C’est game, c’est show et c’est ce week-end à Paris

L’enseigne Micromania a ouvert son salon dans la Grande Halle de la Villette ce vendredi d’octobre 2009. Le show destiné au public permet de voir et toucher de nombreux jeux avant leur sortie.

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Le jeu Avatar, par exemple, plus agréable que prévu, y est jouable pour la première fois avec peut-être une vingtaine de bornes Xbox 360 et PS3 (en 2D et non en relief). Sur Wii, le joli A Boy and his Blob côtoie un Resident Evil : The Darkside Chronicles sur rail assez convaincant et l’énervé No More Heroes 2. L’intrigant Dark Void chez Capcom se laisse aussi essayer pour la première fois. En consommateur avisé, puisque tous les titres ne sont pas encore disponibles en démo sur les consoles, ce n’est pas idiot d’y faire un tour malgré le prix d’entrée trop élevé ce week-end *. Les quelques nouveautés par rapport au récent Festival du jeu vidéo de la Porte de Versailles peuvent éventuellement suffire comme prétexte.

Et puis il y a l’ambiance. Les animations, figurants costumés dans les allées, bateleurs de foire sur les podiums qui scandent le nom de la chaine de magasins comme si elle était hype, et les fumigènes qui raclent la gorge laisseront peut-être perplexes les joueurs habitués à jouer dans le confort ouaté de leur appartement. Rares sont les visiteurs solitaires justement. Venir à plusieurs semble le bon réflexe protecteur pour faire face à l’impact sensoriel. Même avec sa gracieuse petite amie comme on a pu l’observer. Malgré l’ambiance masculine, il y a assez de jeux musicaux ou kawaï en 2009 à côté des jeux d’affrontements pour intéresser tous les sexes. Et les âges puisque les enfants (gratuit pour les moins de 12 ans) sont de la partie et bien accueillis par des espaces identifiables. Quoi de plus réjouissant que de voir des père passionnés essayer coûte que coûte de faire piloter des bolides de Gran Turismo 5 ou de Forza 3 à leurs gamins de 4 ans qui ne demandent qu’à bien faire ? Voir le sourire d’une mère heureuse de laisser son ado de fils se faire photographier en train de sautiller sous la neige d’une boule de verre géante dans le décor hivernal de Sega.

Bruyante, vulgaire et racoleuse, notamment autour des jeux de foot et de catch, cette manifestation physique et collective de la passion du jeu vidéo a peut-être un autre intérêt que celui de jouer ou y voir des extraits en avant-première (Final Fantasy XIII, Darksiders, Splinter Cell Conviction…). La cacophonie des sons dont l’écho ne meurt jamais sous le magnifique plafond cathédrale de fer de cette Grande Halle, extirpe de soi le brouhaha du jeu vidéo emmagasiné habituellement, et à peu près, seul, à l’intérieur. Brusquement lâchée et collective, l’hystérie contenue du jeu vidéo à domicile en deviendrait presque cathartique en public.

François Bliss de la Boissière

 


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La Wii marque le pas, Nintendo en baisse et le jeu vidéo retient son souffle

Nintendo a annoncé une chute spectaculaire de ses revenus et de ventes de Wii sur le premier semestre 2009 et une révision à la baisse d’ici la fin de son année fiscale bouclant fin mars 2010. La baisse notable des ventes de Wii et DS entamée au premier trimestre est ainsi confirmée. Si le leader japonais du jeu vidéo titube, toute l’industrie doit-elle s’inquiéter ? Ce serait sans compter le premier capital de la firme modèle : la créativité et la capacité à relancer la machine à jouer et à rapporter de l’argent.

Wii

Les ventes de consoles Wii ont chuté de presque 50 % en un an. 5,75 millions vendues au premier semestre 2009 (mars à septembre) contre 10 millions au premier semestre 2008. Moins dramatique, la DS/DSi s’est écoulée à 11,70 millions contre 13,7 millions en 2008. Les bénéfices, en baisse comme les ventes (548 milliards de yens/4,06 milliards €, soit – 34,5 %), s’apprécient quand même à 69,5 milliards de yens (514 millions €) soit 52 % de moins que l’année précédente (144,8 milliards de yens/1,07 milliards €). Premières explications avancées par Nintendo : le cours élevé du yen, la réduction du prix de vente de la Wii et, comme le diagnostiquait déjà pour le premier trimestre le PDG de Nintendo France Stephan Bole, l’absence de jeux à très fort potentiel commercial par rapport à l’année dernière. En janvier dernier, crise économique en tête des causes, Nintendo avait déjà revu pour la première fois en cinq ans ses prévisions à la baisse pour l’année 2008 (-33 %) alors que ses ventes totales atteignaient mille milliards et 820 millions de yens (13,55 milliards €) au lieu de 2 mille milliards de yens (14,8 milliards €). Malgré cela, les consoles Wii et DS/DSi ont atteint en un temps record des ventes mondiales, elles aussi, records : 56,14 millions d’unités en trois ans pour l’une installée dans les foyers, 113,48 millions pour l’autre baladeuse en presque cinq ans.

