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Olivier Derivière (Interview) : De Dying Light 2 à A Plague Tale Requiem

Capable de travailler sur des projets à petit budget comme des grosses productions, le musicien autodidacte français Olivier Derivière a, depuis 2004, composé la musique de plus d’une vingtaine de jeux vidéo. Entre avril et mai 2022, juste après la sortie de Dying Light 2 dont qu’il continuait d’améliorer la musique, et du prochain, alors non daté, A Plague Tale : Requiem en cours de finalisation, il a pris le temps de nous expliquer son approche d’une profession encore en phase d’apprentissage.

Avant-propos

La musique de jeux vidéo a l’âge du jeu vidéo, soit comme le jeu Pong : 50 ans. Contrairement à la piste musicale d’un film lié sans jamais changer aux images, la musique de jeux vidéo fait partie intégrale du logiciel de jeu programmé sur des microprocesseurs et varie en fonction de l’action du joueur. Elle sonorise l’interactivité des jeux vidéo alors sur supports cartouches dans les premières consoles de jeu (Atari 2600, Megadrive, Super Nintendo…) et les bornes de salles d’arcade. Les mélodies existent mais le son est synthétique, limité. Au milieu des années 90 les jeux comme les logiciels s’installent sur des CD-ROM, puis des DVD. La musique atteint alors une qualité de CD audio. Des chansons pop, rock ou de la musique orchestrale donnent désormais vie aux jeux vidéo. Dans les années 2000, quand des disques durs aux temps d’accès plus rapides équipent les consoles et PC, la musique se complexifie en compagnie de jeux de plus en plus sophistiqués. Les jeux profitent de plus de pistes musicales et, surtout d’une meilleure intégration au gameplay. Avec l’arrivée des SSD (Solid-State Drive, disques à mémoire flash ultra rapide) sur PC et dans les dernières consoles, la musique s’enrichit encore avec de nouvelles possibilités liées à l’interactivité des jeux.

Profile express

Entre 2004 et 2021, Olivier Derivière compose la musique de plus d’une vingtaine de jeux vidéo dans son studio d’enregistrement aux portes de Paris. À partir de 6 ans, il étudie la musique classique, apprend les harmonies, les orchestrations, s’intéresse aux percussions mais, gamer depuis l’âge de 8 ans, il rêve de devenir programmeur de jeux vidéo. Il trouve alors un compromis en s’intéressant aux logiciels de composition musicale. Sa passion du jeu vidéo entraine sa connaissance de la musique, ou inversement. Résultat ? Ses BO illustrent de nombreuses productions françaises et internationales. Il semble se spécialiser dans les jeux d’aventure sombre (Alone in the Dark), ou « de survie » (Obscure), et puis quand l’occasion se présente il s’attaque à des jeux plus narratif (11-11 : Memories Retold), ou des jeux d’arcade comme le rétro Streets Of Rage 4. Son expertise lui permet ainsi de passer de musiques orchestrales sur un jeu d’aventure (Assassin’s Creed IV : Freedom Cry), à de l’électro au service d’un jeu d’aventure futuriste (Remember Me). Capable de travailler sur des projets indés comme des grosses productions, le très actif français Olivier Derivière fait désormais partie de la courte liste de compositeurs de musique de jeux vidéo connus dans le monde. 

Interview

« On a tendance à penser que la musique de jeu vidéo n’est faite que de blip et de blop »

Bliss : Question inévitable… Quelle différence entre une musique de film et de jeu vidéo ? Tu dis notamment que la musique de film concerne l’histoire alors que la musique de jeux vidéo accompagne le gameplay. Et si un jeu vidéo contient une histoire alors il faut écrire de la musique pour les deux ?

Olivier Derivière : Le terme “jeu vidéo” reste très réducteur. Il existe une multitude d’approches et d’expériences interactives. Le jeu vidéo est ce médium particulier où le spectateur est actif, contrairement au cinéma où nous sommes passifs. Dans les jeux les plus cinématographiques, avec une histoire, incluant des phases de passivité du joueur devant des cinématiques et des dialogues, il y a de fait une proximité avec le cinéma. Et cela se retrouve dans la musique du jeu qui emprunte alors ses codes au « grand frère » cinéma. À cause de ses contraintes et possibilités interactives, le jeu vidéo demande en réalité une toute autre approche créative et technique. Mais les codes de conception musicale propres aux jeux vidéo n’existent pas encore beaucoup. 

Bliss : On sait à peu près la quantité de musique et le nombre de pistes musicales fournies pour un film, mais de ton côté, combien de pistes musicales et même d’heures de musique fournis-tu en moyenne pour un jeu vidéo ?

O.D. : Tout dépend du jeu. Un film dure en moyenne plus de 2h alors qu’un jeu peut comptabiliser plus de 20h (voire 100h et plus, NDR). S’il s’agit d’un jeu de réflection, d’action pure, des genres étrangers à la narration, alors la quantité de musique à fournir varie de quelques minutes à 1h. En revanche, avec un jeu narratif, une production de jeu vidéo s’apparente à une production de série télé, et le nombre d’heures de musique se fait en fonction. Cela peut ainsi approcher plus de 6h de plages musicales comme avec le récent Dying Light 2… ou le prochain A Plague Tale : Requiem. 

Bliss : Dans une production en monde ouvert comme Dying Light 2 (voir chronique ici) tu « bruites » (mets en musique ?) de nombreux éléments et objets interactif… A titre d’exemple, combien de pistes musicales, micro ou majeures, sont disponibles à tout moment en cours de jeu en fonction de l’action et des manipulations du joueur ?

O. D. : Cette production a été une expérience très enrichissante. Dans une telle aventure en monde ouvert où le joueur est libre d’agir à sa guise dans le décor, j’ai illustré en musique une quantité d’activités uniques de gameplay qui se jouent et s’entendent en même temps que la musique narrative de l’aventure. Quand le joueur utilise des jumelles, par exemple, son geste déclenche des notes de musiques particulières qui donnent une humeur. Les séquences de Parkour où le joueur se déplace en équilibre à travers le décor et les dangers activent plus de dix variations musicales selon le contexte et le scénario. Si le joueur se contente de courir alors la musique reste en retrait. Lorsque le joueur pratique d’avantage de mouvements de Parkour, alors la musique s’amplifie jusqu’à atteindre ce que l’on a appelé le “Parkour flow”, une sorte de transe qui gratifie le joueur d’une musique encore plus excitante. 

Bliss : Initiative très inédite, après la commercialisation de Dying Light 2 tu as proposé à tes followers sur les réseaux sociaux de modifier ici ou là ta partition musicale malgré tes trois longues années de travail dessus, voire d’ajouter des pistes, à l’occasion d’une mise à jour du jeu. Pourquoi ? Et l’as-tu vraiment fait ?

O.D. : En effet, j’ai modifié des éléments musicaux très rapidement après les premiers commentaires des joueurs. Je trouve assez fascinant qu’un jeu vidéo puisse encore s’améliorer après sa commercialisation du fait des retours des joueurs. Souvent l’équilibrage du gameplay et la qualité technique de certains effets sont modifiés après la sortie, alors pourquoi ne pas faire la même chose avec la musique ?

Bliss : Il t’arrive de composer jusqu’à 3 musiques de jeux vidéo aux style très différents en une seul année, comment fais-tu ?

O.D. : Je ne sais pas. C’est une faculté qui ne s’explique pas. Je dirais que les jeux sont tellement inspirant et les équipes tellement passionnées que je peux naviguer à travers leurs univers sans trop de difficultés.

Bliss : Tu fais parfois appel à de prestigieux orchestres symphonique comme le Boston Symphony Orchestra, ou le Choeur d’Enfants de l’Opéra de Paris… Leur utilisation dépend du budget de la production ?

O.D. : Oui, mais j’ai toujours fait en sorte que la musique que je produisais soit interprétée par les meilleurs musiciens au monde. Pas parce que je pense que ma musique la mérite en soit, mais parce que ces orchestres l’élèvent à un niveau de musicalité incroyable. On a tendance à penser que la musique de jeu vidéo n’est faite que de blip et de blop mais quand on entend les musiciens de ces orchestres au service des jeux et des joueurs, l’expérience de jeu prend une autre ampleur…

Bliss : Tu as travaillé naturellement avec plusieurs studios et éditeurs français, mais comment t’es-tu retrouvé à collaborer avec les studios polonais Techland sur Dying Light 2 et Farm 51 sur Get Even ?

O.D. : Je collabore naturellement avec beaucoup de studios français comme Asobo, Spiders, Dontnod… dont les productions rayonnent partout dans le monde. Au-delà de nos frontières j’ai travaillé avec Disney à San Francisco, avec Ubisoft Québec, le studio d’animation anglais Aardman, des studios hongrois, polonais, et actuellement des allemands et des canadiens/américains. Le jeu vidéo est très international !

Bliss : Après les jeux Obscure 1 puis 2 de tes débuts, tu travailles à nouveau cette année sur une suite avec A Plague Tale : Requiem… Est-ce plus facile ou au contraire plus complexe pour notamment garder une similarité sans se répéter ? Est-ce aussi l’occasion de corriger, ou d’améliorer – si cela te semblait nécessaire, l’approche musicale du premier jeu ?

O. D. : C’est toujours la grande difficulté. Faire une suite directe oblige à apporter un vent frais sans trahir les pré-requis. Je pense que nous avons réussi cet exercice avec le studio Asobo (développeurs de A Plague Tale, mais aussi de Microsoft Flight Simulator 2020, NDR) mais seuls les joueurs/joueuses en décideront. L’essentiel est d’étendre l’univers pré existant vers de nouvelles zones émotionnelles. 

Bliss : De nombreux posts sur les réseaux sociaux à des Masters Class, tu as une approche très militante et pédagogique de ton travail, pourquoi ? La musique de jeu vidéo a-t-elle besoin d’être défendue, mieux reconnue ?

O. D. : Cela fait plus de 20 ans maintenant que je donne des conférences* et visite les équipes de création à travers le monde. La célébrité n’a jamais été mon objectif, je profite de ma notoriété pour tenter de sensibiliser les professionnels du jeu vidéo eux-mêmes sur la manière dont la musique interactive dans le jeu vidéo pourrait être plus distincte et qu’elle ne se suffise pas de faire de l’illustration façon cinéma. On parle souvent d’avancées technologiques dans le jeu vidéo tout en oubliant que la musique elle-même peut en bénéficier, au service de l’expérience interactive. Cela peut paraitre abstrait dit ainsi mais il suffit de voir les réactions des joueurs sur la musique réactive de Parkour de Dying Light 2 pour réaliser l’apport inouï que cela a sur le ressenti des joueurs. 

* Olivier Derivière participe à la série documentaire « Play » sur les métiers du jeu vidéo diffusée sur France TV Slash.

Propos recueillis entre avril et mai 2022.

François Bliss de la Boissière

(Interview éditée et écourtée parue dans le mensuel Comment ça marche en septembre 2022)

Notes complémentaires

  • En CD, vinyle ou streaming, la musique originale du jeu de survie Dying Light 2 interprétée par le London Contemporary Orchestra comptabilise 33 pistes pour une durée de 98 minutes. Mais le jeu complet contient plus de 6h de musique selon son compositeur Olivier Derivière.

À lire également, précédente interview en 2014…

Olivier Derivièvre : Talent brut


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Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire.
Pour en savoir plus, n’hésitez pas à lire ma Note d’intention.

Jason Schreier & video games : Only the truth (interview PART II)

Il faut beaucoup de passion pour travailler dans le jeu vidéo à en croire les témoignages recueillis par Jason Schreier. Travailler le jour et la nuit, les week-ends et ce pendant plusieurs mois n’est pas rare. Le fameux crunch fait encore des ravages dans des entreprises du jeu vidéo pourtant parfois millionnaires mais qui continuent à se comporter comme une bande de gamins faisant un jeu dans leur garage au début des années 80. Parmi tous les folklores du jeu vidéo, ce n’est peut-être pas celui qui mérite de continuer.

Suite de l’interview du journaliste américain de Kotaku et désormais auteur du livre bien nommé Blood, Sweat, and Pixels (Du Sang, des larmes et des pixels en français)

Première partie à lire ici

About working long hours in video games…


Bliss :
Reading your book, we learn that working in video games is not a happy glamorous life, isn’t it ?

Jason Schreier : No, for sure.

Bliss : What does it mean if you want to work in video games today compared like, say, ten years ago when you started reporting the video game industry ?

J.S. : I think it’s gotten better. In large part because people are talking about the crunch culture a lot more, the overtime, the excruciating hours. I think people are more aware. The companies are trying a little bit harder but people have to be very aware that in making games they’re getting into this world that is brutal.

Bliss : In France we have several video game schools, and I’m not sure they teach that to their students. For instance you wrote that a studio used to work 100 hours a week for one year ! In France that would be probably impossible…

J.S. : Even in France it could happened I think. I just read that the studio Eugen Systems went on strike here ? So I’m sure it’s the same here. I also read about Quantic Dreams problems, the overtime, the work conditions…

Bliss : But it’s really the first time in France since the late 90s and the Ubisoft Ubi Free uprising (not counting Eden Games short strike in 2011 for layouts. In 2018 it’s just about a few guys complaining, certainly rightly so but in an almost confidential way. Did it come to that point in the States ? No public revelations, controversies or strikes ?

J.S. : Oh yeah, of course. There are definitely controversies.

Bliss : It’s not very much reported on the video games web sites…

J.S. : Well because it became just like standard : of course people are crunching, of course people are working hard, it’s just like normal. It’s considered normal in the state of things. It’s unfortunate but yes it’s a problem. Something people should be aware of if they’re thinking about working in video games that’s for sure.

Bliss : Some of your quotes in the book are crazy : « Making a game is like making a construction during an earthquake » ? « Everyone who makes video games has to crunch, sacrifice personal lives dans family ». « Every single video game is made under abnormal circumstances »
« Still those same people can’t imagine doing anything else »…

J.S. : (Laughs)

Bliss : So it’s not glamorous but it could be like a rock’n roll full life or carrier but it’s not even that. It’s a cliché but people making games are really just sitting in front of a computer…

J.S. : Yes. But it’s fun. I didn’t make games but I imagine it’s a lot of fun too. Be part of a creative atmosphere and knowing that you’re making something that potentially millions of people could play and enjoy. You get to go to an office everyday and make video games and test video games and play video games so it does have a certain appeal. I understand why people do it despite all of the hardship.

Bliss : Did you get that vibe when you visited those studios ? That the people are really enjoying what they’re doing ?

J.S. : Yes, but it depends of what type of job you have in the game industry, what the personalities are like. I think that one of the reasons that crunch culture is able to fester is because people are so passionate about their job that they’re willing to put on extra hours. And a lot of it is people volunteering to put extra hours. They’re working because they want to stay after work and putting all that extra time. They want to work nights and week-ends. They know they really want to get their favorite feature in the game or something like that. I think that part of the problem is that with this much passion people can end up hurting themselves, or hurting their families.

Bliss : You say they do that to themselves and it’s not a corporate decision…

J.S. : It’s a mixed of both. In some studios there might be bad management that’s leading to it. I heard some people arguing about the fact that anytime you have to work overtime it’s the result of bad management. But some people think it’s the direct result of people just wanting to stay and put extra time to make sure they’re really care about making their games as good as possible.

Bliss : So you heard about Quantic Dreams problems, and supposedly management and coworkers harassments. Some people also suffered from some bad jokes inside. I wasn’t surprised personally because it sounds like college immature bad jokes for the most part… Not to run in their defense but do you think it’s the same in about any studios in the world ?

J.S. : Like I said, this college frat house mentality is like how the industry started. And then overtime it became more and more professional and more like an office with proper HR department. But I’m sure there are still after college jokes and immature stuff at studio’s. But it’s becoming less and less common over time. It feels like the video game industry is growing and getting more mature over time. I’m sure it still happens as we saw at Quantic Dream’s and I’m sure there are other studios where the same thing happens. I’m sure the same thing happens in other companies in all sorts of industries. It’s getting better at least. It’s good when people are exposing that sort of things. I think that’s how you fight it. Publicly report it.

Bliss : Do you think it might hurt the sales of Quantic Dream’s game (Detroit : Become Human, just out) ?

J.S. : No. I think it’s for the best for the studio to have that sort of thing reported. If people in a game studios have to deal with an uncomfortable situation, the founders sending around jokes or whatever, then it needs to be reported. I think it’s more important to care about the people who are working there than to care about the sales.

About the lack of women working in the video game industry…


Bliss :
At the beginning of your book you said that you were sorry because you didn’t talk to many women in the industry…

J.S. : Unfortunately, no ! The biggest problem in the game industry is that there are not enough women in positions of power at the top of studios, and management positions. One of the things you saw in the book is that it’s a very male dominated industry. EA has one studio in Canada that is entirely driven by women, studio heads and the women at the top positions there (EA Motive in Montreal). We’re seeing progress but it’s not moving perfectly.

Bliss : But where does it start ? Is it because there are not enough women interested in video games, or is it some kind of male selection at the door ?

J.S. : I think it’s just related to the eighties. The video game culture started with people in their twenties, teenagers male leaving all together in the house drinking diet coke and eating pizzas while they make video games. They probably smelled terrible…(laughs) That was the original video game industry and it’s only recently that it’s become more professionalized, less okay with that to be the atmosphere. It’s been a very gradual shift for women starting to get more opportunities to rise up and have carriers in the video game industry. I think it was much tougher back then. It’s still tough but it’s gradually improving overtime.

Bliss : Did you have any report about sexual harassments ? Could it be something women know and they don’t go into this industry because of it ?

J.S. : There is definitely sexual harassments. You hear people talk about it a lot about’ especially since the #Metoo movement. A lot of women use some private whisper networks where they talk privately about men to stay away from them, that sort of things. We haven’t seen something like a Harvey Weinstein big story in the video game industry, but I’m sure they are out-there.

About making games and winning the lottery…


Bliss :
Do you have any knowledge or a feel about the percentage of people going in this industry for the love of the games or for the money ? Like some kind of jackpot if the game becomes a sale miracle or an insta fortune like Notch/Markus Persson won when he sold Minecraft to Microsoft… ?

J.S. : I think it would be rare to find people who’d be just in it for the money because you have better chances of buying a lottery ticket or something. Stardew Valley is the one case where someone works on something for five years and suddenly he’s a multi millionnaire. That only happened because he was passionate and loved video games. He didn’t really care about money. I don’t think it’s very common to see people being in video games just for the paycheck because I don’t think the paycheck is big enough to justify that. Those that are there for the paycheck might as well go work for a bank or something…

Bliss : You don’t think that part of the drive to go in the game industry might be to get the money that a big success can bring ?

J.S. : Everybody wants to support their families but I think that people are going to games because they love games. The salary is very descent in games from what I’ve seen in the US, especially in some of the biggest cities, but it’s not that lucrative like in a field where you would make tons of money.

Bliss : There are some guys in your book that definitely want to make a Nintendo game, that’s their dream, so those ones are not here for the bucks but to make a special game they love. But I guess there are some people trying to mock up the Blizzard/World of Warcraft model for instance, making one big game service for a long time, more like a business model than a « game ».

J.S. : In the world of console games, probably not. But in the phone world, the mobile world, I think they are a lot of people that want to get rich quick. Like making a Candy Crush or the new Angry Birds or whatever. But now it’s been so oversaturated, the library of mobile games is so big that you can’t even notice any game that are coming out. So yeah in that world I think there are people here to make a buck not games.

Bliss : In the 80s and 90s legend, the first thing American game developers did when they made some money, was to buy a fancy car. At least in the US. So does this tradition go on now ? Did you notice any expensive cars, Ferraris or Lamborghinis on the studio’s parking lots you had access to ?

J.S. : No not really. The ones that I went to were not super rich studios. When I met Eric Barone who made Stardew Valley, his car didn’t even work properly. The driver seat door was jammed so he had to go around to the passenger seat to get in (laughs) ! He’s not interested in money. I spoke to him recently and he still lives in a house with two roommates and his girlfriend. And he has like 20 millions in his bank account (laughs). He just doesn’t care.

About not loosing the game magic…


Bliss :
Do you think that the more we know about how games are made we loose the magic of playing the game ? Do you loose that magic the more you know about that… blood, sweat and pixel tears that are apparently required to make games ?

J.S. : No. Not at all. I appreciate it more. I’m playing the new God of War game and I look around for the little things and I think in my head about the amount of work that went into each little details in the game. Or I’m seeing the tricks that they are using. I really makes me appreciate things so much more. I feel like I’m a more educated game player. I’m seeing the things they are doing and it’s still so impressive even when you know the amount of work that went into it.

Bliss : It increases the pleasure of the player.

J.S. : I think so.

Bliss : Are you sure there are that many people who wants to know how are things done in the background ? For instance in movies, all the making of bonus on DVDs and Blu-rays are only seen by a fraction of the movie audience.

J.S. : From what I’ve seen, a lot of people like to find the behind the scene stories. How they did Atreus (God of War’s son) for instance. There is a lot of appetite for that kind of details.

Bliss : So you’re going back to writing a book and still being a game journalist daily ? Are you keeping both activities simultaneously ?

J.S. : Yes. It’s a little crazy (laughs), but that’s the plan.

Bliss : Would you consider doing some games yourself now that you know how it works ?

J.S. : No. I’ve never been really interested in that. I’m more interested in journalism. That’s what I always wanted to do as a kid. I always wanted to be a « writer ».

Jason Schreier & video games : Just the truth (interview PART I)

François Bliss de la Boissière

(Recorded April 17 2018 in Paris)

DU SANG DES LARMES ET DES PIXELS par Jason Schreier

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Jason Schreier & video games : Just the truth (interview PART I)

Journaliste new-yorkais spécialisé jeux vidéo et désormais « auteur », depuis la sortie de son livre Blood, Sweat & Pixels en septembre 2017 aux USA, le new-yorkais Jason Schreier est venu à Paris présenter l’édition française de son livre *. Une démarche un peu inattendue, voire incestueuse dans le milieu des journalistes jeux vidéo qui connaissent normalement le même sujet sur le bout des doigts. Cela étant dit, Jason a vraiment travaillé son affaire. Le bouquin regorge de détails intéressants sur la réalisation de 10 jeux, même quand on est familier des studios en question. Alors plutôt que de lui faire répéter les anecdotes « gaming » que chacun peut trouver dans le livre, j’ai préféré l’interroger sur le making of du bouquin et connaître son regard d’américain sur l’évolution de l’industrie du jeu vidéo.

Comme j’en ai l’habitude, on trouvera ici en deux parties l’intégral de cet entretien en anglais original. Une toute petite partie synthétique doit être publiée en français dans un mensuel. Je traduirais l’ensemble en français un jour ou l’autre.

DU SANG DES LARMES ET DES PIXELS par Jason Schreier

About becoming a game journalist…


Bliss :
When and how did you start writing about games ?

Jason Schreier : I think it was 2008 or 2009… I’m 31 now, so 10 years ago I started freelancing for different websites… I’ve always been interested in doing journalism, and writing, so after I graduated from college in New York University I was doing freelance writing on any subjects. And I was very bored because I was going to meetings, like local government meetings, city councils and stuff like that, out of my mind bored. Eventually I thought that I should write about something more interesting like, say, video games. I decided to look if it was possible and I started freelancing for video games websites. I would send emails to every websites I could find and pitched myself to them that I could do reviews. At some point I got a job writing for Wired and their magazine and their website. I was a contributing writer for a couple of years when I got an email from Stephen Totilo (Kotaku Editor In chief) asking « Do you want to come to work for me ?». And I have been writing for Kotaku for six and a half years now.

Bliss : You’ve been recruited by Kotaku from Wired ? Not bad. At Wired you wrote about games or other subjects ?

J.S. : No, only about games. Game culture, game industry, the stuff I was most interested in.

Bliss : Do you have some special convincing skills that you used to convince Wired to let you in and then convince all the games studios you talked to to write your book ?

J.S. : The quality is just being very annoying (big laughs). Just bugging them over and over (laughs). But it’s a lot of things. I think I try to be very fair, they know that if I write about them it’s going to be fair, truthful and honest and that I’m not going lie or anything. They know I’ll treat them fairly. I think that’s the big part of it.

Bliss : Also because you previously wrote for Wired or Kotaku…

J.S. : Most of them are familiar with the stuff I was doing for Kotaku so they already knew me, yes.

Bliss : Kotaku is part of a network (Gizmodo Media Group ex Gawker). Do you have any constrains or obligations regarding to this group, or are you free to write what you want ? Is there a company higher hierarchy you have to answer to ?

J.S. : We’re part of a bigger company. The company’s decisions affect us all and we have sisters sites that are all part of a family so to speak, but nobody comes up and says « you can’t write about this and you should write about this ». I don’t think I would work, I think I would quit if someone would tell me I can’t write about this. Especially if it was… because « we have advertisers that won’t be happy ».

Bliss : So it doesn’t happen ?

J.S. : No. It’s never happened to me fortunately.

Bliss : Sorry also for this question but as a journalist are you on a monthly salary or freelancing ?

J.S. : No, regularly salary, yearly we call it in the States. The paycheck is twice a month.

Bliss : The book is out since September 2017 in the US, how is it doing ? You have some numbers to share ?

J.S. : It’s doing alright. I can’t show numbers but I just agreed to make a second book so it did well enough.

Bliss : The second book will be a follow up on the first ?

J.S. : It’s going to be a little different, but it will still be about video games. We’re still trying to figure it out so I don’t want to talk too much about it because I’m still like structuring and figuring out the best way to do it. But it will be about games and I’ll talk to people who make games and that sort of thing.

Bliss : How come as a journalist you had an agent ? How did this happen ?

J.S. : In the States, in order to sell a book to a big publisher, you need an agent. My agent, Charlie Olsen, and I knew each other before. We encountered each other and had a drink in the past. One day he emailed me after an article I wrote about Destiny in octobre 2015, and said : « We should talk about doing a book like this ». So he and I talked, we had a couple of meetings at lunch and formulate a plan. And what we did was, we made an outline and we took that around to different book publishers. Because the processing in the States is you : pitch it to book publishers, some will say yes and some will say no. And that’s what the agent is for, he handles the business side and negotiations side. So Harper Collins liked the idea, we met with them a couple of times, they really like it and that what lead to the book.

Bliss : It took two years to write the book. Did you keep your job as journalist at the same time ?

J.S. : Yes, it was a little tense (laughs). I had a little bit of time off to make reporting trips to some studios and fit into the schedule. But the writing itself I did on nights and week-ends mostly. Outside of Kotaku work.

Bliss : When you work for Kotaku do you have to go to the office dayly or do your work from home ? How does it work ?

J.S. : I go to the office pretty often yeah. I’ll say once a week or so.

Bliss : It’s not like you have to be there everyday ?

J.S. : My boss prefers it when I’m here but I say « hey can I work from home ? »…

Bliss : Just like a freelancer journalist then.

J.S. : Yeah (laughs).

About writing a book about game studios


Bliss :
You interviewed around a hundred people… Is everybody named in the book ?

J.S. : No, not everybody. I would say like 80% are named in the book. The Destiny chapter and the Star Wars 1313 chapters were the two with the more anonymous people. I named a few people but some stayed anonymously.

Bliss : Your investigations were authorized, yes ? You didn’t go undercover anywhere.

J.S. : Yes. No I didn’t go undercover. I think it would be a little difficult to do.

Bliss : But the people you talked to without revealing their names, you had to talk to them without anybody knowing…

J.S. : Right. The studios were involved in most of the chapters in the book. They let me in and I talked to the people working on Dragon Age or Uncharted. So I went to those studios, and sat there, and interviewed people. They were okay with it and officially approving it. With Destiny, like I mentioned, they didn’t want to participate. They don’t like me because I reported on their games too much (laughs). The people at Bungie’s who made the game didn’t want anything to do with my book, so I had to go around them, and talk to people who weren’t necessary supposed to be talking to me.

Bliss : How did you find those people then ?

J.S. : Mmm different ways. The people I known from previous reporting or people I knew I just reached out to.

Bliss : Did some studios asked to read your writing for approval or some sort before publishing ?

J.S. : If people would’ve asked I wouldn’t let them. I don’t know if anybody asked but I think they would all know I wouldn’t let them do that. A couple of people asked to fact check. If someone might say « can I see this quote juste to make sure you quoted me correctly » I would say « okay, but you can’t change it because you already said it ». So they said « fine ». But nobody has read the book before it came out.

Bliss : Did you sign any NDA (Non Disclosure Agreement) before talking to people or visiting studios ?

J.S. : Well, to get inside some of the studios, they make you sign some paperwork saying « If you happen to see some secret thing in the corner then you can’t report it »

Bliss : How do you know it’s secret or not ?

J.S. : (laughs) That’s the question, right ?

Mana Books representative present in the room : If you see a PS5 on a box then you know… (laughs)

J.S. : Exactly. I went to EA’s before they announced Bioware’s Anthem, so they wanted to make sure I wouldn’t sneak around and see it. So they only allowed me on one floor of the building. They didn’t let me go upstairs.

Bliss : Did you spot anything interesting at the time ?

J.S. : No. It worked (laughs)

Bliss : While writing the book did you worry about loosing credibility as a game journalist, or trust from the game developers because you might reveal anything ? There are some critical moments when you write about Bungie, Microsoft…

J.S. : The purpose of the book is not to report on leaks or scams or anything like that. I knew that some people would be a little anxious for a couple of chapters. But no, I wasn’t too worried about it. Because all that matters is that it’s the truth, right ? The truth will always stands out.

Bliss : Did you get any backlash from any studios once the book was finished ?

J.S. : No, not really. If there was a backlash they are quiet about it. They just don’t talk.

Bliss : No studios pulled any PR stunt saying this or this is wrong, « this is not an accurate vision of our studio » ?

J.S. : No, I mean I tried to be very thorough making sure that everything is accurate as possible

Bliss : So they couldn’t deny anything…

J.S. : Exactly.

Bliss : So your thing is bullet proof ?

J.S. : I hope so (laughs).

Bliss : Did you have some inputs or comments once the book was out ? From the people who are working in those studios for instance ?

J.S. : Yes, I got a lot of comments. Some people send me emails like « oh yeah I read your book » and wanted to say nice things.

Jason Schreier : Only the truth (interview Part II)

François Bliss de la Boissière

(Recorded April 17 2018 in Paris)


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Ron Perlman interview carrière : Hellboy, survivant de la guerre du feu

Dans la lointaine Guerre du Feu il courait après un feu encore divin. Dans Hellboy il interprète un démon humaniste jouant avec le feu de l’enfer. Lucide, Ron Perlman ne s’enflamme pas au moment où son nom s’inscrit enfin en haut de l’affiche.

