Oddworld : New ’N’ Tasty : Le jeu EST le message

On peut tout à fait jouer à ce remake de L’Odyssée d’Abe au 1er degré et l’apprécier pour ce qu’il réussit à être encore : un méticuleux jeu de plateforme/réflexion à scrolling horizontal, parfois un peu raide mais toujours soucieux de rendre cohérent environnements, personnages et rebondissements.

Oddworld New n Tasty Abe

Ne rien connaître du parcours historique de l’anti héros à la bouche cousue Abe ni celui de son créateur Lorne Lanning ne gâchera pas le plaisir. Mais peu à peu la voix de l’auteur s’impose implicitement tel un ventriloque derrière celle de l’innocent Abe qui glousse de ses propres pets. Inexorablement, la prise de conscience du candide héros malgré lui va entrainer celle du joueur. La fuite en avant du personnage forcé de s’arracher à sa condition d’esclave consentant va se transformer en parcours initiatique. Sa trouille face aux monstres incarnés de la société industrielle et financière qui cherche à le dévorer pour de vrai va le transformer en fuyard courant avec une adresse maladroite puisée dans l’énergie du désespoir. Son empathie enfantine pour ses frères Mudokons asservis le pousse à les aider à s’échapper au détriment de lui-même et parfois de l’instinct de survie. Quand un Mudokon meurt, l’échec égratigne même si Abe, laconique, se contente de soupirer « Oups ». Pas besoin d’en rajouter, le cling et clang des machines à broyer, les splash et crunch des corps disloqués suffisent à déchirer les sens.

Idées noires

La fable noire est drôle parce que cruelle. Très peu de jeux mettent clairement sur la table des raisons ontologiques de jouer liées au contenu du jeu lui-même, à ce que le jeu déroule comme arguments d’intentions de mouvements en même temps que le joueur y intervient (tels les exceptionnels Portal 1 et 2 de Valve ou le roublard The Stanley Parable, tous coupables de 3e degré interactif). Les jeux entrainant le joueur et le héros dans une boucle émotionnelle et métaphysique communes et sincères sont encore plus rares. Rejouer à Oddworld n’est pas faire acte de mémoire. Contrairement à moult reconstitutions cristallisées sur l’esthétique pixel art, le remake de Abe vise la perfection CGI d’aujourd’hui. Il réinvente subtilement à cette occasion une mise en scène du plateformer 2,5D et déroule une esthétique et un gameplay contemporains aptes à refaire sonner plusieurs alertes de civilisation hélas toujours d’actualité.

Depuis 20 ans l’auteur de Abe anoblit le jeu vidéo en s’obstinant à délivrer son message avec le médium interactif. Revenu sur le devant de la scène en n’ayant rien lâché, Oddworld confirme que le jeu lui-même peut devenir le message.

François Bliss de la Boissière

(Publié en sept-oct 2014 dans le bimestriel Games)

 


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Le business des remastérisations next-gen : racket ou réhabilitation artistique ? 2/2

Malgré le soupçon commercial qui les accompagne, jusqu’ici tout va bien, les remastérisations ne volent pas leur nom et ont au moins comme vertu de faire rentrer certains jeux dans une histoire culturelle durable du jeu vidéo. Même si, d’un point de vue consommateur, le prix d’entrée n’est pas toujours adéquat.

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Témoignage artistique durable avant tout