Crainte de la rechute

Les quatre années de succès foudroyant Nintendo ayant laissé étourdis bien des acteurs de l’industrie du jeu vidéo, le déclin confirmé pour la deuxième fois de suite des ventes de consoles Wii et, dans une moindre mesure, DS, ne va pas manquer de réintroduire de l’anxiété dans le secteur. L’embellie, probablement éphémère, des PlayStation 3 et Xbox 360 vendues à bas prix d’ici Noël ne peut suffire à rassurer une industrie évoluant en grande partie ces dernières années dans l’ombre blanche du succès des consoles tout public de Nintendo. Il n’y a qu’à voir : la relance envisagée en 2010 des deux consoles Sony et Microsoft se fera en adoptant des interfaces à reconnaissance dans l’espace déclinant le principe de la Wiimote de Nintendo. La chute radicale des ventes de Wii veut-elle dire que le concept n’a finalement pas de viabilité sur la durée ? Qu’après un élan de curiosité et un élargissement doux vers un nouveau public, l’intérêt se tasserait déjà ? Après deux années de succès stratosphérique – il faut se rappeler que la demande de consoles Wii a excédé les quantités livrées pendant cette période – le président de Nintendo, Saturo Iwata, a entériné la stagnation des ventes de consoles Wii en blâmant d’abord l’incapacité de son entreprise à proposer de nouveaux jeux marquants « qu’il faut absolument avoir ». « Une fois l’élan perdu (le momentum), cela prend du temps de se remettre » aurait-il reconnu, « la baisse de prix de la Wii va permettre aux ventes de retrouver un certain rythme mais pas assez pour rattraper le niveau de l’année dernière. » Nintendo prévoit ainsi de vendre 20 millions de Wii au lieu de 26 millions sur son année fiscale. Une quantité, signalons-le, encore largement impressionnante que la concurrence aimerait bien atteindre (24 millions en 3 ans pour la PS3, un peu plus de 30 millions en 4 ans pour la Xbox 360).

Trauma center

Tout populaire soit-il de nos jours, le jeu vidéo garde au fond de lui le trauma du crash légendaire de l’industrie interactive naissante au début des années 80. Atari, Mattel Intellivision, 3DO, Sega (alors 2e fabriquant de consoles), Acclaim, Infogrames… l’hécatombe entrepreneuriale de l’industrie pourtant fleurissante du jeu vidéo n’a guère d’équivalents. La renaissance puis la consolidation de cette culture en parallèle à son organisation économique est alors venue du Japon. Plus précisément de Nintendo et de ses consoles Famicom, SuperFamicom et GameBoy. Dans les années 2000, presque bouté hors jeu par les PlayStation 1 et 2, Nintendo encore a redynamisé le marché en l’obligeant à réévaluer, avec la DS et la Wii – console low-tech comparé aux PS3 et Xbox360 -, la fuite en avant technologique. Ce Nintendo exemplaire, énorme machine créative capable de se remettre en question, d’innover et de générer, comme Apple, de nouveaux marchés, a atteint ce statut de monstre qu’on envie et que l’on hait tout autant. Une figure du père dont l’influence est impossible à ignorer et dont la moindre hésitation peut remettre en question toute la famille. Même si, comme le dit l’éditorial du dernier numéro de Edge (208, déc. 2009), Nintendo est presque devenu une industrie en soi, évoluant sur un autre plan que les autres sociétés.

Génération de surface

Actée de force, la popularité de la DS et de la Wii n’a pas été si bien expliquée sociologiquement. Les éditeurs ont suivi, ou plutôt, ont rattrapé tant bien que mal l’attelage Nintendo parti devant eux au galop. Jusqu’à finir par surcharger l’embarcation. Désormais majoritaire en longueur de linéaires, les rayonnages de jeux Wii et DS empilent une quantité déconcertante de jeux similaires, clonés, ou de logiciels ludo-éducatifs tout publics, c’est à dire visant autant de pseudos niches (les familles, les filles, les seniors,…) qu’un public de masse au hasard (les Sudoku, casse-briques, et autres jeux passe-temps…). « 13 jeux autour de la thématique des chevaux sur DS ou Wii à Noël 2008, pas étonnant qu’il y en ait qui reste sur le carreau » s’indigne le porte-parole des éditeurs de jeux vidéo en France Jean-Claude Larue. Saturé, le marché dit du « casual gaming » serait sur le point de s’effondrer sur lui-même ? Une tendance « Titanic » que la chute brutale des ventes de Wii confirmerait alors. La spirale ascendante vertueuse pourrait très bien se transformer en toupie infernale auto-destructrice.

Renouvellement anticipé

Evidemment, Nintendo n’a pas attendu ce dernier bilan public avant de prendre des mesures. L’immuable politique contre nature depuis trois ans consistant à ne vendre qu’un seul coloris de Wii, blanche, et à s’arc-bouter sur le prix de vente (250 €) qui jusque là ne nuisait pas au succès vient enfin de changer. La Wii coûte désormais 200 €, et une version noire, en quantité limitée, ouvre un peu les perspectives. La DS, devenue DS Light puis DSi se déclinera sous une nouvelle petite variation DSi LL ou XL avec un écran un peu plus grand au Japon avant la fin de l’année (1er trimestre en Europe à confirmer). Niée encore et toujours par Nintendo, une version HD de la Wii, apte au Blu-ray par exemple, compatible avec le catalogue de jeux actuels, reste la réponse et la pièce maîtresse que les analystes attendent fin 2010. Sans compter les jokers que la créative société japonaise peut sortir n’importe quand de son chapeau. En février dernier, Nintendo a fait l’acquisition d’un terrain à Kyoto où construire un nouveau centre de R&D (40 000 m2 et un investissement de 12,8 milliards de yens/94,8 millions €), le fer de lance de l’entreprise depuis les années 80.

