Et si la tablette Apple était aussi une console de jeu ?

Quelques heures avant la conférence Apple la tension est à son maximum. Rien n’est encore sûr pourtant concernant la tablette Apple dont toute la planète techno espère le coming out, même pas son existence. Les modalités de l’interface multi touch elle-même, à laquelle les fantasmes grefferaient bien de la 3D, voire, plus raisonnablement, un stylet façon DS, ne sont pas acquises. Celle-ci pourtant, associée à l’explosif business modèle de l’AppStore, pourrait transformer l’iSlate en console de jeux de salon venant concurrencer celles de Sony, Nintendo et Microsoft. HYPOTHÈSE…

Apple iPad launch logo

De nos jours, la technologie, avérée et supposée, ressemble fort à de la magie. L’imaginaire des uns et des autres a ainsi propulsé l’hypothétique iSlate sur une orbite incontrôlable. Tout à l’heure, la tablette Apple, si elle se confirme, reposera les pieds sur Terre. Si personne ne doute Apple capable de miracles, celui de l’iSlate, ou iPad, sera peut-être plus de l’ordre culturel que purement technologique. Comme Nintendo avec sa Wii, Apple peut avoir le génie de réorganiser les technologies d’aujourd’hui pour les assembler en un nouveau produit comblant ou suscitant un besoin que monsieur et madame tout le monde ignore encore. Parmi toutes les spéculations, l’aptitude au jeu vidéo héritée de l’iPhone/iPod Touch semble acquise. Mais jusqu’où ?

Alternances

Depuis ses débuts, il y a une bonne trentaine d’années, l’industrie du jeu vidéo fonctionne par cycles. De nouveaux appareils, de nouvelles consoles viennent régulièrement relancer intérêt et économie. Le rythme de renouvellement des consoles a fini par adopter un tempo métronomique de 4/5 ans. Les marques, alors Sega et Nintendo, puis Sony, se faisant une rude concurrence, chaque génération de consoles a vu un des constructeurs prendre l’ascendant sur l’autre. Cela veut dire, sur le modèle d’une campagne électorale, y compris avec le principe d’alternance de gouvernance, que plus d’un an avant la commercialisation d’un nouveau produit, marketing, médias et passionnés s’auto alimentaient en communications, conjectures, promesses et espoirs techno ludiques. Avant de voter pour sa marque favorite en achetant la console de son choix. Un bouillonnement cyclique dont le point d’ébullition maximal a été atteint avec le lancement hystérique de la PlayStation 2 en 2000. Épuisés par cette course en avant aussi génératrice d’énergies qu’auto destructrice, les fabricants de hardware ont fini par s’entendre tacitement autour de l’idée que la dernière génération de consoles Xbox 360, PlayStation 3 et Wii ne cède plus à ce cycle montagne russe. Rassuré par un marché stabilisé en surface, le grand public continue d’acheter en masse des consoles vieilles – en âge technologique – de déjà 4-5 ans. Une éternité à la pendule de la révolution numérique (l’iPhone n’a que 2 ans et demi et a déjà bouleversé marché et comportements). Le public jeu vidéo traditionnel plus averti, lui, manque peut-être ces pics d’excitation et d’espoir réguliers face au renouvellement hardware. Enter l’iSlate.

L’iSlate, nouveau challenger

En l’absence d’autres candidats neufs au jeu vidéo de salon, la tablette d’Apple devient tout à coup le meilleur substitut à cette aspiration de renouvellement. Apple pourrait, et aurait tout intérêt, à se glisser dans la vacance physique et émotionnelle provoquée par l’immobilisme hardware des constructeurs en place. Les mystères techniques et ergonomiques qu’elle abrite, ses espoirs, le potentiel qu’elle véhicule puisque, désormais, depuis le repositionnement officiel de l’iPod Touch en console de jeu mobile, Apple EST un acteur enfin déclaré du jeu vidéo, tout semble réunit pour un nouveau cocktail digne d’attirer les gamers, vétérans et nouveaux convertis. Et depuis le business modèle réussi de l’AppStore, il n’y a plus à convaincre les développeurs à venir travailler sur hardware Apple. Oubliées les années maigres des trois jeux annuels sur Macintosh là où le PC et les consoles pullulaient de créations. Les fourmillants fournisseurs d’applications et de jeux de l’AppStore ne se feront pas prier pour prolonger l’état de grâce du succès en développant sur iSlate. Outre les petits nouveaux venus au jeu, les grands éditeurs Electronic Arts, attendu sur scène à la présentation Apple du 27 à San Francisco, Ubisoft et sa filiale Gameloft, ou Sega, livrent déjà des jeux à l’AppStore. Le célèbre japonais Square Enix vient à son tour d’annoncer la sortie des classiques Final Fantasy I et II sur iPhone/iPod Touch, avec une interface « optimisée » et du contenu complémentaire inédit. Aux toutes dernières nouvelles, ou rumeurs d’une entreprise en quête de médiatisation, 200 applications, dont 150 jeux, seraient utilisées par 50 tablettes Apple en activité sur le Campus de Cupertino. Et, inhabituellement, des magazines spécialisés jeux vidéo ont été invités par Apple à assister à l’évènement du 27 à San Francisco.

