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Peter Molyneux, le grand fabulateur 2/3 : « Je ne veux plus que vous pensiez en terme de bien ou de mal »

Deuxième partie de mon interview de Peter Molyneux qui veut savoir si le joueur est cruel ou gentil, pur ou corrompu, comment vous tuez si vous tuez, et si tout le monde ment ? Non parce que Dieu lui-même nous « induit en erreur dans la Bible ». Plus tellement populaire Peter Molyneux, mais Populous for ever, et tellement inimitable…

Bliss : Je suis français, pardonnez ma prochaine question. Le premier Fable a été bien reçu mais a aussi eu des critiques précises. L’une d’entre elles concerne le tout début du jeu quand le jeune héros encore gamin surprend un couple adultère en train de s’embrasser derrière un mur. S’il dénonce le mari auprès de sa femme, cela est considéré comme une bonne action et il reçoit un peu d’argent. Comment la délation, sans parler de la violation de l’intimité, peut-elle être qualifiée de bonne action ou de morale ? Comment en êtes-vous arrivé à simplifier certains comportements dans le jeu pour mettre en scène le bien et le mal ?

Peter Molyneux : Dans de nombreux cas, il ne s’agit pas de bien ou de mal. Dans Fable 2 nous ne mesurons plus directement le bien ou le mal, mais combien vous êtes cruel ou gentil, pur ou corrompu, généreux ou vénal, combien vous êtes prêt à sacrifier. Parce que, comme vous le demandez, dénoncer à l’épouse était-ce bien ou mal dans Fable 1 ?

Bliss : Vous avez décidé à l’époque pour Fable 1. Y a-t-il eu beaucoup de débats sur ces questions de choix moraux ?…

Peter Molyneux : Nous avons décidé, oui, quelqu’un devait trancher. Et chacune des questions a fait l’objet d’un long débat. Vous pourriez dire que mentir est mal mais, ce que nous appelons en Angleterre un mensonge blanc (white lie) quand vous dites un petit mensonge, est-ce mal ? Après tout, Dieu lui-même induit plusieurs fois volontairement en erreur dans la Bible, et cela passe. Alors il y a un énorme débat philosophique sur le sujet. Et encore une fois on peut éventuellement dire que dénoncer une mauvaise action de quelqu’un auprès de quelqu’un d’autre peut être une bonne action mais peu corrompue. Il existe une graduation du bien et du mal dans Fable 2 : corrompu, pur, cruel ou gentil. Ce n’est pas juste bien ou mal.

Bliss : Vous avez quand même toujours ce concept à la portrait de Dorian Gray avec un héros dont le visage porte les stigmates de ses mauvaises actions ?

Peter Molyneux : Oui, mais avec l’idée que le chien, et la façon dont le monde lui-même vous traite va changer pour refléter ce que vous êtes. Je ne veux plus que vous pensiez en termes de bien ou de mal, il s’agit de vous en tant que personne unique. Je me suis rendu compte que les gens se sont trop obsédés, comme vous, sur le bien et le mal (depuis Dungeon Keeper et Black & White, Peter Molyneux a beaucoup insisté lui-même sur le concept, NDR), donc il y a beaucoup moins de ça et davantage de « soyez vous-même » et découvrez qui vous êtes. Si vous avez envie de tenter quelque chose en jouant à Fable 2, allez-y, expérimentez. Soyez créatif. Si vous voulez vraiment être diabolique, vous devez penser diabolique. Il ne s’agit pas juste de tuer les gens, mais où vous les tuez, comment vous les tuez, qui vous voit faire, ce qui s’est passé avec ceux qui se font tuer…

Bliss : Le jeu ne risque-t-il pas ainsi de conduire à des impasses, qu’un mauvais choix bloque l’histoire ?

Peter Molyneux : Puisque vous pouvez avoir un comportement tantôt mauvais, tantôt bon, puis mauvais à nouveau, cela implique que votre personnage peut changer. Si vous arrivez au bout d’une logique vous n’y êtes pas coincé. Si vous êtes devenu vraiment diabolique, vous pouvez redevenir bon mais cela vous prendra du temps.

