Portal : Still Alive

Plébiscité et récompensé lors de sa sortie au sein de la fausse compile The Orange Box en 2007, la commercialisation en version autonome sur Xbox Live de la pépite Portal est encore un évènement en 2008.

Portal

Exploitant de façon décalée et inédite l’univers d’Half-Life, y compris en adoptant la vue subjective d’un FPS, le pacifique Portal met entre les mains une sorte de canon capable d’ouvrir des portails interdimensionnels. Sans autre explication qu’un hilarant et très méticuleux tutorial scénarisé en forme de longue tragicomédie comme tout le jeu, le joueur franchit une série d’épreuves devant le conduire vers la sortie et un gâteau sans cesse promis en récompense. Réduit à une condition de rat de laboratoire, le candidat doit faire la preuve de son intelligence et de sa sagacité en progressant tranquillement sous les néons blancs et les vitres dépolis d’un laboratoire labyrinthique apparemment désert. Une incroyable voix de synthèse féminine alerte et commente les situations et le comportement du cobaye donnant, en creux, une épaisseur narrative inusitée à l’ensemble. Reprenant et exploitant jusqu’à ses limites conceptuelles le principe des portails vus d’abord dans le mésestimé Prey, il s’agit la plupart du temps de se rendre d’un point A à un point B en évitant rayons-laser ou puits d’acides. La progression de la difficulté est si intelligemment réglée que chacun des niveaux franchis provoque une satisfaction tout à fait unique. Pour faire bonne mesure, cette version téléchargeable sur Xbox 360 ajoute 14 salles de test inédites étirées en 26 épreuves.


Les plus…

  • Une véritable innovation de gameplay
  • L’intelligence des épreuves et de l’ambiance
  • La courbe de progression étudiée
  • La réalisation sans faille
  • Les temps de chargement accélérés
  • La cohérence du concept
  • Les commentaires audio des développeurs

Les moins…

  • On en veut plus, forcément
  • Les nouveaux niveaux un peu moins drôles et plus techniques

François Bliss de la Boissière

(Publié le 31 octobre 2008 sur Gameweb.fr)

 


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Quand les consoles « next-gen » se remaquillent

Comment dépoussiérer des consoles multimédia un jour baptisées « next gen » et pourtant déjà âgées de 3 ou 2 ans ? Comment donner l’illusion au consommateur que ces machines sont bel et bien encore en tête de la course technologique ? Après les façades interchangeables ou les coloris gadgets, les petites injections discrètes de Botox dans les menus, voici venir le temps des liftings en profondeur. Après les changements de robes voici les changements de visages. « Chéri, tu veux encore jouer avec moi ? » hurlent-elles en se remaquillant.

Consoles lifting

Depuis toujours, irrémédiablement accolé aux progrès fulgurants de l’informatique, le cycle de vie des consoles de jeux vidéo ne vaut guère plus que celui, éphémère, des insectes. Pour résister à cette implacable loi de l’évolution, les dernières consoles mettent toute leur énergie à durer en changeant de visage, non plus seulement extérieur mais intérieur. Ainsi, double première importante dans l’industrie interactive en cette fin d’année, la mise à jour mondiale le 19 novembre du logiciel interne de la Xbox 360 transforme radicalement l’interface familière. Avec le projet « Home » un peu plus tard, la PlayStation 3 à son tour offrira un tableau de commande alternatif où, à la manière de Second Life, l’avatar dessiné et habillé par l’utilisateur se promènera dans un environnement 3D, appartement ou maison, qu’il aura lui-même choisi et décoré pour lancer ses jeux ou ses films en DVD ou Blu-ray, rencontrera et devisera avec ses voisins du village global PlayStation.

Séduction féminine

Dans un mélange d’intelligence organisée et de séduction féminine, les consoles dernières générations présentent déjà à l’utilisateur une large gamme de services sous la forme la plus conviviale possible à l’écran. Le gentil tableau de vignettes des « chaînes » de la Wii réorganisable à volonté. Le système de sélection en croix des menus à icônes de la PlayStation 3 ou les onglets verticaux de la Xbox 360, toutes deux sur fonds colorés ou thématisés en fonction de ses goûts et passions… Des coquetteries cosmétiques habillant des fonctionnalités en ligne toujours plus sophistiquées qui ont néanmoins un coût. Pionnières dans la course à l’amélioration et à la sécurisation, les consoles réclament en effet d’être régulièrement mises à jour par Internet, comme les ordinateurs, la plupart des logiciels ou des mini ordinateurs portables tels les Smartphones ou l’iPhone. Des updates internes dignes d’une banale et souvent crispante maintenance informatique qui n’avaient jusqu’à aujourd’hui pas pour vocation d’être remarqués dans les consoles de jeux vidéo.

Toilettage

Cette fois, sur Xbox 360 le toilettage doit se voir, devient argument de vente, annoncer le nouveau départ d’une console « next-gen » déjà âgée de trois ans. Sur PS3, Home doit valider les promesses mirobolantes d’une console-ordinateur ouvrant enfin sur le 3e Monde déjà promis sur PlayStation 2 avec un clip signé David Lynch dans les années 2000.
Manette en main, la « Nouvelle Experience Xbox » donne l’impression d’avoir à faire à une autre console. Toute l’organisation et le défilement des menus, du design aux couleurs, annonce une renaissance. L’apparition d’avatars ludiques à créer facilement façons Mii en 3D de la Wii ajoute un peu de vie et d’humour dans l’écran. Plus polyvalente au quotidien encore que sa grosse concurrente, l’interface de la PlayStation 3 de son côté se modifie déjà régulièrement mais de manière moins forcée.