Jeux entre les mains et exigence bien affutée grâce à un équipement audiovisuel assez performant pour témoigner dans le détail des améliorations supposées, la plupart des rééditions sorties jusque là (début du mois d’août 2014) en majorité sur PS4 méritent toute leur attention et rendent bel et bien hommage au travail artistique accompli par les développeurs. Ainsi sur PS4, en attendant Journey, les immenses flOw et Flower de Jenova Chen y gagnent encore en clarté et beauté éblouissante. Le gore mais humoristiquement connoté Dead Nation : Apocalypse Edition transforme le shooter aride en stupéfiant jeu de sons et lumières donnant chair à la vue rétro top-down. Également rétro, la série compilée des déjà classieux PixelJunk Shooter prend elle aussi sur PS4 une épaisseur tangible transformant les matières et tous les fluides en étonnement permanent. Revenu littéralement d’entre les morts, le remake totalement New ’n’ Tasty de Oddworld : L’Odyssée d’Abe s’approche au plus près de l’ambition artistique originale après laquelle l’exigeant Lorne Lanning court depuis les années 90. Le plus que jamais intimidant The Last of Us confirme, parmi cent autres détails, le méticuleux travail de reconstitution d’une Amérique rendue à la végétation. À la rentrée, le viral phénomène Minecraft continuera sa contagion sur PS4 en étalant un terrain de fouille 36 fois plus grand que sur PS3. Et même le plus ouvertement opportuniste recueil de jeux Halo sur Xbox One, d’abord utile à combler l’attente d’un Halo 5 à la date anniversaire du 11 novembre, s’ingénie à réinventer l’exercice de la compilation en organisant un accès horizontal « open bar » inédit à chacun des jeux de la série. Pour le gamer esthète le plaisir plastique espéré est jusqu’ici confirmé. Les textures hautes résolutions affichent effectivement plus de détails de près comme de loin et provoquent un accroissement de la proximité avec les personnages et les décors et une augmentation de la distance de vue qui agrandit alors, dans les jeux en 3D, le terrain de jeu ou d’exploration. Pour le gamer performatif, le cap d’un affichage garantissant 60 images/seconde rend chaque geste plus fluide, plus fiable, plus responsif aux prouesses physiques imposées par le gameplay ou la course au score. Dans tous les cas les vertiges de l’immersion augmentent et la carte de visite comparative next-gen/last-gen devient explicite.

Opportunisme

Preuve s’il en fallait des nouveaux enjeux économiques et symboliques de ces remasterisations haut de gamme de jeux – rappelons-le – récents et non oubliés par l’histoire technologique, l’annonce officielle de la sortie d’une version next-gen du monstre Grand Theft Auto V a eu lieu pendant la conférence Sony de l’E3 2014. Bien qu’attendue par l’industrie, le choc des conditions de l’annonce fut tel que l’hypothèse d’une exclusivité PS4 de GTAV a même fait tourner à vide les médias quelques heures avant que Rockstar ne confirme une sortie simultanée sur Xbox One et PC. Rockstar n’ayant pas pour habitude de surexploiter ses productions singulières couvées pendant des années, la réédition en super HD de GTAV ne peut qu’être respectueuse de la gigantesque communauté de fans de la série. Mais avec plus de 35 millions d’exemplaires du jeu vendus sur Xbox 360 et PS3, cette édition de luxe conduit forcément à une évidence : elle visera un grand pourcentage de gamers ayant déjà acheté le jeu sur last-gen. Les conditions tarifaires pour passer à la version next-gen de GTAV ne sont pas encore officialisées (versions PS4 et Xbox One affichées à ce jour plein tarif à 60 €) mais en revanche Rockstar a confirmé que les sauvegardes PS3 et Xbox 360 (progression du jeu principal et multi) seront transférables sur PC, PS4 et Xbox One. Pour obtenir totalement le respect des joueurs-consommateurs prêts à jouer le jeu, les « remasterisations » pourraient commencer en effet par là.

À lire, 1ère partie…
Le business des remastérisations next-gen : racket ou réhabilitation artistique ? 1/2


Remasterisations next-gen : le tsunami opportuniste

En 2014, face à un calendrier frugal de jeux next-gen originaux et de nombreux reports à 2015, les rééditions dites remasterisées sur consoles next-gen ont pris la vedette. Blockbusters et jeux indés réédités se succèdent pour combler le vide et faire valoir les nouvelles consoles. *

Déjà sortis…

  • Tomb Raider : Definitive Edition
  • Dead Nation : Apocalypse Edition
  • flOw
  • Flower
  • Fez
  • PixelJunk Shooter Ultimate
  • Another World 20e anniversaire
  • Guacamelee! Super Turbo Championship Edition
  • Oddworld : New ’n’ Tasty
  • The Last of Us Remastered

Prochainement…

  • Metro Redux
  • Halo : The Master Chief Collection
  • Minecraft
  • Grand Theft Auto V
  • Grim Fandango HD
  • Resident Evil
  • Sleeping Dogs

Rumeurs…

  • Beyond Two Souls Director’s Cut
  • The Unfinished Swan
  • Mass Effect Trilogy
  • Call of Duty : Modern Warfare Collection
  • Journey

* Liste non exhaustive, des annonces tombent chaque semaine


François Bliss de la Boissière

(Publié en sept-oct 2014 dans le bimestriel Games)

 


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Le business des remastérisations next-gen : racket ou réhabilitation artistique ? 1/2

Le nombre de rééditions de prestige avec comme premier prétexte un rehaut technique s’allonge chaque jour et mélange dans le grand fourre-tout du jeu vidéo : blockbusters sur disques et jeux indés haut de gamme à télécharger. Pour qui et pourquoi faire ?