L’important ce n’est pas la chute

D’un point de vue économique, il n’y aucune raison de s’inquiéter pour la santé financière de Nintendo qui reste une des entreprises les plus rentables du Japon. Même si cette chute stigmatise l’impact de la crise économique que l’industrie du jeu vidéo semblait pouvoir esquiver et, sans doute, le déclin culturellement plus dramatique de la scène japonaise du jeu vidéo confirmée publiquement par quelques créateurs au dernier Tokyo Game Show. Les jeux DS et Wii continuent de truster les charts. Selon le Financial Times, chacun des 3000 salariés des bureaux de Kyoto génère 1,6 millions de dollars (1 million €) de profit. Il est presque certain en revanche que les atermoiements de la Wii et de la DS vont se répercuter sur les éditeurs tiers et influencer leurs prochaines productions. L’insuccès chronique des jeux pour « adultes » sur la Wii (les pourtant bons No More Heroes, Mad World ou Dead Space Extraction…) va déjà avoir un impact sur les choix éditoriaux des uns et des autres. D’un point de vue culturel, depuis l’étonnant paradigme shift opéré par la Wii, Nintendo s’est installé dans une zone de confort, toujours créative mais plutôt hors jeux, où les core gamers ne l’ont pas suivi. Le succès des 7,9 millions de la planche de fitness Wi-Fit en étant devenu un des exemples les plus frappant. Dans ce contexte de lissage générationnel, même le retour des grands jeux Nintendo comme Mario et Zelda s’annonce comme de simples suites et non les réinventions techno-graphiques que la marque avait le scrupule d’entretenir jusque là. Zelda Spirit Tracks sur DS descend ouvertement de Phantom Hourglass, Super Mario Galaxy 2 assumé comme tel, un nouveau Zelda Wii dérivé de celui déjà trop tranquille de Twilight Princess, sans compter le rétro New Super Mario Bros. de Noël sur la Wii qui bégaie la version à succès de la DS de 2006. Le fléchissement des ventes va obliger le géant japonais rigidifié dans son succès à bouger. Et quand Nintendo bouge, en général, c’est toute l’industrie qui tremble. De plaisirs et de bénéfices partagés, ou de peur devant un futur qu’il va falloir à nouveau dessiner. À main levée sans doute cette fois encore.

François Bliss de la Boissière

(publié le 30 octobre 2009 sur Electron Libre)

 


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WII SPORTS RESORT : Vacances forcées

Fun Wii Sports Resort comme veulent nous le faire croire l’ambiance estivale et les couleurs primaires ? A condition d’aimer les ordres, les conseils techniques et l’exercice physique en guise de jeu vidéo. Les temps de chargement sont peut-être absents sur la Wii mais les listings de directives qui s’y substituent rendent l’exercice pénible avant d’être éventuellement amusant. À vos ordres ? Prêt ? Jouez…

Wii Sports Resort

Avec la génération DS/Wii Nintendo a réussi une autre mutation dans les rouages de l’industrie du jeu vidéo. Le succès des ventes d’un jeu s’étale et se vérifie sur plusieurs mois, voire plusieurs années, au lieu de se concentrer comme auparavant, et comme sur les autres plateformes concurrentes, dans les premiers jours. Il n’y a aucune raison de supposer que les ventes de Wii Sports Resort sorti cet été ne suivent pas la même courbe progressive que ses prédécesseurs Wii Play ou Wi Fit, qui contre tous les pronostics, se retrouvent désormais en tête des ventes de jeu sur 10 ans avec respectivement 11,1 millions d’exemplaires pour l’un et 7,9 millions pour l’autre simplement aux États-Unis et devant les 8,25 millions de GTA : Sans Andreas de la PlayStation 2. Fort de ces chiffres et de cette évolution tout à fait souhaitable des ventes, Miyamoto a lui même confié récemment que Nintendo s’attend à ce que le prochain New Super Mario Bros. sur Wii continue de se vendre en 2010 jusqu’à atteindre les 10 millions d’exemplaires aux côtés de Wii Fit Plus et de Wii Sports Resort. Avantage pour la critique, il n’est plus jamais trop tard pour faire la critique d’un jeu Nintendo. CQFD.

Paradoxes

Ce serait évidemment faire preuve de mauvaise grâce que de critiquer Wii Sports Resort pour ce qu’il n’est pas. Pourtant au-delà du fun indéniable des 12 épreuves, dont seulement 9 inédites (le tennis de table existe sur Wii Play), il faut bien dénoncer quelques paradoxes. Le premier qui saute aux yeux et aux mains vient de la nouvelle extension Wii Motion Plus à ajouter à la Wiimote. Celle qui, justement, transforme en vedette le jeu et doit ouvrir la Wii, brusquement 1.5, à une nouvelle génération de jeux, plus précis, plus fidèles aux mouvements de la main. Passons sur le (re)sentiment qui laisse l’impression de s’être fait manipuler par les pseudos vertus de reconnaissance des mouvements de la Wiimote de base. Le directeur de Nintendo France Stephan Bole assume totalement l’upgrade technologique dans un secteur en constante mutation : « L’évolution de notre technologie de reconnaissance de mouvements n’était pas disponible il y a 3 ans lors du lancement de la Wii », affirme-t-il.