La nouvelle Life ?

Ainsi, avant l’arrivée de Home fin 2008 début 2009, rebaptisée Life with PlayStation, la fonction de calcul partagé Folding@home (la console participe discrètement sur Internet à la recherche contre les maladies graves) se dissimule derrière un impressionnant globe terrestre qui donne accès à la météo et à des news de villes et pays du monde entier.
Bien avant la mode tous azimuts des gadgets numériques et du Home cinéma, les consoles cherchent depuis les années 80 à avoir l’air sexy. Devenu culte, le design bicolore des premières consoles japonaises de Nintendo, par exemple, s’est fétichisé au point d’être reproduit régulièrement sur d’autres produits fac-similé. Jusqu’à récemment, les consoles n’avaient pas d’autres visages à présenter que leur carrosserie extérieure susceptible, au plus, de changer de coloris ou de façade.

Dans l’intimité

Désormais, à l’heure de la dématérialisation générale, aussi flatteuse soit-elle, une enveloppe ne suffit plus à appâter et, surtout, à entretenir une relation durable. Derrière leur taille de guêpe (Xbox 360), leur effacement modeste (Wii), ou les courbes laquées cachant avantageusement des rondeurs (PlayStation 3), les consoles devenues carrefour multimédia et familial veulent désormais séduire avec leur intimité. Ces cures de jeunesse transformeront-elles des consoles devenues chrysalides en nouveaux papillons de l’ère numérique ? Si le rechapage ne tient pas, un nouveau lifting sera toujours possible.

François Bliss de la Boissière

(Publié en 2008 dans Amusement #3)

 


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Screenanalysis : Apocalypses now (Resistance 2 / Fallout 3)

Depuis Space Invaders, la fin du monde reste un des grands clichés du jeu vidéo. Sauf que, d’années en années, la menace devient plus précise, l’invasion extra-terrestre et la déchéance de la civilisation mieux mises en scène.

Resistance-2

L’Amérique reste, peut-être pour quelques courtes années encore, le symbole du monde moderne, le pinacle de la civilisation. Si ce pays-continent là tombe, le reste du monde aussi nous disent Hollywood et l’industrie du jeu vidéo. L’invasion de la planète Terre et sa survie post-apocalyptique passent donc forcément par la destruction de l’American way of life. Et pour résumer en une image cette destruction d’un moment historique idéal, les artistes gèlent en ruines une Amérique d’après guerre ayant accouché d’un âge d’or décomplexé de la consommation et des loisirs : les fameux restaurants « Diner » pour Resistance 2, à gauche, la façade et l’enseigne d’un cinéma autre fois refuge des familles pour Fallout 3, à droite (1).

Fallout-3

Un monde déchu, aux robinets à abondance (pétrole, eau et sucreries) taris, confirmé par la présence d’une enseigne de station service désertée (2) et les voitures lourdes aux angles arrondis échouées à ses pieds (3), d’une borne à incendie oubliée (2) ou d’un marchand de glace devenu cendres (3). La place du cadre à hauteur d’homme regardant vers le ciel permet, évidemment, de voir la menace, les vaisseaux aliens pour l’un, les charognards pour l’autre (4), et place le témoin, futur participant, dans une position de vulnérabilité tout en l’informant de sa future position terre à terre dans le jeu (5). La menace, ne faisant que passer ou se deviner au loin, devient également, dans le monde du jeu vidéo, une sorte de promesse de péripéties à venir. La lumière blanche éblouissant le ciel annihile même la présence d’un seul nuage bouclier rassurant et, soleil levant ou couchant écrasant une partie du décor, incruste le danger dans l’atmosphère du monde (6). Diffuse avec un épicentre hors champ, elle suggère également un danger majeur éloigné, peut-être plus important encore, mais impactant déjà sur la scène. Même amochée, la petite partie visible de l’iceberg du monde des hommes en perdition que laissent deviner les deux images garde encore des couleurs, quitte à témoigner de la naïveté du vivant face à l’ampleur du désastre commencé (7). Décentrée par rapport au petit théâtre dramatique silencieux, discrète au point de signifiée son insuffisance, la résistance de l’homme face au péril global est pourtant représentée. L’énorme tour de verre à l’arrière plan équipée sans doute de canons de DCA de Resistance 2 et le mercenaire perché en hauteur avec une arme lourde de Fallout 3 semblent tous deux en mesure de faire face et de répliquer à l’ennemi (8). Mais penchée comme la Tour de Pise et en partie brisée, le building réquisitionné pour la défense, comme le prisonnier ou guetteur enfermé dans une cage suspendue dans le vide (9), laissent bien comprendre que la résistance à l’ennemi ne se fera pas sans sacrifices et pertes humaines.