Note : Rencontrer et interviewer Ron Perlman fut pour moi un grand moment de cinéphile. Hellboy le mettait enfin tout en haut de l’affiche et il est depuis devenu aussi star de plusieurs séries TV, mais dans les faits, avant 2004 et Hellboy, sa présence à l’écran n’était appréciée que par une poignée de spectateurs (et de réalisateurs) attentifs. Le petit regard malicieux de côté retenu depuis son personnage de La Guerre du feu ? Il appartient en propre à Ron Perlman. Derrière un physique imposant et un sourire carnassier, Ron Perlman dégage une intelligence aussi vive que sa franchise et son humour. Il se prétend forçat de l’acting, travailler pour payer son toit et faire manger sa famille, mais la longévité de sa carrière et un bon nombre de ses films prouvent surtout un talent durable et reconnu par les metteurs en scène (sa filmographie ici). Il a supporté la charge de mes questions avec beaucoup de sportivité, de malice et encore une fois, de franchise. Une liberté de parole et de pensée qu’il exerce sans détour sur twitter pour dénoncer, entres autres forfaitures, l’administration Trump des années 2017. Voir par exemple cette prise de parole lors d’une interview en août 2017. On recommande vivement de le suivre ici… Même si cela arrive bien tardivement, je suis content de mettre ici l’intégralité de cet entretien qui regorge de détails et d’anecdotes sur la collaboration de Perlman avec del Toro et Jean-Jacques Annaud. Même en français. On y entend aussi une personnalité qui mélange assez inhabituellement coolitude et détermination. J’étais le dernier à l’interviewer seul ce jour ce 5 août 2004, et alors qu’une attachée de presse nous faisait des signes pour, j’imagine, arrêter l’interview en cours, je me suis tourné candidement vers Ron Perlman pour lui demander…
– Vous pouvez m’accorder encore un peu de temps ?

– (Il regarde ma pile de feuilles avec une quarantaine de questions…) Oui, vous êtes ma dernière interview alors vous pouvez avoir le temps dont vous avez besoin.
– Vraiment ?
Ouais.
Et l’interview s’est arrêtée naturellement sur la meilleure réponse qu’il pouvait donner à ma dernière question…

Ron Perlman

Ron Perlman, l’interview intégrale Hellboy et carrière

Bliss : Depuis vos mémorables prestations des années 80 dans la Guerre du Feu et Le Nom de la Rose on vous attend en haut de l’affiche. Vous auriez pu jouer un aventurier, un highlander, ou même un vilain récurrent… Pourquoi tout ce temps ?

Ron Perlman : Oui, moi aussi je l’attendais. J’ai toujours été lent, plus lent que les autres. Je ne sais pas, ce n’est pas venu vers moi. Tout ce qui est venu à moi, est sur l’écran. Je n’ai jamais rien refusé parce ce que je n’ai pas assez de propositions pour avoir le luxe de dire non. La plupart du temps, je suis embarrassé de ce qu’il y a à l’écran. J’essaie juste de gagner ma vie, de mettre mes enfants à l’école. Jusqu’à ce jour, même avec Hellboy, Hollywood ne m’a jamais compris. Ils ont certainement une idée différente que vous et moi.

Bliss : Vous avez un statut d’acteur culte en France. Êtes-vous confortable avec cette image ?

Ron Perlman : Très. Franchement j’aurais aimé avoir plus d’opportunités, mais n’enlevons rien au fait que toutes les choses dont je suis le plus fier ont été réalisées par deux metteurs en scène français, Jean-Jacques Annaud pour la Guerre du feu et Le Nom de la rose, Jean-Pierre Jeunet pour La Cité des Enfants Perdus et Alien Resurrection, puis  un mexicain avec Guillermo Del Toro sur Hellboy. Je suis reconnaissant qu’ils soient rentrés dans ma vie et qu’ils m’aient invité à participer à leur si importants films. Vous savez, ils sont ma carrière, quand je regarde en arrière et le sentiment de satisfaction vient des travaux de ces trois types. Je suis à un point maintenant où j’ai beaucoup de paix intérieure et d’auto satisfaction d’avoir eu l’occasion de faire des alliances extraordinaires avec des gens très très brillants et que du bon boulot en soit sorti.

Bliss : Vous avez dorénavant joué aux deux extrêmes des possibilités du cinéma : il y a 23 ans presque tout nu dehors en hiver dans La Guerre du feu, et, dans Hellboy, en studio recouvert de maquillage des pieds à la tête et face à des écrans verts où seront incrustés des décors plus tard. Que préférez-vous ?

Ron Perlman : Del Toro n’utilise pas autant d’écrans verts que vous croyez. Il met toujours une vraie image dans le cadre. Il l’augmentera, l’améliorera. J’ai donc eu la chance de ne pas jouer Roger Rabbit dans un univers complètement imaginaire. C’était dur sur La Guerre du Feu, très dur. Mais je rentrais très satisfait du challenge chaque soir. Vous n’êtes pas supposé être confortable ou vous amuser tout le temps. C’est normal. La vie est comme ça. Après tout, les films sont en quelque sorte le miroir de la condition humaine. La Guerre du Feu a été vraiment très dur à faire et probablement l’expérience la plus satisfaisante de ma vie à ce jour. Parce que nous avons relevé le défi. Nous avons fait face à la difficulté. Et c’est ce dont vous gardez le souvenir.

Bliss : Vous avez commencé en interprétant un homme préhistorique, cela a aidé ou handicapé le début de votre carrière ?

Ron Perlman : Cela ne l’a certainement pas aidée. Écoutez, quand vous commencez en tant qu’acteur, vous ne savez pas si vous allez avoir ou pas une carrière.  Alors La Guerre du Feu était mon premier film et je fais toujours des films alors cela a du aider, cela m’a mis un pied dans l’industrie du cinéma. Est-ce que cela m’a conduit directement à un quelconque autre rôle ? Je ne sais pas, peut-être que oui, peut-être que non. Je vais vous dire à quoi cela m’a conduit directement : au Nom de la Rose (5 ans plus tard tout de même, ndlr). Parce que si je n’avais pas fait La Guerre du Feu je n’aurais certainement pas fait le Nom de la Rose et Enemy at the Gates. C’était le début de cette relation avec Jean-Jacques Annaud qui a été un élément très important dans ma carrière.

Bliss : Votre participation au Nom de la Rose s’est pourtant décidée de justesse…

Ron Perlman : Le rôle avait été donné à quelqu’un d’autre pour des raisons politiques (Annaud explique que cette coproduction européenne ne devait pas faire appel à des acteurs américains, sauf en cas de coup dur, ndlr). Tel que je l’ai compris, le film était une coproduction entre l’Allemagne et l’Italie. Alors à un moment donné le gouvernement italien qui y mettait de l’argent a demandé : qui sont les acteurs italiens dans le film ? Et Jean-Jacques a dit : euuuh, euuuuh, euuuh, on n’en n’a aucun. Alors ils ont dit : mais quels rôles sont encore disponibles ? Et il répond, eeeuuh, il voulait vraiment que je joue Salavatore mais il dit : eh bien le rôle de Salvatore est toujours libre. Alors ils ont dit : soit vous utilisez un acteur italien pour Salvatore soit on retire nos deux millions de dollars. Alors il a engagé un acteur italien qui a commencé a très mal se comporter. Il n’est pas venu à un essai de costume, il n’est pas venu pour une coupe de cheveux, il se conduisait comme un vrai imbecile. Alors finalement, 3 jours avant de commencer à tourner, Jean-Jacques reçoit un coup de fil lui disant que cet acteur refuse de se couper les cheveux (tous les acteurs ont du subir la tonsure des moines, ndlr) et réclame deux fois plus d’argent pour se les faire couper. Jean-Jacques a tourné son dos au type et dit : s’il ne sort pas du plateau dans les 5 minutes, je vais aller jusqu’à ma voiture, attraper un flingue et tuer cet enfoiré (mother fucker) (je paraphrase). Mais Bernd Eichinger qui produisait le film a calmé Jean-Jacques : il est engagé, il doit tourner dans trois jours. Et Jean-Jacques répond : il ne tourne pas dans trois jours, je ne tourne pas dans trois jours s’il joue Salvatore. Et Bernd Eichinger lui demande : tu as un 2e choix ? IL EST mon second choix, mon premier choix dort en ce moment à Los Angeles. Et il ouvre son carnet d’adresse et dit : voilà son numéro de téléphone. Et à 5h15 du matin, mon téléphone sonne. Une minute après l’incident en Allemagne. Et on me dit : on a besoin du numéro de téléphone de ton agent, nous sommes sur le point de te faire une offre pour Le Nom de la Rose, mais doit conclure le deal d’ici une heure parce que tu dois être dans un avion dans trois heures. Et à 5H15 du matin, l’affaire était conclue.

Bliss : Votre personnage de moine simplet du Nom de la Rose s’exprime dans une langue bizarre cosmopolite… Était-ce dans le scénario ?

Ron Perlman : Ce n’était pas écrit, non. Jean-Jacques n’en parle pas dans le DVD (non, ndlr) ? Arrivé sur le tournage il m’apprend : « Je n’ai pas mis les dialogues que je voulais dans le script pour ne pas effrayer les gens qui financent le film, mais je veux que Salvatore parle tout le temps. C’est à toi de jouer. » Le livre d’Umberto Eco a été traduit dans environ 88 langues. J’ai mis la main sur six exemplaires de langues différentes. J’ai cherché les pages où Salvatore parle et j’ai reconstitué des dialogues – ou plutôt un « écho de dialogues » – en utilisant les différentes langues. Puis j’ai pioché au hasard : un premier mot en allemand, puis un mot en italien, un autre en espagnol, un en français, et j’ai jeté du latin dans le mixe. Jean-Jacques ne savait pas ce que j’allais faire jusqu’au moment de tourner. Quand Salvatore s’est mit à parler, je l’ai vu sourire. Je crois qu’il était plutôt réjouit de la décoction.

Bliss : Rick Baker, le célèbre responsable des maquillages vous avait recommandé pour jouer dans la version de Tim Burton de la Planète des Singes. Pourquoi cela ne s’est-il pas fait ?

Ron Perlman : Burton ne le sentait pas. Je ne l’ai jamais rencontré. Il n’a même pas voulu que j’auditionne. Il a refusé même de me rencontrer. Rick voulait que je joue le rôle que Michel Clarke Duncan a fini par jouer (le gorille Colonel Attar, ndlr).

Bliss : Vous semblez avoir un certain flegme et même du recul par rapport à votre métier…

Ron Perlman : Vous savez je n’ai jamais commencé pour devenir une star de cinéma. Et j’ai toujours été très réaliste par rapport à ce qui était faisable ou pas. Et j’ai autant de satisfaction à jouer un super rôle dans une seule scène d’un film qu’un simple bon rôle dans 46 scènes d’un film. Plus de satisfaction même quelque fois parce que souvent le résultat est mieux. Tout ce qui se passe au-delà de ce paradigme est un cadeau. Hellboy a été cet incroyable cadeau qui – il faut que vous me croyez quand je vous le dit – je crois encore que je vais me réveiller un jour et découvrir que tout ça a été un rêve. Cela n’aurait pas du arriver, cela n’était fait pour arriver. C’était une chose impossible de convaincre un studio de signer un très gros chèque sur un type qui n’avait aucune référence en tant que movie star. Et soyons lucide, c’est leur logique d’assurance. Ils n’ont pas tant de choses que ça à leur disposition qui puissent leur garantir un succès excepté que l’illusion que si vous êtes déjà passé par là, si vous avez la trace que vous êtes une entité qui engrange de l’argent vos chances sont plus grandes. C’est la façon dont les choses se font. Je ne le prends pas personnellement, je ne crois pas que cela soit difficile à comprendre, ce n’est certainement pas une malédiction me visant, je ne crois pas que qui que se soit souhaite que je tombe malade (me souhaite du mal), c’est juste la réalité et je le crois vraiment…

Bliss : Vous pensez que del Toro fait partie des 4-5 meilleurs réalisateurs au monde. Qui sont les autres pour vous ?

Ron Perlman : Pour moi, le plus grand réalisateur de film est Francis Ford Coppola. Et même s’il n’a pas fait un film depuis longtemps et même quand il ne travaille pas, il est toujours le meilleur. Tant qu’il est vivant, il est le meilleur réalisateur sur Terre. Je crois que Paul Thomas Anderson est un cinéaste important (Magnolia, Punch Drunk Love, There Will Blood…, ndr).

Bliss : Vous n’allez jamais frapper à leurs portes ?

Ron Perlman : Non, je ne sais pas où sont ces portes, mais si je savais peut-être que je le ferais. J’aimerais travailler avec le réalisateur brésilien qui a fait La cité de Dieu (Katia Lund et Fernando Meirelles, ndlr), avec Pedro Almodovar. Je liste ici mes films préférés des 5 dernières années.

Bliss : Vous citez essentiellement des réalisateurs de films indépendants ou européens, guère de Hollywood…

Ron Perlman : Je n’ai pas vu un film hollywoodien que j’ai aimé depuis un bon moment. Ridley Scott se place juste après Francis (Coppola). Il est numéro 2, peut-être numéro 1, mais c’est proche, difficile de décider.

Bliss : Le fameux site Internet Movie Data Base indique que votre film favori est Nobody’s Fool (Robert Benton, 1994), pourquoi celui-là ?

Ron Perlman : C’est l’un de mes films préférés oui. Le film fait 2h, j’aurais pu le regarder pendant 7 heures d’affilées.

Bliss : A cause de Paul Newman ? Melanie Griffith ?
Ah oui ses seins (voir la fameuse, pour certains, scène ici) ! Ils sont bien dans ce petit flash. Non mais c’est tout le monde faisant un incroyable bon boulot, subtil, intelligent, rempli d’esprit et, il n’y a pas d’intrigue, c’est purement un film de personnages. C’est exactement le genre de film qui m’intéresse le plus.

Bliss : Pour en revenir à Hellboy, vous vous êtes entrainé physiquement avant le tournage ?

Ron Perlman : Oui, j’ai pensé qu’il était important que je sois dans la meilleure condition physique possible. Mais je n’ai pas eu à apprendre quelque chose en particulier comme une forme de combat spécifique ou autre comme Tom Cruise a fait pour Le Dernier Samouraï. J’ai juste été à la salle de gym parce que le tournage allait être long comme une course d’endurance : courir, sauter et frapper.

Bliss : N’avez-vous pas été frustré justement que l’on vous applique des muscles en plastique et un masque qui cache votre visage et vos expressions ? D’autant que l’idée est de montrer un Hellboy humain ?

Ron Perlman : Non non, pas quand on comprend la nature de que l’on doit exprimer et du physique que l’on doit incarner qui a été totalement inventé par Mike Mignola (auteur du comic book Hellboy, ndlr). En plus avec un metteur en scène vraiment énorme fan du travail de Mignola mon exercice consistait à rendre hommage à l’univers qu’il avait créé, pas à l’améliorer, ou à en profiter pour en faire plus ou pour y appliquer un rif de jazz en disant : « ceci est mon comic book film ». C’est ça l’exercice et le faire aussi purement et honnêtement que possible et rester dans cet esprit aussi spécial soit-il. J’adore le processus et jamais ça ne me dérange d’être recouvert, méconnaissable. Le personnage est montré à un point que j’ai ressenti comme étant le mieux concrétisé de tous ceux que j’ai pu jouer. A cause du cœur du type. Par là où tout passe, ce qui est le plus important. Il s’agissait d’introduire au monde un vrai et nouveau mythe, quelqu’un qui ne ressemble pas aux autres, qui n’a pas le même câblage que les autres mais qui a une profonde et magnanime présence. Un personnage poignant parce que la part d’humanité à laquelle il ne participe pas est celle où il aspire à participer justement, parce qu’il est un freak.

Bliss : Pourquoi ne pas avoir participé aux éditions spéciales de La Guerre du Feu et du Nom de la Rose parues en DVD en France ?

Ron Perlman : Mais j’ai travaillé sur La Guerre du Feu ! J’ai enregistré un commentaire audio (ce commentaire audio collectif des acteurs apparaît sur le Zone 1 mais pas sur le collector Zone 2, ndlr). Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas participé au Nom de la Rose, j’étais probablement assis à Hollywood à ne rien faire. Mais je ne savais même pas que c’était en DVD jusqu’à ce que quelqu’un me le mette sous le nez en me demandant de le signer.

Bliss : Êtes-vous obligé de participer à l’élaboration des suppléments d’un DVD, touchez-vous un cachet supplémentaire ?

Ron Perlman :  Je suis un membre de la Screen Actor’s Guild (Syndicat des acteurs professionnels créé en 1933, ndr), il existe une formule pour la participation à la vente d’un DVD, alors je suppose que à un moment je recevrais un chèque qui me dira si le DVD a été un succès. Cela ne me permettra pas de prendre ma retraite, ni de laisser de l’argent à mes grand enfants, mais ce sera un gentil chèque. Sinon je ne suis pas obligé de vous parler, je ne suis pas obligé de faire le DVD, la seule obligatoire sur mon contrat est de faire le film. Mais vous faites ces choses parce que vous êtes fiers du travail que vous avez accompli et vous voulez partager le produit avec le public. Ce n’est pas du tout à propos de l’argent, il s’agit d’enthousiasme, de fierté et de désir de vous assurer que vous aurez la plus grande audience possible.

Bliss : Néanmoins, tel qu’on le voit sur le DVD, pour le bien du futur documentaire, vous êtes filmé en permanence sur le plateau, même quand vous ne jouez pas. N’est-ce pas perturbant pour la concentration, le confort, on vous filme en train de tousser, de vous gratter ? On vous voit même roter ! L’espace de repos théorique avant les commandes Action et Coupez n’existe plus pour les acteurs à cause des making of des DVD…

Ron Perlman : Oui, le documentariste m’immortalise pour toujours… Et on espère que les grattements seront utilisés judicieusement. Je n’ai pas de contrôle sur le contenu du documentaire. Mais de toutes façons je n’ai pas le contrôle de la performance que je donne pour le film non plus. Ils se servent des outils que j’ai fourni quand ils ont filmé la scène et l’éditent pour servir leur vision de la scène. Ma vision de la scène quand je la joue peut-être très différente de celle du réalisateur et des monteurs. En fait j’ai vu une grande partie de mon travail utilisé totalement hors du contexte que je croyais être quand je peaufinais la performance. Et on se retrouve avec un produit final qui ne correspond pas à vos intentions initiales. Ça peut tout fiche en l’air et transformer tel type de performance en une performance complètement différente. Quelque fois cela la rend meilleure et parfois cela la rend absolument insupportable à voir.

Bliss : Les scènes coupées et les éventuelles prises alternatives présentes sur le DVD devraient vous soulager en montrant plus de votre travail, non ?

Ron Perlman : Oh il y a des choses que j’ai vu dans les documentaires qui me font grincer, comme de me voir fumer une cigarette entre deux prises ou avoir une conversation qui n’était pas censée être enregistrée. Certains aspects de moi sont révélés que j’aurais préférés ne pas montrer. Mais c’est le business. Vous priez et espérez être entouré de gens qui ont du goût et qui ne feront rien qui puissent compromettre le produit ou les gens impliqués. S’il y a deux personnes auquel je fais confiance comme à personne d’autres ce sont Jean-Jacques Annaud et Guillermo Del Toro. Comme Guillermo était impliqué dans tous les aspects du DVD, je n’ai pas besoin d’aller voir si je m’en sors bien dedans. Je sais que s’il a choisi c’est que ça doit être ok. Je lui fais confiance.

Bliss : Dans le making-of de Hellboy vous faites une blague au réalisateur en lui faisant croire que votre téléphone portable sonne pour lui. Vous avez eu du mal à avoir son attention pendant le tournage ?

Ron Perlman : J’ai toujours eu son attention. Je ne jouais pas Hellboy, nous le jouions ensemble. Guillermo jouait Hellboy en même temps que moi. Il est fasciné par le personnage au point d’y voir beaucoup de lui-même. Je n’étais qu’un instrument. Nous n’avons pas beaucoup répété et ça me va très bien. Quand nous avons effectivement un peu répété, je n’ai pas tout à fait révélé ce que j’allais faire quand la caméra allait tourner. Au début quand il a commencé à me diriger je lui ai dit : laisse moi le faire une fois que je sorte cette idée de ma tête et ensuite on peut modifier comme tu le veux. Et aussitôt filmé le premier essai il criait : « ok c’est bon ! » Ce n’était pas ce qu’il avait envisagé mais tout le monde aimait… De là est né cette incroyable appréciation mutuelle. Quand il était important pour lui d’avoir une scène jouée très précisément comme il le voulait pour le montage ou pour la forme de la séquence, il intervenait. Mais la plupart du temps il était très intéressé de voir ce qu’allait donner mon interprétation du personnage. Sa vision était très claire sur la page, c’est pourquoi je voulais une chance de le jouer comme je m’en rappelais la première fois que l’ai lu. Parce que c’était la meilleure description d’un personnage que j’ai jamais lu. La façon dont il bougeait, dont il parlait, dont il se déplaçait était d’une grande clarté dans mon esprit. Je ne cherchais pas à être un control freak, je voulais lui montrer ma réponse instinctive de ce que j’ai ressenti la première fois que l’ai lu. Et je n’y ai pas travaillé. Je ne me suis pas préparé. Putain je n’ai lu le script qu’une seule fois !

Bliss : Et le comic book ?

Ron Perlman : Le personnage était différent, mais le script… Sans me préparer, sans répéter, je voulais le jouer, putain, comme ça sortait. Et en général j’ai obtenu un sourire de lui, ou une tape sur l »épaule : « How the fuck did you come up with that ». La seule fois où nous avons eu une dispute c’est quand il a voulu changer quelque chose qu’il avait écrit. Je luis ai dit : non non non tu avais raison la première fois. Ce fut la seule fois où lui et moi avons vraiment été en désaccord. La plupart du temps nos discussions duraient 15 secondes. Mais cette discussion a duré et a fini par chauffer. Nous sommes allés déjeuner sans presque nous parler. Il était vraiment fâché contre moi. Et j’étais faché aussi. Je suis revenu de déjeuner et je lui ai dit : J’espère que tu comprends ce pour quoi je me bats, je me bats pour ta putain d’idée. « Je comprend je comprends » m’a-t-il répondu. Tu es le boss mais je me battrais jusqu’à ce que tu dises non.

Bliss : Comment cela s’est terminé ?

Ron Perlman : Nous l’avons fait à sa manière (rires).

Bliss : Étiez-vous concerné par le jeu avec l’iconographie religieuse de l’univers de Hellboy, notamment avec la sensibilité religieuse américaine ?

Ron Perlman : Non, pas du tout. C’est un démon après tout. Ces intentions sont de protéger le monde des autres démons. Alors il utilise ce qui est à sa disposition, les croix, l’ail. Ce sont juste des accessoires, des instruments de batailles. Si cela l’aide à sortir d’une situation alors il s’en sert. Je n’ai pas eu d’échos (sur des plaintes éventuelles). Je n’ai rencontré personne qui me dise « comment osez-vous utiliser l’église ou des icônes « sacrées ».

Bliss: Vous dites être prêt à jouer Hellboy jusqu’à la fin de vos jours… Même si c’est un autre réalisateur qui prend la relève ?

Ron Perlman : Je ferais bien de faire attention à ce que je dis (rires)… Heureusement c’est une décision que je n’ai pas à prendre puisque Guillermo est à bord pour faire le second. Quant à un 3e épisode, qui sait ?

Bliss : Comment expliquez-vous que l’on vous ai découvert en tout premier gardien du feu dans La Guerre du Feu et que 23 ans plus tard on vous redécouvre en tête d’affiche en héros des enfers invulnérable au feu ?

Ron Perlman : Je ne sais pas mais si nous n’arrêtons pas cette interview je fais définitivement finir par m’enflammer (rires).

Propos recueillis et traduits en août 2004 par François Bliss de la Boissière

Lire aussi…
Guillermo del Toro Interview : 4 DVD Hellboy sinon rien

Ron Perlman in Hellboy

Photo de Une : Perlman poses for a portrait with Ron Perlman impersonators at the Getty Images Portrait Studio powered by Samsung Galaxy at Comic-Con International 2015 at Hard Rock Hotel San Diego on July 9, 2015 in San Diego, California. (Photo by Maarten de Boer/Getty Images Portrait)

(Publié très très partiellement en 2004 dans le mensuel Les Années Laser)


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Peter Gabriel prend du relief (Interview)

C’est au sommet du classieux restaurant Roof Gardens, propriété de Virgin à Londres, célèbre pour accueillir stars et after parties, que j’ai eu le grand plaisir de rencontrer en juillet 2011 un Peter Gabriel aimable, tranquillement au courant de toutes les dernières innovations technologiques. À commencer par la 3D qu’il fréquentait déjà dans les années 80.

Note : Fin 2011, Peter Gabriel s’apprête à sortir un concert récent filmé en 3D sur support Blu-Ray (voir test ci-dessous). Parce que je suis (presque) bilingue et apte à travailler le week-end comme tout bon journaliste indépendant, on m’a confié la responsabilité d’aller interviewer inhabituellement une star de la rock/pop toujours en activité. N’étant pas spécialement fan de l’ancien leader du groupe Genesis, il m’a fallu replonger dans sa discographie et son histoire. Je m’étais en revanche intéressé à ses expériences multimédia pionnières sur CD-ROM interactifs. Et j’étais évidemment admiratif de sa volonté renouvelée (voir son site) de continuer à coller aux nouvelles technologies en présentant un concert sur Blu-ray 3D.
Pour l’anecdote, outre le fait que, indéniablement et même à un âge avancé, Peter Gabriel dégage un charisme naturel inexplicable, j’ai appris quelques trucs et limites lorsqu’on interview une VIP de la musique. J’étais venu équipé d’un vrai bel appareil photo avec pour intention de revenir avec un portrait de Peter Gabriel publiable. Malgré mon insistance après l’interview, j’ai découvert qu’il n’était pas possible de faire une photo même convenable juste en passant. Peter Gabriel et son représentant ont élégamment mais fermement esquivé mes demandes. Si je devais faire une photo d’un musicien star qui contrôle son image, je devrais venir avec un photographe connu et prévoir sans doute un vrai photo shoot. Et non, il n’était pas question de proposer un selfie en sa compagnie. L’autographe narcissique ne fait pas partie de la panoplie des journalistes en activité, désolé. J’ai également découvert qu’un grand nombre des autres personnes conviées à l’interviewer peuvent être de vraies groupies plutôt que des journalistes avec un minimum de recul. Enfin, alors que la rencontre en tête à tête a bien duré 1 heure pour 47mn d’entretien, je me suis rendu compte que l’enregistrement audio ne pouvait pas être diffusé tel quel pour la bonne raison qu’on y entend Peter Gabriel grignoter sans arrêt des fruits secs (une grande corbeille de mignardises trônait au centre de la table qui nous séparait). A ce jour je ne sais toujours pas si Peter Gabriel était simplement gourmand, nerveux, ou que malicieux, il sabordait sciemment l’éventualité d’une diffusion audio de ses propos. J’étais là pour une interview à publier dans un magazine imprimé. Dont acte.

Bliss : Pourquoi avoir choisi la salle Hammersmith Apollo de Londres pour filmer votre concert ?

Peter Gabriel : Normalement je n’aime pas enregistrer en Angleterre parce que les audiences sont meilleures ailleurs. Londres s’est avéré plus pratique et moins cher pour le matériel 3D dont ils se servent tous les jours. Les musiciens aiment jouer dans des plus petites salles, mais je suis aussi heureux dans un endroit plus grand si l’acoustique est bonne. Le plus souvent dans les grandes salles le son est projeté dans tous les sens. Bercy, par exemple, a un bon son par rapport à sa taille. Dans un théâtre, évidemment, les matériaux qui absorbent, sièges, rideaux… gênèrent moins de réverbération et un meilleur son. Nous voulions utiliser la technologie 3D afin de donner un sens de l’espace sans faire appel à des grossiers effets 3D. Nous avons privilégié la profondeur et les perspectives.

Bliss : En DVD/BD les concerts proposent souvent des mixages 5.1 artificiels. Jusqu’où faut-il aller dans ce type de spatialisation ?

Peter Gabriel : Sur nos précédents mixes 5.1 nous avons vraiment exploré toutes les positions, mais c’est un danger parce que vous ne savez jamais comment le spectateur va écouter. Certains ont cinq haut-parleurs identiques répartis dans leur salon, d’autres ont deux ou peut-être trois bons haut-parleurs et deux mauvais à l’arrière… Mais généralement j’aime bien créer un mixage 5.1 et placer les éléments dans l’espace. Nous avons installé des micros dans le public et auprès de certains instruments de l’orchestre parce que je n’aime pas les effets agressifs des partitions à cordes hollywoodiennes. J’aime pouvoir entendre la présence des instruments, sentir leur chaleur…

Bliss : Pionnier de la musique digitale, vous revenez aux instruments acoustiques, pourquoi ?

Peter Gabriel : J’ai été un fan de l’analogique, puis 100 % digital et maintenant je suis quelque part entre les deux. Je crois possible le son naturel en digital. La technologie avance sur certains points mais on réalise ce qu’on perd aussi au passage. La musique analogique ressemble à une brume, un nuage que vous regardez en imaginant et entendant des choses qui ne sont pas là, votre cerveau peint des morceaux qui manquent. La musique digitale, elle, est découpée, précise, sèche et ne cache rien. Le numérique m’a séduit parce que le support ne se détériore pas. Et puis en analogique il est très difficile d’obtenir la dynamique étendue permise par le digital, par exemple lorsque la musique est très douce puis brusquement très bruyante. Pour résumer, à ma demande, le type qui s’occupe de mes masters met toujours plus de basses sur les disques. Une situation hybride analogique/digital nous donnera probablement les résultats les plus satisfaisants.

Bliss : Enregistrer ce concert en 3D était-il votre idée à vous ?

Peter Gabriel : Vous savez, je suis un grand fan de la 3D depuis 25 ans. J’ai même filmé trois vidéos en 3D mais personne ne pouvait les voir en dehors des cinémas parce qu’il n’y avait pas d’équipements à domicile. J’avais rencontré des pionniers de la 3D qui travaillaient pour Disney, un type qui avait développé une caméra 3D… J’ai été obsédé par la 3D pendant un moment. Cette fois-ci, au moment de décider de filmer le concert, quelqu’un m’a dit : est-ce que vous voulez envisager la 3D ? Ils n’ont pas eu à me demander plusieurs fois ! J’adorais la 3D et depuis Avatar le monde s’y est mis et vient à ma rencontre.

Bliss : Vous pensez que la 3D est là pour rester ?

Peter Gabriel : Nous voyons en trois dimensions comme nous écoutons en stéréo. Retournerons nous au mono ? Non. Mais peut-être que nous ne voulons pas porter des écouteurs tout le temps. La 3D va rester mais je crois que nous en sommes à ce stade là. Ils font déjà des essais d’écrans sans lunettes mais dont l’angle de vision est restreint. Cette première vague de 3D risque de passer et s’installera pour toujours quand il n’y aura plus besoin de porter des lunettes.

Bliss : Vous imaginez tous vos prochains projets en 3D par exemple ? Vous avez tourné en 3D native ?

Peter Gabriel : Si je trouve quelqu’un pour payer (rires), parce que cela coûte probablement 40 % plus cher, voire le double. Oui toutes les caméras étaient stéréoscopiques sauf une, en mono, que je manipule moi-même sur scène.

Bliss : Envisagez vous de rééditer vos 4 précédents DVD en Blu-ray* ?

Peter Gabriel : Nous aimerions tout avoir en Blu-ray, forcément c’est meilleur (rires) ! Alors nous essayons. Pour certains nous devrons rééditer à partir des documents originaux, ce qui sera lent et cher. Quelqu’un y travaille en ce moment.

