faut amortir d’épisodes en épisodes, équipées quasi systématiquement de multijoueur pour, toujours, les mêmes joueurs, au détriment de ceux continuant à valoriser les aventures scénarisées. Et, quitte à soupirer devant la répétition, il faut les jouer parce que les blockbusters, avec leurs défauts et leurs rengaines, restent encore aujourd’hui le fleuron technologique de l’industrie du jeu vidéo. Et parfois, oui parfois, dans les suites, les auteurs arrivent à se réinventer. Ainsi dans ces trois jeux qui s’appuient sur leur concept initial pour aller un peu plus loin…

1 / Darksiders II (Vigil Games)
La production over ambitieuse provoque quelques hoquets techniques mais rien qui freine le gameplay en temps réel. Cette suite accentue très franchement la partie exploration/puzzle des donjons au détriment du hack & slash – de toutes façons plus sophistiqués que God of War grâce à l’équipement – et rapproche ainsi plus ouvertement le jeu du modèle Zelda. Plus complet, plus intense, bien écrit, bien joué, et totalement authentique avec, en plus, une version Wii U aux qualités certaines comme celle de donner accès directement au donjon du DLC inclus.

2 / The Darkness II (Digital Extremes)
Oui le FPS fonctionne un peu trop en couloir mais scénaristiquement les trajets restent logiques. Et surtout, la réalisation flamboyante, des visuels aux bruitages, de la narration off aux dialogues en anglais presque dignes, cette fois, du cinéma, placent cette production au top des réussites. Prise en main comprise. Le gore, condamnable parce que inutile dans tant d’autres productions, a ici toute sa place grâce à l’autodérision qu’il implique. Rarement la schizophrénie a été aussi bien mise en scène dans un jeu vidéo.

3 / Far Cry 3 (Ubisoft Montreal)
La bonne surprise est arrivée presque sans alerte. Suite ou pas, ce Far Cry efface les précédents velléitaires et devient la référence du FPS open world en milieu sauvage. Là aussi l’acting VO au top et un touché remarquable combiné à un joli sens topographique donnent corps et presque âme à un terrain de jeu/chasse saisissant. Cette fois, le joueur n’a plus besoin de rugir pour jouer au prédateur, il l’est, tout simplement. Et, il faut le signaler, en dehors des impeccables Rayman 2D, voilà un des rares jeux Ubisoft dont la prise en mains est non seulement totalement fiable mais vraiment jouissive.

Mentions spéciales à…

Spec Ops : The Line (Yager Development)
Pour ses couleurs, son sable rouge, son épatante mise en scène de l’introduction et, bien sûr, son décor inédit tout en verticalités de la ville de Dubai, ce TPS militaire s’impose artistiquement malgré une violence parfois crasseuse et au fond inutile.

Black Knight Sword (Grass Hopper)
Il faut quand même du génie pour mener à bien un tel concept et fondre un jeu de plateforme/hack & slash dans un décor de théâtre macabre en carton où le héros se déplace vraiment sur scène, devant le rideau ! Le jeu vidéo dans son ensemble avance de deux cases créatives grâce à ce projet dingue et réussi.

Catherine (Atlus Persona Team)
Totalement inclassable, c’est sa force, aux côtés de Gravity Rush et du récent Black Knight Sword, cet OVNI nippon sorti tardivement (mais courageusement) en Europe redonne foi en la scène japonaise. Même, et surtout, si l’on ne comprend pas tout. Il y a des sentiments, un peu, de l’érotisme, pas plus, de l’ésotérisme, pas trop, de la dérision, pas mal, et une partie action étrange où il faut grimper un escalier jusqu’aux cieux, à moins que cela ne soit l’enfer. Indescriptible donc.

> Okami HD (Capcom)
La réédition en HD sur PlayStation 3 avec ou sans le PS Move, redonne toute sa glory au jeu flamboyant de ex Clover Studio et confirme ce que les initiés savaient déjà depuis la PlayStation 2. À savoir qu’il s’agit là d’un des monuments du jeu vidéo et donc à entretenir absolument. Merci Capcom et Sony.

> Consoles Sony
La majorité des gamers hardcore s’active plutôt sur Xbox 360 et Xbox Live, mais comme le soulignent les tops ci-dessus, les jeux les plus créatifs et les plus innovants sont apparus cette année sur le PlayStation Network de la PlayStation 3 et sur la PlayStation Vita ! Un paradoxe terrible qui fait craindre que les consoles Sony ne deviennent des appareils arty pour happy fews avertis. Alors s’il fallait faire un vœu pour 2013 : rallumons nos PS3 et PS Vita et osons les jeux vidéo audacieux exclusifs, ils ne coûtent pas très cher, eux, et entretiennent bien plus sérieusement la culture du jeu vidéo.