La tablette Joker

Qu’on ne se fasse aucune illusion. Si la planète gamer, moquant depuis toujours, et avec raison, l’absence de jeux sur Mac malgré les promesses régulières (la présentation par Steve Jobs lui-même, en 1999, d’un Halo dont seul le Mac d’alors pouvait porter l’ambition technique avant que le jeu de Bungie ne devienne killer app exclusive de la première console Xbox de Microsoft reste en mémoire), si le public donc, ne voit pas forcément venir Apple sur le terrain des consoles de salon, on peut être sûr qu’après s’être laissés surprendre par l’iPhone/l’iPod Touch, Sony, Microsoft et Nintendo, surveillent de très près les initiatives d’Apple et doivent redouter le joker iSlate. Le 27, celle-ci sera sans doute d’abord présentée comme un e-Reader, un lecteur mobile de vidéo, un appareil où toute la famille peut accéder et partager un ensemble de services connectés. Mais si l’écran de 10 ou 11 pouces imaginés (25/28 cm) se confirme, si l’interface multi touch servant au jeu améliore un peu celle, souvent confuse, de l’iPhone/iPod Touch, l’iSlate va devenir très vite une machine à jouer, mobile non pas dehors, mais à l’intérieur. Chez soi, de la table de sa cuisine au confortable fauteuil, jusqu’au lit. Ou assis sur son canapé, c’est à dire exactement de l’endroit privilégié où se pratique traditionnellement le jeu sur console en regardant vers un écran. Il suffit alors d’imaginer l’iSlate capable d’envoyer son image d’un glissement du doigt vers un écran, Apple ou autre, et se transformer en manette/télécommande tactile de luxe, pour se rendre compte que le modèle des consoles de jeu de salon peut, en un tour de main et de magie, être retourné.

Table rase

Sony et Microsoft avaient rêvé leurs dernières consoles de jeu en cheval de Troie du centre de loisirs à domicile. Au point de reléguer la dénomination « console » au second plan et de privilégier les formules « plateformes de loisirs multimédia ». Le monde les a vu venir et ce sont d’abord les gamers qui ont plébiscité les Xbox 360 et PS3. L’ardoise vierge d’Apple a justement l’avantage de ne trainer aucun lourd héritage réducteur. Pas grand monde, heureusement, ne se souvient de la malheureuse et improbable console Pippin conçue par Apple avec Bandai en 1996. Alors qu’on attribue à Steve Jobs et Apple, entre autre ambition, celle de sauver, après la musique, la presse écrite et de réinventer le livre, au jour d’aujourd’hui, l’iSlate/iPad ne livre qu’un seul indice tangible. Mais néanmoins visible par tous : un carton d’invitation arty éclaboussé de couleurs évoquant l’excitation et l’anarchie créative d’un cahier d’enfants. Et qu’est-ce qu’un enfant aime le plus faire ? Jouer.

François Bliss de la Boissière

(Publié le 27 janvier 2010 sur Electron Libre)

 


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Mass Effect 2, version IMAX

À jeu géant, présentation hors norme. Electronic Arts a fait de son mieux pour entrainer les médias dans l’espace. Dans la salle IMAX de la Géode à Paris on ne vous entend pas non plus vraiment crier, ou alors d’étonnement.

Mass Effect 2

Il n’est même pas nécessaire de passer par l’écran de la Géode comme en a eu l’initiative Electronic Arts jeudi dernier pour s’en rendre compte. Mass Effect 2 est très probablement le plus beau jeu Xbox 360, toutes périodes confondues. Il s’aligne et dépasse même sans doute le haut de gamme de la PlayStation 3 comme Uncharted 2. Le level design rigoureux aperçu de Mass Effect 2 (MA2), la taille contrôlée des environnements explorables, comme dans Uncharted justement, permet au studio Bioware de pousser au maximum tous les effets de textures, de lumières, de reflets, de transparences, de forcer sur les polygones jusqu’à bien arrondir les angles des corps et volumes et ajouter une infinité de détails sur les équipements des héros. Les visages eux-mêmes impressionnent de finesse. Humains avec ou sans cicatrices, ou extra-terrestres frippés avec boursoufflures et ridules géantes. Tout cela sans qu’une baisse de framerate ne se fasse remarquer pendant les scènes d’action. À quelques effets d’escaliers près aperçus sur les petits écrans Samsung de démonstration, le rendu graphique correspond à celui des bandes-annonces HD téléchargeables sur Xbox 360. Mass Effect 2 est définitivement un jeu de 3e génération sur Xbox 360. Pour donner un ordre d’idée, la qualité visuelle en temps réel frôle celle du film en images de synthèse Final Fantasy : Les créatures de l’esprit. Un compliment pour le jeu mais le film datant de 2001, on voit que le jeu vidéo a encore un net retard sur les capacités digitales du cinéma. Presque 10 ans si l’on prend Mass Effect 2 en repère.

L’éditeur semble être tout à fait conscient des qualités visuelles exceptionnelles de MA2 et plutôt que de le déclarer au porte-voix, une présentation sur l’écran IMAX de la Géode à Paris valait bien des discours. Pas d’entourloupe, quoiqu’incurvée, l’image du jeu a bien gardé ses proportions 16/9 mais n’occupait évidemment qu’une partie de l’écran hémisphérique. Voir un jeu projeté dans de telles dimensions, assis dans de vrais fauteuils de cinéma occupés par plusieurs centaines de personnes, médias et gamers invités, provoque un drôle d’effet. D’abord une belle sensation de confort et d’immersion digne du cinéma, puis l’impression que le jeu vidéo, brusquement, a les ressources technologiques suffisantes pour passer à la vitesse supérieure. Ou plutôt à la taille supérieure. L’affichage géant accentuait forcément l’aliasing et enlevait éclat et contrastes aux couleurs, mais le choc était réel. Impeccables et proches des joueurs, speech et démonstration en temps réel d’Adrien Chow, « producteur » chez Bioware nous dit-on, a fait grande impression. Sa routine pourtant maintes fois répétées à travers le monde avant la France ne se ressentait pas en dehors de l’absence totale d’hésitations. Un sacré professionnel de la communication.