  • Resistance 2 / Sony / PlayStation 3
  • Fallout 3 / Bethesda Softworks / PC, Xbox 360, PS3

François Bliss de la Boissière

(Publié en 2008 dans Amusement #3)

 


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Peter Molyneux, le grand fabulateur 2/3 : « Je ne veux plus que vous pensiez en terme de bien ou de mal »

Deuxième partie de mon interview de Peter Molyneux qui veut savoir si le joueur est cruel ou gentil, pur ou corrompu, comment vous tuez si vous tuez, et si tout le monde ment ? Non parce que Dieu lui-même nous « induit en erreur dans la Bible ». Plus tellement populaire Peter Molyneux, mais Populous for ever, et tellement inimitable…

Bliss : Je suis français, pardonnez ma prochaine question. Le premier Fable a été bien reçu mais a aussi eu des critiques précises. L’une d’entre elles concerne le tout début du jeu quand le jeune héros encore gamin surprend un couple adultère en train de s’embrasser derrière un mur. S’il dénonce le mari auprès de sa femme, cela est considéré comme une bonne action et il reçoit un peu d’argent. Comment la délation, sans parler de la violation de l’intimité, peut-elle être qualifiée de bonne action ou de morale ? Comment en êtes-vous arrivé à simplifier certains comportements dans le jeu pour mettre en scène le bien et le mal ?

Peter Molyneux : Dans de nombreux cas, il ne s’agit pas de bien ou de mal. Dans Fable 2 nous ne mesurons plus directement le bien ou le mal, mais combien vous êtes cruel ou gentil, pur ou corrompu, généreux ou vénal, combien vous êtes prêt à sacrifier. Parce que, comme vous le demandez, dénoncer à l’épouse était-ce bien ou mal dans Fable 1 ?

Bliss : Vous avez décidé à l’époque pour Fable 1. Y a-t-il eu beaucoup de débats sur ces questions de choix moraux ?…

Peter Molyneux : Nous avons décidé, oui, quelqu’un devait trancher. Et chacune des questions a fait l’objet d’un long débat. Vous pourriez dire que mentir est mal mais, ce que nous appelons en Angleterre un mensonge blanc (white lie) quand vous dites un petit mensonge, est-ce mal ? Après tout, Dieu lui-même induit plusieurs fois volontairement en erreur dans la Bible, et cela passe. Alors il y a un énorme débat philosophique sur le sujet. Et encore une fois on peut éventuellement dire que dénoncer une mauvaise action de quelqu’un auprès de quelqu’un d’autre peut être une bonne action mais peu corrompue. Il existe une graduation du bien et du mal dans Fable 2 : corrompu, pur, cruel ou gentil. Ce n’est pas juste bien ou mal.

Bliss : Vous avez quand même toujours ce concept à la portrait de Dorian Gray avec un héros dont le visage porte les stigmates de ses mauvaises actions ?

Peter Molyneux : Oui, mais avec l’idée que le chien, et la façon dont le monde lui-même vous traite va changer pour refléter ce que vous êtes. Je ne veux plus que vous pensiez en termes de bien ou de mal, il s’agit de vous en tant que personne unique. Je me suis rendu compte que les gens se sont trop obsédés, comme vous, sur le bien et le mal (depuis Dungeon Keeper et Black & White, Peter Molyneux a beaucoup insisté lui-même sur le concept, NDR), donc il y a beaucoup moins de ça et davantage de « soyez vous-même » et découvrez qui vous êtes. Si vous avez envie de tenter quelque chose en jouant à Fable 2, allez-y, expérimentez. Soyez créatif. Si vous voulez vraiment être diabolique, vous devez penser diabolique. Il ne s’agit pas juste de tuer les gens, mais où vous les tuez, comment vous les tuez, qui vous voit faire, ce qui s’est passé avec ceux qui se font tuer…

Bliss : Le jeu ne risque-t-il pas ainsi de conduire à des impasses, qu’un mauvais choix bloque l’histoire ?

Peter Molyneux : Puisque vous pouvez avoir un comportement tantôt mauvais, tantôt bon, puis mauvais à nouveau, cela implique que votre personnage peut changer. Si vous arrivez au bout d’une logique vous n’y êtes pas coincé. Si vous êtes devenu vraiment diabolique, vous pouvez redevenir bon mais cela vous prendra du temps.

Bliss : Cela veut dire qu’il faudra revenir sur ses pas, physiquement à travers la carte ?

Peter Molyneux : Non non. Rappelez vous que c’est ce que vous faites dans le jeu, comment vous approchez les situations, où vous en êtes dans l’histoire qui affecte votre vie, pas où vous vous situez géographiquement dans le monde.

Bliss : Plusieurs de vos précédents projets ont été abandonnés, comme BC (Before Christ), est-il envisageable de voir un jour un documentaire sur le sujet comme Lost in La Mancha qui retrace l’arrêt du tournage du film Don Quichotte de Terry Gilliam ? Nous pourrions y voir la préparation, le travail en cours, des extraits du jeu non aboutis, etc ?

Peter Molyneux : Toutes les six semaines nous présentons déjà les carnets vidéo de développeurs (diary) de Lionhead (ici). Une caméra se balade dans les bureaux et filme les gens. Dans un de ces documentaires il y a aura des chutes de jeux.

Bliss : De tous les jeux, même les anciens ? Lesquels par exemple ? BC ?

Peter Molyneux : Oui. Vous y verrez forcément des extraits de Fable 2. BC n’est pas mort en réalité, le jeu dort. Je ne dis pas que nous le ferons mais nous pourrions un jour le dépoussiérer et le continuer.