Upgrade/downgrade

De fait, l’amélioration s’apprécie difficilement. Chaque épreuve pose ses propres difficultés de manipulation et, en plein effort, il faut une capacité d’attention assez hors norme pour pouvoir dissocier les nuances de contrôles qui appartiendraient à l’adjuvant plutôt qu’à la Wiimote toute nue. C’est sans doute pourquoi Nintendo a eu l’idée maligne d’inclure le Bowling et le Golf du premier Wii Sports où la comparaison peut se faire sur des bases concrètes de manipulation. En effet, il devient possible d’y créer de nombreux effets gestuels impossibles auparavant. Mais qui dit effets, dit davantage de prises de risque du joueur et l’augmentation de précision demande une dextérité de jeu elle aussi supérieure. Bref, cela paraît moins simple et plus difficile.
Cette prise en mains plus ardue, quel que soit le jeu d’ailleurs, se vit de manière d’autant plus hard qu’elle nécessite un véritable investissement physique dans la foulée sportive du nouveau et systématique crédo fitness de Nintendo.

Fais pas ci, fais pas ça

Le suffixe Resorts n’est pas usurpé s’il s’agit d’y entendre un camp de vacances sportives. Un camp d’entrainement intensif plutôt qu’un séjour de loisirs parce que, des modes d’emploi des épreuves aux ajustements constants de réglages de la Wiimote équipée du Wii Motion Plus, il faut sans arrêt lire et faire ce que le jeu vous dit. Il rejoint d’une manière beaucoup plus flagrante que son prédécesseur les Cérébrales Académies et Wii Fit qui passent leur temps à donner des directives. Avec une suffisance pédagogique lourde et redondante même quand elle n’est pas écrite en toute lettre : « Faites ce que je vous dis et vous vous porterez mieux ». Que des jeux si directifs connaissent un tel succès public laisse songeur sur la manière dont le-dit public, le peuple, les gens, nos contemporains, envisagent vacances et loisirs. Jusqu’à nouvel ordre, les vacances se résument d’abord à un décrochage des carcans de la vie quotidienne, comme l’explique fort bien le spécialiste de l’histoire contemporaine Christophe Granger dans son livre Les corps d’été. Retomber dans un environnement surchargé de règles, de directives et d’impositions et de compétitions relèvent d’une autre aspiration, d’un autre besoin que celui, original, du petit goût de la liberté recouvrée.

Wii doute plus

L’intrusion permanente de conseils et, surtout, de conditions techniques à respecter pour que le Wii Motion Plus « fonctionne » (poser la Wiimote sur table face à plat, pointer vers l’écran pour valider ses coordonnées, les conseils réguliers de calibration « si la télécommande ne fonctionne pas correctement »…) transforment Wii Sports Resort avant tout en exercice de soumission, voire d’asservissement. Et laisse comprendre que les conditions de fonctionnement du Wii Motion Plus sont bien instables. Le jeu vidéo évidemment fonctionne depuis toujours à partir d’innombrables règles et conventions. Jusqu’à la Wii, Nintendo a toujours eu la grâce et la volonté de faire passer ses règles de jeu dans le flux du spectacle interactif proprement dit. L’apprentissage d’un Mario ou d’un Zelda ou même d’un Mario Kart, se fait en jouant, dans le geste du jeu (les Pilot Wings déroulaient certes pas mal de règles préambules). Depuis le succès de la série des Wario Ware et ses challenges éclairs liés à un ordre à saisir, Nintendo semble avoir réalisé que le public, notamment celui qui ne joue pas parce qu’il ne comprend ni les enjeux ni les manipulations, non seulement était prêt à tolérer des règles plus explicitement émises mais à les privilégier. Le retour bienvenue au B.A.-Ba du jeu vidéo entrepris depuis par la DS et la Wii pour rallier et éduquer une nouvelle génération de joueurs de tous horizons a muté, au fil des succès, en une succession de leçons de choses, tantôt généralement comportementales, tantôt simplement didactiques. Il y a peu, un jeu multipliant les conseils et règles en début de partie était voué à l’échec. Aujourd’hui, sur consoles NIntendo, en parallèle à la concrétisation sommaire de leurs manipulations à travers des accessoires explicites, les règles cachées du jeu vidéo ont fait surface là où les meilleurs jeux les dissimulaient et les distillaient dans le cours de l’action. Un académisme cérébral a remplacé l’intelligence de l’instinct du jeu.

Jouer à un jeu Nintendo implique désormais un retour à l’école permanente. Dans le cadre d’un jeu d’été, destiné à traverser les saisons, Wii Sports Resort fait plutôt office d’université d’été. Si distractions il y a derrière ses épreuves éminemment physiques (Canoë-kayak Wakeboard, Sabre et épuisant Motomarine en tête), qui ira les confondre avec des vacances, ou même des loisirs ?