> iPad Mini
Oublions les petites haines et jalousies partisanes héritières de la tradition consoles, car le futur du jeu vidéo pourrait bien être là (le GamePad Wii U en atteste en tous cas). Parfait compromis ergonomique entre l’iPod Touch/iPhone et l’iPad standard, l’iPad Mini a surtout le potentiel vertigineux de supplanter toutes les autres consoles de jeux portables. Même en se passant des si pratiques boutons tradis des PS Vita et 3DS. Sans le ressentir soi-même, il suffit de bien regarder sur quel appareil se ruent en priorité les enfants qui ont accès aux trois machines. Indice : ce n’est ni une machine Sony, ni une machine Nintendo. Alimenté par un App Store de plus en plus fourni en « vrais » jeux, l’outsider Apple d’hier est chaque jour mieux armé pour prendre la première place. Pour ne pas s’en inquiéter, après tout, il suffit de ce saisir de ce nouvel outil interactif. Le reste, c’est à dire le plaisir et la prise de conscience, viendront tout seul…

8 jeux IOS inédits incontournables

– Rayman Jungle Run
– The Walking Dead
– Lili
– Nihilumbra
– MotoHeroz
– The Room
– Tentacles Enter the Dolphin
– Vectrex Regeneration

François Bliss de la Boissière

 


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BIOSHOCK 2 : Aquabon ?

Faut-il ou non replonger dans Rapture ? Même en avançant avec humilité et respect, l’opportunisme mercantile peut-il reconditionner sans dommage une œuvre assez marquante pour mériter d’exister sans suite ? Faut-il cautionner une nouvelle descente en apnée dans un enfer unique tout juste maintenu à distance par les eaux de l’Océan ? En gros, Bioshock 2 nous fait-il boire la tasse et prendre les vessies d’une redite pour les lanternes d’un premier jeu brillant ?
 Bioshock 2
Phénomène totalement inhabituel, des développeurs américains jusqu’aux attachés de presse stagiaires délégués pour présenter le jeu, l’essentiel de la communication de Bioshock 2 s’est articulée sur le thème de la modestie. L’ordinaire de la communication du jeu vidéo à suite surjoue habituellement la surenchère. Uncharted 2, Assassin’s Creed 2 et Mass Effect 2 n’y ont récemment pas échappé. Leurs suites devaient corriger les « approximations » (aveux à postériori transformés en un nouvel argument de vente), améliorer les conditions de gameplay, décupler l’impact audiovisuel et tactile. Pas Bioshock 2.

Prenant le taureau par les cornes, l’éditeur 2K Games a préféré désamorcer en amont les procès d’intention. Rien n’égalera le premier jeu. La suite ne doit pas altérer le souvenir de l’original, ni brusquer son univers, ses appétences intellectuelles, ses codes esthétiques et interactifs. Rarement propagande aura pris autant de précaution à faire savoir qu’une suite ne cherchera pas à « faire mieux » et se contentera de prolonger un univers qui, sous entendu, ne nécessitait, « nous sommes tous d’accord », ni revisitation ni réhabilitation. Bioshock 2 a donc été conçu pour les fans du 1. Comprendre : ceux parmi les fans qui ne peuvent s’empêcher de réclamer une nouvelle casserole d’un plat qu’ils apprécient. Les autres fans, ceux qui pensent qu’un jeu vidéo devrait se suffire à lui-même comme un livre, une BD ou un film, ceux-là, devront s’incliner devant les fans affamés qu’il serait odieux de priver. L’éditeur vient d’annoncer que Bioshock 2 s’était déjà vendu à 3 millions d’exemplaires en un mois quand le premier Bioshock atteint un joli 4 millions en deux ans et demi de commercialisation. Si l’univers peut se réduire à une équation, nulle doute qu’un jeu vidéo peut se légitimer par une addition.

Recette salée
Sans tabou ni trompette mais avec quelques suspicions quand même, Bioshock 2 vient donc servir la soupe. Salée, toujours, puisque l’océan, plus présent que jamais autour d »une cité au bord de l’implosion, et le sang mêlé aux flaques d’essence, continuent de suinter et couler des sols craquelés aux plafonds fissurés. De choc il n’y a plus. L’onde du bang original fut néanmoins si forte que son écho rebondit encore sans effort des couloirs vitreux aux halls majestueux de la métropole engloutie. Une ville souvenir d’elle-même dans le premier jeu, une ville souvenir du premier jeu dans le deuxième. Assez littérale et forcément non préméditée, la mise en abîme fonctionne. Le scénario sonne juste aussi, bien qu’il se cogne aux logiques de gameplay. Ainsi, l’idée d’endosser le scaphandre d’un Big Daddy (Protecteur en VF) serait complètement bonne si elle avait joué le jeu jusqu’au bout de l’identification. Mais puisqu’il est impensable de laisser le joueur durablement enfermé dans la carapace 20 000 lieues sous les mers de gros gardes du corps, mahousse costauds mais lourdauds, et lents d’esprit, les injections de Plasmides et autres Fortifiants devront suffire à justifier qu’il bougeât très vite comme un athlète. Et donc trahir l’image et la pesanteur trainées par les intimidants Big Daddy de Bioshock 1.