C’est bien gentil ces histoires de « graphismes » crie un lecteur au fond de la salle, mais le jeu lui-même que vaut-il ? Pour y répondre sérieusement il faut y toucher, ce qui n’a pas encore été le cas. L’observation minutieuse des joueurs aux manettes dans la salle d’attente avant la « séance » a tout de même permis de relever de belles choses. Reconfirmons-le encore une fois, on peut croire toutes les bandes-annonces, en version HD. Dès la création du héros, au choix masculin ou féminin, la différence avec le premier Mass Effect se ressent. Les scènes de dialogues, en anglais, sonnent plus « vraies » que le premier épisode. Le principe de sélection des répliques pose toujours un problème de latence au milieu des conversations et continue d’enlever tout sens du rythme que doit avoir une scène de dialogue entre plusieurs personnes. Le problème conceptuel de cohérence narrative provoqué par ces dialogues à choix multiple adorés par les amateurs de jeux de rôle à textes n’est pas encore résolu. Ni ici ni ailleurs. Les cadrages, voire le montage, redonnent heureusement du lustre cinématographique à ces scènes trop hachées. Les séquences de tir, toujours à la 3e personne et très vite au début de l’aventure, sont d’évidence beaucoup plus nerveuses. À l’œil, on jurerait qu’elles appartiennent à un jeu d’action à part entière contrairement aux mous échanges de Mass Effect 01. Après le bel exemple de Borderlands, la cohabitation d’un jeu d’action digne de ce nom et du jeu de rôle sans compromis de Mass Effect 2 semble enfin confirmer la fusion prochaine, complémentaire et systématique, des genres pour atteindre l’idéal d’un jeu total sans point faible (à moins de travailler volontairement à des jeux de rôle rétro concept descendant directement des jeux de rôles papier ou de plateau). Un petit doigt nous dit qu’un des meilleurs exemples de cette fusion viendra de la nouvelle couveuse id Software (Quake, Rage…) et Bethesda Sofware (les Fallout et Elder Scrolls).
Parmi la multitude de détails contenus dans un Mass Effect 2 visiblement réalisé avec beaucoup d’amour et d’attention, le contrôle manuel de son petit vaisseau, presque comme celui du Capitaine Olimar dans Pikmin, de planètes en planètes sur la carte en 3D de la galaxie, montre que, malgré son grand sérieux, ce Space Opera là veut aussi détendre l’atmosphère. L’aquarium géant à entretenir dans les quartiers du héros et le « hamster de l’espace » dans sa cage y contribuent aussi.

Nota bene, les dessous du jeu vidéo…
Pas facile de suivre. À la présentation presse de jeudi dernier à la Géode, le 21, tout le monde a été obligé de s’engager, en apposant sa signature, à ne rien publier sur le jeu avant le 26. Aujourd’hui jeudi 26, des tests, et non des avant-premières, fleurissent sur les sites français. À quoi bon cette présentation d’un soir et cet embargo factice si, au fond, des versions de tests allaient être mises à disposition de certains magazines et qu’aucun papier dit de « preview » ne pouvait sortir entre-temps ? Les coulisses de la presse jeu vidéo deviennent de plus en plus tordues, et contrôlées. Passons.

François Bliss de la Boissière

 


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Stéphane Natkin : « La classe politique n’a pas un point de vue uniforme sur les jeux vidéo »

Acteur, enseignant, et évangéliste aussi avisé qu’enthousiaste du jeu vidéo au sein de l’ENJMIN qu’il dirige et du CNAM où il enseigne, Stéphane Natkin évoque dans la dernière partie de notre entretien les rapports conflictuels qu’entretiennent le jeu vidéo progressant comme la technologie, à grande vitesse, et les politiques, obligés de respecter les valeurs d’hier.

3ÈME PARTIE : POLITIQUES DU PIRE OU DU MEILLEUR…

Stéphane Natkin by Bliss 03

Bliss : Malgré sa popularité grandissante dans toutes les couches de la population, le jeu vidéo continue à avoir mauvaise presse. La prétendue nocivité du jeu vidéo liée à son contenu parfois violent est-elle justifiée ?

Stéphane Natkin : Qu’est ce qui est dangereux dans le jeu vidéo ? Un ami, Gonzalo Frasca, qui est à la fois producteur et vrai théoricien du jeu, a donné une conférence à la Villette où il a commence en disant : « Je suis sûr que dans la salle beaucoup de gens pensent que le jeu vidéo est très dangereux. Alors, à votre avis, combien de gens sont morts à cause du jeu vidéo ?… 5000 ? Allez, disons que 10 000 personnes sont mortes à cause du jeu vidéo. Donc le jeu vidéo semble en effet quelque chose de très dangereux qu’il faudrait interdire aux enfants. Maintenant, prenons un autre media au hasard : le livre. Les deux grands succès de librairie : la Bible et le Coran, il faut absolument interdire aux enfants de les lire, parce que c’est une véritable catastrophe pour l’humanité ! (rires) ».

Bliss : Les politiques eux-mêmes, comme Nadine Morano dernièrement, ne ratent pas une occasion de dénoncer une pratique que visiblement ils ne comprennent pas. Cela ne gène pas votre travail au sein d’une école du jeu vidéo ?

Stéphane Natkin : Je n’ai pas une vision uniforme sur le sujet. Des politiques sont venus à l’école et nous ont soutenu, disant que c’était une très belle école. Elle a été créée par Jean-Pierre Raffarin et soutenue par Ségolène Royal. Donc, ce n’est pas une question de bord politique, mais de positionnement. Si vous avez des responsabilités à la création artistique, vous allez soutenir une école de jeux vidéo car vous savez que ceux qui vous écoutent entendront bien ça. Si vous défendez la politique familiale, vous allez faire un discours pour les associations familiales. Je ne suis pas vraiment sûr que ça corresponde dans un cas et dans l’autre aux convictions personnelles des uns et des autres. C’est un positionnement politique, c’est une nécessité de l’exercice de la politique. Quand on a commencé à faire l’école en 2003 (l’ENJMIN, inaugurée en 2005, ndr), celle-ci n’était pas considérée comme culturelle. Jean-Claude Larue (porte-parole du SELL ndr) et André-Marc Delocques-Fourcaud, alors directeur du CNBDI (Centre National de la Bande Dessinée et de l’Image qui accueille l’ENJMIN, ndr), qui soutenaient l’école, sont allés au CNC pour obtenir des aides. On leur a dit : « Allez voir le ministère de l’Industrie » (rires). Ça a changé depuis puisque le CNC a créé le fonds d’aide aux jeux vidéo.