François Bliss de la Boissière

 


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Sony achève le format UMD avec la PSPgo

Comme en politique, paroles et gestes industriels ne suivent pas la même trajectoire. 53 millions de PSP en circulation oblige, Sony le niera jusqu’au bout. Pourtant, en sortant un nouveau modèle de PlayStation Portable sans lecteur de disque optique, la société japonaise signe elle-même l’arrêt de mort du format UMD « révolutionnaire » lancé en 2004. Chronique d’une mort annoncée par tout le monde sauf le premier intéressé.

UMD

Avec la sortie du modèle PSPgo abandonnant le lecteur d’UMD au profit exclusif d’une mémoire flash de 16 Go, la nouvelle PlayStation Portable signe officieusement la mort du format UMD. Une euthanasie encore seulement officieuse parce que, soucieux tout de même de ménager les 53 millions de propriétaires de PSP équipées d’un lecteur UMD (2,5 millions en France), Sony Computer le réfute franchement et continuera d’ailleurs vaillamment à entretenir le support en sortant les jeux à la fois sous forme dématérialisée pour la PSPgo et sur UMD pour les anciens modèles de PSP. C’est actuellement le cas des deux jeux importants que sont les versions portables des séries Gran Turismo et MotorStorm (Arctic Edge) ou du FIFA 10 d’Electronic Arts disponibles au lancement de la Go. Jusqu’au 10 octobre Gran Turismo est ainsi offert en téléchargement aux premiers acheteurs de PSPgo.

Le « Walkman du XXIe siècle »

Inventés à usage exclusif de la PlayStation Portable sortie fin 2004 au Japon, les petits disques optiques Sony baptisés UMD (Universal Media Disc) n’ont jamais rencontré le succès attendu. On se souvient pourtant d’une fameuse conférence à Los Angeles en 2003 où Sony Computer, péremptoire, introduisait sa PlayStation Portable en « Walkman du XXIe siècle ». Le petit CD UMD encapsulé dans un cache transparent protecteur sorti d’un geste triomphant de la poche de Ken Kutaragi – grand manitou de la marque PlayStation depuis tombé en disgrâce – avait fait sensation. Sur le moment, les perspectives de développement parurent positives. D’abord parce que la marque Sony PlayStation avait encore un capital de confiance, d’innovation et de satisfaction au beau fixe dans l’industrie du jeu vidéo. Ensuite parce que Sony tentait de refaire le coup de sa console de salon PlayStation dont le format CD-Rom avait signé la fin du règne des cartouches de jeux Nintendo et Sega des années 80 et 90. La PSP, ses capacité graphiques 3D et ses disques UMD devaient donc supplanter le business modèle à base de cartouches des indétrônables Game Boy de Nintendo et faire barrage au projet de console DS. 100 millions et plus de DS/DSi vendues pour « seulement » 53 millions de PlayStation Portable, l’alternance de leadership n’a finalement pas eu lieu et Nintendo continue de dominer aujourd’hui le marché du jeu portable.

Guerres nomades

Les jeux DS font encore l’événement là où les productions PSP passent souvent inaperçues à l’exception de quelques épisodes de Monster Hunters (Capcom) devenus phénomènes alternatifs aux Pokémon de Nintendo au Japon. La version mobile originale de la si lucrative série PlayStation Grand Theft Auto (Chinatown Wars) est ainsi sortie d’abord en exclusivité sur DS au mois de mars. À peine une version PSP évoquée pour le 23 octobre, une adaptation iPhone/iPod Touch retrouvant une interface tactile lui vole la vedette. Pire, la PSP, avec la DSi de Nintendo, est en train de se faire rattraper par l’éco système de l’Apple Store qui a transformé en quelques mois seulement l’iPhone et l’iPod Touch en véritables plateformes de jeux mobiles. La PSPgo à laquelle il manque quand même un écran tactile, se veut ainsi sans doute une forme de contrefeu à cette montée en puissance. Connectable par tous les moyens du jour avec ou sans fil, directement à Internet ou via sa grande sœur PlayStation 3, la PSPgo se dote d’un service de jeux à petits prix téléchargeables, baptisés sans grande imagination « Minis » (10 jeux disponibles seulement au lancement sur le PS Store, 3 à 5 euros l’unité). Encore aujourd’hui, officiellement, le modèle historique de jeux de grosse capacité et susceptible d’être vendus sur disque UMD continu d’exister. Mais la courbe de croissance des ventes de jeux de l’AppStore comme le développement déjà bien avancé de minis jeux à télécharger sur le DSiware de la portable Nintendo ne laissent que peu d’espace à ce genre de productions vendues entre 30 et 40 euros. À moins que Sony et les éditeurs tiers soient capables de garder la même ambition de production tout en abaissant radicalement le prix d’achat (l’économie des versions dématérialisées pourraient le permettre), il est à prévoir que la majorité des productions de jeux portables PSP rejoigne cette nouvelle génération de mini jeux tout public.