Bliss : Vos concerts des années 80 et 90 et pourraient-ils un jour être publiés en DVD/BD ? En êtes vous propriétaire ?

Peter Gabriel : Nous n’avons pas beaucoup de documents vidéo originaux. Nous avons en revanche les concerts bien enregistrés sur console, donc cela pourrait sortir pour les fans sous une forme ou une autre dans le futur. J’ai eu la chance d’avoir un bon avocat à la fin des années 80 qui m’a permis de garder le contrôle ce que je faisais. Ce qui dans ce monde digital est un énorme avantage. Il faut juste que mon ingénieur, Dicky, ou quelqu’un d’autre, prenne le temps de faire le tri.

*(Secret World Live, Growing up Tour, Still Growing Up Live, Play)

Propos recueillis et traduits par François Bliss de la Boissière en juillet 2011

Peter Gabriel New Blood
Live in London in 3D
(Blu-ray 3D)

Note générale : 8/10

Réalisateur : Blue LEACH.
Inclus : Biko, Solsburry Hill, Don’t give up…

Concert enregistré les 23 et 24 mars 2011 au Hammersmith Apollo de Londres.

Notre avis : Dans la lignée de l’album concept Scratch My Back de 2010 utilisant uniquement orchestre symphonique et voix, Peter Gabriel livre ici, au sein de 46 musiciens, une performance acoustique plus proche d’un récital mélodique que d’un concert pop-rock. Un assagissement proche de l’assoupissement classique et prétentieux contrebalancé par une captation 3D dernier cri.

Apport HD : Empâtée.

Apport 3D : Troublant, dans tous les sens du terme.

Interactivité : Sur BD 2D, en HD et VOST : Confidences de Peter Gabriel avec coulisses non dénouées d’humour du concert et du projet 3D, hélas bien courtes.
Format : 1.78.
Versions sonores : 5.1 DTS HD Master Audio, 5.1 DD et stéréo PCM.
Sous-titres français et anglais, sur le bonus.
Inclut un livret de 8 pages.

Images : La plupart du temps épatante de profondeur (n&b superbe en 3D) et malgré les sérieux moyens techniques, la 3D native filmée live se cogne aux effets lumineux de la scène : la silhouette de Peter Gabriel devant l’orchestre souvent aplati semble ainsi ajoutée artificiellement (un comble), un faisceau lumineux peut faire loucher comme le moindre flou de la focal… Malgré ces hoquets expérimentaux, le spectacle relief s’impose haut la main devant une 2D HD neigeuse aux noirs bouchonnés.

Son : Musicalité splendide du DD, inhabituellement surdimensionné, et du DTS, capables de finesses et grandes profondeurs. Stéréo PCM anodine à côté.

Note technique : 8/10.
Couleurs et (un peu) N&B – 129’ – Eagle Vision – 1 BD 3D/2D + 1 BD 2D + 1 DVD – Régions multiples.

(Test : FBdelaB)

(Publié en octobre 2011 dans le mensuel Les Années Laser)

Photo Peter Gabriel © DR


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‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.

Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 4/4

La réalité virtuelle est-elle en train de réinventer le surnaturel ? La VR nous incitera-t-elle à interroger notre identité et celle de l’autre ? Autant de thèmes évoqués avec candeur et optimiste par un des meilleurs représentants de la VR en France : Michel Reilhac.

Dernière partie d’un entretien avec le chantre français de la réalité virtuelle Michel Reilhac que ma passion pour le sujet a plutôt entrainé vers la discussion. Il m’en excusera. Sa participation à un débat sur la VR à la Gaîté Lyrique à Paris révélait une gourmandise et un courage certain pour évoquer le présent et le futur de la réalité virtuelle. Aussi fous soient-ils. Ainsi, avec sa complicité, nous sommes partis des rudiments de la VR d’aujourd’hui jusqu’aux hypothèses métaphysiques qu’impliquent l’avènement de la réalité virtuelle. Sans peur.

Bliss : Parmi les applications évidentes après le tourisme (à lire ici), la réalité virtuelle va aussi trouver des utilités pédagogiques…

Michel Reilhac : Oui. Je pense par exemple à une installation très forte qui s’appelle The Machine to be Another. Il s’agit d’un face à face de deux personnes équipées chacune d’un casque avec une caméra frontale qui filme l’autre. On voit dans le casque le corps de l’autre. C’est à dire qu’on est l’autre. Si on est face à face, moi je suis vous et je me vois moi en face. Il y a tout un dispositif de mimique pour reproduire les mouvements. Par exemple je vais bouger ma main mais ce que je vais voir de mon corps dans le casque est votre main. Et si vous, vous refusez de bouger la main et que vous la laissez immobile, je vais bouger avec mon corps physique mais mon corps virtuel aura une autre position. Toute l’idée de ce dispositif est de voir comment on peut arriver à interagir l’un avec l’autre en s’écoutant et se regardant en dupliquant, en quelque sorte, nos mouvements, pour être ensemble et faire en sorte que cela se reflète. À un moment ils nous font nous lever et on va l’un vers l’autre, on se touche les mains… C’est un truc incroyable. Chloé Jarry qui était au débat de la Gaité Lyrique, développe un dispositif similaire pour un projet qui s’appelle The Enemy qui permet à deux personnes de camps opposés dans un conflit d’être à la place de l’autre, d’être l’ennemi. Un palestinien devient israélien et l’israélien devient palestinien et les deux en temps réel sont l’autre et vont échanger par la voix et par le mouvement pour essayer, d’une certaine manière, de se comprendre.

Bliss : Vous pensez qu’on ne fera plus la différence entre le réel concret et le virtuel ? Que le cerveau ne va plus faire la différence ? Mais peut-être que cela n’aura pas d’importance, si le corps physique n’est pas en danger, le cerveau pourra se laisser y aller…

Michel Reilhac : Encore une fois, pour la raison que j’évoquais tout à l’heure, il ne s’agit plus d’une représentation du monde mais de l’expérience d’un monde. Et ça fait toute la différence. Je pense vraiment que nous n’avons pas encore commencé à mesurer ce que ça veut dire de se retrouver dans un autre monde que celui de la réalité physique. Et au fur et à mesure que les technologies qui restituent la véracité, presque la palpabilité de cet univers virtuel vont s’améliorer, vont devenir de plus en plus réaliste, nous allons être de plus en plus investis, nous allons croire de plus en plus à ces mondes…

Bliss : Puisque vous évoquez les possibilités de mimer le corps en réalité virtuelle, il y aura donc également des applications dédiées à la rééducation physique et neurologique. La réalité virtuelle devrait accélérer plein de domaines d’études, et pas seulement le loisir ou même l’expression artistique…

Michel Reilhac : Je ne sais pas comment mais je suis sûr que tout un champ de la psychologie, de l’analyse, de la psychiatrie va investir et explorer ça. C’est évident que la VR permet de devenir quelqu’un d’autre. Ou d’être plus soi-même. C’est évident. Pour l’instant la seule chose à quoi cela me fait penser c’est The Machine to be Another. Mais je suis sûr qu’il y a d’autres dispositifs qui peuvent permettre de faire ça. J’ai entendu parler d’un projet en développement chez Arte qui consiste à vivre l’expérience de quelqu’un en train de devenir aveugle. Il s’agit de comprendre ce que cette personne vit en perdant progressivement la vue, ce qu’elle ressent et ce que ça implique.

Bliss : Ce dispositif The Machine to be Another fait tout de suite penser par extension que les gens handicapés, paralysés ou mutilés, à qui donc il manque des membres, vont pouvoir investir un espace de réalité virtuelle où il seront « entiers » et debout. Comme dans le film Avatar de James Cameron…

Michel Reilhac : Et aussi tous les gens qui pour une raison ou pour une autre sont mal dans leur peau dans la réalité physique. On vit quand même une époque où on est oppressé par des diktats esthétiques, hommes comme femmes, où chacun est supposé ressembler à certains critères assez normatifs. Il y a beaucoup de gens très mal avec ça et qui, parce qu’ils ne correspondent pas à ces critères se trouvent très malheureux ou intimidés ou délaissés par la réalité physique. À partir du moment où dans un monde de réalité virtuelle de plus en plus crédible et de plus en plus réaliste ils pourront être un canon, ils y passeront de plus en plus de temps.

Bliss : Je ne suis même pas sûr que l’on ait besoin d’être un peu asocial ou avec un physique ingrat ou de douter de soi-même pour avoir envie de se projeter dans un corps virtuel sublimé. Je pense que tout un chacun va rêver de se retrouver dans une enveloppe de « surhomme » comme le jeu vidéo le propose déjà. Je ne sais pas si ce surhomme rejoint le concept philosophique, mais enfin il y a une aspiration à un homme augmenté quelque part. Aujourd’hui alors que cette réalité virtuelle balbutie on arrive à imaginer déjà beaucoup d’applications transformatives. Alors allons-y franchement. À la vitesse où l’on a vu Internet changer le monde en… 15 ans, quid de la VR d’ici 20 ans ?

Michel Reilhac : 20 ans est  un temps énorme. Ça parait dingue. Je pense que la tendance lourde, profonde vers laquelle on se dirige, est le no interface, pas de truchement, pas de joystick, pas d’écran, pas d’objets qu’on porte. Au mieux on portera une sorte de bijou ou de noyau qui sera activé par le biais de technologies hologrammes, de réalité augmenté et de réalité virtuelle. On pourra naviguer de dimensions virtuelles en dimensions physiques et faire des mélanges des deux espaces de manière très fluide. Je pense que nous allons vers des dispositifs entièrement mobiles, des choses qui seront utilisables partout.

Bliss : Est-ce qu’on risque de se retrouver comme dans le film américain The Surrogates avec Bruce Willis où les gens sont allongés tout le temps pour se projeter dans des avatars plus jeunes qui vivent leur vie à leur place ? Ça fait des êtres humains qui acceptent de se mettre dans un semi coma pour vivre une vie rêvée… Le cauchemar…

Michel Reilhac : Non je ne le crains pas. Comme je le disais tout à l’heure, il existe déjà une contre culture qui exprime la nécessité de se rendre compte que dans ces univers virtuels là, comme dans les réseaux sociaux, l’homme n’a pas la satisfaction de tous ses besoins. Nous avons besoin de nous rencontrer physiquement, de voir des gens. Nous restons grégaire. On va valoriser des expériences dans le monde physique et en même temps on pourra basculer sur des dimensions virtuelles…

Bliss : Déjà beaucoup de gens pensent aujourd’hui qu’on se perd en passant autant de temps sur ordinateur et les réseaux sociaux, qu’on casse déjà les liens sociaux physiques… Pourtant il me semble ça cohabite.

Michel Reilhac : Je trouve que ça cohabite aussi. Selon mon expérience, on apprend de plus en plus à percevoir la hiérarchie des réponses à un même besoin. Par exemple quand j’ai le besoin de satisfaire ma soif je peux boire de l’eau au robinet ou retrouver des amis dans un bar et payer 20 € un cocktail hyper sophistiqué, ou je peux m’acheter un soda dans la rue parce que je suis pressé et que je bois pendant que je marche. Il y a une gamme absolument dingue de manières de satisfaire chaque besoin. Je pense que la réalité virtuelle s’inscrit dans le même menu, dans la même gamme de possibilités que le cinéma, la radio ou les livres etc.

Bliss : On saura se unplugger ?

Michel Reilhac : Je pense que oui, vraiment.

Bliss : Et si on regarde le futur dans 50 ans ?

Michel Reilhac : Ah ça ce n’est pas possible (rires).

Bliss : Vous connaissez bien sûr le concept de la Singularité et de l’avènement d’une intelligence artificielle supérieure. On ne va pas refaire Skynet et Terminator mais s’il existe un jour une intelligence artificielle qui se met à communiquer de manière autonome avec l’homme, j’ai l’impression que l’espace de la réalité virtuelle serait l’endroit privilégié de son apparition. Un espace virtuel où elle serait déjà chez elle. Dites moi si je délire…

Michel Reilhac : Siri est déjà les prémices très rustique de ça. Que l’on puisse commencer à parler à nos machines de manière intuitive, c’est le début de cette hypothèse.

Bliss : Her, le film de Spike Jonze était bien sur ce registre.

Michel Reilhac : Oui et c’est pour ça qu’il est fort, parce qu’il parle d’un futur possible. Mais il y aussi la série Black Mirror qui sous un angle très noir montre aussi des possibilités terribles, de la manière dont ce qu’on vit aujourd’hui pourrait évoluer.

Bliss : Est-ce que quelque part on ne rejoint pas le surnaturel tel que les légendes, mythologies et religions ont scénarisé chacune à leur manière ? L’homme n’est-il pas en train de se créer pour de bon une autre dimension qu’on a imaginé et craint sous différentes formes au fil des siècles ?

Michel Reilhac : Il y a dans la réalité virtuelle un aspect boite de Pandore qu’on est en train d’ouvrir. Et pour ma part, la meilleure attitude à avoir avec ça est un esprit, au plan personnel d’action, généreux et ouvert. Et de chercher le mieux dans ce dispositif. D’autant plus que maintenant, l’avènement de la réalité virtuelle comme première étape d’un processus qui ne fait que commencer, mettons vers la singularité, est irréversible. Que l’on soit contre ou pour, on va être obligé de vivre avec. À partir du moment où il y a quelque chose d’inéluctable moi je préfère essayer de le comprendre, de le maîtriser et de l’utiliser le mieux possible.

Bliss : Dernière question en pirouette. Est-ce qu’avec la réalité virtuelle, l’homme n’a pas réussi à s’inventer ou se créer le corps astral

Michel Reilhac : C’est super intéressant comme question parce que ça ouvre aussi tout un champ de possibilités. Et ça rejoint une partie de la préoccupation que j’ai dans mon prochain projet Wait for me. À quoi on touche quand on existe dans la réalité virtuelle ? À quoi on touche quand on commence à se dupliquer ? Qu’est-ce qu’on éveille en nous qui est peut-être de l’ordre du magique ? Peut-être de l’ordre du surnaturel. En tous cas de dimensions qu’on ne connait pas…

Bliss : Une expérience à tendance transcendantale sans doute parce que l’homme a quand même pour manie de chercher la transcendance pour lui-même ou pour les choses qui l’entourent…

Michel Reilhac : Oui. Je pense qu’une porte s’est potentiellement entrouverte vers une dimension magique ou spirituelle, en tous cas transformative pour l’humain. C’est sûr. Ça prendra du temps mais il y a quelque chose de cet ordre là que l’on peut entrapercevoir dans la réalité virtuelle.

Lire également…
Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 1/4
Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 2/4
Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 3/4

Entretien François Bliss de la Boissière

(Photo de Une : Jean-Fabien)

 


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Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 3/4

Médias traditionnels crispés et circonspects devant la réalité virtuelle, conservatisme historique du cinéma français, institutions toujours à la traine… Avant de proposer du divertissement et du tourisme virtuel décomplexé en France, la VR devra encore convaincre beaucoup de monde…

Dans cette troisième partie du long entretien qu’a bien voulu m’accorder Michel Reilhac il y a quelques mois, un des pionniers français de la réalité virtuelle explique le pourquoi d’un contexte général culturel peu favorable à la VR en France mais botte en touche le potentiel de diabolisation de la réalité virtuelle. Malgré le scepticisme, les critiques et une technologie encore balbutiante, « la réalité virtuelle est une lame de fond qui touchera tout le monde »…

Bliss : Ces dernières années, la réalité augmentée a commencé à se développer très franchement avec notamment les Google Glass et le projet Hololens de Microsoft, et puis tout à coup les technologies de réalité virtuelle ont fait un boom et se concrétisent plus vite…

Michel Reilhac : Mais ça recommence. Google ressuscite le projet sous le nom de Project Aura. Il va y avoir une sorte de fusion entre ce qu’on distingue encore entre réalité augmentée, réalité mixte et réalité virtuelle. Tout cela va progressivement se mélanger à différents degrés d’immersion. Je suis certain que dans peut-être deux ou trois ans nous porteront sur nous des lunettes connectées par Bluetooth ou équivalent à un boitier logé dans notre poche. Ce seront des lunettes pas encombrantes que l’on pourra mettre et enlever aussi facilement que des lunettes de soleil.

Bliss : D’ici deux ou trois ans vraiment ?

Michel Reilhac : Oui je le pense. Je suis stupéfait de la vitesse à laquelle cette technologie progresse.

Bliss : Mais en réalité les concepts s’inventent plus vite que leur concrétisation matérielle. Malgré tous leurs efforts, les casques Oculus Rift et HTC Vive peinent à trouver une bonne ergonomie. Ce sont encore des choses qui font sourire de l’extérieur. Tant que les gens n’ont pas essayé un casque récent pour voir ce qui se passe à l’intérieur, nous sommes dans le souvenir rigolo des années 90… Malgré les progrès, les difficultés mécaniques et ergonomiques persistent…

Michel Reilhac : Oui mais ça va se stabiliser. Nous en sommes au tout début, l’impatience collective est énorme. Et nous sommes incroyablement intransigeant. Il faut que tout soit parfait tout de suite parce qu’on a été nourri aux films d’Hollywood, à Minority Report, avec des interfaces de folie. Moins que cette version rêvée, et le produit devient irrecevable. Tout le tâtonnement de la technologie est beaucoup plus difficile aujourd’hui. À moins de lancer un produit avec une expérience utilisateur totalement fluide et une interface impeccable, le public rejette en disant : ça ne marche pas. Toujours parce qu’on est en-dessous des attentes. Quand les frères Lumière ont commencé le cinéma à la fin du 19e siècle, ils n’avaient pas ce problème parce qu’il n’y avait aucune attente ni la surenchère techno que l’on vit aujourd’hui. Pour eux, le cinéma au début a pu bénéficier – d’une certaine manière – du plein impact magique de cette nouvelle technologie. Aujourd’hui nous ne sommes plus du tout à ce niveau.

Bliss : Disons aussi qu’aujourd’hui les gens sont surtout plus informés.

Michel Reilhac : Et tellement plus blasés…

Bliss : Blasé aussi par rapport aux coûts de l’achat de ces gadgets qu’on nous demande de racheter assez fréquemment. Les gens commencent à compter leurs sous par rapport aux promesses. Mais du coup il va y avoir une nouvelle fracture numérique avec la réalité virtuelle. Quand les casque seront là en 2016, il y aura encore des gens qui seront mis de côté. Ceux qui n’y arrivent pas physiquement déjà, quelque soit l’âge après tout. Ceux qui en auront carrément peur… Il va y avoir une rupture. Ça va être un peu comme Facebook, il y a ceux qui y sont et ceux qui n’y sont pas. On a l’impression qu’on ne les entend plus. Il y aura ceux qui vont fréquenter la réalité virtuelle et les autres ?

Michel Reilhac : En même temps il va y avoir une réappropriation. Regardez comment le public de Facebook a vieilli petit à petit, ou qui a grandi avec et qui est toujours sur Facebook. C’est pour cette raison que Snapchat a un tel succès. C’est un vrai réseau où les jeunes peuvent aller en étant sûrs de ne pas retrouver leurs parents. Mais sur Facebook il y a tout le monde, y compris des gens du 3e âge. L’appropriation a été plus longue mais elle existe quand même. Le téléphone portable pareil. Au début seuls les jeunes s’en servaient, et puis finalement le portable est totalement devenu un outil du quotidien pour tous.

Bliss : La société avec ses médias, notamment en France, et ses habitudes de chiens de garde méfiants, semblent ne pas avoir bien compris ce qu’il se passe avec l’avènement de la VR. À votre avis à quel moment vont-ils saisir ce qui arrive ?

Michel Reilhac : Je crois qu’ils ont très bien compris. Les médias sont quand même très informés mais ils sont totalement paralysés en interne par leur organisation humaine. C’est très visible sur les chaînes de télévision. C’est terrible à quel point elles ne peuvent pas se repenser parce qu’elles sont fossilisées autour d’une organisation en silos, en spécialisations. Ce qui se traduit par une forme de territorialité du pouvoir extrêmement forte avec des enjeux de pouvoir, des enjeux de susceptibilité, des enjeux d’autorité qui sont vraiment la règle dans le milieu audiovisuel. Le problème n’est pas l’information, les gens de la télévision savent grosso modo ce qui se passe, mais leur énorme difficulté à s’adapter. Le milieu dans lequel il y a un vrai rejet d’information est plutôt le cinéma. Le milieu du cinéma est incroyablement rétrograde.

Bliss : En France ?

Michel Reilhac : Oui, en France, le milieu du cinéma est ultra conservateur. Pas aux États-Unis. Là-bas tous les grands studios ont lancé des départements de contenu en réalité virtuelle. Tous les studios se posent la question de comment réagir, comment retrouver une réactivité qu’ils n’ont plus. C’est d’ailleurs le secret d’énormes compagnies comme Google, Apple, Amazon ou Facebook qui sont capables de se scinder. La restructuration de Google en Alphabet, par exemple, est un signe de cette volonté de retrouver de l’agilité. Je suis frappé du conservatisme incroyable du milieu du cinéma en France. Je le connais très bien puisque j’en viens.

Bliss : Vous allez à la rencontre du cinéma français avec vos projets en réalité virtuelle ?

Michel Reilhac : Beaucoup, oui.

Bliss: Quels retours avez-vous ?

Michel Reilhac : Certains sont très curieux, mais la majorité des réactions est négative… Je pense encore à quelqu’un vu récemment qui est un des plus gros vendeurs…

Bliss : Vous parlez de distributeurs, de producteurs, de créateurs ?

Michel Reilhac : De tout. Il y a vraiment un rejet en disant qu’il ne s’agit que d’un gadget, que ça ne remplacera jamais le cinéma…

Bliss : Cela rejoint mon interrogation de tout à l’heure. Vous dites que l’audiovisuel français n’est pas forcément sceptique devant la VR mais que le cinéma français si. Ce techno scepticisme ne serait-il pas celui de tous les milieux culturels en France ?

Michel Reilhac : Oui. Mais je le comprends. Car il y a une forme d’aristocratie dans les supports traditionnels. Par exemple aujourd’hui, lire un livre sur un beau papier d’une belle édition est un plaisir incroyable. Je préfère encore lire un livre comme ça que de le lire sur ordinateur ou tablette. Je fais une hiérarchie très claire de la nature du plaisir. Je suis ravi d’aller faire un repas gastronomique de temps en temps. Et je saurais très bien faire la différence avec m’acheter un sandwich à midi. La gradation du plaisir reste. À quel endroit dans cette échelle du plaisir médiatique va se retrouver l’expérience en VR ? On ne sait pas encore. Pour le moment c’est une expérience plutôt en bas de l’échelle. parce que techniquement ce n’est pas encore au point. Comme vous le disiez, les angles de vue ne sont pas encore parfaits, la définition n’est pas bonne, les casques sont encore inconfortables, on a l’air ridicule en les portant etc. Mais comme dans toute courbe d’innovation, nous sommes dans un processus où ce sont les early adopters, les gens qui s’enflamment pour la nouveauté qui commencent par adorer vraiment. Et je m’identifie à ce groupe là. On va voir si tout ça va générer progressivement un phénomène de masse et d’adoption.

Bliss : Par rapport au tourisme virtuel aperçu dans les années 2000 mais vite éventé où on nous proposait de visiter tel monument ou telle cathédrale à distance en virtuel… La réalité virtuelle telle qu’elle existe aujourd’hui devrait remettre cette activité au premier plan, non ?

Michel Reilhac : Oui, l’immobilier est un domaine qui innove beaucoup puisque la visite d’appartement est pour le moment un gadget très cool. Le technologue créatif avec lequel je travaille à Londres est en train de préparer un projet de reconstitution de tous les châteaux de la couronne d’Angleterre. Je sais que tous les grands sites commencent à travailler dessus. La Tour Eiffel a un projet, la pyramide d’Egypte a un projet, le palais de Buckingham et tous les autres. Il s’agit de filmer l’intégralité du château en images réelles, ce n’est pas de la modélisation, et ensuite par le biais d’appareils pour le moment pas encore standardisés, de pouvoir se balader dedans. C’est à dire décider si l’on on va à droite, à gauche etc. C’est évident que ça va arriver.

Bliss : Mais en France n’est-ce pas l’État gestionnaire patrimonial qui est censé s’en occuper un petit peu ? Sinon des entreprises privées comme Google vont encore prendre la main, proposer leurs services et puis devenir propriétaire des dits monuments en version virtuelle… Google a bien photographié la terre entière…

Michel Reilhac : Ce serait vraiment vendre encore plus son âme au diable. Ce n’est pas tellement la technologie pour filmer ou rendre la visite possible où ses entreprises high-tech sont fortes, c’est dans la diffusion. Parce que techniquement, filmer un lieu en réalité virtuelle ne présente pas un enjeu insurmontable…

Bliss : Le savoir faire existe en France vraiment ?

Michel Reilhac : Nous ne sommes pas nombreux mais je ne crois pas que cela soit si insurmontable. Il suffit que quelqu’un s’accroche à un projet et…

Bliss : Je parlais plus d’une volonté institutionnelle, l’État, les ministères… Ils en sont encore à envisager timidement le numérique dans les écoles, à y mettre des tablettes du bout des doigts… Combien de temps leur faudra-t-il pour intégrer la VR ?

Michel Reilhac : Oui, voilà. Mais il y a toujours une frange pionnière. Au CNC il y a une direction des nouveaux médias qui soutient déjà la VR. La ville de Paris vient d’ouvrir un fonds de transmédia et de réalité virtuelle pour faciliter le financement de ce genre de projets. J’ai reçu un coup de fil par exemple de la direction de la Philharmonie de Paris qui voudrait me voir pour parler de musique classique et de VR, de voir ce qu’on peut faire avec l’orchestre Philharmonique de Paris. Je crois que tout le monde se pose un peu la question. Alors c’est toujours beaucoup plus long de faire arriver ce genre de choses jusqu’au public évidemment. Mais ce n’est pas un processus qui arrive de nulle part devant le grand public. Il arrive en grandissant dans des cercles fermés plus privés et puis ensuite en s’élargissant progressivement et en touchant par cercles concentriques qui s’élargissent vers un public de plus en plus large. Aucun succès n’arrive comme ça de rien. Y compris les contenus viraux, ça marche toujours par cercles concentriques.

Bliss : Ce processus d’adoption va inévitablement déclencher une diabolisation. Des médias vont y voir un nouveau concurrent, les producteurs de loisirs comme le cinéma… Dès qu’il y a un concurrent on le diabolise pour toutes les bonnes et mauvaises raisons.

Michel Reilhac : Absolument.

Bliss : Alors qu’allons nous pouvoir faire ? Les gens comme vous qui y travaillent déjà font forcément un travail pédagogique. Il ne vous suffit pas de montrer que c’est chouette, il vous faut expliquer ce que c’est. Il faut une patience terrible, un vocabulaire aussi pour éventuellement expliquer les bienfaits ou balayer les inquiétudes… Comment allons nous dédiaboliser, nous journalistes, vous créateurs, les décideurs concernés et le public…

Michel Reilhac : Ça passe par le fait de savoir dès maintenant que l’enthousiasme d’une minorité pour la réalité virtuelle sera contre-attaqué par un scepticisme massif des médias, des critiques, des journalistes et du public qui d’abord seront déçus par rapport aux attentes fantasmatiques. Puis les gens vont faire l’expérience petit à petit et je pense que cela va faire boule de neige. Mais avec des réticences sur le côté encore rustique, mal défini de la définition de l’image, de la lumière, du confort de vision, le fait qu’il y a des gens qui sont très facilement mal à l’aise et qui ont mal au coeur, même sur des expériences qui à priori ne nous font pas bouger. Donc ça va vraiment être un dosage. Je pense que la lame de fond est déjà tellement puissante, les investissements qui ont déjà été faits sont tellement énormes, qu’une stratégie de persistance va s’installer et complètement ignorer le côté critique. La réalité virtuelle va exister malgré tout. Je peux faire un parallèle avec toutes les grandes innovations artistiques. Quand l’impressionnisme est né, une majorité de gens a trouvé ça absolument scandaleux et merdique. Et ils avaient tort. C’est une question de comportement face à l’innovation. L’innovation fait très peur, de manière générale. Donc on se défend de l’inconnu que représente l’innovation parce que le cerveau fonctionne exactement comme une base de données. Quand il est confronté à quelque chose de nouveau, il va chercher dans sa base de souvenirs ou de connaissances ce qui ressemble le plus à ce qu’il est en train de voir. Ce sont les touristes qui sont à Bali et qui vont dire : « c’est dingue on dirait mon week-end en Bretagne avec ma cousine ». Et les critiques de films qui comparent tout le temps un film nouveau avec un autre film. Ils ont toujours besoin d’étalonner un film par rapport à ce qui existait avant. Dans tous les domaines on fonctionne par référence. C’est vraiment un réflexe neurologique. Donc il va y avoir un fort mouvement critique contre la VR parce que l’innovation est à craindre par définition. Mais je pense que ça ne changera rien et que les améliorations technologiques vont continuer et que progressivement on croisera, par exemple,  un film en VR qui va vraiment impacter l’esprit des gens par sa charge émotionnelle, poétique, sociale etc. Il y aura des oeuvres qui feront référence. Les conditions de vision vont s’améliorer et petit à petit et la VR va devenir quelque chose qu’on va prendre comme acquis.

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Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 4/4

Entretien François Bliss de la Boissière

(Photo de Une : Jean-Fabien)

 


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Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 2/4

Apôtre pédagogue de la réalité virtuelle, de sa conception, de ses effets sur la société et sur l’estomac, le français et réalisateur expérimentateur de la VR Michel Reilhac nous parle de ses films et de ceux des autres. Pour le meilleur et pour le pire.

Deuxième partie de cet entretien semi candide enregistré il y a quelques mois (première partie ici…) où Michel Reilhac voit dans la VR la première rupture dans la représentation de l’image commencée… dans les cavernes préhistoriques et portée jusqu’au 21e siècle par le cinéma.

Bliss : Vous travaillez vous-même sur plusieurs projets en réalité virtuelle… Votre démarche est expérimentale, commerciale, artistique ?

Michel Reilhac : Il s’agit vraiment d’une démarche créative, de raconter une histoire par la narration. J’ai par exemple fait un premier exercice tout à fait modeste avec un atelier chorégraphique et « Viens » est un film d’art. Mon dernier, « Wait for me », est lui narratif puisqu’il s’agit d’une série de 10 épisodes de 10 mn avec une application liée.
En quittant Arte il y a 3 ans, j’ai fait le choix de devenir égoïste d’une certaine manière. J’ai passé ma vie à m’occuper des projets des autres, j’avais besoin de m’occuper des miens et de me mettre en quelque sorte au pied du mur. En toute modestie, mais pour des raisons tout à fait personnelles, j’avais besoin de me confronter à mes propres désirs de création. J’avais déjà commencé à explorer de manière ponctuelle avant de rejoindre Arte, mais là j’avais vraiment envie de faire ça. Donc la démarche et le plaisir que je trouve dans la réalité virtuelle aujourd’hui est avant tout très largement un plaisir créatif. J’adore filmer en réalité virtuelle, j’adore être avec les équipes, tout préparer, le travail d’écriture est vraiment génial. J’espère bien arriver à faire en sorte que mes films puissent me permettre d’en vivre économiquement. Mais pour le moment il n’y a pas vraiment de marché. On va voir ce que va donner le marché maintenant que les casques sont en vente.