Bliss : Cela veut dire qu’il faudra revenir sur ses pas, physiquement à travers la carte ?

Peter Molyneux : Non non. Rappelez vous que c’est ce que vous faites dans le jeu, comment vous approchez les situations, où vous en êtes dans l’histoire qui affecte votre vie, pas où vous vous situez géographiquement dans le monde.

Bliss : Plusieurs de vos précédents projets ont été abandonnés, comme BC (Before Christ), est-il envisageable de voir un jour un documentaire sur le sujet comme Lost in La Mancha qui retrace l’arrêt du tournage du film Don Quichotte de Terry Gilliam ? Nous pourrions y voir la préparation, le travail en cours, des extraits du jeu non aboutis, etc ?

Peter Molyneux : Toutes les six semaines nous présentons déjà les carnets vidéo de développeurs (diary) de Lionhead (ici). Une caméra se balade dans les bureaux et filme les gens. Dans un de ces documentaires il y a aura des chutes de jeux.

Bliss : De tous les jeux, même les anciens ? Lesquels par exemple ? BC ?

Peter Molyneux : Oui. Vous y verrez forcément des extraits de Fable 2. BC n’est pas mort en réalité, le jeu dort. Je ne dis pas que nous le ferons mais nous pourrions un jour le dépoussiérer et le continuer.

À lire également…

Propos recueillis en octobre 2008 par François Bliss de la Boissière

(Publié en octobre 2008 sur Gameweb.fr)

 


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Peter Molyneux, le grand fabulateur 1/3 : « Pourquoi tout le monde ne joue pas ? »

Toujours créatif, Peter Molyneux compare les jeux vidéo aux films de Chuck Norris, invoque Dieu, rêve de vendre un jour 300 millions d’exemplaires d’un jeu et ne s’excuse pas de s’être excusé pour Fable 1.

Interview d’un des plus beaux et plus anciens parleurs du jeu vidéo, pas tout à fait en roue libre avec une attachée de presse en garde-à-vue, mais définitivement en tournée internationale pour la promotion du dernier projet de son studio Lionhead : Fable 2.

Bliss : Que pensez-vous du nouveau public jeu vidéo des années 2000 ? Est-ce qu’il grandit ? Rajeunit ? Est-il plus idiot ou plus intelligent ?

Peter Molyneux : Je vais vous donner un exemple de ma grande frustration avec le public. Le premier jeu que j’ai conçu s’appelait Populous, en 1989, il y a presque 20 ans, et il s’est vendu à… 4 millions d’exemplaires. 20 ans plus tard, je viens toute juste de finir Fable 2 et si le jeu se vend à 4 millions d’exemplaires, ce sera le 2e plus grand succès de la Xbox 360… En 1989, nous pensions que le jeu sur ordinateur était une nouvelle forme de loisirs, que tout le monde jouerait. Cela ne se concrétise que maintenant et je suis vraiment obsédé par cette idée : pourquoi tout le monde ne joue-t-il pas ? Pourquoi seuls les gamers devraient jouer ces jeux fantastiques ? Cela n’implique pas qu’il faille faire des jeux plus idiots ou plus simples, pour moi cela veut dire imaginer des jeux plus distrayants. Vous connaissez un acteur du nom de Chuck Norris (champion de karaté devenu acteur grâce à Bruce Lee qui le fait jouer dans La Fureur du Dragon en 1972, NDR) ? Il jouait dans des films destinés à des garçons et des hommes qui aiment les films avec des combats, des gunfights, des tueries. On les appelle des films d’action. Indiana Jones et le Temple Maudit, voilà aussi un film d’action (d’aventures dirions-nous, NDR). Un film de Chuck Norris a été vu par 3 millions de personnes alors qu’Indiana Jones a été vu par 300 millions de personnes. Jusqu’à aujourd’hui, nous avons surtout fait des jeux qui ressemblent aux films de Chuck Norris. Nous pouvons encore faire des jeux d’action et viser cette énorme audience.