Largage hollywoodien

Embarquée de force par Sony dans l’aventure, l’industrie du cinéma a quitté l’embarcation mobile PSP peu à peu au fil des maigres années sans même le déclarer. Garant de la viabilité de la PSP en lecteur portable de films, le blockbuster Spider-Man était offert aux premiers acheteurs de PSP. Plusieurs centaines de films et programmes vidéo en provenance des plus gros représentants du cinéma ont été édités sur UMD. Très vite cependant, les studios hollywoodiens n’ont pas réussi à se créer un marché avec ce support mobile doublonnant, à un prix bien trop élevé, celui du DVD et se faisant dépasser en efficacité et réactivité, comme souvent, par les initiatives pirates exploitant bien plus efficacement les Memory Sticks de la PSP. Dorénavant, sur le marché américain encore un peu en avance sur l’européen, les versions mobiles des films sont offertes avec certains DVD et de plus en plus de Blu-rays. Une nouvelle petite jungle d’incompatibilités se met d’ailleurs en place sans grand décryptage public. Les versions « digitales » des films Sony Pictures incluses sur Blu-ray sont ainsi exploitables, après manipulation sur ordinateur, uniquement sur PSP quand ceux d’autres éditeurs, tel Warner, sont théoriquement transférables sur PSP et iPhone (ça marche). Prochainement, les versions digitales des films Sony se transfèreront directement vers la PlayStation Portable à partir du disque Blu-ray inséré dans la PlayStation 3. Les autres éditeurs suivront peut-être.

Handicaps techniques

Pour une initiative attendue – la disparition du lecteur UMD – la nouvelle itération de PlayStation Portable cumule encore des handicaps. L’autonomie de la batterie ne semble guère supérieure selon les premiers tests et, surtout, le prix de vente calé à 250 €, soit 50 € de moins seulement que la Playstation Slim de salon, et 80 € de plus que le dernier modèle de PSP (« 3000 », vendu à 170 €) laisse stupéfait distribution et consommateurs. Sony multiplie les initiatives pour faire passer la pilule, notamment sur le terrain où des commerciaux présentent agressivement dans certains magasins le produit et ses offres réduisant le prix d’entrée. Et 5 jours après les débuts de la commercialisation, Sony Computer affirme que les ventes correspondent aux prévisions, sans donner aucun chiffre. Outre le boycott annoncé de quelques revendeurs hollandais et australiens, la grogne de la distribution se manifeste concrètement en Angleterre où 3 revendeurs au moins, de plein pied ou en ligne (Amazon, HMV et Game), ont pris l’initiative de baisser le tarif de 25 livres sterling pour afficher la PSPgo à 199,99 livres (217 euros). Le responsable de la chaine de magasins indépendants de jeux vidéo (Chips, 30 magasins en Grande-Bretagne) n’hésite pas à prévoir un échec à « 99,9 % ».. Autre entaille à une éventuelle conversion PSP vers PSPgo des « early adopters », l’échange gratuit des jeux UMD en versions dématérialisées un moment envisagé n’aura finalement pas lieu, selon Sony, pour « des raisons légales et techniques ». Seule compensation, sous inscription, un nouvel acheteur européen peut théoriquement récupérer gratuitement 3 jeux en téléchargement.

UMD, condamné depuis ses débuts

À titre d’expérience empirique, depuis sa naissance jusqu’à aujourd’hui, l’UMD n’a jamais réussi à résoudre de lourds problèmes technologiques. Le prestigieux Gran Turismo sorti le 1er octobre après 5 années de production, se révèle une impasse sur support UMD au même titre que la grande majorité des jeux PSP. Gran Turismo a beau avoir fait l’effort, très critiqué du côté gamers, d’avoir simplifié sa structure – comme il se doit avec un jeu « mobile » – pour donner rapidement et facilement accès à des courses, les délais d’attentes entre chaque menu, chaque option, chaque début et fin de courses restent insupportables, voire rédhibitoires dans le contexte d’un jeu à « grignoter » pendant ses déplacements. Il reste à supposer que la version dématérialisée du même jeu renoue avec une optimisation du temps, et donc du plaisir, revendiqué depuis toujours avec logique par le jeu nomade made in Nintendo et maintenant l’iPhone/iPod Touch.
Ce n’est pas la première fois bien sûr que Sony échoue à faire adopter un nouveau format de disque. Pour des raisons qui lui sont propres, l’UMD rejoint les expériences du MiniDisc (lancé en 1992) ou du SACD (Super Audio CD lancé avec Philips en 1999) sans jamais atteindre, en revanche, le moindre capital de sympathie. Contrairement au SACD encore apprécié par les audiophiles, l’UMD ne sera pas regretté. Mieux, pour les utilisateurs les plus courageux s’obligeant depuis 5 ans à subir ses contraintes, sa disparition ne peut être qu’un soulagement.