Bliss : Vos projets sont plateforme agnostique pour la diffusion ? Ils sont prêts à être disponibles sur n’importe quel support de diffusion en VR ?

Michel Reilhac : Oui, mes films ne sont pas sous des formats propriétaires. C’est au niveau de la post production qu’il faut décider sur quelle plateforme il va être visible. « Viens » existe sous la forme d’un fichier utilisable sur les Samsung Gear, puis un autre un fichier pour l’Homido et un fichier destiné à l’Oculus Rift. Je ne fais pas d’animation de synthèse. Mes films sont en prise de vue réelles et tournés avec plusieurs caméras pour avoir la captation à 360°. Le tournage d’un film en VR n’est pas si différent que ça d’un film classique. C’est la conception qui est différente. Ce qu’on va voir et qu’on va mettre en scène. Mais les réflexes de tournage et de montage ne sont pas si éloignés que ça.

Bliss : La place du spectateur théoriquement placé au centre d’un film en VR est quand même différente. Le montage traditionnel d’un film dirige le regard du spectateur alors que en situation d’immersion en réalité virtuelle ou dans une vidéo à 360°, un peu comme au théâtre, le spectateur regarde ce qu’il veut de la scène. Vous utilisez un montage qui change en temps réel le point de vue ?

Michel Reilhac : Bien sûr, on coupe comme dans un film. On ne peut pas faire de cuts trop rapides parce que ça fait très mal au coeur et qu’on n’a pas le temps de voir, le spectateur serait un peu assommé, ça irait trop vite. Donc il y a des règles telle la durée. Il y a une sorte de statut quo qui dit qu’il ne faut pas faire de séquences de moins de 10 secondes parce qu’autrement ce serait trop perturbant. Mais le fait de couper, de passer de l’intérieur à l’extérieur, d’un point de vue d’une scène à un autre point de vue sur la même scène est complètement faisable.

Bliss : Et tolérable ?

Michel Reilhac : Et tolérable.

Bliss : Le cerveau capterait donc aisément le changement de point de vue même en étant dans l’image ? Comme dans le film Jumper, on peut alors jeter brusquement le spectateur d’un environnement à l’autre ? Le cinéma nous a habitué à des montages de plus en plus rapides et les adeptes du jeu vidéo ont l’habitude de se déplacer assez vite dans un espace 3D mais j’imagine quand même que les sens ne sont pas sollicités avec la même intensité en VR, même dans un film à 180°… Mais vous avez constaté que le cerveau tient bien le coup… L’adrénaline éventuelle et toutes les réactions chimiques restent sous contrôle…

Michel Reilhac : Ah oui oui le cerveau tient le coup, et le cerveau s’éduque. Le processus est intellectuel. Si vous entrez dans un film et qu’il y a des points de montage, que vous changez de point de vue, le point de vue subjectif qui est le vôtre en est affecté. Cela dit quelque chose sur votre présence. Dans le dernier film d’horreur de Chris Milk, « Catatonique » , on se retrouve dans une chaise roulante, manifestement sous sédatif. On voit ses propres bras, on porte une espèce de blouse et quand on se retourne, la chaise roulante est poussée par un énorme infirmier. On est promené dans un hôpital avec un point de vue très subjectif unique et exclusif : celui de la personne dans cette chaise roulante et ce qui lui arrive. À ce moment là il n’y a effectivement pas de possibilité de changer de point de vue sans casser cette convention placée au début du film. Mais vous pouvez très bien avoir un point de vue désincarné à l’intérieur d’une pièce et que tout d’un coup vous vous retrouviez dans une autre pièce en ayant un autre point de vue. Vous pouvez l’accepter parce que le montage vous dit que, d’une certaine manière, vous n’êtes personne. Vous n’êtes pas quelqu’un de représenté dans l’histoire. Vous êtes une présence diégétique, une présence abstraite. Et ça c’est acceptable. Et le cerveau l’accepte.

Bliss : Je vais utiliser des mots un peu trop forts mais est-ce qu’avec la VR on ne passerait pas de « spectateur » à « voyeur » en étant « dedans » ? Il n’y a pas une nuance qui s’installe ? J’imagine que les gens qui regardaient le cinéma à sa naissance devaient se sentir déjà dans une position de « voyeurs ». La VR ne réintroduirait pas ce trouble ?

Michel Reilhac : Un des plaisirs du cinéma consiste à être « voyeur » impuni. La contemplation d’un visage en gros plan, dévisager quelqu’un au cinéma fait partie d’un des plaisirs voyeurs du cinéma sans être qualifié comme tel. Dans la réalité on n’est pas supposé dévisager quelqu’un. La pulsion extrêmement forte de voir l’intimité des autres dans le cinéma, qui va jusqu’à la pornographie, est vraiment un désir arrivé avec la photographie et avec le cinéma. Nous avons manifestement un désir extrêmement fort de pénétrer l’intimité de l’autre. Et en VR c’est exacerbé.

Bliss : Est-ce que ça sollicite quelque chose en nous ou cela répond à un besoin ?

Michel Reilhac : C’est difficile de répondre parce que je me suis rendu compte que la réalité virtuelle rompt un processus d’évolution qui va jusqu’au cinéma. Le cinéma est la forme la plus sophistiquée, la plus moderne, la plus avancée de reproduction du monde. Elle a commencé avec la reproduction des mains sur les caves préhistoriques. Nous sommes passés par la peinture, la sculpture, la photographie puis par le cinéma. Mais le format de ces représentations reste un format limité, c’est un cadre. Quelle que soit la largeur de ce cadre, même dans les salles de cinéma les plus grandes. Il s’agit bien d’une représentation du monde. Avec la réalité virtuelle, ce n’est plus une représentation du monde, C’EST le monde. Et je crois que nous n’avons pas encore commencé de bien comprendre ce que ça voulait dire. Une des choses qui me fascine le plus est la manière dont le cerveau prend pour argent comptant ce qu’il voit dans la réalité virtuelle. Il ne le relativise plus par rapport à la réalité physique. Il le prend pour agent comptant parce qu’il n’y a pas d’autres informations à recevoir.

Bliss : Nous sommes quand même en relation avec des machines, les casques et manettes éventuelles, qui nous touchent qui font que nous ne sommes pas dans un caisson d’isolation…

Michel Reilhac : Oui, mais visuellement l’information captée par le nerf optique et transmise au cerveau par le nerf optique est une information quasiment à 100% de l’immersion dans un monde. Et c’est surtout le 360° qui provoque ça. Quand je tourne ma tête et que je peux voir partout, cela donne toute sa crédibilité au monde virtuel dans lequel on se retrouve.

Bliss : Cela fait à peu près deux ans que vous avez commencé à… pratiquer la VR. Est-ce que vous avez l’impression que vos sens et que votre cerveau, votre aptitude à recevoir tout ça, a évolué ? L’impression d’immersion grandit ou au contraire se contracte ?

Michel Reilhac : Cela dépend des projets. Les plus beaux et les plus forts donnent une sensation chaque fois plus grande. Mais je ne sais pas si c’est mon cerveau ou si c’est la qualité des contenus.

Bliss : Ça redevient comme le cinéma alors, c’est le moyen d’expression et son utilisation qui remettent de l’intérêt et pas juste l’outil…

Michel Reilhac : Voilà. Donc je ne sais pas. J’ai essayé une expérience intéressante à Copenhague il y a quelques mois lors du lancement d’un atelier de réalité virtuelle pour des réalisateurs de cinéma traditionnels. The Dog House est un dîner dans lequel nous sommes cinq convives à porter un casque tout en se voyant dans le monde virtuel. Dans le casque on voit un dîner avec cinq personnes autour d’une table, et la table est exactement la même table que celle où l’on se trouve assis physiquement. Moi j’étais la mère de la famille et les quatre autres personnes faisaient d’autres rôles. On ne reste pas tout le temps assis à la table. Il y a des moments où on se lève pour aller vers différents endroits dans le monde virtuel tandis qu’on reste physiquement assis autour de la table pendant tout le temps du visionnage. Et j’ai vraiment été très très mal à l’aise. J’ai eu des mal au coeur épouvantables, je n’ai pas réussi à lutter contre le motion sickness.

Bliss : Votre malaise était une réaction personnelle ou pourrait-elle être ressentie par tout le monde ? N’était-ce pas la faute au programme lui-même ?

Michel Reilhac : Je pense que c’était la technique qu’ils ont utilisé pour tourner. Je suis convaincu que c’est en amont avec la manière dont on tourne que l’on peut anticiper le motion sickness ou pas. Dans ce cas particulier là ils avaient fait un champ de vision extrêmement étroit tout en ayant tourné avec juste deux caméras sur la tête qui n’enregistraient pas à 360°. Quand je tournais la tête, j’avais un champ de vision très limité à moins de 180°. Je pense que c’est lié. Cela provoquait une déconnexion très forte parce que je n’avais plus la sensation d’immersion.

Bliss : Si l’on en croit la démarche sociale de Facebook, la VR se pratiquera un jour de manière collective, mais pour l’instant elle provoque l’inverse et isole le spectateur du reste du monde…

Michel Reilhac : Les deux gros reproches que l’on fait à la réalité virtuelle concernent l’addiction potentielle, dont nous avons parlé (ici), et le côté isolé de l’expérience. C’est à dire que la VR casserait le pacte collectif de la séance de cinéma où on va tous ensemble réagir émotionnellement au même film aux mêmes moments. On reproche à la réalité virtuelle de ne pas fournir cette expérience collective. Or, j’ai observé que l’expérience de la réalité virtuelle est très proche de celle du livre. Personne ne reproche à un livre de fournir une expérience solitaire. Par contre, une fois qu’on a lu un livre, on a très envie d’en parler avec d’autres gens qui l’ont lu. Mais à un autre moment. Dans la réalité virtuelle c’est exactement pareil. J’ai observé que quand je montre le film à des gens et qu’ils commencent à se parler entre eux, les discussions durent très longtemps parce qu’ils ont besoin de vérifier s’ils ont vu la même chose. Et personne n’a vraiment vu la même chose. Puisque si je regarde d’un côté je ne sais pas ce qui se passe de l’autre côté. Dans le film de Chris Milk, Evolution of Verse, il y a un train qui vous arrive droit dessus… Quand je montrais ce film auparavant je disais aux gens : faites attention de bien voir le train, repérez le son du train et tournez vous dans sa direction pour ne pas rater ce gros effet dans la vidéo. Dorénavant je ne préviens plus parce que je trouve beaucoup plus intéressant de laisser chacun libre et d’observer qui voit le train et qui le voit pas. Ensuite, dans la discussion, certains s’exclament devant l’effet du train « dingue » et « incroyable » pendant que d’autres se demandent de quel train on parle parce qu’ils ne l’ont pas vu. Ils étaient ailleurs, en train de regarder les oiseaux…

À suivre…
Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 1/4
Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 3/4
Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 4/4

Entretien François Bliss de la Boissière

(Photo de Une : Jean-Fabien)

 


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Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 1/4

Les éclaireurs tout à la fois acteurs, visionnaires et true believer de la réalité virtuelle sont rares. Encore plus en France. Danseur, curateur de talents, ancien directeur des programmes d’Arte France devenu auteur et réalisateur transmédia de projets en « réalité virtuelle », le français  Michel Reilhac en fait pourtant partie. Il a bien voulu répondre à un jeu de questions/réponses presque aussi folles que l’horizon inconnu de la VR laisse envisager.

Lors d’un débat au départ raisonnable puis complètement fou sur le potentiel de la réalité virtuelle à la Gaîte Lyrique à Paris fin 2015 (encore lisible ici), Michel Reilhac s’est distingué en prenant le risque d’avouer sa passion immodéré pour la VR. Pour lui, il y a clairement un avant et un après la réalité virtuelle. Il n’a pas peur de le dire, ni même d’avancer les théories les plus folles. Je ne pouvais qu’aller à sa rencontre pour reprendre le fil de cette conversation.

Où la route vers la réalité virtuelle passe par le jeu vidéo, les avatars et les techno prothèses avant de conduire au métavers…

Bliss : Comment avez-vous commencé à vous intéresser à la réalité virtuelle ?

Michel Reilhac : Eh bien c’est très marrant mais dès 1991, au Fresnoy qui n’était pas encore le grand centre de création d’images de la région de Lille, le directeur Alain Fleischer m’avait donné carte blanche pour faire une installation dans cet ancien parc d’attractions pour le public ouvrier de la région du Nord Pas de Calais. Le lieu était abandonné depuis une trentaine d’années et allait être rénové en centre de l’image. J’avais conçu un dispositif avec un artiste américain qui faisait des installations en réalité virtuelle. On mettait un casque et on avançait dans un paysage de polygones et de triangles très rustiques. Le parcours se déroulait à l’intérieur de ces locaux absolument immenses où l’on avait conservé la poussière, les vestiges, des objets éparpillés à droite à gauche dans cet endroit incroyablement hanté de pleins de fantômes du public qui fréquentait. J’ai découvert et expérimenté la réalité virtuelle à ce moment là. J’ai ensuite suivi ça de loin. J’ai failli acheter à la fin des années 90 début des années 2000, une lunette de jeu en réalité virtuelle mais elle était très chère et je n’étais pas assez impliqué dans le jeu vidéo pour en profiter vraiment. Et puis au moment de l’apparition d’Oculus Rift il y a deux ans, j’ai rencontré des gens qui avait le casque cela m’a permis d’en faire l’expérience. J’ai compris à ce moment là à quel point cela avait incroyablement évolué. J’ai trouvé ça complètement passionnant. J’ai commencé à regarder des vidéos de Chris Milk, à rencontrer des gens qui réalisaient des choses en VR, et puis voilà. Et maintenant je suis à fond dedans parce que, créativement, je trouve génial d’être là au moment où on doit inventer un nouveau langage, une nouvelle forme. Participer à cette invention est juste merveilleux.

Bliss : Cela vous était déjà arrivé d’être présent à la naissance d’une nouvelle forme d’expression ?

Michel Reilhac : Oui. Au tout début des années 80 j’étais danseur contemporain aux États-Unis, et la génération de danseurs et de chorégraphes à laquelle j’appartenais à New York est rentrée en France. Culturellement nous n’étions pas à notre place là-bas. Nous voulions utiliser la danse pour dire ce qu’on voulait. Je donc suis revenu en France en 82 et j’ai vécu les 10 premières années de l’explosion très forte de la danse contemporaine en Europe. Je retrouve aujourd’hui avec la réalité virtuelle exactement la même énergie, la même sensation de forger un nouveau langage.

Bliss : Vous ne faites donc pas de différence entre l’expression du corps, on va dire, biologique, et son prolongement par la technologie ? Penser que la technologie et l’humain sont dissociés fait partie des grands tabous des conversations. Pour vous ce serait la prolongation d’un même langage, d’une même énergie ?

Michel Reilhac : Oui, complètement. D’une manière générale je pense que la technologie est une forme de prothèse qui permet, dans certains cas, d’agrandir le champ de perception. Tout dépend de la manière dont on l’utilise et cela a été vrai pour moi quand je me suis rendu compte que le corps était vraiment au coeur de mon travail sur « Viens » (court métrage en vidéo en 360°, présenté au Festival de Sundance 2016, ndr). Le corps, l’intimité, le rapport à l’autre est essentiel. Sans pour autant devenir un fervent des réseaux sociaux comme exemple de substitut aux relations réelles. Je trouve très bien qu’il y ait à nouveau une tendance qui ramène notre goût vers des expériences réelles. Il n’y a qu’à voir le succès des bars, de la cuisine, de la gastronomie, le succès du vinyle pour la musique, du vintage pour la mode. Autant de signes du besoin de ne pas se déconnecter du réel.

Bliss : Beaucoup de gens utilisent la technologie au quotidien sans s’en rendre compte pleinement, voire même en la reniant. Presque tout le monde à un smartphone dans la poche…

Michel Reilhac : Oui et d’ailleurs on va voir ce qui va se passer dans ce domaine avec la réalité virtuelle. Il va falloir une nouvelle éducation pour éviter l’addiction violente.

Bliss : Vous anticipez déjà une consommation excessive de la réalité virtuelle ?

Michel Reilhac : À partir du moment où il y a déjà une addiction au jeu massivement multijoueur en ligne, il va y avoir un phénomène d’addiction, au jeu en réalité virtuelle en particulier, extrêmement fort. La question va être : comment va-t-on y réagir, comment va-t-on la domestiquer ?

Bliss : En tant que joueur et critique de jeu vidéo je suis très chatouilleux sur ce mot là parce que le jeu vidéo ne provoque pas d’ »addiction » pathologique, ce n’est pas une… maladie. Il s’agit d’un usage intensif et sans doute exagéré socialement parlant. C’est ce que vous voulez dire ?

Michel Reilhac : Oui mais en même temps depuis 4 ans environ en Chine, l’addiction au jeu vidéo est considéré comme une addiction à une drogue dure et est traitée comme tel dans des cliniques militaires. Et pour certaines personnes il s’agit vraiment d’une pathologie. C’est la seule chose qui m’angoisse avec la réalité virtuelle, cette l’ombre qui plane, je dirais, sur ce qui va se passer. Et comme à chaque fois on va voir comment arriver à le contrôler.

Bliss : Le jeu vidéo est aussi déjà accusé de beaucoup isoler socialement alors qu’il créé énormément de liens sociaux. De nos jours tout le monde se regarde en train de jouer parce que, justement, chaque personne a une expérience différente du même jeu. On va donc retrouver ce besoin de conversation collective autour de la réalité virtuelle. Les nouveaux usages ne sont qu’un déplacement des conversations, ils ne les arrêtent pas.

Michel Reilhac : Oh oui. Je pense que ce sont des attitudes et des réactions qui mettent un peu de temps avant de se mettre en place. Personne n’aurait imaginé l’énormité du succès d’une chaine comme Twitch par exemple où l’on regarde des gens jouer. Cela montre bien que le désir est celui de la représentation du réel, d’un déplacement du réel, et de son partage. Du coup la réalité virtuelle va trouver ses modes de partage, soit à postériori, soit pendant l’expérience puisque Facebook a récemment ouvert l’accès à son Social VR qui sont des salons virtuels dans lesquels cinq personnes partagent le visionnage de contenu ensemble puis se parlent par le biais de petits avatars. Ces petits avatars ont pour l’instant une gamme d’expression limitée à 5 mais permettent de se parler en audio. Et cela s’expérimente avec un casque VR. Oculus a annoncé ce qu’ils appellent The Rift Arcade avec des reproductions de jeux à l’ancienne. L’utilisation de la VR comme un lieu collectif de rencontre, de débat et de partage va arriver très vite avec la commercialisation des casques.

Bliss : Question joker : Est-ce qu’il ne faudrait pas s’empresser de se faire modéliser un avatar ?

Michel Reilhac : Marrant, je ne me suis pas posé la question…

Bliss : Parce que là nous parlons d’avatars basiques comme les Mii ou ceux du Xbox Live. Mais très vite cela ne va pas suffire. À moins de se créer des super avatars…

Michel Reilhac : Clairement. Cela rappelle les avatars qu’on se créait dans Second Life. Je pense que ce qui va vraiment arriver va être la création de ce qu’on appelle un métavers. C’est à dire un équivalent de Second Life mais à une échelle infiniment plus grande et être accessible via les réseaux sociaux existants. C’est ce vers quoi on va. Facebook va être une porte d’entrée vers le métavers. Il va y avoir des chaînes, des fournisseurs de jeux, etc, qui seront autant de portes d’entrées dans le métavers. Et à la différence de Second Life qui était un endroit propriétaire, le prochain métavers deviendra un peu comme le Cloud dans lequel on pourra aller en réalité virtuelle.

Bliss : On rejoint donc le concept de cyberspace où l’on aura accès à toutes sortes de services dans un monde virtuel…

Michel Reilhac : Exactement. Mais il faudra attendre encore à peu près 3 ans. Parce qu’il faut que l’on retrouve la transcription du mouvement de la réalité physique dans la réalité virtuelle. Il existe déjà de nombreux prototypes, plein d’approches différentes dont je ne connais pas tous les détails mais que je vois testés. Je ne sais pas encore lequelle fonctionnera. Et puis il y a également tout le travail mené par Microsoft autour de HoloLens. Ces nouvelles générations d’hologrammes vont accentuer la porosité de la perception numérique dans la réalité physique.

À suivre…
Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 2/4
Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 3/4
Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 4/4

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Christophe Gans : sa short liste de réalisateurs visionnaires

À l’occasion d’un long entretien autour du jeu vidéo et du cinéma (à lire ici et ), le réalisateur Christophe Gans nous a confié une short liste de réalisateurs qui, comme lui, exultent une culture et une passion commune pour le jeu vidéo et le cinéma. Voici ce qu’il en dit…

Au fait, qui est Christophe Gans ?

Jeune diplômé de l’IDHEC (rebaptisée La Fémis) dans les années 80, Christophe Gans aurait commencé par faire du journalisme cinéma parce qu’il ne pouvait pas réaliser en France les films qu’il aimait. À la tête des magazines Starfix de 1983 à 1990 puis HK Magazine qui éditera des films en VHS et DVD, il donnera ses lettres de noblesses au cinéma de genre et asiatique. De Crying Freeman à La Belle et la Bête, en passant par Le Pacte des Loups et Silent Hill, ses 4 longs métrages brassent avec un culot inédit les cultures cinéma, manga et jeux vidéo.

Pour Christophe Gans, ces cinq visionnaires poursuivent le jeu vidéo et le cinéma avec une passion commune.

Héros

« Cameron, Spielberg, Ridley Scott et David Fincher sont mes héros. Ils ont cette curiosité, cette capacité d’intégrer les nouvelles technologies à un sens pur du spectacle et de l’histoire à raconter. Depuis quelques années, j’éprouve la même admiration pour les créateurs de jeux vidéo. Quand je joue et rejoue à Bioshock ou Uncharted, j’idolâtre de la même façon les mecs qui les ont conçus. »

Ken Levine

« Quand Ken Levine adapte Logans’ Run pour le cinéma (remake du film de 1976), il sait que c’est un sujet pour lui puisqu’il s’agit encore d’une utopie qui foire méchamment. Mais peut-il prétendre à y intégrer le 10e de l’ambition qu’il a voulu mettre par exemple dans Bioshock Infinite ? Hollywood ne le permettrait pas. »

John Carpenter

« John Carpenter joue aux jeux vidéo mais il a aussi écrit la musique d’un jeu sur PSone (Sentinel Returns, Psygnosis, 1998). Rien que le fait qu’il évoque The Last of Us et Bioshock, ça fait sens (sur Twitter, NDR). Ça me fait plaisir de savoir que le vieux John est en train de jouer quelque part. Je pense que je passerai ma retraite à jouer aussi. »

George A. Romero

« Dès La Nuit des morts-vivants (1968), quand la mère se fait tuer par sa petite fille, Romero avait synthétisé l’idée que le zombie a un rapport intime à nous-même. Il est notre ami, notre fils, notre fille, notre père. Comme le vampirisme, le zombiisme est un virus que l’on se communique par la promiscuité et sans doute aussi par les sentiments. »

Ridley Scott

« Le Black Hawk Down (2001) de Ridley Scott a changé l’esthétique du jeu vidéo. Les couleurs, le placement de la caméra, le sens de l’action, les atmosphères ont eu une grande importance, et pas seulement sur les Modern Warfare. Il fait partie de ces 20 ou 30 films qui ont changé toute la perception de la pop culture et qui a été le plus pompé par les jeux vidéo. »

James Cameron

« Le film Avatar est l’hybridation parfaite entre la japanime, le manga, le jeu vidéo et le cinéma classique. Il s’agit là d’une création absolument hors du commun qui efface le reste. Au confluent du cinéma et des nouveaux médias, jeux vidéo etc, j’ai l’impression que Cameron est celui qui en a fait la synthèse la plus pure. Il a tout compris. »

Entretien Christophe Gans : L’hybride jeux vidéo et cinéma 1ère partie

Entretien Christophe Gans : L’hybride jeux vidéo et cinéma 2ème partie

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière en avril 2014

(Publié dans Games magazine #3)

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Entretien Christophe Gans : L’hybride cinéma et jeux vidéo 2/2

Ex critique de cinéma devenu cinéaste, responsable du magazine culte Starfix, Christophe Gans ne veut plus distribuer les bons et les mauvais points. Mais sa passion critique et son sens de la formule sont toujours vivaces. Pour évoquer sa vision du jeu vidéo et du cinéma, forcément, on lui a laissé toute la parole. VERBATIM suite…

L’enthousiasme et la triple culture cinéma américain, asiatique et jeu vidéo ont permis à Christophe Gans, entre autre, d’adapter Silent Hill au cinéma. Mais on ne compte plus les projets de films avortés du réalisateur français (Nemo, Bob Morane, Rahan, Onimusha, Tarzan, Fantômas…). Alors avant de se lancer dans une nouvelle adaptation encore secrète d’un jeu vidéo d’horreur japonais, « oui, avec des jeunes filles effrayées ou effrayantes dedans » avoue-t-il avec un sourire complice (en 2014, ndr), Christophe Gans est venu nous parler de sa vision du jeu vidéo.

Beyond : Two Souls

« Annoncer que Beyond : Two Souls est joué par Willem Dafoe et Ellen Page n’est pour moi que du marketing. Parallèlement, quand les développeurs de Naughty Dog s’inspirent d’Ellen Page dans The Last of Us, ils créent un personnage cohérent qui se trouve avoir les traits de Ellen Page. Dans Beyond le personnage féminin ne sera toujours qu’un ersatz de la vraie Ellen Page. L’animation a cela de supérieur qu’elle permet de créer un personnage avec sa propre logique, celle de l’univers dans lequel il se déplace. Alors qu’un acteur virtualisé mis dans un univers virtuel ne sera toujours qu’une caricature de la réalité. Pour parler du travail de David Cage, j’ai été plus impressionné par l’univers de Heavy Rain. À tel point que pour La Belle et la Bête j’ai fait appel à Thierry Flamand et François Baranger, respectivement directeur artistique et concept artist sur Heavy Rain. »

Bioshock

« Pour résumer le problème, les films américains coûtent trop cher et donc tout le monde est pétrifié à l’idée de greenlighter un projet. Surtout quand il prétend adapter fidèlement un jeu vidéo. J’étais curieux de voir comment Hollywood allait se débrouiller avec Big Daddy et les petites sœurs. Mais comment faire passer dans un film hollywoodien une pareille idée où des petites filles, fruits d’expériences génétiques, sucent le fluide des cadavres ? Gore Verbinsky voulait faire le film exactement comme Ken Levine avait imaginé son jeu et dans une version non censurée. Et finalement Hollywood n’y est pas allé. »

Dead Island

« Je pense que cinéma et jeux vidéo vont de concert dans la même direction : l’accroissement du réalisme à l’écran. C’est comme l’idée du sang qui vient éclabousser l’objectif de la caméra. J’ai utilisé cet effet dans Silent Hill alors qu’on le voyait encore rarement à l’époque. Au cinéma le spectateur n’était pas censé avoir conscience de l’objectif de la caméra. Les réalisateurs ont pendant longtemps essayé de faire oublier qu’il y avait une caméra qui enregistrait l’histoire. Depuis l’irruption des found footage movies, tout est fait pour rappeler au spectateur que ce qu’il voit est filmé par une caméra, un téléphone portable ou une Go Pro. Comme si l’accroissement du réalisme impliquait dans tous les cas la présence de la caméra. C’est à mon sens une version très naïve du réalisme, telle qu’un enfant de 14 ans l’imagine. Aujourd’hui, je préfère des gimmicks plus simples : quand tu as le soleil dans le dos dans le jeu Dead Island, tu vois sur le sol l’ombre exacte du personnage sélectionné. Et c’est assez cool. »

Zombies

« Il y a encore quelques années nous vivions dans l’imaginaire résiduel de la Seconde Guerre mondiale, la lutte entre le bien et le mal, les forces occidentales face aux nazis. Aujourd’hui cet antagonisme s’est en grande partie évaporé et le zombie synthétise l’idée que l’ennemi c’est nous-mêmes, notre propre endormissement, celui des civilisations occidentales engourdies par la consommation et le matérialisme. George A. Romero a eu un éclair de génie en montrant ça dès 1978 avec Dawn of The Dead. Quelle est la grande leçon des élections Municipales en France ? La façon dont la société française veut se secouer de son endormissement en rejetant le gouvernement actuel et en plaçant le Front National a des hauteurs insoupçonnées dans certaines villes. Le principal ennemi et source d’angoisse numéro un des gens est dorénavant le fonctionnement social collectif. Le zombie est devenu le monstre qui nous est le plus proche. Il a envahi la BD, les séries télé, le cinéma et même les grosses productions hollywoodiennes. L’image très forte dans World War Z d’une marée de zombies déferlant dans les rues de Jérusalem doit plus au jeu vidéo qu’au cinéma. De la même façon, l’Attaque des Titans est un manga et un japanime extraordinaire (Shingeki no Kyojin publié par Pika Édition, NDR) où les titans en question sont des zombies géants qui cherchent à dévorer les êtres humains réfugiés dans des villes gardées par d’immenses murs. Oui nous sommes des morts-vivants en puissance et le zombie a gagné sa place de première créature de la pop culture. »

Demon’s Souls

« Demon’s Souls a la réputation d’être horriblement difficile mais voilà un jeu qui anoblit la condition du joueur. Tant que le Japon peut nous envoyer régulièrement un jeu comme ça dans la figure, je considèrerai le jeu japonais bien plus intéressant que le jeu américain. Dans Demon’s Souls il y a à la fois la modernité des jeux d’aujourd’hui et la tradition des jeux vidéo d’autrefois. Parce qu’il ne faut pas oublier qu’un art existe de par sa tradition. Demon’s Souls est dans la tradition du grand jeu japonais d’otaku, un jeu valorisant de par sa difficulté et sa jouabilité parfaite. »

Réalité Virtuelle

« Les photos de l’Oculus Rift m’ont rappelé le film cyberpunk Tetsuo 2 réalisé en 92 par le japonais cinglé : Shin’ya Tsukamoto. En voyant ces gens avec ces casques sur la tête je me suis dit qu’il s’agissait là d’une image de science-fiction assez effrayante. Finalement, l’idée qu’on s’emprisonne dans le virtuel est l’aboutissement logique de ce qu’on essaie de trouver à travers le jeu vidéo. La faculté que nous voudrions avoir de survivre dans les pires situations, de pouvoir renaître, va finir par se concrétiser. Un jour notre surmoi va se refermer sur nous. Je pense que le jeu vidéo est en train de redessiner la société humaine. »

À lire…

Entretien Christophe Gans : L’hybride jeux vidéo et cinéma 1ère partie où il nous parle de Dead Space, God of War, Otaku, Silent Hill et Onimusha…

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière en avril 2014

Photo de Christophe Gans © Nicolas Spiess

(Publié dans Games magazine #3)

 


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Entretien Christophe Gans : L’hybride jeux vidéo et cinéma 1/2

Ex critique de cinéma devenu cinéaste, Christophe Gans ne veut plus distribuer les bons et les mauvais points. Mais sa passion critique et son sens de la formule sont toujours vivaces. Pour parler jeu vidéo on lui a laissé toute la parole. VERBATIM…