Bliss : Populous était plutôt un jeu intelligent et pas « d’action » et vous en avez vendu, comme vous dites, 4 millions à l’époque. Le public d’aujourd’hui est donc moins éduqué, moins exigeant ?

Peter Molyneux : Je crois que le public d’aujourd’hui a une soif inextinguible d’être distrait comme jamais auparavant. Et nous commençons tout juste à réaliser que nous pouvons distraire une énorme audience et pas seulement les joueurs habituels.

Bliss : En 2002, lors d’une présentation de Fable 1, votre premier jeu sur console (Xbox), vous avouiez la difficulté à développer un jeu console par rapport à un jeu PC, à atteindre un certain nombre de conditions requises comme le framerate (rapidité d’affichage), l’ergonomie. Est-ce devenu plus facile pour vous et votre équipe de développer sur console maintenant ?

Peter Molyneux : Je peux vous dire que chacun des éléments de Fable 2 nous a paru impossible à concrétiser pendant que nous le faisions. Puisqu’il s’agit d’un free roaming world (monde ouvert où le décor 3D s’affiche sans temps de chargements, NDR), pour le framerate nous ne pouvions utiliser les trucs habituels des jeux plus linéaires où le héros se déplace dans un couloir au milieu d’un décor hyper détaillé que l’on peut rendre très beau parce que le joueur n’ira jamais. Le fait que dans Fable 2, vous puissiez aller où bon vous semble, le framerate a été un énoooorme problème, la vitesse du processeur, l’Intelligence Artificielle aussi… Fable 2 a été vraiment difficile à faire. Bien souvent des gens nous ont dit : « Vous n’arriverez jamais à finir Fable 2, c’est impossible ».

Bliss : Quel est le budget du jeu ?

Peter Molyneux : Si je vous disais ça, je serais probablement… tué.

Bliss : Quel est le budget marketing du jeu ?

Peter Molyneux :  (se tourne vers l’attachée de presse) Ai-je le droit de dire ça ? (l’attachée de presse suggère en riant que nous demandions avant à l’éditeur ou quelque chose comme ça, NDR).

Bliss : Le budget marketing du jeu est-il plus important que celui de la réalisation, comme il arrive avec certains films hollywoodiens ?

Peter Molyneux (et l’attachée de presse de concert) : Non, mais c’est quand même beaucoup d’argent. Quand je pense aux 10 000 euros environ du budget de développement de Populous qui représentait l’argent dont j’avais besoin pour manger et je les compare avec maintenant… Ce sont des sommes folles.

Bliss : Maintenant vous avez une équipe complète à nourrir à Lionhead, de combien de personnes ?

Peter Molyneux : Je pense que nous avons grimpé jusqu’à 150 développeurs. Ce qui pose un giiigantesque problème logistique. Garder occupées 150 personnes, en s’assurant qu’elles vont dans la bonne direction tout en restant concernés est vraiment dur.

Bliss : Il y a deux ans nous avons eu droit simultanément à 2 jeux faisant appel à des loups (Zelda : Twilight Princess et Okami), cette année nous avons deux héros avec un chien de compagnie, Fallout 3 et Fable 2 ? D’où viennent de telles coïncidences ?

Peter Molyneux : Le chien de Fable 2 n’est pas un héros, vous ne le contrôlez pas (mais il répond à quelques commandes quand même, NDR), il est juste votre compagnon, il voyage avec vous, vous n’avez pas un contrôle direct du chien. Il existe parce que nous savions faire un chien contrôlé par une IA. Je voulais vraiment que l’on s’attache à l’animal.

Bliss : On ne l’envoie pas se battre par exemple ?

Peter Molyneux : Cela dépend de vous, le joueur, de lui apprendre à se battre. Alors il se battra pour vous et pourra être blessé. Un grand nombre de personnes choisissent de ne pas le faire pour épargner le chien. Il essaiera d’effrayer des ennemis, mais si le danger approche, il reculera.