À lire également…

Propos recueillis en octobre 2008 par François Bliss de la Boissière

(Publié en octobre 2008 sur Gameweb.fr)

 


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Peter Molyneux, le grand fabulateur 1/3 : « Pourquoi tout le monde ne joue pas ? »

Toujours créatif, Peter Molyneux compare les jeux vidéo aux films de Chuck Norris, invoque Dieu, rêve de vendre un jour 300 millions d’exemplaires d’un jeu et ne s’excuse pas de s’être excusé pour Fable 1.

Interview d’un des plus beaux et plus anciens parleurs du jeu vidéo, pas tout à fait en roue libre avec une attachée de presse en garde-à-vue, mais définitivement en tournée internationale pour la promotion du dernier projet de son studio Lionhead : Fable 2.

Bliss : Que pensez-vous du nouveau public jeu vidéo des années 2000 ? Est-ce qu’il grandit ? Rajeunit ? Est-il plus idiot ou plus intelligent ?

Peter Molyneux : Je vais vous donner un exemple de ma grande frustration avec le public. Le premier jeu que j’ai conçu s’appelait Populous, en 1989, il y a presque 20 ans, et il s’est vendu à… 4 millions d’exemplaires. 20 ans plus tard, je viens toute juste de finir Fable 2 et si le jeu se vend à 4 millions d’exemplaires, ce sera le 2e plus grand succès de la Xbox 360… En 1989, nous pensions que le jeu sur ordinateur était une nouvelle forme de loisirs, que tout le monde jouerait. Cela ne se concrétise que maintenant et je suis vraiment obsédé par cette idée : pourquoi tout le monde ne joue-t-il pas ? Pourquoi seuls les gamers devraient jouer ces jeux fantastiques ? Cela n’implique pas qu’il faille faire des jeux plus idiots ou plus simples, pour moi cela veut dire imaginer des jeux plus distrayants. Vous connaissez un acteur du nom de Chuck Norris (champion de karaté devenu acteur grâce à Bruce Lee qui le fait jouer dans La Fureur du Dragon en 1972, NDR) ? Il jouait dans des films destinés à des garçons et des hommes qui aiment les films avec des combats, des gunfights, des tueries. On les appelle des films d’action. Indiana Jones et le Temple Maudit, voilà aussi un film d’action (d’aventures dirions-nous, NDR). Un film de Chuck Norris a été vu par 3 millions de personnes alors qu’Indiana Jones a été vu par 300 millions de personnes. Jusqu’à aujourd’hui, nous avons surtout fait des jeux qui ressemblent aux films de Chuck Norris. Nous pouvons encore faire des jeux d’action et viser cette énorme audience.

Bliss : Populous était plutôt un jeu intelligent et pas « d’action » et vous en avez vendu, comme vous dites, 4 millions à l’époque. Le public d’aujourd’hui est donc moins éduqué, moins exigeant ?

Peter Molyneux : Je crois que le public d’aujourd’hui a une soif inextinguible d’être distrait comme jamais auparavant. Et nous commençons tout juste à réaliser que nous pouvons distraire une énorme audience et pas seulement les joueurs habituels.

Bliss : En 2002, lors d’une présentation de Fable 1, votre premier jeu sur console (Xbox), vous avouiez la difficulté à développer un jeu console par rapport à un jeu PC, à atteindre un certain nombre de conditions requises comme le framerate (rapidité d’affichage), l’ergonomie. Est-ce devenu plus facile pour vous et votre équipe de développer sur console maintenant ?

Peter Molyneux : Je peux vous dire que chacun des éléments de Fable 2 nous a paru impossible à concrétiser pendant que nous le faisions. Puisqu’il s’agit d’un free roaming world (monde ouvert où le décor 3D s’affiche sans temps de chargements, NDR), pour le framerate nous ne pouvions utiliser les trucs habituels des jeux plus linéaires où le héros se déplace dans un couloir au milieu d’un décor hyper détaillé que l’on peut rendre très beau parce que le joueur n’ira jamais. Le fait que dans Fable 2, vous puissiez aller où bon vous semble, le framerate a été un énoooorme problème, la vitesse du processeur, l’Intelligence Artificielle aussi… Fable 2 a été vraiment difficile à faire. Bien souvent des gens nous ont dit : « Vous n’arriverez jamais à finir Fable 2, c’est impossible ».

Bliss : Quel est le budget du jeu ?

Peter Molyneux : Si je vous disais ça, je serais probablement… tué.

Bliss : Quel est le budget marketing du jeu ?

Peter Molyneux :  (se tourne vers l’attachée de presse) Ai-je le droit de dire ça ? (l’attachée de presse suggère en riant que nous demandions avant à l’éditeur ou quelque chose comme ça, NDR).

Bliss : Le budget marketing du jeu est-il plus important que celui de la réalisation, comme il arrive avec certains films hollywoodiens ?

Peter Molyneux (et l’attachée de presse de concert) : Non, mais c’est quand même beaucoup d’argent. Quand je pense aux 10 000 euros environ du budget de développement de Populous qui représentait l’argent dont j’avais besoin pour manger et je les compare avec maintenant… Ce sont des sommes folles.

Bliss : Maintenant vous avez une équipe complète à nourrir à Lionhead, de combien de personnes ?

Peter Molyneux : Je pense que nous avons grimpé jusqu’à 150 développeurs. Ce qui pose un giiigantesque problème logistique. Garder occupées 150 personnes, en s’assurant qu’elles vont dans la bonne direction tout en restant concernés est vraiment dur.