Là où l’Amérique a son Quentin Tarantino, la France a son Christophe Gans. C’est à dire un ogre d’images à la passion cinéma dévorante et virale qui cumule sans hiérarchie dominante le savoir encyclopédique de Martin Scorsese et la culture du cinéma bis de vidéoclub. Mais quand Tarantino reste bloqué à l’argentique et à l’analogique, Gans embrasse avec gourmandise la culture numérique. Car à sa passion cinéma azimutée est venue se greffer celles, toute aussi sincère et viscérale, du manga et du jeu vidéo.  Rencontré début 2014 peu après la sortie de son dernier film La Belle et la Bête, nous avons entrainé le réalisateur de Silent Hill dans une conversation passionnée autour du jeu vidéo et de sa relation tumultueuse avec le cinéma…

Jeux vidéo

« À une certaine époque je ne pouvais pas me passer d’enfourcher Epona, le cheval de Link, et de galoper dans les mondes de Zelda : Ocarina of Time ou Majora’s Mask. C’était un besoin physique. De la même façon, j’ai dû jouer 6 ou 7 fois au premier Bioshock. J’y reviens régulièrement. J’aime déambuler dans Rapture, regarder autour de moi et comprendre les détails de cette utopie qui a capoté. Ken Levine sait surement qu’il y a des gens comme moi qui retournent régulièrement dans Rapture, la réexplore et finalement apprécie son travail. Je suis un collectionneur de jeux vidéo. Il y a chez moi un mur entier avec toutes les consoles et leurs jeux dans des boitiers impeccables, avec les notices. J’ai les dernières consoles, évidemment. J’attends comme un fou d’essayer Titanfall sur Xbox One. Sur PS4, j’ai d’abord joué à la version revampée de Tomb Raider parce qu’il m’intéressait de voir en quoi la PS4 apportait quelque chose de plus par rapport à la PS3. Et en effet on mesure vraiment le plus. Mais de temps à autre je ressors ma veille Super Nintendo et je relance un bon vieux RPG. Je fais partie de ceux super contents de pouvoir télécharger des jeux de rôle sur leur tablette. Faire ses choix dans les menus et tableaux a toujours été laborieux avec une manette, alors que c’est idéal et intuitif sur tablette. J’ai dernièrement téléchargé Final Fantasy VI et je vais m’y remettre. Je m’en réjouis d’avance. »

Dead Space

« Les monstres de Dead Space doivent beaucoup à The Thing de John Carpenter. Le virus qui infecte leurs chairs et les a transformé en xénomorphe de combat capable de survivre dans n’importe quel environnement est purement carpenterien. En particulier dans Dead Space 3, jeu maudit qui pendant 8 heures avance comme un mauvais remake des deux autres avant de prendre son ampleur réelle sur la planète gelée. Il y a cette impression très bizarre d’une bifurcation industrielle et conceptuelle en plein milieu du jeu. Ce Dead Space dans la neige devient littéralement un hommage à The Thing. »

God of War

« J’ai eu entre les mains l’adaptation de God of War que préparait à un moment Hollywood et c’était à se taper la tête contre les murs. On connaît tous le jeu vidéo conçu de manière très exemplaire, définition des personnages, esthétique, histoire, niveau de violence etc. Le scénario que j’ai eu entre les mains était une trahison à chaque page. Pour résumer, il faisait de Kratos un bon papa, un sous Maximus (Gladiator, NDR). Jamais je ne m’y serait lancé. Jamais ! Hollywood est une vieille institution, une vieille dame pas partageuse qui n’a pas envie de traiter d’égal à égal avec une industrie concurrente potentielle. Quand Ubisoft ou Electronics Arts s’assoient à une table avec des cadres d’Hollywood, je suis persuadé qu’ils s’entendent dire : « Nous allons faire du cinéma hollywoodien à partir de votre franchise, nous allons garder le titre, et soyez heureux que nous gardions aussi le personnage central. » »

Otaku

« Le manga et sa soeur, la japanime, sont véritablement le chainon manquant entre le cinéma et le jeu vidéo. Quand je me lance dans Crying Freeman en 1995, les gens me demandent pourquoi adapter une BD japonaise, pourquoi ne pas américaniser l’histoire… ? Depuis, les manga font l’objet de grandes analyses, la japanime fait l’ouverture de Berlin. En son temps, les revues de jeux vidéo étaient les seules à avoir pris la défense de Crying Freeman. Logique ! En 1995 cet univers était encore de la contre-culture et je m’y suis accoudé pour faire mon premier film. En 15 ans, nous sommes passés du mépris le plus total à une vraie forme de légitimité. Ça se déroulera de la même manière pour le jeu vidéo. »

Silent Hill

« Quand j’adapte Silent Hill je me mets au service de la Team Silent. Il est hors de question pour moi de me substituer aux créateurs et de m’attribuer les mérites de Silent Hill, d’entacher une création admirée par tant de gens. Pour autant, je suis heureux de voir reprise dans les nouveaux jeux Silent Hill l’idée qui était la mienne dans le film du passage d’une dimension à l’autre sous la forme d’une peau qui se pèle. Le film a été diversement apprécié, mais il est encore aujourd’hui considéré comme l’adaptation la plus orthodoxe d’un jeu vidéo. Et c’est une victoire pour moi. Depuis, la Team Silent s’est fait déposséder de sa création. À partir du 5e épisode l’éditeur a décidé de produire Sillet Hill pour le reste du monde en faisant appel à des studios occidentaux. Comme au cinéma, nous assistons aujourd’hui à une globalisation du marché. Les particularismes qui faisaient autrefois la force des cinématographies japonaises, italiennes, françaises ou américaines, sont en train de finir de s’effacer. Aujourd’hui Silent Hill est un survival horror comme un autre. »

Onimusha

« L’histoire de l’interruption de l’adaptation d’Onimusha est très triste. Je me souviendrai toujours, l’équipe des décorateurs du film étaient déjà à pied d’oeuvre en Chine, et j’étais au bureau à 1h du matin en train de travailler sur le film. Je reçois un SMS : « Il paraît qu’Heath Ledger est mort ». Je me tourne vers mon producteur exécutif et je lui dis : « Si c’est vrai on est cuit ». Heath Ledger n’avait rien à voir avec mon projet sauf qu’il jouait dans L’Imaginarium du docteur Parnassus de Terry Gilliam que mon producteur Samuel Hadida finançait également. Et ça n’a pas coupé : l’assurance de garantie de bonne fin s’est mise en branle. Seul comptait le sauvetage financier de Parnassus. Et c’est notre projet qui a morflé. Quelques concepts d’Onimusha ont atterri dans La Belle et la Bête. À la fin, une espèce de soleil nucléaire incendie tout et pétrifie les gens au milieu de grandes herbes agitées par le vent. Ce petit moment donne une idée de ce qu’aurait été l’esthétique dark fantasy à sauce japonaise du film Onimusha. »

À suivre…

Entretien Christophe Gans : L’hybride jeux vidéo et cinéma 2ème partie où il nous parle de Beyond : Two Souls, Bioshock, Dead Island, Zombies, Demon’s Soul et de Réalité virtuelle… 

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière en avril 2014

Photo de Christophe Gans © Nicolas Spiess

(Publié dans Games magazine #3)

 


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Will Byles/Until Dawn: Appointment with deaths 2/2

Part 2 of our conversation with Until Dawn’s game director and writer where he kindly reacts to some potentially embarrassing situations for his game. How despite the collapsed of the Japanese horror games and after P.T.’s cult surprise there is still room for horror games. How Dragon’s Lair hated QTEs are now used not to punish the player but to improve his feelings. How dark on dark and doing nothing is probably the best to scare the shit out of the player…

Until Dawn Will Byles 02

Bliss: It’s probably the turn of Until Dawn to take the heat because as with David Cage’s projects (Heavy Rain, Beyond : Two Souls…), weren’t you afraid of the 1983 arcade game Dragon’s Lair syndrome? How do you justify this kind of make a choice /QTE gameplay to the more hardcore and touchy gaming population?

Will Byles, Creative Director Supermassive Games: You’re right, QTEs are contentious (laughs), and it is kind of a Dragon’s Lair press a button get the right timing, get the next cut etc. But we haven’t used it in the same way up fully through out the game by any means. We used the QTEs… very specifically, under high pressure, high time pressure events. And what we don’t do is we make sure we don’t have any punitive QTEs that come from nowhere. If you play the game and suddenly a QTE comes up, it’s because there’s a problem that needs you to go « Oh shit! ». That’s the feeling we want you to have, that panicky moment. And the first one when there has never been one in the game, it will be slow, it won’t be overly punitive like I said.

Bliss: And you made some improvements with the QTEs with sounds alerts on screen and on the DualShock4… How deep did you have to go to ease the process and still keep it as a challenge?

Will Byles: Well, the big differences are the fail state. If you fail it’s not like a restart, it’s like « Okay, I’m gonna go to the next bit ». And when you fail one in certain positions, these will only come off while you were made fully aware that they are coming and that in a couple of times you could die.

Bliss: Still, you’re not afraid that some gamer might want to start the game again when they « don’t do right » some QTEs because, without further information, they might think they are doing « wrong » and maybe missing the main event?

Will Byles: The thing is… they can’t (laughs). He might try but… That’s part of the story telling. Some people might think it’s a bad idea, some that it’s really good. It’s always a risk. There will be people that will have no patience and may just get lost. But I think that if people know that it is not the case, if we say up front that sometimes doing nothing is the best thing, that because of the butterfly effects what feels like a wrong decision or a right decision has an impact on the story and drama either way. With the clues, the premonitions and things like that there is enough information in the game that if you engage with it, it will allow you to hold this stuff and past it.

Bliss: As any novelist or screen writer would certainly agree, it is already very difficult to write one straight good story. So how do you expect to write such a good story and keep characters coherence for instance with so many branching and alternatives story lines? I’m guessing : Contemporary TV show school of writing? Maybe there is only one good story in your game but not 10 or 12…?

Will Byles: We think there are a lot of stories. The events of the night from dusk till dawn is One night. It will always be that one night, regardless of how you go thru that story. They are things in play that will always happen that are part of the story but not necessary a part of your story because you might… die, so it won’t be part of his story but it will be the part of another character’s story. They are not hundreds of individual set put narratives. When one of them is about a man that goes off to find a horse, you know, and win the girl and another one is about going to Hawaï. In here they’re all part of the same story, the same structure and that’s the kind of core of the night. But the story you play will be the story that involves maybe somebody dying very early on, or somebody loosing an arm, or catching fire… So all those things are all parts of that structure. We think we got a good balance on how that works but…

Bliss: But a story is about rhythm, right? And you break the rhythm if we take one branch over the other. Or maybe every branch falls on the same rhythm patterns? The events may be different but the emotional beat may be the same?

Will Byles: Absolutely, and the rhythm, like you said, is more like TV shows. For every hour they is an absolute structure, an emotional structure we try to do with fear, relationships, multiple characters… For me a story is not about the things that happen, it’s about relationships.

Bliss: But video games ARE about what is happening, acting on, doing things. We, as a all, have a hard time to create and live emotions in video games without going thru this early basic need of interactive action…

Will Byles: Exactly, and it’s hard, and, like I said, we had a lot of arguments early on saying: I want the player to understand this and this but not what is coming later. Not because I wanted to be smart or anything, but because I think it’s more satisfying for you to find that stuff on your own as an audience in a way… Like in the Sixth Sense http://www.imdb.com/title/tt0167404/ movie you know when you get to the end of a story and you say: « Alright I understand now. They’re a all bunch of things that look different now ».

Bliss: Like a final twist?

Will Byles: It’s not just the twist, it’s the perspective. I saw from this perspective, and now I’m sitting from this perspective which has changed not only the story – because the things you saw are identical – but what you understand now is very different. You can only do that if you have a narrative that is not everything at every stage, which is traditionally the way games do it.

Bliss: So you play with the player frustration that then goes back and starts the story again?

Will Byles: Yes!

Bliss: During the 3-4 years of Until Dawn development, the Japanese horror survival games scene collapsed and gave you some opportunity to take the spot with a different horror game. And then came Guillermo Del Toro and Hideo Kojima’s P.T. that is now the reference in the genre. What impact did this « no game » surprise have on the team and development last year?

Will Byles: I genuinely think that there are room for many horror projects because the appetite is there for horror. Like you said, the survival horror has gone down part because it has become just shooters and action games… For me it was frustrating because I loved horror games the Japanese were doing like Fatal Frame. So when something like P.T. comes out suddenly it’s just a : « Oh my God this is amazing! ».

Bliss: You said somewhere that you were confident that a long corridor where nothing happens could be enough to scare people and then P.T. demonstrated this idea fully. Were you happy or frustrated that such a demonstration came before your own Until Dawn?

Will Byles: No no. I think when something is scary it’s a good thing. And you know what was brillant about P.T. is that you go thru a corridor and then another corridor and the fact that it kept going and kept going. It was slow and it got scary, it got very very scary, it got very immersive. I don’t like to use that word because it is irritating but you got so pulled into it. Obviously you get anxious that there might be much scarier project than your own game but that’s my own insecurity (smiles).

Bliss: Did you change something in your own game after seeing PT? Add something or take of something? Did it alter the people working with you? Because when you work on something that is very specific and then comes something so strong from someone more famous…

Will Byles: To be honest, it just reinforced that what we were doing was the good stuff, the corridors and such. They are very hard arguments to have with people during development. People see the game before it’s lit, before it’s done and… nothing happens, so. And we said: « that’s good ». You know people generally want to see an amount of things happening and we went: « No no, this just should be… just nothing. »

Bliss : The Cabin in the Woods movie (co-written by Joss- Avengers- Whedon, ndr)- pretty much killed the teen slasher concept by grasping and swallowing everything at once, don’t you think? At least in theaters. So, maybe now interactive video games will take the first place to go to live a really scary entertainment evening?

Will Byles: You know I think it could. I think there is something more visceral about first person emotion. There’s definitely enough technology now to stop the special effects or the characters of being a barrier to enter. This is the first version of this kind of representation that we have done but it’s going to get better. There will be a game in a few months time that will beat this and another game will come out and people will be stunned. Once those barriers go, then it’s going to be down to budget and desire to make those things. Engines are getting free now, you don’t necessary need to buy or have a very expensive engine and a huge team to make stuff. You can have an idea and put it dramatically, not cheap but not -massively expensive. It seems like some real opportunity coming out, it feels like it’s going to happen. The same with movie making. You can make a movie on an iPhone you know. More people are doing it. Obviously there is the publishing side but as more people are able to do that, I see as a way of the future where, not just movies but… You know movies used that found footage and then the low budget movie indy and then there is higher budget movie. And they all seem to have a place and they all seem to make it on Netflix (laughs), they all get there (laughs). I think Channels will start to come up on game platforms where you can have a horror channel, a drama channel… Sometimes it’s really good to be told a story, you don’t necessary need to engage, sometimes it’s nice to have that narrative. I don’t think one medium will die because of the other.

Part 1…

Will Byles/Until Dawn: Appointment with deaths 1/2

Interview conducted by François Bliss de la Boissière

… in the offices of Sony Computer France in Paris august 24 2015

 


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Will Byles/Until Dawn: Appointment with deaths 1/2

While on promotional tour in Paris, the British game director and screenwriter of Until Dawn shared his thoughts on a few subjects. How trying new things is still hard in a conservative video games industry. How cinematics and stats menus are just compromises that will soon live in the past of first person experiences. How breaking the fourth wall is a risk worth taking. How video games are hard on Hollywood actors, and how soon-to-be-a-star actor Rami – Mr Robot – Malek and veteran Peter – The Big Lebowsky –  are good at playing a distressing characters…

Until Dawn Will Byles 01

Bliss: What is the final budget of Until Dawn development?

Will Byles, Creative Director Supermassive Games: I don’t know it. It’s… a lot (laughs). It’s been split into two. We made the game twice. First for the PS3 and then for the PS4/

Bliss: You mean the full game with all the assets and the game engine?

Will Byles: Yes, everything has changed, the style, the cast… We rewrote all the script.

Bliss: It’s not the same game then…

Will Byles: It’s the same fondamental part of it, but it’s used to be first person with the move control, a more gimmicky one. This one is more cinematographic. We changed a lot of it.

Bliss: You still kept the movement control now with the Dualshock 4 gyroscope…

Will Byles: Yes, I can move the face on screen with the Dualshock 4 (showing on screen) and during the game.

Bliss: From Start the party to help on KillZone HD and LittleBigPlanet 2 to scary « adult » game Until Dawn, what cause such a jump in Supermassive’s projects? Was Until Dawn a Sony Computer project or a Supermassive one?

Will Byles: We were making those games on the PlayStation 3 Move accessory so that’s where the filiation came in. Until Dawn was first a game developed for the PlayStation Move. At the time, Supermassive was looking at this Move control horror game and they wanted me to look at the drama side of it. I came just before the switch to look into interactive drama, because my background is more drama from theaters and films. That’s how I came to the company. Then I wrote the story for it with Pete Samuels (Managing Director and contributor to the official PlayStation Europe blog, ndr). We’ve kind of put this script together to the point where we almost finished it. And then we had this strong public reaction of people who wanted this kind of control as well with the Dualshock 3. They wanted us to change it, so Sony looked and said « If you’re going to change it, the PS4 is coming, do it with the PS4, we’ll start again, we’ll use the same story but we’ll branch it more, we’ll get rid of some of the gestures, it will still has moves but it will not be ABOUT the moves. » The original game was about controlling things, picking things up…

Bliss: It seems it could work well with Sony’s Morpheus VR project. Don’t you have a version of the game ready for it?

Will Byles: Noo. To be honest it’s very difficult… Too much walking around with the Morpheus would make you feel a bit sick so I think it would’ve been hard for Until Dawn. It’s odd to work with.

Bliss: Because of low cost budgets, the first horror/slasher movies from the 70’s and 80’s had a very rough, trashy look. But your game has a very neat and slick image that need to sale the PS4 power which is far from say gritty Silent Hill games. Wasn’t it some kind of handicap to have to use such a beautiful image and still create fear and discomfort?

Will Byles: Yes. The image is as clean as it could be (laughs), but also there is vignetting in it, there’s grain, there’s a bunch of things we put in. As you said, it starts with the early slashers of the 70’s but it goes up till the post modern Scream self referential higher budget like I Know What You Did Last Summer… So we wanted to get all of those into there as well. And there’s also a level of acceptance of what people will or won’t accept if we went with a very kind of grainy and very hard to look image. We think, probably, that a significant amount of people, younger people who didn’t see those films, wouldn’t maybe understand.

Bliss: Still, if I remember properly, some Silent Hills 2 editions had an option to have the film screen grain noise effect on or off. You could have played that card…

Will Byles: Yeah it’s a good idea…

Bliss: When you drop the pad for a few seconds the game zoom in on the face of the character waiting for you to return. How and when did that idea come along? Was it a Sony Computer idea to show off the tech or a Supermassive idea?

Will Byles: Well it was me (smiles). Thing is, if you leave the controller and the scene on screen stays in a wide shot then, with film langage, it is saying something. It’s telling you that there is a potential space fear. Depending of how the shot is framed, it always is saying something. With a close up, that fear is more ruminative, like you are thinking, like there is some pause in your thoughts… And then it felt that if we do that, hey! it will indeed show off the faces because, you know, we spend a lot of money on the faces (laughs). And it shows off the AI too. Even when you’re playing there’s an AI catching the audio of things around you can’t see but hear. It means that when you pick up the controller back, it feels like you go back for a while, like an invitation to move forward.

Bliss: It’s so obvious when it happens, when you explain it, and still it hasn’t really be done so far and we’ll probably see this idea used everywhere soon. Why now?

Will Byles: The quality of the faces, the textures allow us to get this close without breaking the suspension of disbelief. Obviously it’s still CGI but it’s better CGI than it used to be. That’s one thing. The second thing is we have a new lighting paradigm which meant, wherever I put the camera it’s always lit like a film, whether it is a back light or a rim light… And we used lighting very similar to film (technical details I didn’t get properly, sorry, but let’s try anyway… ndr)… which has a motion of silver high lights that changes the film where you get a gradient of gray. Something regarding the light you do in film but don’t do in video so much nor in real life: where the light is too low to change the crystals, you have blacks (showing face on screen, ndr) with shadows here and here that are completely black which is something that never happens in video games. So we were able to use light and dark in a way that doesn’t get lit usually. We wanted to have full areas of dark while you still see the character. It took not only a lot of technical changes but a lot of argument because the game industry is conservative and doesn’t like to break the paradigm of what it knows to be successful. But it you look at Until Dawn, there is a lot of dark. And you can’t make dark just by dialing down the volume of light. You need to do it by having high areas of light and high areas of dark to contrast it. So that one of the things we were trying to do and see in those close ups.

Bliss: Obviously, the game has a cinematic feel and tries to convey emotions thru body languages and face’s expression, but as in a RPG or a Sim game, the gamer has to relate to menus and gauges to evaluate relationships and affinities between characters. Isn’t this a bit contradictory? Like there are two games on top of each other…

Will Byles: Yes, it’s a big question. We’ve approached prototypes where we had nothing, literally, even the choices were invisible. My feelings is this is the future, that the artificial nature of graphic exposition and stats menus is a transitional stage. We have to go thru it…

Bliss: You mean for the gaming community?

Will Byles: For everybody. Because we noticed that some of the gamers are sometimes very much talking to each other while playing. In the movies, you sit and watch the movie. In game there’s a slightly higher level of surface watching. Once you get to it, it becomes more immersive but I think it takes a little while to get in it. The other thing we noticed when we did the no interface prototype, just like a film side of it, people didn’t know there was an alternative. So they played the story thru, the story was great and fine and they got to the end of it « Yeah, it ’s great », « But so what?: it’s a story ».

Bliss: Maybe you could only have had the check list at the end of the game… and invite to play the game again?

Will Byles: We could have done that, yes, and we still do it. But there were enough people that wanted to know all along. For instance, we did an early review and the guy who played would say « Yeah I liked this character arc ». And it was very strange because he did things in the game we didn’t ask. So people often saw the game they played as the only story there was and we wrote. The didn’t understand that their play thru was only One of the things we wrote. And, actually, we dont’ know the final combination of decisions, but that would make a different character arc depending of how it worked. And we wanted to let people know only if they want to, they don’t have to go to look at this at all, it won’t necessary change their story. In fact it won’t change their story. In the course of the game, if you have a bad relationship with someone, you will know. You will know if you have a fight with Mike and Matt that it’s going to be bad. The fact that you have a bad experience may even kill you but you don’t need to see that particular event. It’s just here for people who do want to see that.

Bliss: So there is no obligation to go the menus and check everything out?

Will Byles: No. You can play the full game without going to the menus. But for people who do like to see that stuff and they are who do, it is there. Personally I prefer not to, but…

Bliss: Music composer Jason Grave  (Dead Space, The Order 1886, Tomb Raider…) talks about an emotional check list everybody agreed to achieve at the beginning of development. Can you list it?

Will Byles: What he’s talking about is not a reality in the fact that the final game is much different that what we were effectively saying at the beginning. At the start we said: this is an interactive horror. And then we said: it’s a « slasher horror », a very traditional one like Halloween, etc. And the reason we wanted to have characters to be a little unlikable, a little bit cliché,… very cliché (smiles), is because we all know exactly what they are. We know where the joke is, where the nerd is, the blond girl, the fashionista girl, so we know all of this things. At the start they’re unlikable, they’re not very nice, like in a standard horror. They come back one year after this event and the player is like « Why would you do that? »… We have this set of rules. We had to have a ahab, the supernatural killer, maybe yes maybe not, you know, all those things that once included we start to twist them around, to undermine that structure.

Bliss: You have some great casting in the three main characters and then you have Rami Malek who is suddenly turning into a full star thanks to Mr Robot TV show… When and why did you hire him?

Will Byles: Rami? We saw him in a few things, obviously in Twilight (…Chapitre 5, but also noticed in The Master, Old Boy, Need for Speed… ndr), he wasn’t a big name but he’s got a great presence. So we challenged him and try to see if he was up for it, and he was et he was phenomenal. He’s a very intense actor. He did some scenes that I won’t tell you because you haven’t play the game thru but, those scenes are very… distressing. He’s really good.

Bliss: Why did you pick great Peter Stormare (Fargo, The Big Lebowsky, Zero Theorem…)? Was it difficult to persuade him to participate? He didn’t make that many game voices (Destiny, Elder Scrolls OnLine 2004, Command & Conquer 2008)…

Will Byles: People are getting better at understanding that, yes there is acting in videogames, especially now that you have…

Bliss: …Maybe the budget?

Will Byles: I don’t know how much we paid him, I’m guessing same as film. We didn’t have him here very long. We had this role of the analyst that we wanted to be confusing for the player: « What the hell is this, breaking the 4th wall? ». Since the character is talking directly to the camera… « I don’t understand it ». And as the analyst comes back more and more in the game, it gets more and more weird and distressing. And he’s perfect for that. It’s about presence, he has this magnetism you can see it even there on the screen (showing the CGI face on screen, ndr), it feels slightly upsetting (laughs). And we very wanted that feel so that’s the reason we chose him. And he was just brillant, he’s crazy.

Bliss: Did he have the full script when accepting this role? And maybe the script changed in the course of development?

Will Byles: Yes he had the full script ahead. We did change the script but not his part. The actors have a hard time on a video game such as Until Dawn, it’s a very arduous work day for them, much more so than on a film. They only have a short time to do it, and they have to jump to several versions. One scene is maybe five lines and has to be done ten times for each version. And also the way they perform has to have the right timbre.

Bliss: You just mentioned it, the game often breaks the fourth wall and use several gimmicks to have characters making eye contact with the player by talking directly to the screen… This could turn into a double sword trick: too campy, taking the player out of the experience… How did you evaluate this and why did you use it so thoroughly?

Will Byles: Obviously a big part of the game is in the choices to make, and especially in the conversations. So you’re right, when you have a conversation, the camera cuts to the front of the character and the character looks effectively into the camera and look left or right depending of the choice you make. We decided to have an interface that was on screen so you go, ok if you make this decision, it’s on screen, kind of in the world but not quite, because it’s very abstract like a… It’s one of those things strangely as crossing the boundaries of game and TV and films. If you look at something like Sherlock Holmes on the BBC One, there is text coming up on screen, there is this kind of weird abstract level up of an interface within the screen within the world. We had to allow the player enough time to make his choices and we wanted it to be engaging. We didn’t want the character to be up and looking around too much.

Bliss: You could have another character just outside the frame so the main one would look at him like in a regular movie dialogue shot as in a champ-contrechamp…

Will Byles: Yes and we do that as well but it depends. And the face to face on her own is very hard to make it right.

Bliss: But the main objective is still to involve the player more because we look directly into the eyes of the character, right?

Will Byles: Potentially. And we also try to do a thing when as soon as you drop the controller down, like you said, we cut to a close-up. So this also have this kind of contact again, because even during the close-up you’re in control, you can move the head as well with the controller and get it to look directly at you. It’s one of those things, it is coming out of this idea of the narrative transports where you are risking… loosing emotion… But we need to talk to you as a player: « You need to do this now » and come back and we’ll take you away.

Part 2…

Will Byles/Until Dawn: Appointment with deaths 2/2

Interview conducted by François Bliss de la Boissière

…in the offices of Sony Computer France in Paris August 24, 2015

 


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‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.


 

Olivier Derivière : Talent brut

Olivier Deriviere ne veut pas créer de la musique de jeu vidéo en se contentant de singer des partitions classiques ou du cinéma. Alors il argumente avec les créateurs, parfois les journalistes, et donne des masters class pour convaincre qu’il existe une autre voie.
Interview sans fausse note

Rapido bio

Encadré par une mère professeur de chant et un père « philanthrope mélomane », Olivier Deriviere fait des études de musique classique, se spécialise en percussions, mais avec dans la tête une seule obsession : devenir programmeur de jeux vidéo. Il obtient un Bac scientifique, part à Math-Info. Il se découvre finalement « piètre programmeur » et se lance dans la musique de jeux vidéo : Obscure I et II, le reboot de Alone in the Dark (2008), une collaboration régulière avec le studio français Spiders (Of Orcs and Men et le récent Bound By Flame). Entre deux compositions il donne des conférences autour du monde.

Le jeu vidéo doit conserver parce que, malgré ses 10 ans dans le milieu et sa quinzaine de collaborations entre 2004 et 2014, le compositeur français de la musique d’Assassin’s Creed IV : Freedom Cry et Remember Me a beau revendiquer une longue expérience, il ne fait pas son âge. Forcé par une appendicite sur le tard de mettre pied à terre dans son studio son parisien en avril dernier, Olivier Derivière dégage une énergie où se mélangent, dans un même élan de conquête, enthousiasmes et colères. À 35 ans il a la gnake du gamer-winner, et encore la fougue de l’ado. Celle qui distribue les critiques sans craindre de représailles d’un milieu qu’il maîtrise, qui tire à vue sur la compétition vivante et va chercher dans les intouchables morts les maîtres à composer. Avare en compliments pour autrui, Deriviere en mode autocritique ne se ménage pas non plus. Et il trie avec une ironie lucide ses flatteries. Quand The International Film Music Critics Association (IFMCA) attribue un award à la BO de Remember Me, le célèbre mixeur et ingénieur son des Seigneurs des Anneaux, John Kurlander, le félicite en lui disant : « Tu n’imagines pas combien c’est énorme d’avoir eu ce prix », le jeune et toujours pragmatique compositeur lui réplique : « J’imagine tellement pas qu’il n’y a personne qui m’appelle depuis ».

« Je ne prends jamais comme idée initiale une musique, mais le jeu et ce qu’il doit être.« 

Bliss : Comment vient votre inspiration ?

Olivier Derivière : Des chercheurs m’ont dit dernièrement, « Quand nous trouvons quelque chose, c’est par accident ». Dans la musique vous êtes soit dans les conventions, soit dans l’expérimentation sans savoir où vous allez. J’ai appris l’harmonie, l’orchestration, donc je fais avec ces conventions là, je les casse peut-être un peu mais avec cette base je sais où je vais, et je peux donc intérioriser les choses. Puis, comme il m’est arrivé avec Remember Me, je peux tomber par accident sur un truc qui fonctionne et le garder. Il n’y a pas de méthode, j’espère pas.

Bliss : Vous entendez la musique dans votre tête avant de la jouer ?

O. D. : Oui, d’une certaine manière, mais comme dirait Romain Gary, toute idée incarnée est déjà diminuée. Retranscrire ce que vous avez en tête est compliqué. Il y a beaucoup d’excellents musiciens qui ne savent pas retranscrire ce qu’ils ont dans la tête. D’autres connaissent très bien la musique mais ne sont pas du tout musicien. Par contre ils arrivent à écrire parce qu’ils sont dans les conventions. Donc je peux entendre des harmonies, surtout des mélodies, je suis quelqu’un de très thématique. Mais je ne prends jamais comme idée initiale une musique, mais le jeu et ce qu’il doit être.

Bliss : Comment se déroule votre collaboration sur un jeu ?