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The Last of Us, Halo, Grand Theft Auto V, Metro : Last Light, et même Zelda : The Wind Waker sur Wii U… les rééditions hier occasionnelles sur PS3 et Xbox 360 virent au phénomène de masse sur consoles next-gen. Alors qu’un tel procédé éditorial propice à controverses (revendre un produit déjà commercialisé, risque d’altération tactile et plastique du projet original) pourrait se contenter comme ces dernières années sur PS3, Xbox 360, PS Vita, d’un calendrier de rééditions anecdotiques (date anniversaire d’un jeu célèbre ou injustement oublié, accompagnement d’un nouveau titre d’une série, compilation…), l’afflux inédit à cette échelle de rééditions en mode « haut de gamme » sur consoles PS4 et, dans une moindre mesure, Xbox One, dans la toute première année de leur existence, soulève quelques questions. Le jeu vidéo entretient-il tout seul son histoire culturelle ou exploite-t-il sans scrupule commercial son catalogue ? La réponse, forcément, ne s’affichera pas plus clairement en 60i/s et 1080p.

Business is business

En 5 ou 6 ans (entre les sorties du premier iPhone, 2007, et du premier iPad, 2010, déclencheurs à deux déflagrations du big bang des jeux dématérialisés et indépendants), l’industrie du jeu vidéo a basculé d’une culture volatile attachée à des supports technologiques physiques voués à disparaître régulièrement, vers une culture dématérialisée durable puisque se propageant de manière virale d’une génération de matériel à une autre sans plus vraiment de limites ou de frontières physiques. La crainte de voir disparaître un jeu vidéo avec son support physique d’origine n’existe presque plus. Même le plus obscur des jeux devient susceptible d’une renaissance sur un support ou un autre. Le business des rééditions HD sur PS3 et Xbox 360 (voire sur iPhone et iPad) de jeux PSOne, PS2 et Xbox a été entrepris et entretenu avec un bonheur inégal d’abord et surtout par les éditeurs japonais soucieux de capitaliser sur leurs licences historiques en perte de vitesse. Dans ce prolongement logique d’exploitation, Square Enix a été le premier à commercialiser une réédition améliorée du reboot de Tomb Raider sur la nouvelle génération de consoles quelques mois seulement après sa sortie. Entérinant une résurrection technique et artistique inattendue de Lara Croft, la bonne réception critique et commerciale de la réédition rapide sur PS4 et Xbox One du reboot Tomb Raider aura donc ouvert grand la voie aux rééditions de productions… occidentales ! Car toujours empêtrés dans leur décalage culturel et technologique, les japonais continuent de rééditer leurs productions last-last-gen sur last-gen laissant seul Capcom annoncer tristement un énième remake de Resident Evil sur toutes les consoles, y compris PS4 et Xbox One.