Bliss : Il y a deux ans nous avons eu droit simultanément à 2 jeux faisant appel à des loups (Zelda : Twilight Princess et Okami), cette année nous avons deux héros avec un chien de compagnie, Fallout 3 et Fable 2 ? D’où viennent de telles coïncidences ?

Peter Molyneux : Le chien de Fable 2 n’est pas un héros, vous ne le contrôlez pas (mais il répond à quelques commandes quand même, NDR), il est juste votre compagnon, il voyage avec vous, vous n’avez pas un contrôle direct du chien. Il existe parce que nous savions faire un chien contrôlé par une IA. Je voulais vraiment que l’on s’attache à l’animal.

Bliss : On ne l’envoie pas se battre par exemple ?

Peter Molyneux : Cela dépend de vous, le joueur, de lui apprendre à se battre. Alors il se battra pour vous et pourra être blessé. Un grand nombre de personnes choisissent de ne pas le faire pour épargner le chien. Il essaiera d’effrayer des ennemis, mais si le danger approche, il reculera.

À suivre prochainement…

Propos recueillis en octobre 2008 par François Bliss de la Boissière

(Publié en octobre 2008 sur Gameweb.fr)

 


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LittleBigPlanet : 2 patchs et une première larme

La suppression de la magnifique voix du chanteur malien n’indigne pas, elle fait mal au cœur d’un point de vue artistique.

Little Big Planet patché

Entre les nuits du 22 et 23 octobre 2008, la version du jeu LittleBigPlanet entre les mains de certains privilégiés et de la presse a eu droit à 2 patchs correctifs. Un premier a fait passer le jeu en version 1.1 et, quelques heures plus tard, un nouveau patch de 59 Mo transformait le jeu en version 2.2. À la surprise générale, la première modification ne supprima pas la chanson contenant les deux phrases litigieuses en malien. Premier à enquêter sur le coup, le magazine anglais Eurogamer.net  laisse entendre que les changements, presque invisibles et difficiles à vérifier, concernent des fonctionnalités en ligne et ajoutent de nouveaux habits à récupérer dans le jeu pour son personnage Sackboy.
Le 2e patch, lui aussi obligatoire à installer au moment du lancement du jeu (possibilité de refuser mais le jeu se bloque alors sur la sélection du joueur et des amis et l’accès aux serveurs LittleBigPlanet est toujours impossible à l’heure où nous écrivons) corrige bel et bien la chanson. Cependant, au lieu de la supprimer, elle se contente de la passer en version instrumentale. Le dommage est donc minime surtout pour ceux qui joueront le jeu commercialisé dans le monde entier sous cette forme (7 novembre en Europe, 27 octobre aux USA). Mais pour les quelques privilégiés, officiels (presse), ou clandestins (des exemplaires du jeu ont été vendus aux USA avant retrait des boutiques), qui ont commencé à traverser les niveaux de la « planète des songes », le mal est plus grand. Au-delà des cris d’indignation et des manifestations virtuelles contre un rectificatif vite qualifié de « censure », légitime par principe, mais sans doute un peu exagéré dans ce cas précis, le véritable dommage est artistique et affectif. Car la voix du chanteur malien manque terriblement au niveau qu’elle illustrait.

La musique est un message

Comme la formidable première démo d’une désormais célèbre session de la Game Developers Conference (GDC) de San Francisco en 2007 l’avait merveilleusement montré, l’illustration sonore et musicale du jeu est aussi atypique, chaleureuse et frappante que les visuels. À l’instar de toutes les trouvailles graphiques, chaque chanson ou instrumental a été sélectionné avec la même créativité et la même volonté de rupture avec les habitudes du jeu vidéo. L’accompagnement musical est ainsi méticuleusement placé dans chaque niveau et participe énormément à créer l’ambiance voulue. Après avoir atterri dans un nouveau niveau, le héros Sackboy s’accommode progressivement aux lieux avec une bande son discrète faîte de bruits d’ambiance familiers ou intrigants, de cris d’animaux éloignés. La musique arrive généralement petit à petit pour atteindre des crescendos qui emportent le jeu avec elle. Elle se mélange parfois en rythme avec les bruitages et sons étranges. Le tout, toujours, dans un mélange d’humour et d’élévation d’âme.

Toumani Diabate photo DR

Dans le space

La chanson Tapha Nang que l’on peut écouter intégralement – dans une version hélas trop compressée – sur le myspace du respecté chanteur malien Toumani Diabate (3e titre listé dans le lecteur audio à droite) actuellement en tournée mondiale, illustre le premier niveau (Safari dansant) à thématique africaine du 2e monde du jeu. L’incongruité et la beauté de la voix et des paroles incompréhensibles en malien (pour la plupart des occidentaux et, visiblement pour Sony et le studio Media Molecule, sans doute premiers surpris d’apprendre le sens et l’origine des paroles) confirmaient après le premier monde déjà bien surprenant, que le jeu était parti pour déconcerter bien au-delà des premiers niveaux et des premières attentes. La chanson unique tournant en boucle tout le long du niveau, le refrain s’inscrit dans la mémoire à une vitesse surprenante. Encore une fois, le niveau garde toutes ses vertus même avec un morceau devenu instrumental. Mais l’effet de surprise et l’absence de cette mélodie entrainante et lancinante si inhabituelle dans un jeu vidéo, mutile, à cet endroit précis, une partie du message artistico-bucolique venant de l’espace que véhicule le jeu avec une candeur définitivement hors jeu.