François Bliss de la Boissière

(publié le 8 octobre 2009 sur Electron Libre)

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À l’Assassin ! Ubisoft joue à faire du cinéma

Au moment où la version cinématographique de World of Warcraft rejoint la longue liste des adaptations calamiteuses de jeux vidéo en films. Au moment où, pour à nouveau tenter d’y croire, les regards se tournent désormais vers la version Hollywoodienne de Assassin’s Creed avec les géants Michael Fassbender, Mario Cotillard et Jéremy Irons. Au moment où l’on parle déjà d’une adaptation de The Division en film avec Jake Gyllenhaal dans le rôle principal. En se souvenant que le même Jake Gyllenhaal a joué bien malgré lui dans le sans queue ni tête film Prince of Persia.  En se rappelant que Ubisoft a coûte que coûte des ambitions de cinéma, apparemment aujourd’hui avec Hollywood mais, comme le rappelle cet article de 2009, en s’y essayant par lui-même. En n’oubliant pas que le groupe multimédia Vivendi est aux portes d’Ubisoft après avoir englouti sans ménagement le cousin Gameloft… On relira cet article de 2009 au moment où, caméras et studios numériques au poing, Ubisoft s’auto déclarait apte à faire du cinéma… 

Article écrit et publié en 2009…

En présentant une série de courts métrage réalisés en interne pour faire la promotion de son jeu vidéo Assassin’s Creed, l’éditeur Ubisoft annonce sans prudence faire du cinéma, comme si la maîtrise des outils technologiques donnait le savoir-faire. Hélas, jouer à faire du cinéma ce n’est pas encore être du cinéma…

Éditeur et développeur franco-international de jeux vidéo à succès, Ubisoft a présenté, dans une salle de cinéma des Champs-Élysées, le premier épisode d’un court métrage à l’enseigne de son prochain jeu vidéo Assassin’s Creed 2. L’événement, annoncé comme tel, vient du fait qu’Ubisoft a conçu l’intégralité de cette mini fiction en interne dans ses studios de Montréal. Premier d’une série de trois, le petit métrage de 12’ sous-titré « Lineage » et projeté exceptionnellement sur grand écran pour la presse sera diffusé sur YouTube à partir du 27 octobre et sur la chaine NRJ12 le 12 novembre. Le PDG d’Ubisoft, Yves Guillemot en personne, est venu expliqué sur scène les nouveaux enjeux pour la société qu’il a fondé en 1986 avec sa fratrie. « Le jeu vidéo fait son cinéma » prévient l’écran d’accueil de la projection. Et, en effet, Ubisoft fait tout pour. Quitte à s’y croire un peu trop.

Ubisoft flirte avec les auteurs d’Hollywood

Partenaire déjà singulier du cinéma depuis plusieurs années, Ubisoft privilégie la collaboration avec des cinéastes haut de gamme l’adaptation interactive de leurs films (l’exceptionnellement réussi King Kong de Peter Jackson, le prochain Avatar de James Cameron, les Tintin de Spielberg et Jackson). Une approche auteuriste d’Hollywood tout à fait réjouissante même si le résultat n’atteindra pas toujours l’ambition. Des partenariats et une promiscuité avec la Mecque du cinéma qui ont fini par déteindre sur l’éditeur de jeux vidéo devenu aspirant à faire du cinéma au point d’adopter une véritable politique d’édition. L’assemblage de l’entité Ubisoft Digital Arts (UDA) en 2007 à Montréal avait révélé l’ambition de créer des films en images de synthèse. Sous-entendu, sans faire appel à des structures extérieures spécialisées d’Hollywood dont on imagine le prix exorbitant des services. Ubisoft avait par exemple recruté le cinéaste français surdoué Florent Emilio Siri (Nid de Guêpes) en 2002 pour créer les cinématiques d’un épisode de sa série de jeu d’espionnage-action Splinter Cell, sans renouveler l’expérience. En 2008 Ubisoft a fait l’acquisition d’Hybride Technologies, un studio canadien de post production audiovisuel et d’effets spéciaux numériques âgé de 17 ans spécialisé en motion capture pour le cinéma (300, Sin City, le récent WhiteOut et le prochain Avatar de Cameron…). Réalisés en 15 jours par 190 personnes, les trois courts métrages Assassin’s Creed Lineage (38’ en tout) ont été conçus entièrement sur fond vert avec, différence notable des cinématiques de jeux vidéo : 21 acteurs utilisés en chair et en os à l’écran. Peaufinés, les décors de synthèse proviennent de ceux conçus pour le jeu vidéo à sortir en novembre prochain.

FMV, ou le spectre du mauvais cinéma

Techniquement, le court métrage qui utilise des technologies mixtes liées au jeu vidéo lui-même et aux méthodes cinématographiques de motion capture et d’assemblage de décors numériques autour des acteurs, n’appelle pas de remarque particulière. L’intégration visuelle fonctionne relativement bien et peut donner le change sur YouTube. En revanche, mouvements et placements de caméra, jeu non existant des comédiens, dialogués ou même dans le silence des regards, dialogues et enchainements des situations ne sauraient passer pour du « cinéma ». L’ensemble mime de loin le langage cinématographique sans en trouver la substance. Un voisin de projection dit tout haut ce que pensent les spectateurs les plus aguerris, « où est l’avancée depuis l’insertion d’acteurs réels dans les décors photoréalistes des jeux Myst des années 90 ? » ou le Full Motion Vidéo (FMV) désuet d’un Phantasmagoria ? Dans les mouvements de caméras impossibles à l’époque, les décors en 3D et… c’est à peu près tout. Le comble : l’absence de toute épaisseur humaine ou psychologique malgré la présence en chair et en os des acteurs, la platitude des chorégraphies des combats à l’épée, vedettes dans le jeu vidéo, sans envergure dans le court métrage. Si ce n’est du cinéma, c’est donc son frère ?