Trivialités
Le Rapture d’Andrew Ryan se voulait un espace de liberté individuelle, mais Flèche pointeuse et portes verrouillées tracent un chemin rigide et sans finesse dans les ruines au bord de l’apoplexie finale. Le vagabondage architectural se justifie moins que le reniflage trivial des recoins. Par un mécanisme de transfert mental automatique, l’espace au fond plutôt vide, se densifie artificiellement avec la multitude de pseudos objets à collecter dans chaque coffre oublié, caisse enregistreuse, bars et autres planques. Et bien sûr, avec toujours le même mauvais goût qui empêche ce jeu vidéo, comme le premier, de s’élever vers la noblesse qu’il frôle, en dépouillant les cadavres d’humains mutants aux corps disloqués, brûlés, mitraillés, électrifiés… La brutalité physique s’impose toujours. Malgré la belle sélection d’armes et de pouvoirs, bien décrites, désignées et mises en scène, les combats font plus brouillons que jamais. Les adversaires aux capacités physiques variées, telles les nouvelles Grandes Soeurs, ne se déplacent pas en respectant des lois physiques que l’on peut appréhender ou anticiper. Ils sautent dans toutes les directions, s’éloignent ou s’approchent à des vélocités inattendues ou restent bêtement à portée de coups de crosse comme les maniaques suicidaires qu’ils sont. Le décor fracassé où le joueur ne peut jamais vraiment anticiper les distances, cachettes et surplombs, offre toujours aux adversaires l’avantage, même passé la surprise. Seules les plus habiles réussiront à jouer avec le décor plutôt que contre. L’outillage mécano-magique relativement sophistiqué ne conduit ainsi généralement qu’à des affrontements pratiqués à l’instinct, au réflexe. Des bagarres qui finissent, dans tous les cas, en carnages incontrôlables.

Pour et contre
Dès que l’on cesse de discutailler le bien fondé de cette suite, l’ensemble fait la blague. Surtout quand il se contente de décliner respectueusement l’univers original. Lorsque Bioshock 2 tente de s’envoler de quelques encablures inédites, l’absence de Ken Levine, le visionnaire à l’origine du premier choc, se fait sentir. Bonne idée sur le papier, les passages sous l’eau que permet le scaphandre du Big Daddy manque, par exemple, singulièrement d’envergure visuelle et matérielle. Les malignes récréations cérébrales des phases de piratages du premier Bioshock, ont été remplacées ici par un jeu de réflexe métronomique bien réducteur. Là encore, paraît-il, il s’agit de répondre aux réclamations des « fans ». Mais où s’exprime donc cette majorité qui impose ses lois appauvrissantes aux amateurs satisfaits et silencieux ? Assagis, les visages des Petites sœurs ont ainsi perdu l’étrangeté, digne mais franchement perturbée, du premier jeu. Ils sont lissés de toute aspérité subversive tout comme les moments originellement si importants où le joueur décide d’épargner la Petite Sœur ou de lui soutirer tout l’Adam quelle possède. Ces instants dramaturgiques cruciaux ont perdu tout impact. Ils reflètent une des grandes carences d’un jeu revu et corrigé pour plaire à un plus grand nombre encore : la mise en scène. Rien ne remplace ici l’introduction du premier jeu ni aucune des scènes poignantes de Bioshock 1. Si le contexte physique peut faire illusion, sa mise en situation tombe à plat.

Les larmes se perdent dans l’océan
L’éditeur 2K Games a bien de la chance. La richesse de l’univers visuel, auditif, et scénaristique du premier Bioshock a marqué si profondément qu’il entraine de facto un désir d’y retourner. A-t-on bien tout vu dans le premier épisode ? A-t-on tout compris d’une fiction aux ramifications complexes et au thème politique majeur ? C’est grâce à ce sentiment de jeu plus grand que sa condition qu’un Bioshock 2 trouve sa place. Dès les premières notes profondes du lancinant violoncelle, les craquements des vieux gramophones crachant de vieux tubes du début du XXe siècle ou des magnétophones où s’expriment cette fois des femmes à leur tour emportées par les folies de l’utopie Rapture *, tout un univers sensible se réactive. Le monde écroulé de Bioshock se nourrit d’un passé régurgité qu’un Bioshock 2 même fatigué n’a aucun mal à ruminer. Même en partie dévitalisée, la dimension artistique du jeu perdure et se laisse visiter, armes à la main bien sûr, comme une gigantesque galerie in situ. Assumons notre faiblesse collective pour les gouttes d’Adam et d’Eve qu’il reste à téter et laissons les Petites Sœurs orphelines se charger de sangloter sur l’autel du premier Bioshock.

* « Si le monde moderne avait été un de mes patients, j’aurais diagnostiqué un profil suicidaire… En cela, Andrew Ryan avait raison. Rapture… est une délivrance ». Sofia Lamb, politicienne et psychiatre qui a pris la place d’Andrew Ryan.

François Bliss de la Boissière

 


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