Bliss : Il suffit alors qu’une institution donne de l’argent, ou quelques médailles, pour dire officiellement que c’est « culturel », ou considéré comme tel ?

Stéphane Natkin : Non, pas forcément, mais puisque vous avez un fonds d’aide aux jeux vidéo qui donne plusieurs millions à la création du jeu vidéo, ça veut dire que c’est considéré comme un « objet culturel », oui.

Bliss : Le discours des politiques sonne autrement pourtant. Même si, aussitôt nommé au ministère de la culture, Frédéric Mitterrand est venu faire un petit tour au festival du jeu vidéo de Paris en septembre pour jouer de la guitare, vous ne trouvez pas que les politiques désapprouvent en général le jeu vidéo ?

Stéphane Natkin : Le discours de l’ancienne ministre de la culture Christine Albanel était plutôt positif. Et je n’ai jamais entendu Mme Nathalie Kosciusko-Morizet dire quelque chose contre le jeu vidéo, au contraire. Je n’ai pas l’impression qu’il y ait un point de vue uniforme de la classe politique par rapport aux jeux vidéo. Il s’agit sans doute d’un positionnement qui doit dépendre de ce qu’on doit dire à un moment donné pour telle ou telle raison. Regardez aux États-Unis, c’est un peu la même chose. Il y a nécessité, d’une certaine façon, de considérer l’importance du jeu vidéo parce que sinon vous n’êtes pas de votre époque, pas de votre temps, vous n’attirez pas les jeunes. Et d’un autre côté vous ne pouvez pas faire quelque chose qui déplaise à l’ensemble des associations familiales qui considère qu’on pervertit cette pauvre jeunesse.

Bliss : La technologie irait donc beaucoup plus vite que l’absorption culturelle ?

Stéphane Natkin : La technologie va, en effet, bien plus vite que la capacité d’assimilation sociale. Mais la capacité de création va aussi plus vite. L’éclatement de la bulle Internet, en 2001, a été provoqué par des gens qui ont cru qu’il suffisait de mettre de l’Internet dans n’importe quel projet pour que dans les six mois tout le monde se mette à utiliser Internet. Il manquait huit années. Toutes les idées sur lesquelles on spéculait à l’époque existent bel et bien aujourd’hui et rapportent de l’argent. Ce n’était pas possible en 2001, il fallait le temps de l’assimilation sociale. Vous pouviez commencer à faire des réseaux sociaux à ce moment là, sauf qu’il fallait le temps que les gens s’y intéressent… Il y a d’un côté la vitesse de propagation de la technologie, et ensuite les politiques qui apprennent progressivement que leurs électeurs sont vraiment intéressés. Alors tout changera. En ce qui concerne le jeu vidéo, pour l’instant il faut attendre encore un peu.

Entretien Stéphane Natkin, 1ère partie : Quand le jeu vidéo devient transmédia…
Entretien Stéphane Natkin, 2e partie : Le jeu vidéo, un système de production à revoir…

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière

(Publié le 26 janvier 2010 sur Electron Libre)

 


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Stéphane Natkin : « Certains patrons français du jeu vidéo mériteraient des cours de capitalisme. »

Auteur de l’essai Jeux vidéo et médias du XXIe siècle, professeur et membre du conseil d’administration du Conservatoire national des Arts et Métiers, le directeur de l’école du jeu vidéo d’Angoulême continue de nous dresser, dans un long entretien, un panorama culturel et économique du jeu vidéo. De ses élèves de l’ENJMIN aux patrons du jeu vidéo qui mériteraient eux aussi, selon lui, quelques cours d’économie d’entreprise…

2E PARTIE : LE JEU VIDÉO, UN SYSTÈME DE PRODUCTION À REVOIR…

Stéphane Natkin by Bliss

Bliss : Les productions interactives vendues en magasin sont très conservatrices. Les mécaniques de jeu, les « raisons » d’interagir répètent des procédures déjà bien anciennes. Les prototypes créatifs, qui existent, que vous développez notamment avec vos étudiants, ne se transforment pas en produits commerciaux. Qu’est-ce qui bloque ?

Stéphane Natkin : Le mode de financement ! Il n’y a pas de production indépendante dans le jeu vidéo. Ça commence tout juste. Quelques-uns sont autoproduits. Une des raisons de l’éclatement actuel du jeu vidéo, et qui ne peut plus durer, vient du système de production bâti sur des éditeurs. La capacité de distribution en ligne est en train de faire éclater tout ça. À l’IGF de San Francisco [festival annuel du jeu vidéo indépendant, ndr], une quantité de jeux assez extraordinaires a été présentée. Quelques uns se sont vendus. Certains, tellement bien, que des éditeurs ont récupéré les équipes pour faire autre chose, comme les créateurs de Rag Doll Kung Fu devenus le studio Media Molecule à l’origine de LittleBigPlanet chez Sony. Donc ça va venir. Vous aurez peut-être, comme dans le cinéma, des productions indépendantes osées à 3 francs 6 sous, et puis vous aurez des productions comme Assassin’s Creed à 9 millions d’euros… L’un n’empêche pas l’autre.

Bliss : Les passerelles avec le monde financier, l’économie, ne font pas partie des éléments que vos étudiants apprennent dans leur cursus jeu vidéo ?