Logique d’exploitation

Le phénomène des « remasterisations » dérive de plusieurs facteurs techno-économiques mais aussi culturels plus ou moins contrôlés. Pour la première fois depuis longtemps, une nouvelle génération de consoles ne propose pas de rétro compatibilité avec les jeux de la génération précédente. Un manquement culturel fondamental de la PS4 et de la Xbox One que les constructeurs justifient avec des arguments techniques et commerciaux spécieux (économiser le coût de fabrication des nouvelles consoles aux technologies si « avant-gardistes »). Le peu de remous populaire devant cette carence technique confirme peut-être un désintérêt avéré pour une rétro compatibilité hier symbolique réclamée à grands cris à défaut d’être totalement vitale. Il y a quelques années, un responsable Microsoft avait déclaré, presque dépité, qu’un très faible pourcentage de joueurs Xbox 360 relançait des jeux Xbox sur une Xbox 360 pourtant rétro compatible. La vague de rééditions dites HD pour des jeux en théorie déjà HD, « remasterisés » sonne alors mieux, dès la première année de la PS4 et de la Xbox One mais si elle laisse pourtant trainer quelques soupçons. À quel point la suppression de la rétro compatibilité n’est pas d’abord l’instrumentalisation de nouvelles formes de commercialisation ? Avec peine Sony essaie par exemple déjà de faire exister sous abonnement prohibitif un procédé de pratique en streaming de jeux du catalogue PS1, PS2 et même PS3 (PlayStation Now, en expérimentation seulement aux USA). Et la prolifération de rééditions si tôt dans le cycle de nouvelles consoles laisse entendre qu’une clientèle existe. Il faudrait aujourd’hui alors demander au courageux Nintendo encore attaché à ce « vieux » concept de rétrocompatibilité combien de joueurs lancent des jeux Wii sur Wii U.

Jargon technico-commercial discutable

Le techno mantra supposé transformer chaque réédition en célébration high-tech se livre sous une formule en forme d’équation à vocation magique : 60 i/s et 1080p enfin réunis sans faillir sur l’autel des nouvelles consoles, PlayStation 4 en tête. Même s’il faut rester vigilant devant cette hyperbole technologique croissante, l’escroquerie commerciale crainte n’a pas encore eu lieu en 2014. Les jeux plus ou moins indés concernés sont soit offerts aux abonnés PSN, et même parfois Xbox Live, soit accessibles contre une dime mesurée. Et les grosses productions arrivent dans des packaging qualité-quantité-prix honorables, si l’on fait l’impasse, bien entendu, sur le fait de l’avoir déjà acheté sur autres consoles. Bien que la ressortie d’une version améliorée d’un jeu populaire ou reconnu semble viser un public averti déjà conquis, qui sont les acheteurs réellement ciblés ? Josh Walker, Product Manager chez Sony Computer, avance une théorie selon laquelle la remasterisation de The Last of Us, par exemple, viserait un grand nombre de propriétaires de PS4 qui « n’auraient pas joué au jeu sur PS3 » (big brother is watching you gamer, ndr). Quel serait le profil de ces early adopters Sony/PS4 capables de rater le dernier grand jeu de la PS3 ? Peut-être et très probablement les switchers Xbox 360 revenus en masse dans le giron Sony grâce à la PS4. Pour les fidèles Sony venus en ligne droite de la PS3, pas de récompense cependant. Si Sony vend cette remasterisation un peu moins chère que le prix de vente initial du jeu PS3 (50 € aujourd’hui contre 70 € hier, DLC inclus) l’éditeur ne propose pas de réduction aux acheteurs de la version PS3. Si problème il y a vis à vis des rééditions de qualité et donc tentantes de blockbusters, c’est bien la politique tarifaire qui entretient l’idée qu’il est normal de racheter un produit déjà payé. Le système d’upgrade d’une poignée de jeux PS3 vers PS4 contre une dizaine d’euros proposé au lancement de la console de Sony avait pourtant montré le bon exemple.


Nintendo, le cas toujours à part

Sur Wii U, le remake du toujours magique Zelda : The Wind Waker de la GameCube a certes valeur d’exemplarité artistique mais s’inscrit dans une approche éditoriale exceptionnelle chez Nintendo. Les rééditions nombreuses d’anciens titres Nintendo sur DS, 3DS, Wii puis Wii U passent essentiellement par une émulation littérale des jeux d’époque, pour le pire comme pour le meilleur du témoignage historique. En réalité, même s’il cherche d’abord et surtout à combler le manque de sorties originales sur Wii U, The Wind Waker HD appartient, après les déjà lointains upgrades de Super Mario 64 sur DS puis de Ocarina of Time 3DS, aux pépites intemporelles que Nintendo décident de réhabiliter parcimonieusement de façon à être jouable aux normes techniques du jour. Assez d’indices conduisent à penser aujourd’hui que Majora’s Mask devrait à son tour subir un prochain lifting à la Ocarina sur 3DS.


Suite…

Le business des remastérisations next-gen : racket ou réhabilitation artistique ? 2/2

 François Bliss de la Boissière

(Publié en sept-oct 2014 dans le bimestriel Games)

 


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