À suivre prochainement…

Propos recueillis en octobre 2008 par François Bliss de la Boissière

(Publié en octobre 2008 sur Gameweb.fr)

 


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Peter Molyneux, le grand fabulateur 3/3 : « Il fallait que je m’excuse pour Fable 1 »

Troisième et dernière partie de mon interview de l’inénarrable Peter Molyneux au moment de la sortie de Fable 2. En 2008 comme les années précédentes et comme lors de son retour en 2016, le créateur joue avec son audience, passe du black au white, du mea culpa à l’hyperbole avec une facilité déconcertante. Quoi qu’on en dise, Molyneux restera comme un maître du jeu. Et pas forcément à celui que l’on pense. 

Bliss : Revenir au développement PC ne vous a pas porté chance avec The Movies qui n’a pas eu le succès et l’attention qu’il méritait, même avec sa fonction d’enregistrement et de partage de petits films façon Web 2.0 populaire de nos jours… Qu’est-ce qui n’a pas marché ? Le public PC encore une fois a-t-il changé ?

Peter Molyneux : Je me blâme toujours. En regardant en arrière on peut émettre des critiques à l’égard de The Movies. Il y avait trop à faire dans le jeu, il fallait trop s’affairer et cela devenait frustrant. Il s’agissait de gérer un studio de cinéma mais nous aurions dû le concevoir de façon moins embrouillée, plus relax. Tout le monde cherche à faire un jeu excitant et ce n’était pas tout à fait le cas avec The Movies. Voilà ma première critique. Ma deuxième c’est, bien que le module de réalisation de films fut cool, nous aurions dû arranger plusieurs choses pour que cela soit encore plus cool : les positions de caméra, l’incorporation de davantage d’éléments du joueur…

Bliss : Suite aux pluies de critiques vous reprochant d’avoir annoncé de nombreuses fonctionnalités absentes dans Fable 1, vous avez fini par faire des excuses publiques…

Peter Molyneux : Oui !

Bliss : Y a-t-il un risque que dans quelques mois vous soyez obligé de vous excusez à nouveau pour Fable 2 ?

Peter Molyneux : Vous savez, il fallait que je m’excuse pour Fable 1. J’ai été si excité avec le jeu, j’ai commencé à parler de ses fonctionnalités avant de pouvoir les montrer et je n’ai pas dit aux gens quand les fonctionnalités en question avaient changé ou étaient différentes. Pour être honnête avec vous, c’était idiot. Quand je donne une interview, je ne parle pas à ça (il pointe l’appareil enregistreur, NDR), je vous parle à vous, et je deviens tout excité. Cela m’a pris des années avant de réaliser que les gens écoutent vraiment ce que je dis.

Bliss : Vous avez déjà été cité disant que vous ne pouviez rien dire sur votre prochain jeu sauf qu’il était « ridiculement ambitieux ». La méthode de communication Peter Molyneux ne va pas vraiment s’arrêter, n’est-ce pas ?

Peter Molyneux : Non, je suppose que non. Mais j’espère avec Fable 2 ne pas avoir évoqué une seule fonction sans être en mesure de la montrer (pendant les démonstrations jouables, les parties étaient tout de même strictement interrompues et relancées quand nous arrivions aux combats, soi-disant hyper efficaces et modulables… épées, pistolets, magies…, NDR) et je ne vous ai pas montré tout ce qu’il y a dans le jeu. Ce n’est qu’aujourd’hui, juste avant que vous ne le jouiez que je commence à parler du contenu du reste du monde (d’Albion, NDR), comment vous pouvez influencer l’histoire. Ce sont des choses que je veux que vous découvriez. Avec Fable 1, j’ai parlé du contenu bien trop tôt, de façon trop détaillée, avant que les démos soient en place. Beaucoup de gens m’ont interpellé et reproché : « C’est typiquement du Peter Molyneux ». Et je me suis dit, les gens ne vont plus jamais écouter ce que je dis, je dois être honnête, je dois écrire cette lettre (d’excuses) et je dois m’y tenir. Il y a beaucoup de pression, vous savez. Certains journalistes vous brutalisent vraiment, « dites-moi ci ou ça », « est-ce que c’est comme ci ou comme ça » et évidemment je réponds un peu. Je ne vais pas répliquer « no comment ».

