Jeux et cinéma : la (con) fusion (part 3/3 : Hollywood du pauvre)

Des anciennes célébrités comme Robert Duvall ou James Can, aux méconnus Ron Perlman ou Michael Wincott, du culte Michael Madsen aux obscurs acteurs de séries TV, l’armée des ombres d’Hollywood infiltre le jeu vidéo. État des lieux, part. 3… 

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Hollywood du pauvre

Quand un éditeur comme Electronic Arts annonce en fanfare que « les plus grands talents d’Hollywood composent le casting de Command & Conquer III », un RTS, il faut lire ensuite entre les lignes que les dits acteurs jouent sur les séquences vidéo, que ceux-ci, pas si célèbres, sont cités bien après les films ou les séries TV où ils ont participé. Pour les cinématiques ou pour les séquences interactives, le jeu vidéo emploie en réalité depuis plusieurs années une foule sans cesse grandissante d’acteurs de seconds plans, prêt à cachetoner pour prêter leur voix, mal dirigés en l’absence flagrante de sérieux directeurs d’acteurs et, à l’oreille, peu motivés malgré leur talent naturel. Des jeunes, Michelle Rodriguez, Halo 2, comme des vieux, Kris Kristofferson, Gun. « Il faut bien nourrir sa famille » nous avait confié en toute ingénuité américaine le pourtant toujours excellent Ron Perlman (La Guerre du feu, Alien: Resurrection) en 2004 lors de la promotion du film Hellboy où il avait, enfin, humble et heureux quoique que grimé en diable rouge, le premier rôle. Précurseur sur le créneau et représentatif de cette population sans corps mais entendu dans des dizaines de séries animées de la TV, Perlman a participé à 17 jeux depuis 1995 dont les Fallout et Les Chroniques de Riddick avec Vin Diesel. Trogne ingrate pour l’écran, âge trop avancé mais voix toujours imposante suffisent à retrouver un acteur en train de donner de la voix dans un jeu vidéo. La machine à cracher du dollar qu’est devenu le jeu vidéo réussit même à se payer la participation de pointures moins has been que d’autres comme Robert Duvall ou James Caan sur Le Parrain (mais Al Pacino, toujours au premier plan, n’a pas participé à la version Interactive de Scarface). Et si Michael Madsen, célèbre pour manger à tous les râteliers, est venu rejouer les Mister Blond dans la version interactive de Reservoir Dogs, il est bien le seul. Enregistrés en quelques demi journées, soumis à des contraintes techniques drastiques comme le time code qui minute à tous prix le dialogue et malgré la présence de vétérans du cinéma, de la télévision et du doublage, les performances d’acteurs n’existent pas dans le jeu vidéo ou, comble, elles sonnent faux. Et quand une performance vocale sort exceptionnellement du lot comme celle du Prophète de la Vérité de Halo 2, tout le monde croit reconnaître la voix de John Hurt (Alien, V pour Vendetta) alors qu’il s’agit de Michael Wincott (Strange Days, Alien: Resurrection). Les voix sont la plupart du temps désincarnées, peu appropriées à la scène, et on peut même douter que les comédiens aient vraiment l’occasion de se donner la réplique. La voix rauque de Michael Ironside en Sam Fisher dans Splinter Cell est, par exemple, d’une neutralité affligeante. Cela est dû en partie au procédé qui consiste à enregistrer des répliques, à l’intonation forcément passe-partout, destinées à être réutilisées dans de multiples circonstances du jeu (« bonjour », « tu vas mourir », « votre mission sera »…). L’artificialité de la présence des acteurs est d’ailleurs totalement confirmée avec les versions européennes des jeux qui, localisées dans le jargon, sont majoritairement doublées en VF. Seul le studio Rockstar laisse systématiquement et avec pertinence ses productions en VOST, et malgré le succès commercial et critique de cette politique d’édition, elle fait peu d’émule chez les autres éditeurs.

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Pire syndrome justifiant la présence de vrais acteurs dans des jeux vidéo, les versions interactives de quelques monuments du cinéma ne se contentent pas de proposer une extension interactive (toujours discutable) du film mais recopient presque plan pour plan des scènes du film, le plus souvent avec les voix d’acteurs de remplacement. Comme si l’on se mettait à faire des remakes live de dessins animés (Shrek ?) ou des remakes en images de synthèse de films avec de vrais acteurs (Certains l’aiment chaud ? A bout de souffle ?). Malin, tout en offrant sa bénédiction, Hollywood laisse l’industrie du jeu vidéo se torpiller elle-même avec ce procédé si cheap et si inutile qu’il ne peut que renvoyer le spectateur en salles ou devant son DVD. Le générique des Warriors (79) de Walter Hill est ainsi reconstitué à l’identique en vilaine 3D avec de hideux personnages virtuels. Des scènes célèbres du Parrain de Reservoir Dogs et de Scarface sont décalquées avec une gaucherie et une laideur ahurissante. Les thèmes musicaux originaux veulent aider à compléter l’illusion mais cristallisent surtout la candide bêtise de la démarche. Sega vient de signer avec la Fox pour ressusciter la franchise Alien sous la forme de deux jeux, un FPS et un RPG. Naturellement, Sega va chercher à faire participer Sigourney Weaver et Lance Henriksen. Bien qu’il n’arrêtent pas de travailler, la carrière des deux acteurs ne fait plus les têtes d’affiche. Leur collaboration devrait donc facilement être acquise et puisque le premier jeu n’est pas prévu avant 2009 (!) on peut espérer que le jeu vidéo et le cinéma ait réussi à s’inventer d’ici là un vrai terrain d’entente créatif. La participation active de la Sigourney Weaver déjà productrice avisée des deux derniers films Alien pourrait, devrait, être un plus.

A lire : État des lieux, part. 1 : La quête de l’essence
A lire : État des lieux, part. 2 : Apprentis sorciers

François Bliss de la Boissière

(Publié en décembre 2006 sur Overgame)

 


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