Stéphane Natkin : Ils apprennent la production, ils apprennent comment aller chercher un minimum d’argent pour créer un jeu vidéo. Mais je ne fais pas un cours sur la façon de monter une société de jeux vidéo, non. Bien entendu il y a quand même une relation entre les professionnels et nos élèves puisque dans tous nos jurys de projets à l’ENJMIN, des pros du jeu vidéo viennent observer des projets qu’ils ne verraient pas dans leurs entreprises. Ça leur donne des idées qu’ils ne développeront pas tel quel en produit commercial, mais ça leur permet de trouver des créatifs. Et puis de temps en temps certains jeux ont une chance d’être produits. Après, comment nos élèves gèrent avec leur créativité dans un univers assez standardisé, qui répond avec un minimum de risques à l’attente du marché, c’est l’histoire de tous les créateurs. Vous sortez de la Femis avec plein d’idées sur le cinéma 35 mm et puis vous êtes obligé de vous adapter.

Bliss : Le 13 janvier dernier le fondateur d’Infogrames/Atari, Bruno Bonnell, a donné une conférence à l’ENJMIN. Un entrepreneur locomotive du jeu vidéo français dans les années 1990 et 2000 mais qui a fini par avoir un comportement très dépensier à la Jean-Marie Messier jusqu’à conduire sa société au bord de la faillite et à être démissionné. Son parcours n’est pas très exemplaire d’une réussite contrairement à celui d’Yves Guillemot, qui a réussi, lui, à faire de sa société Ubisoft un acteur international majeur du jeu vidéo… Pourquoi le présenter à vos étudiants ?

Stéphane Natkin : Parce que c’est l’histoire d’un parcours assez typique, parti du jeu vidéo, avec la création d’Infogrames, jusqu’aux robots de sa société Robopolis aujourd’hui. Ne serait-ce que de ce point de vue là, c’est probablement intéressant. Je crois que les gens critiquent plutôt Bruno Bonnell parce qu’il n’a jamais laissé une place à ses créateurs [il a spolié l’auteur français Frédérick Raynal des droits de son jeu Alone in the Dark, ndr]. Il s’est trompé sur certains aspects financiers, il a probablement fait des erreurs de stratégie industrielle. Comme d’autres. Maintenant, est-ce que, en soi, c’est vraiment critiquable ? C’est une réaction très française. De toutes façons je ne forme pas des stratèges industriels, je forme des créateurs de jeux vidéo. Je ne connais aucun élève qui ait l’ambition de créer un empire. Cela étant dit, beaucoup de patrons de boîtes françaises de jeux vidéo mériteraient quelques cours de capitalisme… Sur la capitalisation d’une entreprise, comment tenir plus de six mois, même quand on n’a pas de contrats dans ce milieu là, avoir suffisamment de supports financiers derrière, une véritable politique de ressources humaines de façon à ne pas abandonner tout le monde avant de réembaucher trois semaines plus tard…

Bliss : En surface, ce fonctionnement ressemble assez au cinéma, sauf que les équipes s’assemblent pendant deux ans, au lieu de six mois pour une équipe de tournage par exemple. Il y aurait une autre méthode ?

Stéphane Natkin :  Le jeu vidéo nécessite beaucoup plus de mémoire technologique, et même de conception, que le cinéma. J’en parlais récemment à Cap-Digital, à l’exception peut-être d’Ubisoft, les petites boites ont une méconnaissance des fonctions des ressources humaines et, surtout, semblent incapable jusqu’à aujourd’hui de se regrouper vraiment. Cela viendra peut-être via le SNJV (Syndicat National du Jeu vidéo, ex APOM, ndr). Pour l’instant c’est une profession immature qui ne sait pas gérer ses ressources humaines. Un exemple qui ne me fera pas que des copains, tant pis. Lors de l’arrivée de cette génération de consoles alors appelée next gen il y a cinq ans, deux ans après la sortie de la PS2, tout le monde a su rapidement qu’un jeu qui coûtait entre 2 et 4 millions d’euros allait passer à 6 à 8 millions d’euros. Que les équipes constituées de trente à quarante personnes allaient devenir des équipes de quatre-vingt à deux cents personnes. Ce qui impliquait un changement de l’ensemble des mécaniques de financement, de production, des dispositifs techniques et la gestion des ressources… Tout le monde le savait, tout le monde l’a dit… Croyez-vous, que ce secteur là ait d’un seul coup dit : « Il faut qu’on examine l’ensemble de la mécanique, les regroupements industriels qu’il faut faire, lancer des cours de management pour les grosses équipes, etc » ? C’est à dire une anticipation sur deux ans globale à la profession ? Eh bien non, ça n’a pas eu lieu. Quelques studios vont s’en sortir malgré tout parce qu’ils ont des gens brillants, des créatifs, notamment en France. Des gens sont venus nous demander de former des programmeurs ayant trois ans d’expérience sur PlayStation 3 avant qu’elle ne sorte dans le commerce ! Je n’ai pu répondre que : « Ça, je ne sais pas faire » (rires).

Bliss : La technologie progresse tellement trop vite que ce que vous apprenez aujourd’hui, pendant deux ans, ne va pas être appliqué dans quatre ans. Ça ne serait pas la première problématique du jeu vidéo ?

Stéphane Natkin : Vous ne croyez pas que les gens d’Airbus sont en train de travailler sur la génération d’avion qui va sortir dans six ans ? Sans même parler des ressources technologiques, une équipe de vingt personnes ne se gère pas de la même manière qu’une équipe de quatre-vingt. Un studio ne s’organise pas de la même façon quand il développe simultanément trois jeux à 2 millions d’euros, ou trois à 8 millions qui font grimper la note à 24 millions d’euros. Comment est-ce qu’on transite de l’un à l’autre d’un point de vue capitalistique ?