Les paroles les paroles

Personnalité importante dans le développement du jeu avant de rejoindre Atari, l’ancien responsable des studios mondiaux de Sony Computer Phil Harrison explique au magazine anglais GamesIndustry.biz  que, d’après lui, Sony a pris « une bonne décision » en récupérant les exemplaires déjà distribués, mais pas encore officiellement en vente. « Je n’ai pas participé à ces discussions, précise-t-il, mais je sais qu’ils ont dû y penser très sérieusement et aux plus hauts niveaux de l’entreprise« . « Depuis le premier jour LittleBigPlanet est un jeu destiné au monde entier et s’il y avait la moindre chose qui devait diminuer cette vision, alors le jeu aurait fondamentalement échoué dans sa mission« . Remercié dans les crédits du jeu bien qu’il ne fasse plus partie de Sony Computer, Phil Harrison explique encore : « J’ai téléchargé la beta, je me suis assis pour jouer et, c’est assez rare que dans les 5 secondes après le début d’un jeu vous tombiez amoureux d’un bout de logiciel« .

Pas de sang, mais déjà des larmes

Sur leur site, les créateurs de Media Molecule s’excusent auprès des joueurs du report que ce changement occasionne sans trop rentrer dans les détails sauf à préciser que les paroles de la chanson en question sont bêtement passées au travers des procédures habituelles de test.
Même si se faire accuser de censure est un prix à payer est assez lourd pour une ignorance partagée par beaucoup, cet incident est au fond une bonne nouvelle. Il prouve que la créativité, allant jusqu’à se nicher dans une sélection de chansons internationales sortant des sentiers battus, est encore capable de passer à travers les batteries de tests appliquées à des logiciels en masse. Si Sony et Media Molecule avaient été informé de la chose avant le pressage du disque, personne n’aurait trouvé à redire ni rien remarqué. Une fois le niveau concerné pratiqué en version intégrale, il faut bien admettre que le choix artistique original était meilleur que le compromis. C’est cette entaille artistique là, la disparition de la voix et de la mélodie de Toumani Diabate qui fait le plus mal. Et l’on peut se demander combien d’autres idées étranges ou farfelues sont tombées au combat pendant le développement du jeu. L’étrange et hypnotisante LittleBigPlanet recèle-t-elle encore d’autres secrets ?

François Bliss de la Boissière

(Publié le 24 octobre 2008 sur Gameweb.fr)

 


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Peter Molyneux, le grand fabulateur 3/3 : « Il fallait que je m’excuse pour Fable 1 »

Troisième et dernière partie de mon interview de l’inénarrable Peter Molyneux au moment de la sortie de Fable 2. En 2008 comme les années précédentes et comme lors de son retour en 2016, le créateur joue avec son audience, passe du black au white, du mea culpa à l’hyperbole avec une facilité déconcertante. Quoi qu’on en dise, Molyneux restera comme un maître du jeu. Et pas forcément à celui que l’on pense. 

Bliss : Revenir au développement PC ne vous a pas porté chance avec The Movies qui n’a pas eu le succès et l’attention qu’il méritait, même avec sa fonction d’enregistrement et de partage de petits films façon Web 2.0 populaire de nos jours… Qu’est-ce qui n’a pas marché ? Le public PC encore une fois a-t-il changé ?

Peter Molyneux : Je me blâme toujours. En regardant en arrière on peut émettre des critiques à l’égard de The Movies. Il y avait trop à faire dans le jeu, il fallait trop s’affairer et cela devenait frustrant. Il s’agissait de gérer un studio de cinéma mais nous aurions dû le concevoir de façon moins embrouillée, plus relax. Tout le monde cherche à faire un jeu excitant et ce n’était pas tout à fait le cas avec The Movies. Voilà ma première critique. Ma deuxième c’est, bien que le module de réalisation de films fut cool, nous aurions dû arranger plusieurs choses pour que cela soit encore plus cool : les positions de caméra, l’incorporation de davantage d’éléments du joueur…

Bliss : Suite aux pluies de critiques vous reprochant d’avoir annoncé de nombreuses fonctionnalités absentes dans Fable 1, vous avez fini par faire des excuses publiques…

Peter Molyneux : Oui !

Bliss : Y a-t-il un risque que dans quelques mois vous soyez obligé de vous excusez à nouveau pour Fable 2 ?

Peter Molyneux : Vous savez, il fallait que je m’excuse pour Fable 1. J’ai été si excité avec le jeu, j’ai commencé à parler de ses fonctionnalités avant de pouvoir les montrer et je n’ai pas dit aux gens quand les fonctionnalités en question avaient changé ou étaient différentes. Pour être honnête avec vous, c’était idiot. Quand je donne une interview, je ne parle pas à ça (il pointe l’appareil enregistreur, NDR), je vous parle à vous, et je deviens tout excité. Cela m’a pris des années avant de réaliser que les gens écoutent vraiment ce que je dis.

Bliss : Vous avez déjà été cité disant que vous ne pouviez rien dire sur votre prochain jeu sauf qu’il était « ridiculement ambitieux ». La méthode de communication Peter Molyneux ne va pas vraiment s’arrêter, n’est-ce pas ?

