Serein Nintendo face à la crise ? Lucide en tous cas, semble penser Stephan Bole, Directeur Général de Nintendo France… Les consoles Nintendo représentent avec les iPod/iPhone d’Apple un des phénomènes de consommation et de société du XXIe siècle. Les consoles DS et Wii se vendent tellement qu’elles modifient le paysage et les habitudes historiques de consommation et de production de l’industrie du jeu vidéo. Nintendo pèse lourd. Au point de ne pas craindre les autres… poids lourds, les anciens comme Sony et Microsoft, et le nouveau venu dans la cour du jeu vidéo, Apple…
Bliss : Quel bilan tirez-vous un mois après votre conférence à l’E3 ? Avez-vous réussi l’exercice délicat et attendu consistant à satisfaire gamers traditionnels et nouveau public ?
– Stephan Bole, Directeur Général de Nintendo France : Ce n’est pas à nous de le dire. Depuis 2-3 ans nous ne sommes plus dans une logique de surenchère d’annonces à l’E3. La conférence essaie de se concentrer sur ce qu’on est en mesure d’apporter au consommateur dans les semaines ou les mois qui viennent. Il y a quelques années on n’hésitait pas à présenter des produits ou des projets à l’E3 qui au final arrivaient 3 ou 4 ans plus tard, comme un Zelda. Désormais, on ne montre plus le reste de nos projets. Cela provoque un impact moindre que les conférences de Sony et Microsoft mais ce qui est intéressant c’est le feedback du marché que nous avons eu dans un 2e temps. Des analystes américains ont rejoint les distributeurs pour nous dire, 3 jours après le salon et la retombée des différents buzz de la concurrence : « Vous avez sous délivré lors de la conférence, mais au bout de 3 jours de salon, quand on a commencé à trier les titres 2009 du reste annoncé pour 2010 ou 2011, en mettant des quantités en face, on s’est retrouvé focalisé sur des produits des plateformes Nintendo ». Il n’y a pas l’ombre d’un doute, notre stratégie aujourd’hui consiste encore à élargir l’audience du jeu vidéo. Ce qui nous intéresse avant tout c’est de casser le mur entre les joueurs et les non joueurs. Quelques jeux dont nous sommes très fier en font partie : Mario Kart sur Wii et Professeur Layton sur DS qui s’adressent à des débutants comme à des core gamers. Wii Sports Resort aujourd’hui (sortie le 24 juillet), New Super Mario Bros en fin d’année, et dans une moindre mesure Wii Fit Plus, sont des jeux qui ont aussi cette ambition. La notion de casual gaming est un peu has been.
Bliss : L’éco système de l’iTunes store appliqué aux logiciels et jeux a littéralement fait exploser le nombre de jeux développés et achetés sur iPhone. Nintendo Japon ne semble pas publiquement s’en inquiéter alors que ce sont des millions de dollars dépensés en jeu qui échappent, pour une fois, à Nintendo. N’y a-t-il pas là un exemple à suivre ? Nintendo n’est-il pas en train de se faire doubler par sa droite ?
Stephan Bole : Il est clair qu’on a assisté à l’éclosion d’une nouvelle plateforme de jeux et que le modèle est un succès, et la masse des applications sur l’iTunes Store est en effet remarquable. Mais si vous posez la question à l’ensemble des éditeurs qui étaient particulièrement excités il y a un an parce qu’ils s’apercevaient qu’il suffisait de mettre des titres sur l’iTunes Store pour en vendre, ils réalisent aujourd’hui qu’il est plus difficile d’émerger sur iTunes Store que dans les linéaires d’hypermarchés qu’ils critiquaient il y a un an. Même quand les investissements marketing et la qualité des titres sont importants, ils ne suffisent plus à émerger sur l’iTunes Store. Du coup beaucoup d’éditeurs se sont intéressés à la DSi et au DSiWare. Ce sont d’ailleurs souvent les mêmes éditeurs qui avaient connus des premiers succès sur Apple au moment où le store avait été ouvert qui viennent naturellement sur DSiWare et discutent aujourd’hui avec Nintendo.
Bliss : Vous commercialisez avec le Wii Motion Plus un nouvel accessoire qui améliore le fonctionnement de la Wiimote. N’y a-t-il pas un risque de brouiller le message aux consommateurs, de laisser entendre que la Wiimote originale n’était pas au point, de diviser le marché entre jeux compatibles et non compatibles ?