Entretien Stéphane Natkin, 1ère partie : Quand le jeu vidéo devient transmédia…

Entretien Stéphane Natkin, 3ème partie : « La classe politique n’a pas un point de vue uniforme sur les jeux vidéo »

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière

(Publié le 23 janvier 2010 sur Electron Libre)

 


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Stéphane Natkin : « Les gens de 40 ou 50 ans qui n’utilisent pas Facebook aujourd’hui seront en rupture avec le reste de la population demain »

Directeur de l’ENJMIN, l’école de jeu vidéo d’Angoulême, professeur au Cnam, et auteur de plusieurs essais sur le jeu vidéo, Stéphane Natkin nous a accordé un long entretien autour du médium interactif, ses acquis culturels et ses mutations.

1ÈRE PARTIE : QUAND LE JEU VIDÉO DEVIENT TRANSMÉDIA…

Stéphane Natkin by Bliss 01

Bliss : Lors d’une conférence récente sur les jeux communautaires et ubiquitaires, vous avez présenté le futur du jeu vidéo en lui attribuant une qualité dite « transmédia » où le jeu devient Alternate ou Expanded Reality Games (A ou ERG). D’où vient et comment s’exprime cette évolution ?

Stéphane Natkin : Comme le dit très bien Éric Viennot (créateur précurseur avec son jeu In Memoriam exploitant dès 2003 plusieurs supports, ndr), c’est un genre de jeu qui a été développé sous diverses formes ces dernières années, qui utilise de façon complémentaire l’ordinateur, les téléphones portables, les consoles de jeu, des lieux d’exposition et éventuellement la salle de cinéma. J’ai par exemple collaboré au projet Transport Amoureux qui incitait les gens à communiquer et à participer à une création collective pendant leur trajet en tramway. Ce sont des projets qui vont de plus en plus avoir des chances d’être mis en production en faisant appel à des producteurs de cinéma, de télévision et des opérateurs. Orange Vallée a lancé un appel d’offres et Arte Cinéma travaille autour d’un Transmedia Lab. En décembre, Michel Reilhac directeur d’Arte Cinema a notamment organisé un forum de discussion sur le sujet et plus particulièrement en direction d’un cinéma cross ou transmédia.

Bliss : De la part de ces médias installés cela sonne un peu comme de la récupération. Ont-ils une compétence dans ce domaine là ?

Stéphane Natkin : Non mais ils vont les produire. Imaginez très simplement que vous créez un jeu de piste dans la ville, dans le bureau, et qu’il se déroule toutes les semaines. Ensuite le jeu se poursuit partiellement sur Internet, partiellement sur mobile, éventuellement relayé par du mobilier urbain, tout un tas de choses qui se passent dans la ville intelligente. Les gens rassemblent alors des indices, ils se filment, ils envoient tous leurs indices et documents, et à partir de ça on présente chaque semaine une émission de télévision sur l’équipe qui a gagné, celui qui a réussi telle chose. On crée une série qui est presque pré-prévue à partir des indices qui ont été rassemblés, et on fabrique un univers transmedia. On crée une communauté avec un réseau communautaire. D’ailleurs, on leur vend tous les accessoires pour qu’ils ressemblent à la communauté, on les fait se réunir au Mc Donald’s, ainsi Mc Donald’s sponsorise l’évènement.

Bliss : Est-ce que ce genre de jeu, peut-être plus accessible, risque de supplanter le jeu vidéo traditionnel ?

Stéphane Natkin : Vous n’avez jamais vu un mode de création faire disparaître les autres jusqu’à présent, n’est-ce pas ? Il s’agit là d’une voie qui a été explorée par un certain nombre de gens, et qui commence à avoir une possibilité de réalité économique pour différentes raisons. D’abord on se rend compte que c’est autour des systèmes communautaires qu’on peut développer de la communication, éventuellement de la publicité, etc. Ensuite, les gens qui font de la télévision se rendent compte qu’on la regarde de moins en moins et qu’on se tourne de plus en plus vers Internet, son téléphone mobile. Donc il va bien falloir trouver quelque chose qui va les ramener dans leur giron. Enfin, la troisième raison c’est que l’espace du jeu vidéo est actuellement trop petit… Prenez Electronic Arts, la société représente dans le monde 16 000 personnes, France Télécom c’est 120 000 personnes ! Je ne sais pas qui va avaler qui mais à un moment donné toutes ces capacité d’interaction vont fusionner…

Bliss : Vous évoquez les fusions d’entreprises telle celle d’Activision et Vivendi-Blizzard en 2007 ?

Stéphane Natkin : Oui mais des contenus aussi. Parce que nous sommes partis sur une logique qui était purement économique et financière et dont la vision technologique était tellement réductrice. Transférer un film en HD sur un téléphone portable parce que ce n’est pas difficile pour un propriétaire de contenu est une erreur. L’usage du téléphone portable et l’usage de la HD ne sont pas la même chose. Cela ne se réduit pas à ça. Il faut décliner le même univers avec des modalités différentes sur les différents supports. Il va falloir dessiner du linéaire, ou du non linéaire, disons de l’interactif, sur le type de support et le type d’usagers. Et puis à partir de là, il faut générer du contenu pour l’autre. L’ensemble de tout ça va générer une population de gens qui va rester dans l’univers créé autour de l’ensemble. Nicolas Gaume, par exemple, (fondateur en 1990 de la société Kalisto liquidée en 2002, ndr) est en train de créer avec BlackMamba un univers sur Internet qui se situe entre un jeu et un réseau social. Il y a de la 3D, c’est autour de la musique, ça intéresse les ados, ça leur permet de personnaliser des avatars, des animations, éventuellement de créer leur propre musique, la mettre sur un serveur… Voilà un jeu qui commence à ressembler à ceux que l’on retrouve sur Facebook. Mais ce n’est plus tout à fait un jeu. Plutôt un réseau communautaire qui se concentre sur un type de population qui se retrouve à la fois cible de design et cible marketing. C’est cette évolution qui est en train de se passer.