Bliss : Vous faites naturellement dans l’hyperbole…

Peter Molyneux : Oui, oui, mais je vous promets, je ne dis rien de plus que ne j’ai déjà dit aux équipes de Lionhead quand nous avons commencé à travailler sur Fable 2 : « Nous allons écrire une histoire dont les gens se rappelleront pour le reste de leur vie ».

Bliss : Comment pouvez-vous espérer réaliser votre objectif et même aller plus loin après une telle phrase ?

Peter Molyneux : Au début de chaque jeu, il faut avoir une motivation et une raison de le faire. En ce qui me concerne, si je me dis : c’est mon job de réaliser un autre jeu, si je pense comme ça, alors je ne devrais probablement pas le faire. Pensez que vous allez devoir entrer dans une pièce pleine de gens pour leur dire de passer trois ans de leur vie à travailler sur le projet, comme sur Fable 2. J’avais dit pour Fable 1, je veux faire le meilleur jeu de rôle de tous les temps. Si vous n’essayez pas de réussir le meilleur jeu de tous les temps, à quoi bon ? En particulier avec les sommes d’argent que cela coûte, c’est fou. Vous savez, si je refaisais un autre jeu avec le même genre de fonctionnalités encore et encore, je devrais m’abstenir. Et les gens ne devraient pas me confier leur argent pour ça. J’ai écrit sur le tableau des bureaux de Lionhead, ça y est encore, je pourrais vous le montrer : « Nous allons concevoir une histoire formidable, pas juste une « autre histoire », quelque chose capable de modifier votre façon de penser ». Évidemment que cela sonne comme de la hype, évidemment nous n’atteindrons jamais ce « formidable » que j’imagine. Mais même si je n’arrive qu’à mi-chemin de ce quelque chose de formidable, c’est mieux que de ne pas essayer.

À lire également…

Propos recueillis en octobre 2008 par François Bliss de la Boissière

(Publié en octobre 2008 sur Gameweb.fr)

 


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OFF RECORD : « Game designer, métier de Bozo » (entretien anonyme)

Après « testeur de jeu », la 2e porte d’entrée rêvée dans l’industrie du jeu vidéo serait game designer. Celui qui imagine le jeu, « l’inventeur ». Las, un Lead Game Designer ayant fréquenté start-ups prétentieuses et stars capricieuses du jeu vidéo nous apprend que le quotidien de la création d’un jeu vidéo est loin d’être glamour.

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Bliss : Un game designer peut-il être qualifié d’auteur d’un jeu ?

Game designer anonyme : Fuck no. Plus encore que dans n’importe quelle autre branche de l’entertainment, le jeu vidéo est le résultat d’un effort commun. C’est une équipe qui bosse pendant des mois, voire des années ensemble. « Nous » sommes les auteurs, il n’y a pas de « je ». On a bien sûr des créateurs de jeu vedettes comme Will Wright, Hideo Kojima, David Cage, Peter Molyneux qui sont en quelque sorte des über game designers. Ils incarnent l’âme d’un projet. Mais leurs jeux ne prendraient pas forme sans une batterie de game designers pour formaliser leur vision, des programmeurs de génie pour la rendre palpable du bout d’un pad, et des artistes fous pour l’habiller.
Un simple game designer n’est pas un auteur, loin de là. C’est un ouvrier spécialisé, il exécute les ordres et prend des micros décisions au sein de l’espace créatif que son supérieur a déterminé pour lui. On n’est pas dans le Showbizness, on travaille dans des bureaux tous ensemble plus de 250 jours par an, ce n’est pas hyper sexy ni très fun en fait.