L’ambition plurimédia

Jusqu’où veut aller Ubisoft ? Dans une auto interview enregistrée et fournie par l’éditeur, le PDG d’Ubisoft Montréal Yannis Mallat tente de décrire l’objectif : « Étendre nos marques de jeux vidéo et les développer sur des plateformes additionnelles pour fournir une expérience globale à un vaste public« . Le multimédia d’hier devient plurimédia. « L’expérience globale » veut ainsi dire : infiltrer tous les média susceptibles d’arriver aux yeux ou aux oreilles du public visé par le jeu vidéo en préparation. Ubisoft a ainsi lancé un pôle édition de BD (Les Deux Royaumes) qui prolongera en bandes dessinées les histoires de ses héros de jeux vidéo. Un projet d’accompagnement plurimédia comme il en existe déjà pour les films. La nouveauté sans doute ici c’est qu’Ubisoft veut s’impliquer et contrôler chacune des déclinaisons de ses franchises.

Promotion : du viral au grand jour

S’il s’agit d’économiser sur la création de contenus promotionnels complémentaires à ses jeux en créant en interne des courts métrages prolongeant l’imaginaire des jeux, pourquoi pas. Electronic Arts a eu une initiative identique en lançant un long métrage animé en direct-to-vidéo pour encadrer le lancement de sa nouvelle franchise Dead Space en 2008. Les cinématiques, voire les machinima, de plus en plus répandus, empruntent déjà cette voie souvent réussie entre court métrage, sketchs et promotion (voir les hilarantes saynètes promo des jeux BattleField : Bad Company, Facebreaker…). « Les joueurs apprécient de connaître l’histoire qui précède celle du jeu vidéo, de faire connaissance avec les personnages avant leur aventure interactive » lance Guillemot à son auditoire essayant de transformer cette observation en loi universelle. Dans le cadre des jeux ambitieux et scénarisés cela fait sens même si l’énorme succès des jeux Wii et DS à prise en mains rapides et sans contexte prouve plutôt un comportement de masse inverse. Mais si l’intention est de faire du cinéma pour de bon comme semble revendiquer le vocabulaire employé sans prudence par Ubisoft pour ce premier essai de court métrage, les réserves restent de mise.

Péché capital n°7

L’envie de cinéma du jeu vidéo ne date pas d’hier et bute sur les mêmes problèmes depuis le début. Les outils ne font pas le savoir faire. Les grands studios de jeux vidéo ont désormais sous la main l’équipement pour faire du cinéma virtuel. Pas tout à fait au même niveau qu’Hollywood pour des raisons de budget, mais pas très loin. Et cela n’a jamais transformé les cinématiques de jeux vidéo en vrai cinéma. Les plus réussies du marché dans les séries Grand Theft Auto et Uncharted ne le sont que dans le contexte du jeu vidéo. Interprétation convenable d’acteurs bien choisis et mise en scène respectant un minimum la grammaire cinématographique font la blague entre deux phases de jeux. Projetées en l’état sur grand écran, ces séquences révéleraient aussitôt leurs limites techniques, leurs maladresses de réalisation, leurs dialogues de série B, leurs thématiques sans épaisseur ou consistance, même pour des « films d’action » ou de « distraction ». Le marché du film américain déborde de sous productions cheaps, de direct-to-video alimentant les chaines de télévisions, de VOD, et ce qui reste de vidéoclubs. Les séquences dites cinématiques des jeux vidéo plafonnent à ce niveau. Et, calés entre cinématiques, théâtre de télévision ou sous-production vidéo, les courts métrages Assassin’s Creed aussi.

La fusion passe par la confusion

Demain peut-être le cinéma et le jeu vidéo ne feront qu’un. Le spectateur choisira au lancement son degré de participation, active ou passive. La démarche ouverte d’Ubisoft est sans doute précurseur. Hollywood s’aventure bien avec ses gros sabots sur le terrain du jeu vidéo, soit en adaptant maladroitement des jeux vidéo en film, soit en montant de toutes pièces des studios de jeux vidéo tel Warner Bros Interactive ou Disney Interactive. Que le jeu vidéo de son côté tente de contrôler ses créations jusqu’au grand écran est tout à fait légitime. D’autant plus que le cinéma n’a jusque là fait que de très mauvaises adaptations des jeux vidéo. Au jour d’aujourd’hui cependant, quand la fusion des médias entraine – avant de renaitre probablement sous une nouvelle forme – une confusion des genres, il apparaît nécessaire de s’attacher à repérer ce qui fonctionne ou pas, ce qui progresse ou pas, ce qui fait avancer l’Histoire ou pas. Dénoncer au plus tôt les discours enjoliveurs qui tentent de faire prendre des vessies pour des lanternes ne doit pas censurer la démarche mais encourager à persévérer sans aveuglement. La petite conférence de présentation d’Ubisoft utilise si souvent le mot « film » au sein d’une salle de cinéma pour décrire l’essai, que cela oblige à préciser, sans disqualifier l’initiative promotionnelle, qu’il ne s’agit pas de cinéma. Pas encore en tous cas.

Voir aussi…
Jeux et cinéma : la (con) fusion…

François Bliss de la Boissière

(Publié en octobre 2009 sur Electron Libre)

 


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