O. D. : Je discute longuement avec le responsable du jeu. Il me parle de son projet et par une espèce de projection, d’émulation je m’approprie son jeu. Mais il faut que je réalise si oui ou non je peux travailler avec lui, si nous sommes de la même sensibilité. Est-ce que quand il va dire bleu eh bien je vais répondre bleu. Et d’ailleurs comme il n’est pas possible pour moi de dépendre de trois versions différentes, si le producteur, le directeur créatif et le directeur audio intervenaient par exemple, je demande que soit indiquée dans le contrat la personne avec qui j’interagis et qui « valide » mon travail. Je ne leur impose personne mais ils doivent choisir mon interlocuteur unique. Cela fait dix ans que je fais ce métier, j’en connais les travers.

Bliss : Vos interlocuteurs arrivent avec une idée préconçue de la musique ?

O. D. : Oui, mais je leur demande immédiatement de ne pas me faire écouter ce qu’ils ont sous la main. Et ce n’est pas par égo. Un exemple : en écoutant mes musiques, un responsable d’un gros éditeur me dit un jour : « En fait tu fais de la musique ». Et moi je comprend ce qu’il veut dire quand il me dit ça. En gros ma musique raconte quelque chose. Il me dit alors : « Tu ne veux pas faire comme font les autres ? ». Je réponds bien sûr que non. Je fais un truc unique à chaque projet. Il me dit : « Ça nous rassurerait ». Donc nous n’avons jamais travaillé ensemble.

Bliss : La musique orchestrale du jeu vidéo pique tout au cinéma de nos jours, non ?

O. D. : Oui mais le cinéma a emprunté à la musique classique, à l’opéra… Donc la vraie influence vient d’abord de là. Le cinéma s’est inspiré de la musique classique et le jeu vidéo s’inspire du cinéma alors par effet domino, le jeu vidéo hérite de ça. Et c’est contre quoi je me bats énormément dans le jeu vidéo. Il y en a assez de faire du pseudo cinéma alors qu’il y a tellement d’autres choses possibles.

Bliss : Les jeux vidéo n’ont-ils pas intérêts à mieux développer des thèmes musicaux identifiables comme dans Halo ? 

O. D. : Je reproche justement à beaucoup trop de jeux de sonner pareil. Bungie a développé un univers assez unique avec la musique… À la première note on sait qu’il s’agit de Halo. Le jeu utilise un montage narratif musical par-dessus la structure narrative du jeu. La musique n’entre pas dans le procédé systémique habituel qui consiste à souligner chaque action avec de la musique. La musique raconte une histoire. Il y a un combat avec de la musique puis un autre sans. Pourquoi ? Parce qu’il y a un enjeu différent. En 2001, manette en mains, j’avais envie de pleurer en entendant ça.

Bliss : Jusqu’où un compositeur peut-il s’impliquer dans le travail sonore d’un jeu ? Créations des sons, casting vocal, mixage ?

O. D. : D’un studio à un autre ça se déroule complètement différemment, et d’une manière générale il est extrêmement difficile pour les compositeurs d’être influents sur un mixage. Très souvent la musique se retrouve dans le background. Pour des raisons qui peuvent être multiplies et que je ne vais pas énumérer là. Mais d’un autre côté si la musique n’apporte rien de plus à la dimension du jeu en étant placée devant, alors autant la caser dans le background. En revanche, quand la musique a quelque chose à dire et qu’elle se retrouve dans le fond, comme cela arrive souvent, c’est gravissime. Dans Alone in the Dark (2008) je me suis occupé du mixage sonore de tout le jeu. Avec Obscure 1 et 2, j’ai tout fait, la musique, les sons… Quand j’ai commencé, en 2003, je créais la musique, les sons, les bruitages, et j’intégrais tout. Je concevais et désignais aussi les outils, les « tools », la façon dont on « attache » un son sur un personnage, une action, un lieu. J’avais un programmeur extrêmement doué avec moi qui nous a permis de faire des trucs hyper poussés à l’époque sur PlayStation 2 et Xbox.

Bliss : Vous avez un exemple de cette intégration de la musique au gameplay ?

O. D. : Pour les séquences de combats de Remember Me j’ai écrit des musiques qui intègrent moins de mélodie sauf quand le joueur utilise des mouvements spéciaux. Plus les combos s’enchaînent plus la musique progresse et balance les grosses watts. Sauf que l’idée a échoué parceque le jeu était tellement dur que personne n’arrivait à enchainer les combos, donc personne n’a entendu le meilleure des pistes musicales. On a été nul sur ce coup là (rires).

Bliss : Les rôles de chacun sont-ils bien définis dans le jeu vidéo comme, par exemple, au cinéma ?

O. D. : Il s’agit justement là d’un des problèmes des productions de jeu vidéo, les rôles sont à définir à chaque fois. Du côté positif, cela provoque un processus organique et rock’n roll avec beaucoup plus de liberté. Il faut se battre pour ses idées et puis voilà. Du côté négatif, toute la procédure manque de vision, de professionnalisme et d’empirisme. Les gens n’ont pas d’expérience, à part ceux qui viennent du cinéma.

Bliss : La musique de jeux vidéo japonais fait l’objet d’un culte particulier, notamment en France, mais a-t-elle évolué avec le reste de l’industrie ?

O. D. : À l’époque dorée de la PlayStation 2, les japonais plaçaient la musique extrêmement en avant. Dans Final Fantasy VII il n’y avait quasiment pas de sons mais de la musique tout le temps. Et on parle de 60h à 100h de gameplay illustrées de musique. Aujourd’hui FFVII est porté aux nues, mais le compositeur Nobuo Uematsu se défend d’être un grand compositeur. Je dirais que c’est quelqu’un de respectable qui écrit de très belles mélodies, un très bon musicien pour en revenir à ce que je disais tout à l’heure. Vous reprenez du Ravel et du Debussy light et sans caféine et voilà. À titre professionnel je ne prends pas les commandes de musique classique que l’on me propose, ce n’est pas mon truc, mais j’ai étudié ces gens là, je vois le génie. Donc je n’ai aucun problème avec le fait qu’on s’en inspire, mais j’ai un peu de souci sur la sacralisation d’une musique qui, de nos jours, est tellement empruntée qu’elle tombe dans la mièvrerie et la répétition sucrée. Mais les gens en raffolent encore, du moment que cela vient du Japon c’est beaucoup plus accepté. Ce qui est marrant c’est que la musique des jeux vidéo japonais est beaucoup plus exploitable en concert que les musiques occidentales. Mais il faudrait étudier l’étymologie musicale de ce qu’on appelle, dans le jeu vidéo, la musique venant du Japon par rapport à celle de l’occident. On se rendrait sans doute compte qu’il n’y a pas grand chose de vraiment intéressant dans la musique de jeu vidéo.

Bliss : L’OST du DLC ACIV : Freedom Cry contient 70’ de musique tandis que celui du jeu complet Remember Me ne dure que 49’, pourquoi cet écart quantitatif inversé ?

O. D. : Une bonne BO dure 45 à 50’ maximum. C’est du travail d’assembler un soundtrack, de sortir un CD à partir d’une musique de jeux vidéo et j’ai travaillé avec les labels. Quand j’écris une musique de jeu, je n’écris pas pour faire un CD. La musique est adaptée au gameplay. Dans Remember Me il y a des morceaux qui font 2 à 8 mesures et des mesures où il n’y a rien, parce que cela dépend des actions du joueur. Les morceaux de musique sont morcelés. Alors quand on fait une piste de 3 à 4’ pour l’OST par la suite, il faut assembler certaines choses qui ne vont pas forcément ensembles. Sur Remember Me par exemple je n’ai retenu que les morceaux orchestraux, pas les electros, parce que c’était le plus intéressant. Si vous écoutez bien le soundtrack de Remember Me, les mouvements, chacun des mouvements, vous vous direz peut-être : « on dirait que cela aurait pu se terminer là » (rires). Mais l’ensemble a une consistance. Cela dit il reste encore 50’ d’orchestral non exploité. On n’avait pas les moyens de les enregistrer.

Bliss : À vous entendre, créer de la musique de films est presque facile à côté de la musique de jeux vidéo ! En plus de savoir écrire des thèmes, des contrepoints, il y a dans le jeu vidéo tout un travail de gestion des « systèmes »…

O. D. : Exactement. Quand mes confrères de musique de films me voient bosser ils me disent : jamais, jamais, jamais ! Et d’ailleurs, ça y est, le jeu vidéo revient un peu d’Hollywood et commence à réembaucher des spécialistes de la musique de jeu video.

Bliss : Pour le DLC Freedom Cry vous n’avez pas collaborer avec Brian Taylor qui vient du cinéma et qui a fait la musique de AC IV : Black Flag ? 

O. D. : Non pas du tout. S’il avait travaillé sur le DLC il aurait dû recomposer des choses pour s’adapter au sujet de l’esclavage et non plus de la piraterie et cela aurait sans doute coûté trop cher. Donc pour le jeu principal ça va, mais pour le DLC on prend un petit français dans une cave (rires).

Bliss : Est-ce qu’il y a des joueurs qui viennent vous voir en disant « j’ai aimé votre musique » et donc qui vous ont identifié en tant que compositeur ?

O. D. : Oui, il y en a. Je vais pas dire que ça ne fait pas plaisir. Mais vous savez, malgré ma quinzaine de projets musicaux je n’ai jamais fait ce qu’on appelle un « hit », j’ai toujours été dans l’ombre des projets, je n’ai jamais eu, comme certains confrères, ce sentiment de wouah ! ça y est j’ai réussi (rires). Alors je suis content qu’ils aient remarqué la musique et je les remercie.

Bliss : Le milieu classique dont vous venez ne vous reproche pas de faire de la musique de jeu vidéo ? Il n’y a pas de rupture culturelle ?

O. D. : Non pas du tout, au contraire. Ils sont très aimables avec le fait que je travaille pour le jeu vidéo. Ça les change… Et puis dans mes projets de jeux vidéo j’ai toujours fonctionné avec des orchestres classiques. Je fais appel aux Choeurs d’enfants de l’Opéra de Paris, au Boston Symphony Orchestra, aux Orchestres Philarmoniques de Londres et Bruxelles… Ils savent que j’ai toujours un rapport avec la qualité d’interprétation. Ils comprennent.

À propos de…

Alone in the Dark (2008) : « Le jeu était raté mais a fait parlé de lui, parce qu’il y avait quelque chose, une volonté. On pourrait écrire un livre sur le sujet. J’ai la chance d’avoir participé à des jeux qui se sont fait remarqués, même si cela n’a pas toujours été pour les bonnes raisons. »

Remember Me.  : « Don’t Nod a recruté le compositeur par concours anonyme. Je suis totalement contre ce procédé alors je leur ai fait un truc complètement barré. Et puis ils m’ont rappelé en disant : « c’est toi ». Là je me suis dit qu’il s’agissait de gens intéressants » (rires).

Assassin’s Creed IV : Freedom Cry : « Ubisoft m’a appelé au milieu de la production du jeu. Je leur ai dit : ça va être un peu compliqué. Mais on ne refuse pas de travailler sur une série comme celle-là. Ça c’est fait tellement vite que je suis reparti travailler aussitôt avec le studio Spiders sur Bound by Flame. »

Bound by Flame : « Sur les premières bandes-annonces de Bound by Flame on entend une autre musique que celle que j’ai fournie. Comme toujours ce sont des décisions marketing. J’ai composé 3 heures et demi de musique pour le jeu. »

Propos recueillis en avril 2014 par François Bliss de la Boissière

(Publié dans le bimestriel Games n° 4 Juillet-Août 2014)


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Lorne Lanning interview : Sustainable game, at a cost

This interview was conducted with Oddworld visionary Lorne Lanning thru email around January 2014, before Oddworld New’Tasty was released. Always available for deep cultural and political conversations even when promoting a new game, Lorne Lanning accepted to cover some ground from Hollywood to the game industry, thru Youtube policies  up to capitalism. A french edit is accessible here and here. This is the full, almost raw, unedited original english conversation.

Sherry MCKenna, Oddworld’s CEO and long time partner of Lorne Lanning also accepted to answer a few questions about their new status as real independent developers.

Bliss : You said at some point that, in memories of previous experiences, you would be carefull not to communicate too early about your next projects, but, when you keep up with the news, it’s feels already like a long time we’re waiting for New’N Tasty, Abe HD remake. What’s taking so long? Do you have to have a firm release date? Or not.

Lorne Lanning : For the record; the latest title IS NOT an HD remake.  It is a 100% ground up redux of the original game,  based on the original story, design and layout, translating from high res assets we had archived, to now be delivered in real time 3D in our first effort on Unity. Regarding release dates… of course there are internal completion dates that the team is stringently aiming for, but we are not announcing a release date until we are confident that our product is of the quality that we are committed to and our audience has come to expect from us.  The audience will forgive us for delaying or being fuzzy on a release date.  They won’t forgive us for a delivery that is sub par to their expectations.
Putting this project and its history into a timeline perspective… Initially, less than two years ago, we starting polling our fan base on what titles they would most appreciate based on the limited resources available to us as a self-published indie with us initiating this conversation with our community before development actually started.  We then formally announced New N Tasty after we determined a goal and the ability to finance it. That was over a year ago and it has been the JAW and extended teams focus ever since then.
Now, obviously, we would always prefer to release sooner than later, but as a self published indy we are not penalized by retail or publisher conditions if it takes us longer to insure that our quality is up to snuff before releasing it into the audience.  Time does cost us more, and that’s something that is always a reality we have to face and have to be realistic about.

Bliss : Between Oddworld in California and Jaw in UK who’s doing what exactly in Abe HD? How many people are working on the project in both companies for instance? To have a sense of scale : how many people did you employ at the most when making Oddworld games in the 90’s-2000’s?

Lorne Lanning : JAW is the developer that is producing this game with just under 20 talents in the studio dedicated full time to the project.  Other talents have been contracted to supplement the development team in specific areas, which I will let the developer diaries discuss and identify on the OWI site.  The extended team has included folks like Raymond Swanland  and Mauricio Hoffman, both former Oddworld team members now each with independent businesses.  Muaricio’s team was handling a lot of the animation and choreography work for the cinematics. All total there are likely around 40 people employed in some capacity throughout this project; not including the communities contribution and those  individual content contributors from the community…. Which is ongoing and still tbd. At Oddworld back in San Luis Obispo we employed just under 80 at our max.

Bliss : What is your direct contribution in Abe New ‘n’ Tasty? Are you recording yourself new voices/dialogues for instance?

Lorne Lanning : I’m on Skype with the team a few times a week.  So mine is more of a Creative Exec Director role while doing our best as the client to empower the team to deliver their best. When it comes to hands on… I am recording most of the voices while also lending art direction and design feedback throughout the development.  As we get closer to the end, my role in feedback to the team increases.

Bliss : Since you are, I’m guessing, supervising yourself all HD release in all territories (Abeboxx…) your role might have shifted from less creative to more managerial position. Isn’t that the price to pay for self publishing?

Lorne Lanning : Again, it’s not an HD remake… Being self published, yes, there are a number of things that we need to do that extend far beyond the creative effort, and as this is a redux the creative demand is not as great as a new IP project would have been, but it has always been this way for me.  I wasn’t employed at a game company, I had to raise the money to build a game company with my partner, Sherry McKenna (see itw bellow).  That meant 50/50 creative/management throughout the history of Oddworld.

Bliss : You embraced the online community that seems to help shapping Abe’s return. Some fans are also contributing directly to the project (music, illustrations ?) but, as we understand, they offer for free their contributions for a product that will be sold. How fair is it?

Lorne Lanning : We have been encouraging fans to participate in the project.  But If there is an impression that we’re saving costs or taking advantage of fans that would not be true. There are two kinds of of fan participation that we’ve reached out for. The first was that we wanted to give fans an opportunity to have something that they created be in the released game. This wasn’t a cheap skating production cost saving measure, this was a reward.  It wasn’t something that we needed done, it was something that we felt would be cool to offer. If someone in the community could do great Oddworld character voices, then our promise was that we’d figure out a way to include them in the game.  In return we will include them in the credits and promote their story to the larger audience of gamers and industry whenever we have the opportunity to. But understand, at Oddworld the voices always came from the development team itself.  We never hired voices.  Any voices that we couldn’t get someone on the team to step up to do, I would wind up doing myself. Everyone who ever did this with us always had fun and always got credit.  It’s a tradition for the brand.  None of us ever got paid for voices.  It was something we did because we had a lot of fun doing it and we wanted to keep it in-house.  On New N Tasty we had the opportunity to extend this tradition into the fan community and asked if they wanted to participate.  To reach out to fans and give them an opportunity to actually have them in the released game, that was something that excited us and excited fans in the community.  It’s cool to do.

The second kind of content participation is fan art or fan music that I encountered already made that was posted on Facebook. Off hand there was Alex Konstad who had created an acrylic painting of Abe and when I saw it I thought we should ask him if we could use it in the box art of our game.  We liked it that much and we want to promote fan passions, so this seemed perfect.  We do what we can to offer a compensation for a licensing usage on the painting, but the creator retains their rights and ownership to their work.  It’s a usage, not a lock up.  They only gain, they don’t lose.

Another case is Elodie Adams, a singer songwriter out of Australia.  She posted some music she had made on FB and showed interest in wanting to do something for us.  I heard the song and while we didn’t have the budget to start new compositions out of the blue, we still thought it would be perfect to include her song for our end credit sequence.  She’s got an amazing voice and if we could do something to bring her any additional exposure, which is difficult to get these days, then we would want to help her get it.  She retains her rights and ownership of her music, just as Alex does on his painting.

But make no mistake, the effort and resources that it takes to manage community and include them in all ways that we are able… is not a cost saving measure.  It actually increases our overhead to manage the process. We don’t even  know or have any indication that this policy would increase the core value proposition to the wider audience or have any effect on sales.  What we did believe was that it would be cool to bring attention to such emerging talents and help promote them to a wider audience.

Ultimately, this gives the opportunity for some fans to say, « hey, I’m in that game! »  We think thats cool, but if anybody feels they are being taken advantage of, then they simply shouldn’t participate.

Bliss : If we are to believe some of your posts here and there, you’re not happy with Obama’s policies and administration… Why not? Is it in the details of his (non) achievements) or in general? Can or could anybody do better in this kind of democracy?

Lorne Lanning : Your suggestion that the US is operating as a democracy indicates we are viewing wildly different perspectives on what constitutes reality.  If you have your eyes half open and avoid the misinforming mainstream media, it becomes clear that we are not living in a democracy and haven’t really been for quite some time.  We are living the perpetuated illusion of a democracy that, fortunately, greater numbers of people are coming to see thru and comprehend that something else is in play.  The school book version of democracy and the version that the mainstream media and politicians keep trying to convince us still exists… simple does not stand up to rational, obejctive scrutiny.

But first, you need to understand the multiple layers of how corporate media works.  There are many books on this subject and a good one to start with is Noam Chomsky’s « Manufacturing Consent » which is a good initial dive into the rabbit hole, but just the beginning.

Regarding Obama, we see a branding and a manufacturing of a politician to serve a special agenda.  Who the man is very hard to determine.  His image and role  just a new branding on a perpetual policy. Anyone who still sincerely believes that our two party system is actually looking out of the better health and well being of the population, is severely out of touch and serves as a good indicator that they are a mainstream media consumer.  Meaning, they are still under the spell being perpetuated by 5 financial multi-national interests that control the over 5000 media outlets in the US alone.

But you can research this on your own.  I don’t need to spell it out. Overall it’s quite simple. If someone promises something then does the exact opposite, then how can you trust them for anything they say?  Some people pay attention to « the news ». I pay attention to the whistleblowers and have for three decades now. Listening to whistleblowers causes mainstream media/ political spell’s authenticity to deteriorate rapidly.

We do not live in a democracy. It’s not an opinion, its a provable fact.  It’s also a fact that it is not reported this way by government or mainstream media. That concept and practice of democracy in the US has been undermined and taken from us.  We now live in something else, but the web will enable people who unplug from the mainstream matrix to learn for themselves what is more likely going on.

Bliss : Regarding YouTube’s recent claims, you made it clear that all Youtubers may use Oddworld’s images and sounds without any worries. It’s seems odd for a company as yours which was very vocal about keeping it’s properties close to the chest, not selling it off to any entity… What’s wrong with trying to give back the money to the real owners of any IP?

Lorne Lanning : One needs to understand the policies to understand the ramifications. You also need to understand the legal issues around usage of trademarked material to better understand why letting you tubers « monetize through advertising » does not allow usage to « use images and sounds without any worries », but I don’t want to get into the minutia on this stuff as there’s a world of information out there to research if seeking a better understanding of the basics on trademarks and IP protections.

Meanwhile, our message to the youtube community is that we will continue to enable them to use our footage in ways that does not conflict with our trademarks and obvious legal conflicts. This is what has been happening on Youtube for years now, and we see no legal IP conflicts in the way our IP has been used by youtubers. When we do see conflicts, there is an immediate « cease and desist » letter sent to the offender.

Allowing people to do walk throughs and game reviews is not encouraging people to sell our IP.  There is an enormous difference between the two usages and while we are still a legally protected, copyrighted and trademarked brand in a wide variety of territories, we do not want youtubers to have to change their ways when they have not been in violation of our brands legal protections.  We want to support youtuber practices and enable them to continue what they have built their income on, which is advertising rates based on views they get. This is NOT a usage where youtubers are selling our content.

Put simply, the reason larger publishing entities are pressuring youtube into creating tighter policies around this issue, is due to those entities wanting all the views of their content to be directed to THEIR sites for viewing, NOT youtuber channels. This is to increase the traffic to their site only and increase their sites visit/view numbers, etc. There are multiple reasons they want this, but we see this as a practice of control that worked for the 20th century, but is outdated as an approach in the 21st century.

Being what it is… we issued a statement with our position to make clear that we have and will continue to support their usage in what they have been doing and we’ll support it into the future by NOT aligning with the policies of larger publishing companies that are pressuring google/youtube to tighten down on video proliferation so they can benefit from those eyeballs being directed only to their owned outlets.

It’s a complex issue that is not immediately apparent on the surface. But there in no way there should be any confusion around letting youtubers continue their reasonable ways versus putting your content out as public domain. These are very different issues and shouldn’t be blurred.

Bliss : In the 90’s you left Hollywood because you felt that you would have more room to express yourself in the videogame industry. Then, you’ve quit the videogame business for, it seems, about the same reasons that the movie business. Are you playing Don Quichotte? Don’t you feel like you are chasing some windmills that cannot be conquered?

Lorne Lanning : We left hollywood so that we could create and control our own IP.  This was pretty much impossible in the hollywood landscape of Film/TV.  We now own IP and control its destiny.  We were forward thinking and secured these rights when few understood their value in the gaming space. When the game business grew to the point where budgets were so high that publishers wanted to own you and your IP or not fund you any longer, it was time to wait for better conditions for independence.
Now with the proliferation of digitally distributed networks its possible to reach an audience without publishing partners.  This is game changing, and in the game we’ve been playing… We’re still sailing in the same direction and we are not sailing in circles.

In the Silicon Valley startup vernacular its called « pivoting », which means the landscape around you changes and if you’re paying attention you pivot to adjust course to better sail. There will be a lot more pivoting in our future, but it will be based on the conditions at those future moments, which are not predictable but must be responded to when they arise.

Personally, I believe our best years are ahead of us. Meanwhile, the business of Oddworld is growing steadily as an independent entity. With continued good luck and community support we’re aiming to be self funding new IP in the not too distant future. How long I can’t say, as it depends on sales and the success of New N Tasty is a major factor that determines our abilities to get there.  In the meantime, we are avoiding the old school funding conditions that come with all the embedded hooks that conflict with much of the purpose as to why developers started their companies in the first place.

Bliss : Obviously, Abe, Stranger and you are fighting about the same war. That’s where we, the audience, know, you are an original author and not just some random script writer. But, around 20 years later, this feeling of « Me against the world » is still a reality for you? Is Abe’s Oddysee theme still relevant in 2014?

Lorne Lanning : Well, how’s the world looking to you now?  Twenty years ago educated people would call me a conspiracy theorist if I said fast food companies where destroying our rain forests.  While some had ivy league educations, it didn’t keep them from being ignorant to what was happening in the world. Those and many other practices that inspired Oddworld continue to this day. For example, the human slavery figures are higher today than ever before in the history of civilization. Fortunately the ignorance factor is lessening as the public wakes up, and this is largely due to alternative media access via the internet, it is not due to mainstream media doing a better job informing people, quite the contrary.  So I think now more then ever its critical for us not to be complacent and to seek alternative views than those heavily sponsored and shaped for us, and to ultimately do our best to shed our ignorance.

Bliss : In your 2013 D.I.C.E. keynote (Properties for The Apocalypse) you talked about the creative properties borned in the 70s or 80s, but now, most of them are under the Disney brand (Pixar, Marvel, Star Wars, Indiana Jones lately). What do you think about having all those pop cultural icones under one big corporation? Everybody is dreading Google or Facebook, but as pop culture influence goes, isn’t Disney the real new big Brother?

Lorne Lanning : I think its pretty clear as a critical analysis, that the nature of our dysfunctional capitalist system inevitably allows the biggest to get bigger which enables them the power acquire smaller players in the same arena.  This is a fundamental problem at a higher level than any one goliath company. The model of capitalism is only emulated in biology by… cancer.  Growth for growth sake… is a cancer.  Until we realize that we’re on a crash course as a civilization, we are treading extremely dangerous and highly volatile waters.

At DICE I proposed that we look at the larger influence properties have on the health of a culture and specifically how SOP licensing practices are in conflict with the health of our youth and are thus negative for the future health of our species and the coming generations. Poor health is a genetic decline. In the United States overall health and overall IQ levels are dropping. This is not an opinion, these are facts.

When we look at corporations and institutions that are employing practices that aren’t serving the planets people or environments well, we need to explore, and their leaders should explore, how to retool toward healthier more sustainable practices.  It’s not about destroying those corporations, but how to retool them into a critically needed 21st century wisdom that looks at the facts, the science, the impacts… and adjusts practices for a wiser tomorrow.

I personally believe that Disney could change the world overnight if they initiated a policy that stated, « Here ye, here ye!  From this day forth, we recognize that childhood obesity and childhood diabetes are integrally linked to poor nutritional habits traditionally promoted by our brand. Going forward, we are only allowing the licensing of our characters and IP to be awarded to companies that are practicing sustainable manufacturing methods aligned with strong nutritional content in our commitment to form responsible partnerships with families in promoting a better lifestyle and healthier eating habits for our world’s youth and we aim to be leaders in blazing the way for practices that all families will all benefit from.  While we expect to lose a few billion dollars over the next couple of years in this transition, we have the resources to absorb the short term loss for what we have confidence will be a long term gain for us all. »

I think as public awareness rises and health and environmental conditions continue to deteriorate that corporations not engaging better practices will eventually be faced with this challenge by their audience.

Bliss : In 2014 Oddworld will clock 20 years. What are Oddworld next big steps? More remakes, brand new original games? Where do you see Oddworld in 5, 10, 20 years? Do you dream of an Oddworld Attraction Parc?

Lorne Lanning : We hope that Oddworld: New ‘N’ Tasty will see the success that allows us the means to develop new content, new stories, and new experiences.  The audience has already voted that they would like to see Abe’s Exoddus go thru the same redux as Abe’s Oddysee is going thru, and we hope to be able to deliver that now that we’ve got the engine on Unity and the team familiar with the tools and pipeline.  Success will enable us larger risks, and so we do our best, cross our fingers and hope for results that keep people employeed and empower us forward.  If we do well, we’ll be scaling into new stories and characters. Themeparks have not been on the dream’s list.

Sherry McKenna, CEO Oddworld

Bliss : Since Oddworld left the videogame industry, you tried very hard to make one or several CGI movies within the Oddworld universe. You already had experiences with movie studios and you came (back) with a potentially great new IP, so what went wrong (besides the general economy)?

Sherry McKenna : You know, I should have known better. It is hard enough for the known directors to get their movies made, let alone some newbie’s that have a brand new idea that has not really been done before. So when we saw that the compromises would be too great, we pulled out.
We need to hook up with folks that really understand what we are trying to accomplish and want to partner with us to make it happen. If it is all about nickel and diming us, just for more profit, it most likely is not a good fit. So we shall continue to look and always keep it on the back burner.

Bliss : What are your responsibilities in Oddworld affaires now that the company is sailing as an independant self publisher? How easier is it compared to the time you were working under the likes of GT Interactive or Microsoft?

Sherry McKenna : There are no words to describe what it is like to be responsible for your own decisions. It is like working on an indie movie and not having to take notes from the studio execs. It is freeing and lovely. If you screw up, you have no one to blame but yourself. No finger pointing. But if you do well then you can feel really good about your choices. I am doing most of the same things I did in the past…finance, legal, negotiations etc. What I am not doing is day to day which is a huge relief. I have been a producer for far too long and since I have a reputation as being the Queen of Delegation, I am thrilled to DELEGATE that part of my past job.

Bliss : Did you know that you would eventually come back to the videogame industry when Oddworld threw in the towel? And how do you shake the feeling that, maybe, coming back to the games biz might sound like a back-up plan? Is there more hope for the videogame industry nowadays?

Sherry McKenna : I always knew that we would never abandon Oddworld. There is so much more of the story to tell that to me it would be a shame if we never were allowed to tell it. I guess I never thought of it as a back- up plan so there was no feeling to shake.
Lorne is a story teller and his stories are about what is happening to our planet that we are not always aware of. I don’t think I could work on a game if it offered no nutritious value.
So I am not sure what you mean when you ask is there hope for the videogame industry nowadays. The game industry has gone mainstream and is now influenced by the publishers so they will make games that make their shareholders profits because that’s what capitalism requires. And the game industry seems to be doing quite fine on their own, with their own share of billionaires. They are giving the public what they want and making money doing that and while that may not be my goal it is certainly working for them.

Bliss : Do you find more games that can you play now that you could 15-10 years ago?

Sherry McKenna : I never was a gamer and still am not. I guess I am one of those old fogies who requires a strong story and great characters and I have not been able to find but a handful of the games that appeal to me.

Interview conducted by François Bliss de la Boissière

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Lorne Lanning entretien : Développement durable, ou le prix de la liberté 2/2

Conteur d’abord, mais spécialiste de l’image de synthèse, Lorne Lanning fait ses classes à Hollywood dans l’industrie du cinéma avant de débarquer avec panache dans le jeu vidéo au milieu des années 90. Il prend d’assaut l’industrie interactive avec un plan unique : créer en 5 épisodes la saga d’un monde peuplé d’étranges créatures : Oddworld.

Son premier jeu L’Odyssée de Abe frappe fort en 1997 en fusionnant jeu de plateforme 2D classique et images de synthèse alors avant-gardistes. Éternel insatisfait voulant appliquer au jeu vidéo le professionnalisme du cinéma, il rebondit d’éditeurs en éditeurs et pratique sans le vouloir la politique de la terre brûlée. En 2005, après 4 jeux dont 3 seulement appartenant à la « quintologie prévue », Lanning annonce la fermeture du studio Oddworld. L’éclosion de la scène indépendante lui offre l’occasion d’un come back.

Bliss : Vous gardez jalousement votre marque Oddworld et pourtant vous résistez au récent contrôle des YouTubers et vous les avez autorisé publiquement à utiliser des extraits de vos jeux. Que comprendre ?