Bliss : Visiblement ces nouvelles pratiques s’étendent à tout le monde. Ça veut dire que nous sommes tous appelés, pas forcément à jouer, mais à interagir avec des nouveaux outils, des nouveaux matériaux. Est-ce juste un effet de mode ou est-ce qu’il y a vraiment une évolution de la société ?

Stéphane Natkin : Un effet de mode, non, je ne pense pas. Je ne suis pas un futurologue, mais enfin c’est certainement une tendance. Moi je suis quelqu’un de l’email, du mobile. Mes enfants utilisent le tchat, leur mode de communication n’est déjà plus le même. Dans quelques années, je serai sans doute « hors service » (rires). Dans 15 ou 20 ans toutes ces notions et pratiques seront installées. Évidemment, ça ne va pas prendre du jour au lendemain, les gens ne vont pas passer directement de la télévision purement passive à la télévision interactive, mais en une génération… Autrement dit, très vite, un tas de gens vont entrer dans ces univers, comme dans Facebook, etc., et ceux qui n’y viennent pas parce que ce n’est pas leur univers, et en France ils sont nombreux, les gens au-delà de 50 ans, même 40 ans, dont très peu y sont rentrés, quand ils seront à la retraite dans quelques années, il y aura une grande fracture avec ceux qui utilisent un réseau social comme Facebook ou ses descendants.

Bliss : Ces activités interactives se résument néanmoins souvent à du fonctionnel, on utilise les outils à des fins diverses. Où se situe l’artistique dans tout ça, celui qui existe encore dans le jeu vidéo traditionnel ?

Stéphane Natkin : Dans une partie de ces nouvelles façons de communiquer il y aura certainement, comme c’est déjà le cas dans certains jeux vidéo, un nombre de choses qu’on peut considérer comme artistiques et qui se revendiqueront comme artistiques. Je pense que quelque chose comme In Memoriam (le jeu cross média d’Éric Viennot chez Lexis Numérique, ndr) peut se revendiquer comme étant une création artistique, une autre façon de faire de la narration. Ceci dit, je suis en train de monter des formations autour de ça, mais c’est très difficile. Autant maintenant j’ai un bon corpus sur le jeu vidéo, j’ai une série de bouquins, j’ai des idées sur la façon dont on peut enseigner le game design, autant sur ces nouvelles formes d’interaction il n’y a rien encore. Comment écrire une histoire qui est complètement hachée ? Je vais devoir prendre des exemples, je vais aller chercher quelqu’un qui connaît bien les jeux de rôles pour venir raconter ça, des gens comme Éric Viennot. J’ai reçu quelqu’un qui avait fait une thèse sur les mécanismes de narration… mais on est loin de pouvoir dire simplement, par exemple, « On place la caméra comme ça… ».

Bliss : La narration à fourches multiples existe déjà depuis longtemps, dans les livres dont vous êtes le héros par exemple. Qu’est-ce qui rend un jeu transmédia innovant au-delà de ses outils de mise en place ?

Stéphane Natkin : L’innovation n’est certes pas dans l’histoire. Celle d’In Memoriam n’est pas du tout originale. Ce qui existe d’innovant se trouve dans l’esthétique et dans la relation d’engagement que vous créez. Quand vous êtes en train de jouer à In Memoriam sur votre ordinateur et que votre téléphone mobile sonne et que ça déclenche votre peur, ce n’est pas la même chose que d’être dans un cinéma et d’entendre une sonnerie… C’est l’esthétique de la relation d’engagement, pas l’esthétique des images ou du son… Un jeu qui développe une nouvelle forme d’implication du joueur.

Entretien Stéphane Natkin 2e partie : « Certains patrons français du jeu vidéo mériteraient des cours de capitalisme.  »

Entretien Stéphane Natkin 3e partie : « La classe politique n’a pas un point de vue uniforme sur les jeux vidéo  »

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière

(Publié le 2A janvier 2010 sur Electron Libre)

 


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Les jeux vidéo entrent (encore) dans une nouvelle dimension

Toujours pas arrivé à maturité, le medium jeu vidéo continue d’évoluer organiquement avec les progrès informatiques. Depuis les percées inattendues de la Wii avec sa télécommande à reconnaissance de mouvements et des interfaces tactiles de la DS puis de l’iPhone, le loisir interactif a entrepris une nouvelle mutation. Le Graal vidéo ludique se situe désormais dans l’interface homme-machine, la Natural User Interface (NUI) comme le résume Steve Ballmer, ou plutôt, dans la disparition de l’interface. Avec l’arrivée des images en relief en parallèle, le jeu vidéo s’apprête à basculer encore une fois dans de nouvelles dimensions. Petit récapitulatif de ce qui attend les joueurs, et le monde, au lendemain de la techno messe annuelle du CES de Las Vegas. EN 2010, LE JOUEUR ET L’ÉCRAN PRENNENT CORPS.

PlayStation Move de Sony
PlayStation Move de Sony

Anticipé depuis la première présentation au salon E3 de Los Angeles en 2009, le projet dit Natal associé à la Xbox 360 sera bien commercialisé fin 2010. Microsoft a profité de sa conférence au CES pour le confirmer. L’interface inédite permettant de manipuler les menus et les jeux en bougeant simplement la main en direction de l’écran, voire le corps entier, a le potentiel de bousculer la conception générale des jeux vidéo. Bien que Sony ait déjà initié sur PlayStation 2 des jeux où une webcam reconnaît et incorpore les mouvements des joueurs avec la gamme de produits ludiques EyeToy, et que Nintendo ait vraiment déclencher le paradigme shift de l’interface de jeu avec la Wiimote, il faut attendre de Microsoft une volonté forcenée de reprendre, si l’on peut dire, la main, sur ce nouveau créneau. La popularité grandissante de la PlayStation 3 / lecteur de Blu-ray menaçant chaque jour la Xbox 360 de se retrouver en 3e acteur des consoles de salon (39 millions vendues dans le monde), le géant de Redmond va positionner ce projet Natal comme un nouveau départ de sa console. Un « reboot » symbolique à mi chemin de la durée de vie de cette génération de consoles de salon qui nécessitera juste l’achat de l’extension Natal (une caméra de détection à infra-rouge à placer sous l’écran) pour avoir l’impression de changer de hardware. Une politique de rhabillage de surface déjà réussie avec les différentes versions de l’interface du logiciel interne de la Xbox 360. Microsoft revendique avoir convaincu 70 à 80 % des éditeurs de jeu vidéo de développer des jeux Natal, en plus de ceux développés par ses propres studios, notamment les légendaires équipes britanniques de Lionhead (Fable) et Rare (Perfect Dark, Banjo Kazooie…).