Peter Molyneux : Non, je suppose que non. Mais j’espère avec Fable 2 ne pas avoir évoqué une seule fonction sans être en mesure de la montrer (pendant les démonstrations jouables, les parties étaient tout de même strictement interrompues et relancées quand nous arrivions aux combats, soi-disant hyper efficaces et modulables… épées, pistolets, magies…, NDR) et je ne vous ai pas montré tout ce qu’il y a dans le jeu. Ce n’est qu’aujourd’hui, juste avant que vous ne le jouiez que je commence à parler du contenu du reste du monde (d’Albion, NDR), comment vous pouvez influencer l’histoire. Ce sont des choses que je veux que vous découvriez. Avec Fable 1, j’ai parlé du contenu bien trop tôt, de façon trop détaillée, avant que les démos soient en place. Beaucoup de gens m’ont interpellé et reproché : « C’est typiquement du Peter Molyneux ». Et je me suis dit, les gens ne vont plus jamais écouter ce que je dis, je dois être honnête, je dois écrire cette lettre (d’excuses) et je dois m’y tenir. Il y a beaucoup de pression, vous savez. Certains journalistes vous brutalisent vraiment, « dites-moi ci ou ça », « est-ce que c’est comme ci ou comme ça » et évidemment je réponds un peu. Je ne vais pas répliquer « no comment ».

Bliss : Vous faites naturellement dans l’hyperbole…

Peter Molyneux : Oui, oui, mais je vous promets, je ne dis rien de plus que ne j’ai déjà dit aux équipes de Lionhead quand nous avons commencé à travailler sur Fable 2 : « Nous allons écrire une histoire dont les gens se rappelleront pour le reste de leur vie ».

Bliss : Comment pouvez-vous espérer réaliser votre objectif et même aller plus loin après une telle phrase ?

Peter Molyneux : Au début de chaque jeu, il faut avoir une motivation et une raison de le faire. En ce qui me concerne, si je me dis : c’est mon job de réaliser un autre jeu, si je pense comme ça, alors je ne devrais probablement pas le faire. Pensez que vous allez devoir entrer dans une pièce pleine de gens pour leur dire de passer trois ans de leur vie à travailler sur le projet, comme sur Fable 2. J’avais dit pour Fable 1, je veux faire le meilleur jeu de rôle de tous les temps. Si vous n’essayez pas de réussir le meilleur jeu de tous les temps, à quoi bon ? En particulier avec les sommes d’argent que cela coûte, c’est fou. Vous savez, si je refaisais un autre jeu avec le même genre de fonctionnalités encore et encore, je devrais m’abstenir. Et les gens ne devraient pas me confier leur argent pour ça. J’ai écrit sur le tableau des bureaux de Lionhead, ça y est encore, je pourrais vous le montrer : « Nous allons concevoir une histoire formidable, pas juste une « autre histoire », quelque chose capable de modifier votre façon de penser ». Évidemment que cela sonne comme de la hype, évidemment nous n’atteindrons jamais ce « formidable » que j’imagine. Mais même si je n’arrive qu’à mi-chemin de ce quelque chose de formidable, c’est mieux que de ne pas essayer.

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Propos recueillis en octobre 2008 par François Bliss de la Boissière

(Publié en octobre 2008 sur Gameweb.fr)

 


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De Blob : La Wii (re) prend des couleurs

De Blob a la bonne idée de revenir remasterisé sur consoles PlayStation 4 et Xbox One en novembre 2017 après le PC en début d’année. À sa sortie sur Wii en 2008  j’avais écrit ceci à propos d’un jeu éclaboussant bien avant les autres… N’est-ce pas Splatoon ?

Depuis quand avons-nous ressenti une telle joie de vivre et de faire sur console de salon, y compris sur Wii ? Depuis Mario Galaxy sans doute. Sorti de nulle part, De Blob rejoint le précieux peloton d’élite des jeux Wii indispensables à tous les publics.

Alors que le bruit selon lequel le développement de jeux sur Wii (et DS) ne profite guère aux autres éditeurs que Nintendo, voilà que THQ, grand habitué des licences TV et ciné dispensables, publie un jeu sur Wii d’une qualité à faire rougir Nintendo. Un jeu qu’il va falloir défendre becs et ongles comme le Zack & Wiki de Capcom, ou même le Boom Blox de Steven Spielberg tant il arrive à d’excellents, et trop rares, jeux Wii de passer injustement à côté de son populaire public. De Blob ne pourra d’ailleurs, si ce n’est déjà fait, que réjouir Shigeru Miyamoto, lui qui cherche désormais à cueillir les nouveaux fruits verts que sont les neo gamers tout en gardant sous la main les core players bien mûrs. Car sous son abordage bon enfant et ses créatures coucourges à la Pikmin poussant des petits cris irrésistibles à la Super Monkey Ball, De Blob cache accessibilité tout terrain et profondeur de jeu que l’on pourrait presque qualifier d’un autre âge. Pas à cause de sa difficulté mais du nombre de couches et de sous couches (le terme est bien approprié) de gameplay et d’intelligence qui se dévoilent progressivement.