Bliss : Le rôle du game designer est-il clairement défini par rapport aux autres membres de l’équipe ?

Game designer anonyme : Bien sûr. Le game designer c’est le chieur qui vient casser les pieds sur ce qui semble être un détail et qui pour lui est un truc dont sa vie dépend. Celui qui vient voir le programmeur après qu’il ait passé des jours à monter une feature délicate pour annoncer que finalement il veut autre chose et qu’il faut tout reprendre à zéro. C’est le mec qui bassine avec sa philosophie de design sous-jacente associée à des AFM (Acronymes Fumeux de Merde) ; le même qui n’a plus grand-chose à faire quand les autres sont en crunch-de-la-mort-parce-qu’ils-doivent-livrer-le-master-gold-à-la-fin-de-la-semaine. Au pluriel, les game designers, c’est la bande de gars qui fait le plus de bruit dans un bureau, qui rigolent le plus fort et se livrent à des joutes verbales incessantes et ultra violentes. Les mêmes qui passent des heures à jouer aux derniers jeux sortis sous couvert de faire de la « veille techno ». C’est en Game Design qu’on trouve les plus grands tarés, les égos les plus difficiles à gérer, en général ce sont des control freaks avec une tendance à aborder tout sujet de design de manière anale.

Bliss : Vous avez été game designer au sein de plusieurs studios de taille et d’ambitions différentes, avez-vous eu l’impression de faire le même travail à chaque fois ?

Game designer anonyme : À peu près oui. Le travail du game designer au quotidien est d’avantage lié au projet qu’au studio. Si je bosse sur un jeu avec une forte composante aventure, je vais passer les ¾ de mon temps sur le scénario, les dialogues et les énigmes. Tout ce qui est User Interface et Gameplay passe au second plan. Si je bosse sur un platformer, je vais me focaliser sur le contrôle du perso et mettre en place les « briques de gameplay » qui feront office de notes de musiques que les level designers déploieront sur leur partition / niveau. Si je suis sur un actioner, je vais passer le plus clair de mon temps sur les capacités de combat du personnage, de celles des ennemis et des comportements associés, ce en étroite collaboration avec les programmeurs gameplay et les animateurs.
Plus sérieusement, le rôle du game designer dépend surtout de sa place dans le chain of command. Le Game Director va superviser le contenu de jeu de manière transversale, le lead va manager l’emploi du temps de l’équipe, s’assurer que la documentation est à jour et passer des heures en meeting avec les leads des autres départements. Ensuite il y a les game designers couteaux suisses qui d’une semaine à l’autre vont être placés sur des sujets divers (UI, controls, gameplay feature X, besoin outils, etc.). Et puis t’as les game designers spécialistes d’un sujet (combats, puzzles, etc) qui passent d’une prod à l’autre…
Idéalement, le game designer est reconnu comme le médiateur entre programmeurs et artistes. C’est celui dont le travail existe à travers celui des autres. Donc pour les autres, il est celui qui ne sert à rien…

Bliss : Pas de problèmes d’égo entre ces créatifs ?

Game designer anonyme : Il y a trop de game designers qui se croient dans Top Gun. Il faut composer avec des Ice et des Maverick qui ne sont d’ailleurs pas les Top Guns qu’ils imaginent. Le game design, particulièrement en phases concept et préprod, mène à des batailles d’opinions incessantes. D’autant plus épuisantes si le chef d’équipe, « le lead », est incapable de prendre du recul et s’enflamme comme ses hommes. Ma plus belle expérience de game design a eu lieu en binôme avec une jeune femme. Notre relation de travail était dépourvue d’animosité, ou de testostérone, et ça c’est inestimable et rare.

Bliss : Vous avez exercé dans des studios dirigés par des statures du jeu vidéo et des studios plus débutants… Quelle différence au quotidien ?