Stephan Bole : On assume complètement l’évolution de notre technologie sur un secteur technologique, ça fait partie du marché. Toutes les plateformes ont proposé des évolutions au fur et à mesure. Nous, nous proposons une évolution de notre technologie de reconnaissance de mouvements qui n’était pas disponible il y a 3 ans lors de son lancement. Elle a le mérite d’être la seule disponible aujourd’hui sur le marché. Nous y travaillons depuis longtemps pour essayer de donner plus de profondeur de jeux pour les gamers comme pour le grand public, des expériences immersives et plus challenging comme le prochain Zelda dont Monsieur Miyamoto a parlé qui se jouera avec la Wii Motion Plus à l’épée ou dans les combats à l’arc (en 2010, ndr). Nous pensons que c’est un accessoire qui va apporter beaucoup au consommateur et nous sommes extrêmement agressif commercialement puisqu’on offre au consommateur le Wii Motion Plus avec Wii Sports Resort. C’est à dire que pour le prix d’un jeu normal vous avez le Wii Motion Plus gratuit (50 € le jeu avec l’accessoire, 20 € l’accessoire seul, ndr). Trois jeux compatibles sont déjà dans le commerce dont le Virtua Tennis 2009 de Sega. Et nous avons laissé la possibilité à certains éditeurs d’offrir eux-mêmes leur bundle comme Electronic Arts sur le très grand Tiger Woods PGA Tour 10 ou sur Grand Chelem Tennis. L’expérience japonaise du lancement de Wii Sports Resort nous laisse penser qu’il s’agit là de la killer application qui va faire vendre des Wii Motion Plus. Il s’est vendu 650 000 Wii Sports Resort en 3 semaines au Japon. Il s’agit du plus gros lancement sur Wii avec Mario Kart sur le marché Japonais. Et il y a un taux d’attache de 1 pour 1 entre le jeu et l’accessoire vendu à part. Donc, en gros, les gens en possession de Wii Sports Resort au Japon sont d’ores et déjà équipés de 2 Wii Motion Plus.
Bliss : Selon les observateurs, cette génération de consoles high-tech, Microsoft et Sony donc, pourrait être la dernière. Le jeu du futur proche pourrait ne nécessiter qu’une box d’accès pour jouer directement en streaming. Est-ce envisageable pour Nintendo ?
Stephan Bole : Écoutez, ce que nous avons de très gros dans les cartons sont des produits bien physiques, souvent avec des interfaces d’ailleurs. Wii Sports Resort avec le Wii Motion Plus, ce n’est pas du tout dématérialisé, Wii Fit Plus vendu avec une balance pour ceux qui ne sont pas encore équipés, Pokémon Gold et Silver qui seront vendus avec un accessoire sur Nintendo DS en 2010, non plus. De Guitar Hero à Mario Kart, toutes les meilleures ventes 2008 l’ont été avec un accessoire. Je ne vais pas faire de prospective au-delà des 2-3 ans puisque de toutes façons je ne serais pas en mesure de vous donner de scoop, mais nous pensons qu’aujourd’hui la dématérialisation offre surtout du business complémentaire au business physique. C’est une réalité pour Nintendo avec Virtual Console sur Wii qui permet de jouer à des jeux anciens disparus des linéaires et avec le développement de jeux inédits sur WiiWare et DSiWare qui permet à la création indépendante de s’exprimer.
Bliss : Nintendo connaît-il la crise ?
Stephan Bole : Nous continuons à penser que le jeu vidéo résiste plutôt bien à la crise. La DSi s’est vendue à 400 000 unités en France depuis son lancement en avril. Le total de DS et DSi en France a atteint 7,5 millions (+ de 100 millions dans le monde, ndr). Pour vous donner un ordre d’idée, la console la plus populaire avant la DS, sans compter les différentes générations de GameBoy, a été la PlayStation 2 dont le parc installé aujourd’hui doit être de 5,9 millions en France (en 9 ans de commercialisation, ndr). 7,5 millions de DS c’est énorme. Un chiffre inégalé qui reflète tout simplement l’élargissement de cible qui représente le premier driver de croissance de l’industrie depuis 3 ans maintenant. Et le fait que le jeu vidéo, notamment portable, touche tous les types de consommateurs avec un public plus féminin, plus adulte. Chaque semaine en France et dans le monde la DS reste la console la plus vendue. Et la 2e console la plus vendue chaque semaine est la Wii qui compte 3,3 millions d’unités en France (50 millions + dans le monde, ndr). Grosso modo il se vend dans le monde chaque semaine autant de Wii que de PlayStation 3 et de Xbox 360 réunies dont le parc serait respectivement de 1,4 et 1,3 millions en France d’après les derniers chiffres GFK (+ de 22 millions de PS3 dans le monde, 30 millions de Xbox 360, ndr).
On pense en revanche que nous arrivons, en ce qui concerne le hardware, à l’asymptote dans la courbe de vie de cette génération. C’est à dire que nous atteignons la 2e moitié du cycle de vie des consoles, et donc que les volumes ne vont plus forcément progresser et vont même peut-être décliner peu à peu. Mais la règle d’or sur ce marché reste le contenu, c’est lui qui tire les ventes de soft et de hard, et non l’inverse. Le lancement de Dragon Quest IX sur DS au Japon la semaine dernière est une belle histoire. En 2 jours le jeu a fait 2,3 millions d’exemplaires. Les ventes de DS/DSi sont passées de 37 000/40 000 à 160 000 uniquement grâce à Dragon Quest IX. La dynamique sur ce marché est toujours sur le soft, les killer app, ça n’a pas changé.
Propos recueillis par François Bliss de la Boissière
(publié le 23 juillet 2009 sur Electron Libre)