Action painting

Simple, le principe de base doit réveiller l’enfant barbouilleur qui sommeille en chacun de nous. Stick analogique du Nunchuk pour diriger et Wiimote pour sauter d’une brève secousse en mains, il s’agit bêtement de déplacer librement une boule molle au milieu d’environnements urbains. Une Chroma City, comme le révèle progressivement de goûteuses et drôlatiques cinématiques, obligée à vivre en noir et blanc depuis qu’une vilaine entreprise (ENCR en VF, I.N.K.T Corporation en VO) a mis la main sur la ville et interdit tout écart de couleurs. Le Blob donc, Kirby au sourire parfois carnassier, glouton plutôt cracheur que dévoreur, doit se tremper dans des bombes de peintures baladeuses avant d’éclabousser toutes les surfaces qu’il frôle. Choisissant les couleurs au hasard de ses roulades, le Blob colorise les bâtiments un par un en se jetant sur les murs et les toits jusqu’à épuisement du stock de peinture qu’il garde dans le ventre.

Go fast

Et le joueur agacé et pressé de dire : « Oui, bon, et alors ? ». Alors il va falloir surveiller le chronomètre et lui rajouter de précieuses secondes en accomplissant telles ou telles tâches. Peinturlurer un ensemble de bâtiments mitoyens pour qu’une poignée de civils heureux se rue hors des immeubles. Toucher un par un ces Grisiens libérés leur redonne aussi de la couleur et ajoute un crédit de 30 secondes au décompte inexorable des 10 minutes de base. Accepter un des nombreux « défis » disséminés dans le décor, qui se laisse explorer tel un free roaming game, oblige éventuellement à peindre tel ensemble d’immeubles en bleu, ou en orange, ce qui obligera le Blob à se tremper, après les avoir trouvés, dans un pot de peinture jaune puis un rouge. Jouissance feu d’artifice naturaliste à la Okami, trouver une des rares Transfo-sphères redonne pour de bon ses couleurs à l’herbe, aux arbres et aux habitants. Tout à coup la ville austère au noir et blanc écorché maladroitement par les débordements du Blob retrouve son élan vital, sa musique, ses confettis. Une fois rendus à la couleur sous certaines conditions plus rigoureuses, les imposants monuments administratifs, sortes de boss passifs, se mettent à claironner littéralement lorsque des embouchures de trompettes dansent sur leurs toits. En harmonie avec l’image et les animations parfaites, les sons et la musique ont une qualité exceptionnelle qui s’annonce dès le lancement du niveau quand le joueur choisit, après déblocage, parmi 12 thèmes de musique selon son « humeur » (serein, funky, imbattable, provocateur, effronté…). Même si les boucles musicales se répètent un peu trop, les bruitages, tous musicaux, créent, comme les jets de peintures, une surcouche sonore où se mêlent avec bonheur et humour des notes aquatiques de harpes, des slaps sur guitare bass, des chœurs féminins à la Michel Legrand/Jacques Demy.

Da bomb

Ainsi, quartier après quartier, surprise après surprise, la profondeur et la justesse du gameplay et de ses règles ne cesse de surprendre. Le jeu réussit un des rares équilibres entre contraintes et libertés donnant au joueur un terrain de jeu aussi généreux à découvrir que dense en activités. Au bout des doigts, le plaisir organique est total même s’il faut accepter une part d’insaisissable dans les sauts du Blob dirigé au jugé par le geste de la Wiimote. Capable de rouler sur des corniches pour essayer de rejoindre le toit plus élevé d’un gratte-ciel de l’autre côté de la rue, il lui arrive de coller désagréablement aux murs ou de se faire détourner brusquement par un mur invisible. De même, l’observation en vue subjective faisant appel à la Wiimote pointeuse gène aux entournures, et la sauvegarde automatique en fin de parcours seulement force à de longues séances de jeu. Des petits détails largement compensés par de vrais plaisirs comme celui du verrouillage au bouton Z permettant des sauts ciblés à distance (sur les pots de peintures ou les minis flics-bobs, sbires de E.N.C.R.), voire même de sauter, grâce à des pods, d’immeubles en immeubles à travers toute la ville jusqu’à des surfaces cachées ou inaccessibles. Jeu de plate-forme décontracté – une fois débloqué en mode histoire, chaque généreux quartier de la ville est revisitable pour coloriage tranquille à volonté -, jeu de barbouillage, d’exploration, De Blob s’appuie sur une structure minutieusement pensée et réalisée.

Resistance

Soyons clair, le geste de « peindre » n’a rien d’artistique ici. Il s’agit bien de jeter sans contrôle des litres de peintures qui finissent par se superposer dans une jolie anarchie de couleurs plus ou moins écoeurante. C’est d’ailleurs dans cette cacophonie chromatique désordonnée que le geste du joueur prolongé par le Blob-pinceau rejoint la thématique distillée avec beaucoup d’esprit du jeu, celle d’une résistance en couleurs à l’ordre imposé en noir et blanc. Sans même insister, la problématique du résistant légitime qualifié de terroriste par l’autorité qu’il défie, dégouline des murs, des coulées d’encre noire mortelles, des panneaux ou tours de propagandes qu’il faut coloriser pour les rendre au peuple. Le jeu, avant tout tactile et physique, coloré comme un paquet de crayons de couleurs de maternelle, se ménage plusieurs niveaux de lecture « adultes ». Des mains à la tête, De Blob fait exactement ce pour quoi le jeu vidéo existe. Il substitue à la parole et aux explications confuses, une interactivité limpide, un plaisir sensuel vraiment compréhensible que manette en main.

François Bliss de la Boissière

(Publié le 1/10/2008 sur Overgame)


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