Game designer anonyme : Il faut plus que des vedettes du jeu vidéo et du pognon pour faire exister un studio. J’ai travaillé dans plusieurs start-ups qui étaient « équipées » de vedettes créatives, pleines aux as, et dirigées par des personnalités venant d’industries plus prestigieuses et adultes que celles du jeu vidéo. À chaque fois, on commence à bâtir des rêves sur de belles intentions. Puis les ressources humaines sont limitées et on peine à recruter des pointures qui apporteraient un savoir faire évitant de réinventer la roue. Bien que parfois excentriques, les gens à la tête de ces studios start-ups ne sont pas des idéalistes. Ils ne souhaitent pas produire les meilleurs jeux du monde, même si bien évidemment ils affirment le contraire. Non, ils cherchent le moyen de faire de l’argent le plus rapidement possible. Il en résulte, malgré la présence de créateurs vedettes expérimentés, une politique éditoriale de type « girouette », drivée par les remarques du dernier client potentiel. Ce problème d’identité et cette absence de savoir faire (pas encore de jeu publié) fait qu’à chaque fois la direction clame que ses équipes sont capables de produire n’importe quel type de jeu dans n’importe quel genre. Ce qui fait que l’on passe pour des bozos… Et que les premiers jeux sont des jeux de bozos. Lorsqu’ils aboutissent…
En opposition, dans les studios tenus par des idéalistes qui ont réussi à sortir au moins deux ou trois jeux, la direction est beaucoup plus claire, la perception de ce qu’est le studio aussi. Et là il y a un éditeur derrière, des équipes rodées et soudées en mesure de se concentrer en toute sérénité sur le boulot au quotidien.

Bliss : La collaboration est-elle vraiment possible avec des vedettes du jeu vidéo ?

Game designer anonyme : J’ai directement travaillé avec deux d’entre elles et ce fut deux expériences radicalement différentes. Une « légende » qui n’avait pas terminé de projet depuis un certain temps. Très ouvert sur le plan professionnel et amical, il m’a appris énormément. Son sens du jeu, son instinct était extraordinaire. Nous avons monté ensemble des projets réellement chouettes. Puis sa relation avec le studio s’est durcie, il a perdu sa garde rapprochée et s’est retrouvé seul face aux gars du patron. Là, il a amorcé un repli sur lui-même. Nous n’arrivions plus à « fermer des sujets », à trancher pour produire, et il avait des exigences de plus en plus extravagantes et irréalistes. Le dialogue entre nous s’est délité et on a fini par s’engueuler.
L’autre est à la fois patron de son entreprise et directeur créatif. Autant dire que sa société est son royaume, et ses jeux, ses batailles. Il a plié le jeu vidéo à son imaginaire, à ses envies et à ses capacités. Cela fait de lui un créatif extraordinaire. Mais alors quel égomaniaque ! Je ne rentrerai pas dans le détail mais disons que si en tant que game designer vous n’avez pas en plus une compétence de technicien, de manager ou un MBA en léchage de cul, votre espérance de vie dans son royaume est de trois à douze mois. Ensuite, il explique gentiment que son jeu, il va le faire tout seul parce que c’est comme ça qu’il se sent le plus à l’aise.

Bliss : Quelles sont les erreurs commises par un jeune studio ?

Game designer anonyme : Comme évoqué tout à l’heure. La girouette attitude est très dommageable. Ensuite viennent le mensonge et l’arrogance. Le mensonge c’est par exemple d’affirmer à un éditeur de renommée mondiale en passage dans les locaux pour un audit que dans le bâtiment, là en face, il y a 200 employés qui bossent sur un jeu top secret classified financé par l’armée. Bâtiment dans lequel malheureusement on ne peut se rendre car on ne peut déroger aux clauses de confidentialités et qui, naturellement, n’appartient pas du tout à la société. Ou alors, face aux huiles d’un des cinq premiers éditeurs mondiaux, clamer que le jeu présenté par nos soins a été élu meilleure démo de l’E3 précédent, sans bien évidemment qu’aucun des invités n’en ai jamais entendu parler… L’arrogance c’est être à deux doigts de vendre un projet à THE publisher japonais et, à une question cruciale par mail concernant le cœur de l’expérience de jeu, lui répondre : « Nous savons ce que nous faisons, votre question touche à une simple affaire de réglages, nous verrons cela en production… ». Evidemment face à une telle réponse de charlot, les gars laissent tomber et tu n’entends plus jamais parler d’eux. Il y a des dizaines d’anecdotes comme ça mais rien que d’y repenser j’ai à nouveau envie de vomir.