Lorne Lanning : Autoriser les gens à faire des walkthroughs et des critiques de jeu sur YouTube n’est pas encourager les gens à monétiser notre IP. Il y a une énorme différence entre les deux usages… Pour simplifier, les grosses entités éditeurs mettent la pression sur YouTube pour créer des conditions d’utilisation plus étroites de façon à rediriger les audiences vers leurs sites de diffusion plutôt que vers les chaines de YouTubers. Il s’agit juste d’augmenter leur fréquentation et leur nombre de visiteurs. Il y a de multiple raisons qu’ils veuillent cela mais nous voyons là surtout une pratique de contrôle qui a marché au XXe siècle mais inadapté au XXIe siècle.

Bliss : Pour garder votre indépendance vous avez lâché Hollywood pour le jeu vidéo, puis le jeu vidéo lui-même avant d’y revenir. Quel est votre combat ?

Lorne Lanning : Nous (Sherry McKenna, sa productrice et compagne, voir ci-dessous – et lui-même, NDR) avons quitté Hollywood dans les années 90 de façon à pouvoir créer et contrôler notre propre IP. Ce qui était quasiment impossible à faire dans le Hollywood de la TV et du cinéma. Nous contrôlons maintenant notre propriété intellectuelle (tout l’univers et les personnages d’Oddworld, NDR) et son destin. Nous avons été avant-gardistes et avons sécurisé nos droits à une époque où peu comprenait leur valeur dans le jeu vidéo. Quand le business du jeu vidéo a grandi jusqu’à ce que les budgets gonflent au point que les éditeurs cherchent à vous acheter vous et votre IP en menaçant de ne plus vous financer du tout, il était temps d’attendre pour nous de meilleures conditions d’indépendance. La prolifération des canaux de distribution numérique permet aujourd’hui d’atteindre une audience sans partenaires éditeurs. C’est un changement majeur de pratique qui correspond au jeu que nous jouions depuis le début… Nous ne tournons pas en rond, nous naviguons toujours dans la même direction. Dans le milieu des startups de la Silicon Valley ce moment est appelé le « pivotement », qui veut dire que, si vous êtes attentif, au moment où le paysage autour de vous change, vous modifiez votre trajectoire pour une meilleure navigation. Nos meilleures années sont devant nous.

Bliss : Vous élevez en modèle les icones populaires durables des années 70 et 80 mais, de Star Wars à la Marvel (voir sa conférence Properties For The Apocalypse à D.I.C.E. en 2013), Disney est en train de toutes les racheter. En contrôlant une majorité de la culture populaire, le groupe Disney n’est-il pas devenu le vrai Big Brother à craindre ?

Lorne Lanning : La nature du système capitaliste conduit inévitablement les plus gros à devenir plus gros, à devenir capable d’absorber les plus petits évoluant dans le même domaine d’activité. C’est un problème fondamental qui se déroule à un niveau bien supérieur à la problématique d’une seule grosse entreprise. Le modèle du capitalisme est émulé en biologie par… le cancer. Grossir pour grossir … est un cancer. Jusqu’à que nous prenions conscience que la civilisation est en route vers le crash, nous avançons sur des eaux extrêmement dangereuses et volatiles. Je pense que Disney pourrait changer le monde en une nuit en déclarant : « Oyez oyez, à partir de ce jour nous reconnaissons que le diabète et l’obésité enfantine sont intégralement liés à des mauvaises habitudes alimentaires traditionnellement attachées à notre marque. Désormais nous n’autoriserons l’utilisation de nos licences et IP qu’aux entreprises utilisant des méthodes de production durable en coordination avec du contenu nutritionnel solide. »

Bliss : Vous pensez qu’avec son retour, le fort message écologique de Abe dénonçant les pratiques des grosses entreprises est encore utile 20 ans plus tard ?

Lorne Lanning : Alors, comment trouvez-vous le monde autour de vous aujourd’hui ? Il y a vingt ans les gens m’auraient traité de terroriste conspirationniste si je disais que les entreprises alimentaires détruisaient nos forêts tropicales. Ces pratiques comme bien d’autres qui ont inspiré Oddworld continuent aujourd’hui. Les chiffres de l’esclavage sont par exemple plus élevés aujourd’hui que dans toute l’histoire de la civilisation. Heureusement le public s’éveille et l’ignorance recule grâce aux médias alternatifs devenus accessibles par Internet.

Sherry McKenna interview

Venue également d’Hollywood, la Directrice Générale d’Oddworld continue en coulisses à soutenir la vision de son partenaire complice Lorne Lanning.

Bliss : Depuis la fermeture du studio vous avez essayé sans succès de monter un film d’animation Oddworld et ce, malgré votre expérience d’Hollywood…

Sherry McKenna : J’aurais dû m’en douter. Les réalisateurs connus on déjà beaucoup de mal à monter leurs films alors les petits nouveaux avec une idée toute neuve… ! Quand les compromis sont devenus trop importants, nous nous sommes retirés.

Bliss : Comment vivez-vous ce retour 100% indépendant d’Oddworld ?

Sherry McKenna : Il n’y pas de mots pour décrire le plaisir d’être responsable de ses propres décisions. C’est comme travailler pour un film indé sans avoir à prendre les notes des responsables des studios. C’est libératoire. Sinon, je continue de faire ce que je faisais auparavant, je m’occupe des finances, des négociations, du juridique, mais plus au quotidien et ça, c’est un grand soulagement. J’ai été productrice pendant bien trop longtemps et comme j’ai la réputation d’être la Reine de la Délégation, je suis ravi de DÉLÉGUER cette ancienne partie de mon travail.

Bliss : Quand Oddworld a jeté l’éponge en 2005 vous saviez que vous reviendriez un jour dans le jeu vidéo ?

Sherry McKenna : Je savais que nous n’abandonnerions jamais Oddworld. Il y a encore tellement d’histoires à raconter que cela serait très dommage de ne pas pouvoir le faire. Je n’ai jamais pensé que revenir au jeu vidéo était un plan de secours. Lorne est un raconteur d’histoire et ses histoires traitent de ce qui arrive à notre planète dont nous ne sommes pas toujours conscients. Je ne pourrais pas travailler sur un jeu s’il n’offrait pas de valeur instructive.

À lire…
Lorne Lanning entretien : Développement durable, ou le prix de la liberté 1/2

Version originale non éditée en anglais ici…

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière

(Publié en mars 2014 dans le bimestriel Games)

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‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.


 

Lorne Lanning entretien : Développement durable, ou le prix de la liberté 1/2

Gueule de rock star et grande gueule, Lorne Lanning charme son audience et dénonce les travers du monde avec la même aisance. Pour survivre dans ce monde étrange que nous partageons, il a inventé son Oddworld à lui d’où il transmet un message écologique et humaniste persistant. Il était parti et il est revenu.

Les héros d’Oddworld sont des freaks, des laissés-pour-compte. Abe et sa bouche cousue, Munch et sa chaise roulante puis Stranger et ses pieds (sa)bots deviennent des héros d’abord en surmontant leur handicap. Le premier a marqué la PSOne, les deux autres la Xbox. La survie des innocents Abe et Munch passe nécessairement par une prise de conscience puis la fuite. Leur monde, le monde, est en train de les broyer, au sens propre et au sens figuré. Arrivé plus tard, Stranger porte déjà en lui les stigmates de la révolte et de sa colère. Signe des temps qui change et de l’innocence perdue du jeu vidéo, les jeux de plateforme traditionnel en 2D des premières aventures basculent alors dans le FPS western. Depuis son arrivée fracassante dans le jeu vidéo à la fin des années 90, l’auteur exigeant de ces destins animaliers burlesques et métaphoriques où fusionnent chamanisme et humour noir ne mâche ni ses ambitions artistiques ni ses mots. Indépendant depuis toujours, mais plus libre que jamais, Lorne Lanning a une opinion et il ne s’en cache pas.

Bliss : Vous aviez dit vouloir être prudent à ne pas faire d’annonces trop en avance mais le remake d’Abe tarde à arriver. Que se passe-t-il ? (baptisé Oddworld New ‘n’ Tasty, le remake de Abe Oddysee est sorti depuis sur toutes les plate-formes)

Lorne Lanning : Pour info, New ‘n’ Tasty N’EST PAS un remake HD mais est une recréation totale du jeu original à partir de l’histoire, du design et de l’agencement initiaux réinterprétés à partir des documents haute résolution que nous avions archivés. Le jeu tourne en 3D temps réel sur Unity (logiciel et moteur 3D, NDR). L’équipe de 20 personnes chez JAW qui développe pour nous le jeu en Angleterre respecte naturellement rigoureusement les dates internes de finalisations, mais aucune date de sortie ne sera annoncée tant que le résultat n’atteint pas le niveau qualitatif auquel nous nous sommes engagés et que notre audience attend de nous. Nous préfèrerions sortir le jeu plus tôt que plus tard, mais en tant qu’indépendant auto édité nous ne sommes pas pénalisés par les conditions des commerçants ou d’un éditeur. Mais le temps coûte aussi de l’argent, c’est toujours une réalité à laquelle nous devons faire face.

Bliss : La rançon de l’auto édition ne consiste-t-elle pas pour vous, artiste, à passer plus de temps à manager qu’à être créatif ?

Lorne Lanning : Oui, en tant qu’auto éditeur, il y a un nombre de choses à faire qui s’étend bien au-delà l’effort créatif, et comme il s’agit d’une refonte, les besoins créatifs ne sont pas aussi importants que s’il s’agissait d’une nouvelle IP. Mais cela a toujours été comme ça pour moi. Je n’ai jamais été employé d’une entreprise du jeu vidéo, j’ai dû soulever les fonds pour créer une société de jeux vidéo avec ma partenaire Sherry McKenna (voir encadré). Pendant toute l’histoire d’Oddworld mon temps a été divisé à 50/50 entre créativité et management.

Bliss : Vous faites participer directement mais, semble-t-il, gratuitement certains fans d’Oddworld au contenu d’un jeu qui sera, lui, vendu. Est-ce juste ?

Lorne Lanning : Si nous donnons l’impression de faire des économies sur le dos des fans cela serait totalement faux. Nous voulions d’abord leur offrir l’opportunité de voir inclus dans le jeu des choses artistiques qu’ils auraient créés. Ce n’était pas quelque chose que nous avions besoin de faire mais qui nous paraissait cool d’offrir. Si quelqu’un dans la communauté pouvait faire une super voix d’un personnage d’Oddworld alors nous promettions de trouver un moyen de le faire participer. En échange nous l’inclurions dans les crédits et ferions la promotion de son parcours auprès d’une audience large de joueurs et auprès de l’industrie. Comprenez, chez Oddworld, les voix ont toujours été faites par l’équipe de développement elle-même. Nous n’avions jamais loué de voix et personne n’a jamais été payé pour les faire. C’est une tradition Oddworld. Quand nous ne trouvions personne dans l’équipe pour un doublage, je me retrouvais à le faire moi-même (Lanning fait une grande majorité des voix et bruitages, NDR). Toutes les personnes qui ont ainsi participé avec nous se sont amusées et ont toujours été créditées.

Bliss : D’autres exemples de participation des fans ?

Lorne Lanning : Oui. Quand j’ai vu l’acrylique de Abe peinte par Alex Konstad j’ai pensé qu’on pouvait lui demander de s’en servir sur l’affiche du jeu. Et puis Alodie Adams, une chanteuse compositeur d’Australie, avait de son côté posté de la musique sur Facebook tout en montrant de l’intérêt à participer. En entendant sa chanson nous avons pensé qu’elle s’intègrerait parfaitement au générique de fin. Elle a une voix fantastique et si nous pouvons faire quelque chose pour lui apporter un peu plus de visibilité, ce qui est difficile de nos jours, alors nous voulions l’aider. Elle conserve les droits et la propriété de sa musique tout comme Alex ceux de ses peintures. Mais ne vous méprenez pas, les efforts et les ressources nécessaires à s’occuper de la communauté puis à la faire participer de toutes les façons possibles… n’est pas une mesure d’économie. Cela augmente en réalité les coûts généraux de la production.

Bliss : Vous êtes très critique avec la pratique de la démocratie américaine. Que dénoncez-vous ?

Lorne Lanning : Cinq multinationales contrôlent 5000 médias aux États-Unis. Nous vivons dans une illusion entretenue de la démocratie. Le concept et la pratique de la démocratie aux USA a été sapé et soustrait à la population. La version scolaire de la démocratie et la version que les médias mainstream et les politiciens essaient de nous faire croire qu’elle existe encore ne résiste pas à un examen rationnel et objectif. Un bon moyen de commencer à y voir plus clair dans le fonctionnement stratifié des médias est encore le documentaire Manufacturing Consent : Noam Chomsky and the Media (1992). Une partie de la population écoute les « news ». J’écoute les lanceurs d’alerte depuis trois décennies maintenant. Aujourd’hui le web permet aux gens de se débrancher de la matrice mainstream et de découvrir par eux-mêmes la réalité des faits.

Suite…
Lorne Lanning entretien : Développement durable, ou le prix de la liberté 2/2

Version originale non éditée en anglais ici…

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière

(Publié en mars 2014 dans le bimestriel Games)

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Rand Miller/Kickstarter : One-hit wonder

En 1993, Myst, le jeu d’aventure ésotérique et littéraire sur CD-Rom a fait entrer le jeu vidéo dans l’âge adulte. 31 ans plus tard, les frères Rand et Robyn Miller rejouent la carte du futur avec le projet Obduction. Un myst-érieux jeu d’aventure lancé avec succès sur Kickstarter.

Rand Miller photo © Bliss

Bliss : Bien que similaire à Myst, Obduction ne profite pas de sa généalogie. N’était-ce pas un pari dangereux sur Kickstarter ?

Rand Miller : Le risque a été grand mais nécessaire. Nous adorons la franchise Myst mais il était beaucoup plus motivant de faire table rase, de travailler sur quelque chose de frais et nouveau.

Bliss : Pourquoi réclamer un budget de 1,1 M $ (1,3 M obtenus) pour un jeu sans séquences d’action aux mille tests et réglages ?

Rand Miller : La réponse risque de vous surprendre. Les jeux d’exploration demandent un budget plus important parce qu’ils ne dépendent pas d’une boucle répétitive de gameplay. Tous les FPS ont un procédé de gameplay éprouvé et bien établi : tuer le méchant, obtenir une récompense, trouver d’autres méchants. Tout le budget entre dans l’habillage élaboré de ce principe. Dans un jeu d’aventure/exploration il n’y a pas vraiment un système de gameplay répétitif. Chaque élément de l’environnement doit correspondre à sa fonction singulière. Le jeu est meilleur si les puzzles et environnements sont uniques et non répétitifs. La dépense avec les jeux d’exploration a lieu en amont là ou la dépense sur les FPS arrive après.

Bliss : Parmi les 23 000 contributeurs Kickstarter, quelques dizaines ont versé de 1 100 $ à 10 000 $ ! Qui sont donc ces gens ?

Rand Miller : Les contributeurs de haut niveau ne sont ni des amis proches ni des membres de la famille, mais simplement des gens intéressés par un divertissement interactif à base d’exploration, et qui ont les moyens d’être très généreux.

Bliss : Sur Kickstarter, aucune promesse n’est contractuelle. Comment garantissez-vous la sortie d’Obduction à 2015 par exemple ?

Rand Miller : Nous essayons d’être réaliste avec un planning réfléchi. Nous avons l’expérience de ce type de production, y compris de complexes versions multijoueur comme Myst Online : Uru Live. Nous avons moins de chance d’être surpris que d’autres pendant toute la procédure.

Bliss : Cyan a communiqué avec beaucoup d’enthousiasme et complicité sur Internet et YouTube… Était-ce juste au service de la campagne de financement ?

Rand Miller : Nous avons vécu une période magnifique pendant la durée du Kickstarter, être en relation avec les fans, sentir l’énergie du moment… Bien que nous soyons une entreprise habituellement silencieuse, il nous tarde de partager ce nouveau voyage avec les fans et supporters qui font maintenant partie du projet. Nous passerons à la vitesse supérieure au fur et à mesure que la production montera en puissance, mais sans lâcher aucun secret (sourire).

Bliss : Le succès précoce et indépassé de Myst vous rapproche de ce que l’industrie de la musique qualifie de « one-hit wonder ». Avez-vous quelque chose d’autre à prouver ?

Rand Miller : Ah, bonne question. Je suis très satisfait du succès qu’a eu Myst. Et je suis incroyablement fier de Myst Online : Uru Live même si les ventes n’ont pas eu le même succès. Grâce à Myst j’ai vécu des aventures incroyables, et je serais heureux même si je ne créais pas un autre blockbuster. J’ai déjà été si béni, j’aurais l’impression d’être juste cupide en espérant plus.

(Note : l’auteur de l’article est lui-même contributeur -modeste – au projet Obduction sur Kickstarter)

François Bliss de la Boissière

(Publié en mars 2014 dans le bimestriel Games)

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GAMES_02 kickstarter Rand Miller by Bliss

Quantic Dream, un studio terre à terre

Lors de notre rencontre avec David Cage fin 2013 au moment de la sortie et donc de la promotion de Beyond : Two Souls, nous avons demandé au « maître artisan » David Cage (voir entretien fleuve complet) également maître des lieux de nous faire rapidement visiter son studio parisien…

Quantic Dream by Bliss

Installé depuis 1997 dans le 20e arrondissement sur la petite ceinture bordant Paris à l’est, pas très loin des bureaux d’Ubisoft campés à Montreuil, le studio de David Cage codirigé par Guillaume de Fondaumière s’est considérablement agrandi depuis le succès de Heavy Rain (3,5 millions d’exemplaires vendus). En 2004 le studio employait 60 personnes. Aujourd’hui le tramway flambant neuf passe devant, une station Velib trône juste en face et presque 200 salariés sont installés dans deux grandes salles après avoir investi un étage supplémentaire.

Les plafonds débonnaires qui laissaient voir autoroutes de câbles et de tuyauteries sont désormais recouverts du traditionnel faux plafond blanc à damiers des bureaux. Malgré les grandes baies vitrées aux extrémités d’un bâtiment de briques oranges aux allures d’école construit en 1984, peu de lumière du jour perturbe les interminables enfilades d’écrans d’ordinateurs (au moins deux par poste). Avec tant de garçons penchés sur leurs écrans, le lieu ressemble plus à une lan-party en cours qu’à des bureaux high-tech. Cage s’excuse presque de la banalité offerte aux regards.

Un rapide détour par le studio de motion capture planqué quelque part derrière une porte métallique verrouillée et la singularité du studio Quantic Dream se fait enfin sentir. Les petits points de lumière rouges ou vertes accrochées en hauteur à d’étranges structures métalliques maintiennent le lieu inoccupé dans une semi obscurité presque religieuse. Le son amorti des voix, lui, donne l’impression de pénétrer un caisson d’isolation géant. Mouchetées des pieds à la tête par les fameux capteurs de performance capture, les acteurs ont joué toutes leurs scènes sur ce plateau, cernés par 64 caméras. Si l’ensemble du travail a pris dix mois de tournage, l’enregistrement des performances des deux acteurs stars n’a duré qu’un mois. Ellen Page et Willem Dafoe, en particulier, se sont donc installés à Paris pendant deux périodes de 15 jours.

Quantic Dream loue son studio de motion capture (mocap dans le jargon raccourci) à des entreprises externes. « Mais ce n’est qu’une prestation de service » explique Cage peu motivé par le sujet entre deux volées de marches. « Nous louons le lieu, l’équipement et fournissons des techniciens mais nous n’intervenons pas. Je ne fais pas partie du packaging« , dit-il en souriant. Le voisin Ubisoft occupe parfois le plateau. Plus récemment toutes les captations du prestigieux Dishonored du studio lyonnais Arkane ont eu lieu ici. « Sans ma participation » confirme le maître des lieux.

François Bliss de la Boissière

(Publié en décembre 2013 dans le bimestriel Games)

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Quantic Dream 02 by Bliss Quantic Dream 04 by BlissQuantic Dream 03 by Bliss  Quantic Dream by Bliss

David Cage entretien : Le Maître Artisan 3/3, la quête métaphysique

L’auteur de Beyond : Two Souls parle d’une voix douce, presque doucereuse, en retrait comme s’il voulait se maîtriser lui-même, dire ce qu’il a dire, il y tient, mais sans agressivité. Les diagnostics les plus sévères sur le jeu vidéo d’aujourd’hui glissent alors sans provocation, telles des évidences de sagesse collective.

Quand on émet des doutes sur le bien-fondé d’enfermer des acteurs célèbres dans une gangue de cire numérique, David Cage se tend et déroule à volonté son argumentaire technique. Quand on lui dit que son jeu est peut-être, avant tout, une étude de caractère, il sourit et garde la formule. Quand on lui demande si par hasard sa démarche finale ne serait pas métaphysique, il s’éclaire et vous lâche le merci de celui qui n’est pas encore sûr d’avoir été compris.

François Bliss de la Boissière

Beyond Two Souls

Entretien 3e partie : la quête métaphysique caché

Bliss/EH : La fin propose un choix quasiment métaphysique qui se vit de manière intime. Votre objectif était là ?

David Cage : Oui, merci (grand sourire). Ce choix final est LA conclusion de votre expérience de jeu depuis la première minute. Vous le construisez à partir de votre vécu dans l’histoire, à travers les gens morts ou vivants pendant votre parcours. Vous pouvez vous retrouver dans la situation de souhaiter rejoindre « de l’autre côté » ceux que vous avez aimés ou, au contraire, vous dire : « Non, j’ai encore des choses à faire dans la vie, j’y crois et je reste là ». Je ne sais pas si tous les joueurs vont ressentir ça, mais c’est l’aboutissement de votre voyage. Et c’est le seul choix vraiment conscient, celui où il y a écrit : tu peux faire ceci ou cela. Je ne voulais pas que ce choix soit fait par hasard et que le joueur ne comprenne pas ce qui lui arrive. Ça devait être limpide.

Bliss/EH : Beyond ne serait-il pas avant tout une étude de caractère ?

David Cage : Je commence souvent à écrire avec une idée simpliste, et ce n’est qu’au bout d’un an que je sais de quoi je voulais parler. C’est très bizarre, peut-être que cela fonctionne ainsi pour des tas de gens, mais quelque part, c’est le stylo qui dit quelque chose et toi, tu es spectateur de ce que tu as écrit. Et tu réalises de quoi ta petite voix intérieure voulait parler. L’idée vraiment stupide et super cool d’une petite fille qui a un lien avec une entité surnaturelle m’a amené sur des sujets qui n’ont rien à voir. Et à la fin, cette idée devient anecdotique et l’histoire s’est changée, en effet, en une étude de caractère. Ce qui compte c’est son voyage, les moments auxquels elle est confrontée, ceux qui font de nous ce que nous sommes.

Bliss/EH : Le long monologue de l’une des fins dit quelque chose qui relève de la morale. A ce moment-là, vous vous exprimez directement ou c’est le personnage ?

David Cage : Oh, c’est nous deux évidemment (rires). Mais il n’y a pas vraiment de notion de morale ou de religion. En écrivant je me suis très peu posé la question de ce qu’il y a après la mort. Mais depuis, on me pose beaucoup la question. Paradoxalement j’ai écrit cette histoire avec beaucoup de foi dans le fait qu’il existe quelque chose après la mort alors qu’à titre personnel, je pense malheureusement, rationnellement, qu’il n’y a rien. Mais Jodie a des raisons d’y croire.

Bliss/EH : Cette histoire a été inspirée par une expérience personnelle…

David Cage : Oui, j’ai perdu quelqu’un de ma famille dont j’étais très proche et cela m’a beaucoup affecté. Avec des parents et des grands-parents assez jeunes j’ai été peu touché par la mort jusqu’à maintenant. Quand je me suis retrouvé dans un petit cimetière du patelin où je suis né à regarder un cercueil descendre dans la tombe… Je me suis dis… tout ça pour ça. Une visite dans les catacombes de Paris avait déjà provoqué en moi une expérience existentielle en contemplant ces empilements de crânes de gens qui se sont aimés, détestés, qui ont eu des passions, se sont battus pour devenir quelqu’un. Et ils finissent en pile. Je n’en tire pas quelque chose de nihiliste, mais cela met les choses en perspectives. Ce n’est pas très gai ce que je raconte (rires) mais cette réflexion a été une pierre angulaire lors de l’écriture.

Bliss/EH : Comment faites-vous pour réussir à lancer toujours de nouveaux jeux là où tout le monde se réfugie dans les suites ?

David Cage : Je ne sais pas, à chaque fois c’est un nouveau défi. Je fais les choses avec passion, enthousiasme et sincérité. Il faut convaincre l’équipe, puis Sony. Cela aurait été beaucoup plus facile avec un Heavy Rain 2 que de dire « allez on repart de zéro vous allez voir ça va être super ». Puis il faut convaincre les joueurs. Jusque là tout le monde a suivi. Mais depuis que je fais la promo de Beyond, le jeu qui me terrifie le plus est Heavy Rain ! C’est une compétition horrible parce que les gens vous jugent à l’aune de Heavy Rain et vous demandent si Beyond sera pareil. Eh bien non, c’est autre chose.

Bliss/EH : Certaines de vos déclarations provoquent des tempêtes. Pourquoi ces attaques contre le jeu vidéo actuel ?

David Cage : Il faut différencier ce que je dis dans une interview de deux heures et ce qui est retranscrit, extrait hors contexte et mis en gros titres par une certaine presse que je ne rencontre même pas. Vous vous retrouvez à vous justifier de choses que vous n’avez jamais dites. C’est très gênant. Ensuite, en effet, je m’inscris en rupture avec une partie du jeu vidéo. Non pas pour dire que ce que font les autres est nul, j’ai beaucoup de respect pour les jeux, les développeurs et les joueurs qui aiment tous ces jeux d’action. Je dis juste que les jeux basés sur des boucles de violence ne peuvent pas représenter 100 % du jeu vidéo. J’aimerais qu’il y ait un peu plus de place pour d’autres expériences. Qu’un Journey, un Unfinished Swan, un Papo & Yo ou un Gone Home existe est extraordinaire. Quand vous allez au cinéma, rien ne vous empêche d’aller voir Transformers un jour et un Woody Allen le lendemain. Dans le jeu vidéo il y a malheureusement beaucoup de Transformers et pas assez de jeux qui essaient de faire des choses différentes. C’est tout ce que je dis.

Bliss/EH : La différence, c’est que vos jeux font appel à de gros budgets…

David Cage : Vous avez raison, nous sommes dans une situation assez particulière et nous avons beaucoup de chances. Nous avons la liberté artistique d’un développeur indé avec les moyens financiers d’un développeur AAA. Nous faisons donc des jeux indés AAA…

Bliss/EH : Avec votre succès et votre ambition, comment êtes-vous perçus dans les milieux du jeu vidéo et du cinéma que vous côtoyez aussi entre Hollywood et le festival de Tribeca où Beyond a été présenté ?

David Cage : Je ne sais pas comment je suis perçu et ce n’est pas forcément ce qui m’empêche de dormir. Je suis sincère, il y a des gens qui apprécient et d’autres qui détestent. On est qui on est. Que voulez-vous que je fasse, que je me taise ? Que je fasse des shooters pour être comme tout le monde ? Non, je ne peux pas me renier, je ne peux pas être quelqu’un d’autre. Et les gens qui apprécient notre démarche apprécient que nous ayons un discours et des jeux pas comme les autres. Le truc le plus scandaleux que j’ai osé dire a été que le jeu vidéo doit grandir. Qu’est-ce que je n’avais pas dit là ! Il n’y a que moi qui vois les choses comme ça dans le milieu ? Pendant ce temps-là, en off, des gens viennent me voir : « Ah tu as eu drôlement raison de dire ça ». Pourquoi s’en cacher : oui, le jeu vidéo doit grandir.

Bliss/EH : Vous ne pratiquez pas le politiquement correct…

David Cage : Je ne cherche pas à provoquer, ni à me taire non plus. Si vous regardez les jeux que j’ai faits, je crois que vous y verrez une cohérence de la vision. Je ne suis pas un opportuniste, un mec qui fait des suites pour gagner du fric, qui s’est prostitué pour faire l’adaptation de tel ou tel film, qui fait un shooter quand les shooters se vendent. Non, je suis un mec qui croit en la même chose depuis 16 ans. Et les jeux vidéo ne m’ont pas attendu pour grandir, je le vois bien, il y a des gens qui évoluent. Pourquoi ? Parce qu’ils ont 40 ans comme moi et qu’à 40 ans tu n’écris plus les mêmes jeux que quand tu as 20 ans. Et heureusement, c’est logique et sain.

Bliss/EH : Quelles pistes pensez-vous suivre après Beyond ?

David Cage : J’aimerais aborder des thèmes avec plus de sens. Faire un jeu qui ait un parti pris sur une idée précise, m’attaquer à un sujet difficile, à un sujet de société. Mais je veux le faire de manière intelligente et sensible, avec un angle, parce que j’ai le sentiment que cela peut être très fort. Il est possible d’utiliser ce média pour dire quelque chose. Mais je suis un gamin dans un magasin de bonbons. Il n’y a qu’à tendre la main : ce sujet là, personne ne l’a jamais fait ! Et tu peux le faire, tu as tout ce qu’il faut, des gens qui croient en toi, qui vont te suivre. J’ai envie d’aller vers la comédie, vers un truc transgressif, de faire une suite à Kara… Mais écrire un projet prend un an. Donc la prochaine pâtisserie que je choisis, il faut que j’y crois vraiment, il faut que je me dise : c’est la meilleure…

Bliss/EH : Vous ne pensez pas d’abord à des manières de jouer ?

David Cage : Bien sûr, il y a des idées de jeux qui m’intéressent et sur lesquelles nous travaillons. Je crois que nous commençons à avoir des solutions pérennes parce que si, demain, je me lance dans une comédie interactive, une romance ou un soap opera, j’ai les outils. Même s’il y a encore beaucoup d’autres briques à ajouter à ce langage, on y travaille quotidiennement. Mais je suis très attaché au sens parce que je continue de penser que ce que l’on a à dire va devenir de plus en plus important. Si ça se trouve je n’ai rien à dire (rires) mais j’ai envie de le savoir. De voir si le jeu vidéo et l’interactivité permettent de dire quelque chose ou si nous sommes condamné à faire des jouets.

Début de l’entretien à suivre ici…

David Cage : Le Maître Artisan 1/3, même pas peur

David Cage : Le Maître Artisan 2/3, le voyage est l’essentiel

Propos recueillis fin 2013 par François Bliss de la Boissière et Erwan Higuinen

(Publié en décembre 2013 dans le bimestriel Games)

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David Cage entretien : Le Maître Artisan 2/3, le voyage est l’essentiel,

David Cage a changé en dix ans. Il a désormais cette aura particulière indéfinissable des gens habitués aux regards et aux caméras. Et peut-être au succès. Entretien fleuve 2e partie…

Bien que ses jeux en forme de manifestes disent le contraire, Cage, de sa voix toujours trop calme qui tient l’ego en laisse, affirme ne pas avoir de grand message à délivrer, ne se revendique ni artiste, ni même auteur. « J’ai juste l’impression d’être un artisan qui fait son travail ».