Virtual copieur

Pas toujours premier sur les idées mais prompt à s’engager sur des nouvelles voies, Microsoft a également annoncé la naissance d’un nouvel espace de jeu virtuel. Une « Game Room » où les avatars des joueurs pourront se retrouver pour pratiquer d’anciens jeux vidéo dits d’arcade. Microsoft cherche ainsi à mixer le Home stagnant de la PlayStation 3 (malgré ses 10 millions d’inscrits) où les avatars des gamers se retrouvent dans des espaces de sociabilisation et de jeux façon Second Life, et la Virtual Console de la Wii qui permet de télécharger et jouer des jeux d’anciennes consoles disparues des années 80-90 et 2000. Microsoft ayant déjà appliqué brillamment l’idée des petits avatars de la Wii à son Xbox Live, il faut s’attendre là aussi à ce que la société américaine s’engouffre sans gêne ou pudeur dans les voies ouvertes par les japonais Sony et Nintendo. La trentaine de jeux historiques de la Game Room (Asteroids, Centipede, Super Cobra…) se pratiqueront en HD, éventuellement à deux, à partir des cabinets d’arcade originaux. Les nouveaux jeux Xbox Live Arcade créés par la communauté auront également leur place et leurs bornes d’arcade. La simulation accessible sur Xbox 360 et sur PC ira jusqu’à permettre de payer à la partie (en points Microsoft) de la même manière que l’on glissait des pièces de monnaie dans les cabinets d’alors. Mille jeux pourraient se rendre ainsi disponibles dans les trois prochaines années.

Convergences et relief

Au même CES, Sony a plutôt remis en avant, sans la nommer ainsi, une politique de convergence. Interne avec la réorganisation de ses circuits de distribution faisant passer les produits Sony et Sony Computer par les mêmes canaux de distribution, puis la mise en place d’une nouvelle entité baptisée Sony Network Entertainment, Inc. (SNEI) qui centralisera les stratégies des différentes branches de la société. Du côté public, le PlayStation Network actuellement destiné à la PS3 et à la PlayStation Portable se rendra accessible à travers toutes les gammes de produits Sony connectés, comme désormais les écrans Bravia, les lecteurs Blu-ray et bien sûr les PC Vaio. Plus remarquable fut l’absence d’annonce concernant le projet de manette à reconnaissance dans l’espace PS3, lui aussi inspiré par la Wiimote de Nintendo. Présenté à l’E3 2009 puis envisagé pour une sortie au printemps 2010 lors du Tokyo Game Show de septembre, le procédé qui sera exploitable sur de nouveaux jeux comme sur d’anciens remixés (un Resident Evil 5 : Director’s cut notamment, mais aussi Flower, LittleBigPlanet et d’autres) est resté bien discret. Un report du lancement le rapprochant du Project Natal de Microsoft prêt à se donner les moyens de prendre la vedette ne serait pas une bonne chose pour Sony. La société japonaise a en revanche confirmé au CES que la PlayStation 3 sera bien capable d’afficher des programmes en relief après deux mises à jours de son firmware courant 2010. Une première pour les jeux et une deuxième un peu plus tard pour les films sur Blu-ray. Avec Panasonic, Samsung, LG, et Toshiba, Sony a sorti la grosse artillerie médiatique et technologique pour préparer l’avènement du relief dans les foyers avant la fin 2010. Le jeu vidéo devrait essuyer les premiers plâtres.

Influences

Une bonne idée restant rarement orpheline, les sociétés Razer et Sixense Entertainment ont aussi profité du CES pour présenter un procédé de reconnaissance de mouvements adapté aux jeux sur PC. Démonstration appuyée par le jeu Left for Dead 2 du respecté studio Valve. Plus tard qu’on aurait pu croire depuis l’idée lancée par la Wii en 2006, le coréen LG a présenté des télécommandes de télévision à reconnaissance dans l’espace façon Wiimote nommées Magic Wand. Ce n’est pas du jeu mais choisir ses menus en pointant vers l’écran devient ludique, pour ne pas dire évident une fois que tous les constructeurs s’y seront mis.

Poker menteur, par omission

Les deux gros constructeurs et leaders high-tech de l’industrie du jeux vidéo ayant mis sur la table de jeu de Las Vegas l’essentiel de leurs cartes, les regards se tournent inévitablement vers les deux players absents du CES. L’historique Nintendo qui refuse toujours de laisser filtrer une version améliorée de sa Wii, et le nouveau challenger Apple, dont la tablette à tout faire, y compris le jeu, espérée pour fin janvier, pourrait changer la donne comme l’iPhone est en train de changer les règles du gaming portable. Quoi qu’il en soit, une chose reste sûre. Du relief à la reconnaissance de mouvement dans l’espace, assis ou debout, immobile ou en mouvement, cérébral ou physique, le jeu vidéo va encore une fois franchir et explorer de nouveaux espaces, de nouvelles dimensions. Aux sens physiques et mentaux. Et sans doute entrainer le reste de l’industrie digitale et high-tech à sa suite.

François Bliss de la Boissière

(Publié en janvier 2010 sur Electron Libre) 

 


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