Propos recueillis en 2008 par François Bliss de la Boissière

(Publié en 2008 dans Amusement #2)

(Note : si l’anonyme en question passe par cette page et souhaite que l’on réintroduise son nom, qu’il fasse signe, il y a sans doute prescription…)

 


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Fable II : La voiE de son maître

Fable 2 ressemble à son directeur créatif. Quoi de plus normal quand il s’agit d’une personnalité aussi singulière et expérimentée que celle de Peter Molyneux.

Fable 2

Le jeu de rôle commence comme un livre de conte joliment illustré et, très vite, il se noie de notes d’intentions. Malgré sa volonté affichée de rendre son jeu accessible au plus grand nombre, le verbiage et le foisonnement créatif naturel de Molyneux l’empêchent d’aller à l’essentiel. Alors qu’il sait que le jeu vidéo n’est pas le meilleur des médiums pour raconter sérieusement une histoire, son désir d’en raconter une quand même impose au joueur une littérature bâtarde entre récit initiatique à la Mark Twain et liste interminable de règlementations héritées des jeux de rôles papier. Convaincu que l’économie et la culture jeu vidéo se développent davantage sur consoles de salon que sur PC depuis que son studio britannique Lionhead est devenu propriété du géant Microsoft, Peter Molyneux essaie désespérément, par la parole et par le geste, de créer un monde habité par des personnages sensibles, un héros, ou une héroïne, auquel le joueur doit s’attacher. Il lui offre d’ailleurs ici un chien compagnon, gimmick affectif facile avant tout.

Malheureusement, l’inventeur des jeux de gestion objectivés à la Populous baptisés God Games, a en réalité bien du mal à descendre sur terre. Lui si attachant en personne, n’arrive pas vraiment à donner une humanité à ses personnages. Par-delà la trame scénaristique à suivre par étapes, le jeu veut ainsi donner à chaque instant une liberté d’action et de décision, à commencer par des choix moraux. Mais au lieu de dessiner une personnalité, l’énorme listing de critères ne reste qu’un portrait robot théorique de l’être humain dans lequel le joueur pioche des données au petit bonheur. Aussi encyclopédiques et drôles soient-ils, tous les efforts à décrire les attitudes, activités et humeurs des habitants échouent à créer une véritable chair dans le jeu vidéo lui-même. Les vêtements que le héros accumule comme les cicatrices ou la réputation auprès des villageois ne restent que statistiques et impactent plus dans les menus du jeu que dans le jeu lui-même.

Tel un document de travail préparatoire foisonnant d’idées, le monde de Fable 2 est plus écrit que concrétisé. Les situations originales et décalées ne manquent pourtant pas. Comme de faire de la spéculation immobilière ou de se générer des rentes en achetant des commerces. Flirter jusqu’au mariage, avec autorisation laxiste de polygynie, ou de polyandrie, si l’on a choisi une héroïne au départ du jeu, est un des possibles presque subversifs offert par le jeu. De nombreuses petites variations, parfois heureuses, souvent anecdotiques, qui renvoient, encore une fois, au traitement gestionnaire distant du jeu vidéo tout en négligeant, ou échouant, à créer une vraie promiscuité avec ce qui se passe dans l’écran. Et l’on se retrouve moins à participer à une vraie aventure qu’à jongler avec les intentions d’un maître du jeu omniprésent.

  • Fable 2 / Microsoft / Xbox 360

François Bliss de la Boissière

(Publié en 2008 dans Amusement #3)

 


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