François Bliss de la Boissière

david-cage 2014 DR

Entretien 2e partie : Le voyage est essentiel

Bliss & EH : Le chapitrage désordonné du jeu semble dessiner à l’écran le concept de narration élastique que vous défendez depuis longtemps…

David Cage : Nous avons simplement présenté ces scènes par leurs titres, en montrant où elles se situent dans la vie de Jodie. L’idée était surtout d’aider le joueur à s’y retrouver. D’autant que nous voulions garder des choix implicites, qu’ils se fassent en jouant, aient des conséquences tout en gardant l’expérience fluide, organique. Ça peut poser problème à des gens parce que souvent, dans les jeux, il y a des gros panneaux qui clignotent : « à droite ou à gauche », « oui ou non ». Et là, il n’y a rien.

Bliss/EH :  Heavy Rain donnait envie d’essayer tous les embranchements, les personnages pouvaient mourir, il y avait presque du game over. Beyond ne fonctionne pas comme ça…

David Cage : Non, et c’est aussi une rupture avec les conventions. Certains nous disent que puisqu’il n’y a pas de game over, le joueur va s’en désintéresser, ne pas faire attention. Mais ce n’est pas un jeu de tir où vous recommencez jusqu’à réussir. Là, vous allez vivre la vie de ce personnage, voir des choses, en rater d’autres, mais vous racontez votre propre histoire. Nous avons voulu créer un voyage de 10-12 heures dont on se souvienne. Qu’il marque, qu’il y ait des moments forts et qu’on finisse le jeu en se disant : j’ai vécu quelque chose. L’essentiel, c’est le voyage.

Bliss/EH : Tous vos jeux évoquent la séparation du corps et de l’esprit, met en scène des variations du corps astral. Cela vous préoccupe ?

David Cage : Ce n’est pas quelque chose qui m’habite particulièrement. Je suis plus intrigué par la schizophrénie, l’idée d’être quelqu’un d’autre. J’ai fait plusieurs jeux dans lesquels on contrôlait différents personnages. Jodie et l’entité sont deux personnages à part entière, mais on contrôle aussi Jodie à différents âges, son apparence change, comme sa façon de parler, de bouger. C’est presque comme avoir un personnage différent dans chaque scène. Mais le point de départ de Beyond est ailleurs. Dans le métro, vous voyez parfois des sans-abris qui parlent tout seuls. Ils ont visiblement bu et on dirait qu’ils ont un dialogue enflammé. Ils écoutent, ils répondent. Je me suis demandé ce qui se passerait si eux voyaient vraiment quelque chose que je ne vois pas. L’idée de Jodie et de l’entité est venue de là. Mais ce n’est pas quelque chose qui me hante, je n’ai pas le sentiment qu’une âme puisse exister indépendamment du corps et je le regrette profondément. Ce qui ne m’empêche pas de me demander ce qui se passerait si… Écrire c’est aussi ça : imaginer des choses et les traiter comme si elles étaient possible.

Bliss/EH : Beyond se frotte à des thèmes inhabituels dans le jeu vidéo : le suicide, l’accouchement, la pauvreté, l’enfant-soldat… Vous avez rencontré des résistances pour les imposer ?

David Cage : La plupart des jeux sont basés sur des mécaniques de violence. Vous avez un flingue, vous courez, vous sautez, et voilà. Quelques uns essaient d’avoir un propos dans leurs cinématiques mais, à 90 %, l’expérience de jeu, c’est ça. Nous avons très vite décidé de ne pas créer une mécanique violente en boucle. Il y a tellement de jeux qui font ça très bien, on ne va pas en rajouter un. Nous essayons de mettre l’histoire, le propos au cœur de l’expérience. Et quand vous abordez ces thèmes, vous avez tout à coup plein de gens qui vous donnent plein de raisons de ne pas le faire. Il y a des scènes dans Beyond pour lesquelles, oui, on a dû se battre. Y compris pour des choses qu’on n’imaginait pas qu’elles puissent poser problème.

Bliss/EH : Comme quoi ?

David Cage : Par exemple dans la scène d’anniversaire où un personnage propose à Jodie de fumer. La discussion a été interminable. Mais elle a 14 ans, ce n’est pas bien de fumer. Que fume-t-elle ? Du tabac ? Oui, oui, c’est du tabac (rires)… La censure ne fait pas la distinction entre parler de quelque chose et en faire la promotion. Dans cette scène, Jodie prend une taffe, elle a la tête qui tourne, les autres se foutent d’elle et elle sort. Nous ne glorifions rien du tout. Et je vous passe les scènes de sexe parce que, là, on ne peut quasiment rien faire. Par contre, on voit des jeux où on tire sur un personnage et sa tête explose. Ça, c’est bon, ça va. Mais dès qu’on touche des sujets un peu sensibles…

Bliss/EH : D’où vient le choix des deux séquences anormalement longues avec les sans-abris et les Navajos ?

David Cage : Elles se sont produites comme ça, pendant l’écriture. J’ai l’habitude des scènes de 15-20 minutes et, là, je ne sais pas pourquoi, j’avais besoin de plus d’espace. Ce sont aussi des ruptures dans la narration, des histoires dans l’histoire.

Bliss/EH : Est-ce que ces personnages sont là parce que, comme Jodie, ils vivent à la marge ?

David Cage : Sûrement, mais je n’ai pas fait une analyse profonde. Quand j’écris, je suis mon instinct. Avec les sans-abris, il m’importait de raconter l’histoire de ces bannis et de montrer que, même en dehors de la société, il reste de l’humanité. Les gens vivent encore des choses, les ressentent, s’entraident. Ils sont peut-être plus humains que ceux qui passent sans les voir. Je n’ai pas de grand message social à transmettre, mais ça m’intéressait de vous mettre dans la peau d’un sans-abri, de vous asseoir par terre et de vous dire que vous deviez trouver de quoi manger.

Bliss/EH : Vous savez ce que font les gens dans la scène où, en tant qu’Aiden, ils ont le choix entre perturber le rendez-vous amoureux et ne pas agir ce qui est presque scandaleux pour un gamer ?

David Cage : Sur les 200 ou 300 personnes testées, nous avons été surpris de voir que plus de 60 % des gens ne faisaient rien. Et je suis d’accord, pour un gamer, ne rien faire… La scène est presque plus intéressante si vous ne faites rien parce que c’est le seul moment où vous allez avoir un peu de background sur Clayton. Vous allez enfin entendre qui il est, d’où il vient, les confidences de Jodie. Et puis, intentionnellement, ne pas agir, c’est agir parce que vous voulez que cette relation arrive. Et elle peut arriver ou pas. Sans révéler tous les secrets, même si on laisse la scène se dérouler, si Jodie s’est fait agresser dans le bar quand elle était ado, elle va le repousser.

Bliss/EH : Dans cette scène la curiosité du joueur est titillée jusqu’au voyeurisme et se retrouve peut-être dans l’accompagnement affectif de la situation mais aussi dans la curiosité de savoir jusqu’où le jeu va oser aller…

David Cage : L’idée n’était évidemment pas de se diriger vers la pornographie ni de se retrouver en situation de « mater ». J’essaie toujours de mettre le joueur dans la peau du personnage qu’il contrôle. Dans la première moitié de la scène vous jouez Jodie qui se prépare, ou pas, au rendez-vous amoureux. Dans la deuxième, vous jouez Aiden qui peut intervenir en pensant : « Ah non, elle m’appartient, pas question qu’elle ait une relation avec quelqu’un d’autre », ou ne rien faire en pensant qu’elle a le droit de fréquenter quelqu’un. Voilà deux versions de la scène selon la caractérisation des personnages que le joueur a décidé.

Bliss/EH : On s’identifie au personnage, on en sort, on veut le protéger ou le torturer… Est-ce que l’entité correspond à la position du joueur ?

David Cage : Je ne l’ai pas pensé comme ça en écrivant. Peut-être que c’est là, on écrit des choses sans se rendre compte, mais je n’ai pas assez de recul.

Bliss/EH : Le survol des décors par l’entité ne serait-il pas tout simplement un outil des développeurs mis en scène dans le jeu ?

David Cage : Ses déplacements ressemblent en effet à la caméra libre utilisée pour débugger les jeux. Mais j’étais plus intéressé à faire d’Aiden un personnage à part entière et lui donner un rôle plutôt qu’un pouvoir. Quand on écrit, il y a la tentation d’imaginer un super-héros super cool. Avec ses pouvoirs, Jodie va détruire des trucs, ça va être génial, elle va être super contente. Mais en réalité, qu’est-ce que c’est ennuyeux ! N’est-ce pas plus intéressant qu’elle souffre de ce pouvoir ? Qu’elle ne puisse pas mener une vie normale, avoir une relation amoureuse, une amitié, des copains ? J’ai essayé d’ancrer dans une forme de réalité l’histoire d’une petite fille autour de qui il se passe des choses bizarres.

Entretien à suivre ici…

David Cage : Le Maître Artisan 1/3, même pas peur

David Cage : Le Maître Artisan 3/3, la quête métaphysique

Propos recueillis fin 2013 par François Bliss de la Boissière et Erwan Higuinen

(Publié en décembre 2013 dans le bimestriel Games)

Message aux lecteurs. Vous avez apprécié cet article, il vous a distrait un moment ou aidé dans vos recherches ? Merci de contribuer en € ou centimes de temps en temps : Paypal mais aussi en CB/Visa avec ce même bouton jaune sécurisé


Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n
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David Cage entretien : Le Maître Artisan 1/3, même pas peur

Ses déclarations agacent, son succès aussi sans doute, comme son côté homme orchestre. Mais sa parole est libre et son travail parle pour lui. Envers et contre tous, l’auteur/producteur/scénariste/dialoguiste/directeur d’acteurs/réalisateur de Beyond : Two Souls suit son petit bonhomme de chemin. Rencontre.

David Cage © Sony Computer

Il y a un malentendu David Cage. Ses prises de paroles publiques et sa dénonciation des travers créatifs de l’industrie du jeu vidéo passent pour de la suffisance, voire du mépris envers les gamers nourris au point’n click avant-hier, aux jeux de plateforme hier, aux FPS aujourd’hui, et aux jeux de rôles depuis toujours. En réalité David Cage défend sa cause, prêche à la ronde ce qu’il aspire à entreprendre lui-même. Après tant de projets improbables, intrigants mais critiqués à chaque fois en amont de leurs sorties, The Nomad Soul, Fahrenheit, Heavy Rain et Beyond : Two Souls prouvent au moins une chose : David Cage applique à lui-même les leçons qu’il semble distribuer à la cantonade. « Vous vous rendez compte, j’ai apparemment choqué l’industrie du jeu vidéo en suggérant qu’elle devait… « grandir » « . En osant aborder dans son dernier jeu des thèmes aussi essentiels qu’inusités dans le jeu vidéo que l’amour (filial et amoureux), la maternité, le sexe, la pauvreté, les enfants soldats et le suicide, Cage fait magistralement la démonstration de ce qu’il voulait dire par… « grandir ».

François Bliss de la Boissière

Entretien 1ère partie :  Même pas peur

Note aux lecteurs : l’interview contient des spoilers qui peuvent gâcher l’expérience du jeu Beyond : Two Souls.

Bliss/EH : Vous travaillez désormais avec des pointures d’Hollywood. Vous aviez dit que votre expérience avec David Bowie sur The Nomad Soul avait chassé toute peur…

David Cage : Quand j’ai travaillé avec Bowie j’étais totalement inconscient. Et ça m’a rendu un service extraordinaire. Si j’avais été pleinement conscient de ce qu’était la légende Bowie, j’aurais été paralysé. Je savais qui il était sans spécialement connaître son travail… Naïvement, et très horrible de ma part, nous nous sommes parlés, nous avons travaillé ensemble, lui comme acteur ou compositeur, moi qui créais un jeu, on avait envie de faire un truc ensemble et on l’a fait. Je pense que quand vous travaillez avec des monuments comme David Bowie ou Willem Dafoe, vous êtes obligés de faire abstraction de leur réputation.

Bliss/EH : Avec sensiblement la même technologie de performance capture que vous, James Cameron a créé un mixte entre un humain et une créature fantastique et, du coup, a donné de l’humanité à cette créature. Dans Beyond, des acteurs humains sont au contraire placés dans une gangue virtuelle qui gomme un peu de leur jeu.

David Cage : Vous êtes le premier à me dire ça. Voilà six semaines que je fais le tour du monde pour parler de Beyond et ce que tout le monde relève, c’est la qualité de l’acting, l’intensité dans les regards, l’émotion. Si vous pensez cinéma, je vous suis complètement, le résultat est moins bien que l’acteur en vrai. Mais vous savez quoi ? L’acteur en vrai n’est pas interactif. Donc c’est super dans un film mais, moi, je suis dans un jeu. Je ne vois pas comment faire autrement. Si vous me demandez si la technologie est à 2000 % fidèle à l’original, la réponse est non. Mais je pense que Beyond fait partie du haut du panier. Et vous me comparez à James Cameron qui a des centaines de millions de dollars de budget… J’ai vu des choses dans Beyond jamais vues en temps réel. Avant, on ne pouvait pas filmer le personnage qui ne parle pas parce qu’il ne se passait rien. Et là, il y a des moments où vous regardez dans les yeux d’Ellen Page et vous voyez exactement ce qu’elle ressent. Ça ripe encore mais infiniment moins. Après, on peut voir la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine. Je sais d’où est partie cette industrie. Est-ce que c’est enfin parfait ? Non. Est-ce que nous avons fait un putain de progrès ? Oui.

Bliss/EH : Le photoréalisme est-il le but ultime ?

David Cage : Non, pour moi jamais. Ça a l’air paradoxal parce que je travaille sur des jeux plutôt réalistes, mais je suis intéressé par le rendu qui correspond à l’histoire que je veux raconter. Demain, je pourrais faire un truc complètement cartoon si j’ai une histoire qui nécessite ce type de rendu. Copier la réalité est difficile. On essaie d’atteindre un point où on peut faire oublier les différences au joueur. Parfois on y arrive, parfois un peu moins. Quand vous regardez un anime japonais, ce n’est pas réaliste du tout mais, il y a un moment où ce n’est plus ça qui compte mais l’histoire, les personnages. Pixar a démontré qu’on pouvait obtenir quelque chose d’extrêmement émouvant avec des souris, des robots, des jouets en plastique. Je serais stupide de considérer le photoréalisme comme le Graal.

Bliss/EH :  Ellen Page a-t-elle été consultée sur son look et sa nudité requise dans le jeu ?

David Cage : Nous en avons discuté, montré la direction envisagée et parlé des scènes de nudité et d’amour qu’elle aurait. Cela s’est passé très simplement. Il était évident que nous n’allions pas faire un porno. Mais ni Ellen, ni Willem, ni David Bowie à l’époque de Nomad Soul, n’interviennent pour dire : ça oui, ça non. Les gens qui rejoignent un projet par passion ne jouent pas les dictateurs.

Bliss/EH : Comment avez-vous procédé pour les scènes où elle est enfant ?

David Cage : Nous avons travaillé avec une actrice américaine de 8 ans, Caroline Wolfson, qui faisait déjà du théâtre. Elle a pris des cours de comédie pendant un an et elle s’est prêtée au jeu de façon très sérieuse. Pour l’apparence physique, nous nous sommes appuyés sur les films d’Ellen puisque nous avons la chance de travailler avec une actrice qui tourne depuis l’âge de 6 ans.

Bliss/EH : Quel est votre processus d’écriture ? Vous écrivez en anglais ?

David Cage : J’ai écrit le récit en français de manière chronologique parce que je voulais trouver une cohérence à mon personnage. Il a ensuite été traduit puis un dialoguiste américain l’a adapté. Après, sur des post-it, j’ai mélangé les scènes, je voulais qu’elles se répondent. Ce travail a été intéressant pour garder l’arc narratif, la structure classique, sans la lier à la chronologie. Vous vous dites : j’ai besoin d’une scène forte ici par rapport à ce personnage-là ou, pour raconter la relation entre Jodie et Aiden, j’ai besoin d’un conflit. Et vous jouez sur les émotions en ne tenant moins compte de la timeline. Ça crée une dynamique différente. Quand vous commencez le jeu vous avez l’impression qu’on saute d’un truc à l’autre mais, normalement, il y a un moment où les choses tombent à leur place et, tout à coup, vous embrassez la vie de Jodie.

Bliss/EH : Les scènes militaires tôt dans le jeu sont-elles là pour répondre à une demande des gamers ou de l’éditeur ?

David Cage : Personne ne me dit rien, ou si on me dit quelque chose, je n’écoute pas beaucoup. Je suis un peu borné et je fais ce que j’ai envie. Évidemment, j’écoute mon équipe, mais nous ne sommes pas du genre à téléphoner au marketing pour savoir quoi faire. Ce ne sont pas eux qui écrivent mon script et ce n’est pas moi qui fais la campagne marketing.

Bliss/EH : Ce tutoriel où l’on se cache pour tuer n’est pas une réponse à ceux qui vous reprochent de ne pas faire de « vrais » jeux ?

David Cage : Ce n’était pas en réaction à quoi que ce soit. Simplement, dans le récit, Jodie va être entraînée par la CIA et des scènes importantes en tirent parti par la suite. On ne voulait pas faire du Metal Gear, ni du Splinter Cell et ça reste marginal. Mais, dans quinze ans de la vie de quelqu’un, il ne peut pas y avoir que des scènes intimistes. La vie, c’est se sentir heureux, triste, mal à l’aise… Ce sont tous ces moments, toutes ces couleurs, ces atmosphères qui vont former une vie. Et ce qui m’intéressait, c’est qu’à la fin, vous disiez : putain, j’ai vécu tout ça ! Et là-dedans, oui, il y a une scène d’infiltration, mais il y a aussi une scène d’amour, des scènes d’enfance…

Bliss/EH : La fusillade collective imposée au joueur en Somalie était-elle indispensable ? C’est une concession, une recherche de polémique ?

David Cage : Non, non, non (d’une voix très basse)… ma démarche était vraiment narrative, personne ne m’a rien dicté. Quand tu racontes une histoire comme ça, tu dois décider où poser tes embranchements. J’ai écrit une variante où Jodie refuse d’accomplir sa mission mais je me suis retrouvé dans une situation beaucoup moins intéressante. Elle basculait du côté des gentils, sa relation avec Clayton fonctionnait moins bien, sa fuite de la CIA pas du tout… Jodie est conditionnée, elle y va à reculons mais elle pense le faire pour les bonnes raisons…

Entretien à suivre ici…

David Cage : Le Maître Artisan 2/3, le voyage est l’essentiel

David Cage : Le Maître Artisan 3/3, la quête métaphysique

Propos recueillis fin 2013 par François Bliss de la Boissière et Erwan Higuinen

(Publié en décembre 2013 dans le bimestriel Games)

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Jonathan Blow : Master class

L’auteur de Braid a rejoint ces rares créateurs qui font des jeux par intime conviction, les Fumito Ueda, David Cage, Lorne Lanning, Ken Levine (la liste est courte)… qui cherchent à raisonner le monde en utilisant le médium jeu vidéo. Mais à créations atypiques, auteurs singuliers… Jonathan Blow, comme ses semblables, ne se laisse pas facilement attraper.

Jonathan Blow © Giant Bomb

Le brouhaha Internet a fini par institué le polémique et trop jeune Phil Fish – créateur du magnifique Fez – en porte-parole énervé de la scène indé alors qu’en réalité, sous des manières de gentleman réfléchisseur, Jonathan Blow est sans doute le représentant involontaire (il refuse de jouer les porte-drapeaux) le plus à vif. Question de tempérament. Aux questions qui provoquent des coups de chaud et de sang chez le jeune Phil Fish (retiré depuis de l’oeil public), Jonathan Blow répond à froid, avec méthodes ou, le plus souvent, laisse glisser. Si on insiste il résiste, joue à l’occupé (il l’est, son jeu The Witness sort en exclusivité sur PlayStation 4 avant la fin de l’année), à celui qui ne comprend pas tout. L’exercice de l’interview ne l’intéresse pas et au fil des échanges, l’intervieweur se retrouve en train d’appliquer peu à peu malgré lui un nouveau tutorial d’échanges. Et quand l’auteur de Braid daigne répondre, il n’y a pas de gras, il parle directement à l’os.
Prétentieux ? Sans doute. Esprit fort et indépendant surtout. Programmeur d’abord, créateur précieux de jeux uniques ensuite, Jonathan Blow parle comme il conçoit ses jeux et donc nécessairement le monde. Ce qui est dit est moins important que ce qui est impliqué. Pour créer des jeux au gameplay émergeant (jamais le mot déjà passé de mode ne sera utilisé) il fallait bien une pensée au fonctionnement émergeant natif. Discussion à trous mais avec quelques clés…

Bliss : De Braid à The Witness, vous êtes à la recherche d’une communication muette directe entre le jeu et le joueur, et notamment directement à partir du gameplay… Comment fonctionnez-vous ?

Jonathan Blow : Oui, il y a définitivement dans mon style quelque chose qui fait que j’accorde de l’importance à une communication ne passant pas par le langage. Plutôt que de le dire en mots dans un tutorial laborieux, j’essaie que mes jeux fassent par eux-mêmes la démonstration de ce que vous pouvez y faire. Le processus de conception consiste essentiellement à, d’abord, écouter le jeu, attentivement, de façon à découvrir où celui-ci veut aller et ce qu’il veut montrer aux gens ; puis à décortiquer le résultat en petits paliers simples. Il s’agit de simplifier pour la personne qui joue le voyage qui va de l’absence de connaissance du jeu jusqu’à une connaissance profonde. Cela ne me semble pas si difficile à faire, et le résultat a tendance à être très intéressant. Mais ce n’est pas une pratique adoptée par l’industrie en général.

Bliss : D’abord cérébraux, vos jeux pourraient fonctionner avec n’importe quelle apparence visuelle, et pourtant vous mettez un point d’honneur qu’ils soient spéciaux et « parfaits », pourquoi ?

Jonathan Blow : Les visuels soutiennent le jeu de bien des manières. En premier lieu, de bons visuels font partie de la façon dont vous communiquez au joueur qu’il est entre de bonnes mains. Si le joueur voit que la représentation visuelle n’a pas été soignée, alors il sait aussitôt qu’il ne s’agit pas là d’un jeu où chaque détail a été minutieusement préparé. Alors, si les visuels ne sont pas fignolés, peut-être que le gameplay non plus. Et quand arrive le moment inévitable où le joueur ne comprend pas – encore – ce qui lui arrive, au point de, en quelque sorte, commencer à contester le jeu dans son ensemble, le joueur accordera moins le bénéfice du doute au jeu. Tandis que quand l’expérience commence bien, il est beaucoup plus facile pour le joueur de faire ensuite confiance au jeu, de savoir que si quelque chose ne semble pas clair, c’est probablement intentionnel, qu’il existe une raison. Ce processus se passe essentiellement inconsciemment, je pense.

Bliss : Braid et The Witness mettent en scène la solitude à une époque où les jeux vidéo s’enorgueillissent en affichant des dizaines de personnages à l’écran, jouables ou non jouables. Votre approche est artistique technique ?

Jonathan Blow : Oui, ces deux jeux parlent du fait d’être seul, mais ils présentent des façons différentes d’être seul. Chaque jeu a son propre parfum. Mon prochain jeu n’aura probablement pas ce sentiment de solitude. Mais pour un jeu d’aventure comme The Witness inspiré par l’esprit des deux premiers Myst, être seul semblait juste.

Bliss : Qu’est-ce qui est important pour vous : que votre jeu dise quelque chose sur la condition du médium jeu vidéo ou qu’il dise quelque chose sur le monde autour de lui ?

Jonathan Blow : C’est différent pour chaque jeu, et pour moi qui change avec le temps. Avec Braid j’étais un peu en train de montrer que le jeu vidéo peut faire certaines choses. Mais, honnêtement, je ne suis plus intéressé par ça désormais. Le problème c’est que tant de jeux idiots continuent à être faits. Je ne suis pas sûr que je puisse adresser de manière productive cette inertie culturelle, à part en faisant davantage de bons jeux, ce qui est bien mon intention. Quant à dire quelque chose sur le monde, eh bien, peut-être, mais je ne raisonne pense pas tout à fait de cette manière. Je ne suis pas vraiment intéressé à concevoir un jeu avec un thème politique, par exemple. Je suis surtout captivé par l’observation ce qui se passe sous certaines circonstances, et d’en faire un rapport détaillé. Donc il s’agit sans doute d’un commentaire « à propos du monde » d’une certaine façon, mais pas vraiment de la manière que les gens attendent.

Bliss : Un jeu peut-il être ouvertement utilisé comme le moyen d’expression d’une personne ?

Jonathan Blow : Je ne comprends pas pourquoi quelqu’un poserait encore cette question. Nous sommes dans un monde où quelqu’un peut empiler une pile de rochers sur une plage interprété alors évidemment comme une expression artistique, mais par ailleurs un jeu vidéo ne pourrait pas l’être ? Quel sens cela fait-il ? Je ne me sens pas concerné par la notion populaire de jeu vidéo. La plupart des jeux vidéo d’aujourd’hui peuvent sauter d’une falaise sans que que cela m’atteigne. Visiblement un grand nombre de gens ont envie de jouer de tels jeux, très bien, mais moi, non.

Bliss : Vous vous désintéressez du jeu vidéo d’aujourd’hui mais votre envie d’en faire vous-même vient bien de quelque part. Quelles ont été vos premières influences ?

Jonathan Blow : Jeune je jouais à énormément de jeux vidéo. Je peux vous dire quelques favoris, comme l’aventure textuelle Trinity de Brian Moriarty (1986), ou la station de travail de collège Netrek (un des premiers jeux en ligne en 1988, ndr) mais c’est assez difficile de voir une connexion entre eux et ce que je réalise maintenant. Je dirais que plus récemment le jeu non électronique Zenda m’a influencé substantiellement. Plus spécifiquement, pour Braid le livre Villes Invisibles (1973) de Italo Calvino a eu une influence majeure, bien que cela soit difficile de voir ça dans le résultat final.

Bliss : Qu’est-ce qui vous a marqué esthétiquement, des peintres, des illustrateurs, des… architectes ? Braid a une esthétique jeu vidéo mais The Witness semble utiliser des techniques d’aquarelle…

Jonathan Blow : Visuellement, je choisis n’importe quel style réclamé par un jeu. Cela change d’une réalisation à l’autre. Le style de Braid n’est pas venu directement d’un peintre en particulier, mais parce que je voulais un monde qui exprime une touche humaine là où la plupart des plateformers du moment utilisaient des palettes stériles de couleurs 3D précalculées. Je voulais provoquer une incertitude dans le ressenti des déplacements tout en s’assurant que tout ce qui peut être touché pendant le gameplay paraisse solide et certain. The Witness a un style visuel très différent parce que le gameplay est différent. Ce que font les peintres quand ils peignent une scène est vraiment différent de ce que nous faisons maintenant quand nous devons restituer une scène en 3D dans un ordinateur. Je ne sais même pas vraiment comment franchir le pont qui sépare les deux en terme de moyen d’expression. Je pense que si vous essayez de restituer une apparence graphique façon peinture cela va juste être une faible imitation, à moins de travailler très dur à comprendre quels sont les vrais paramètres expressifs du système que vous devez préparer, puis, plutôt que de copier la peinture de quelqu’un, de les utiliser pour aller là où ils veulent aller. Je pense que pour faire un bon travail avec ça il faudrait un vaste projet de recherche, ce qui pourrait m’intéresser d’entreprendre un jour, mais là maintenant j’ai beaucoup d’autres choses à m’occuper.

Propos recueillis en septembre 2013 par François Bliss de la Boissière

Bio check

Indépendant à tout prix

42 ans, programmeur et concepteur américain de jeux vidéo, Jonathan Blow est définitivement apparu sur la carte des grands du jeu vidéo lors de la sortie de l’ovni vidéoludique Braid en 2008 conçu en 4 ans. Développeur autonome, il fait néanmoins entendre sa voix dans les diverses manifestations professionnelles du secteur (Game Developer Conference…). Bien que co-fondateur de l’Indie Fund qui finances des projets indépendants, Blow se défend de représenter la scène ou les jeux indés dont il se « sent actuellement plutôt éloigné ». Son jeu The Witness, un héritier contemporain de Myst, doit sortir en exclusivité provisoire sur la PlayStation 4 de Sony.

François Bliss de la Boissière

(Publié en décembre 2013 dans le bimestriel Games)

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Games #1 Jonathan Blow by Bliss de la Boissière Games #1 Jonathan Blow by Bliss de la Boissière

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Éric Viennot/Kickstarter : Same player shoot again

Malgré deux tentatives, le projet de jeu Taxi Journey lancé sur la plateforme vedette de financement participatif Kickstarter a échoué. Beau joueur, l’auteur français transmédia de Alt-Minds revient sur l’expérience. Décryptage.

Eric Viennot DR

Bliss : Vous avez l’habitude de faire appel à de très gros partenaires institutionnels pour monter vos projets (Corto Maltese dernièrement), pourquoi procéder autrement avec Taxi Journey ?

Éric Viennot : La plupart des gros éditeurs sont de plus en plus frileux pour sortir des jeux alternatifs et préfèrent se recentrer sur quelques IP. Cela laisse peu de place pour des jeux qui ne sont pas des blockbusters, les fameux Triple A. Taxi Journey est une nouvelle licence avec un gameplay original de type puzzle-aventure et un parti pris graphique très fort, justement le genre de projet qui pourrait trouver un mode de financement alternatif.

Bliss : Qu’est-ce qui vous a incité à arrêter le premier lancement du projet Kickstarter Taxi Journey en juin dernier avant l’échéance annoncée ?

Éric Viennot : Après un démarrage difficile, nous avons estimé au bout d’une semaine que nos chances de réussir étaient réduites et qu’il serait plus sage de relancer la campagne en septembre. Cela nous laissait plus de temps pour travailler le gameplay et surtout créer une communauté de fans, ce que nous n’avions pas eu le temps de faire en amont du lancement Kickstarter.  Malheureusement cela n’a pas été suffisant.

Bliss : Taxi Journey a plus de 21 000 fans Facebook mais n’a récolté que 1161 contributions pour un total de 40 403 $ sur les 130 000 $ espérés. Pourquoi un tel écart ?

Éric Viennot : Les jeux qui marchent le mieux sur Kickstarter sont les RTS, les RPG ou les hack’n slash. Taxi Journey ne fait pas partie de ces catégories. On a beaucoup discuté avec les membres de la communauté. Beaucoup n’ont pas concrétisé leur attachement à l’univers du jeu par une promesse d’achat, parce qu’ils nous disent qu’ils auraient souhaité avoir une démo jouable avant de s’engager. Nous avons reçu des centaines de mails à ce sujet. Depuis quelques mois, Kickstarter s’est transformé en plateforme de pré-achat. Il y a désormais énormément de projets qui sont lancés. Pour se démarquer, de plus en plus de développeurs arrivent avec une démo jouable. Cette concurrence entraine également une baisse des prix que nous n’avons pas anticipé. Bref, cela a été compliqué de transformer l’essai.

Bliss : Le principe du financement participatif semble peut-être davantage dans les mœurs du modèle économique libéral américain où les citoyens doivent s’associer pour compenser le désengagement de l’État. Ce modèle peut-il vraiment fonctionner en France sans un grand changement culturel ?

Éric Viennot : Je ne crois pas que les gens qui participent à ces campagnes KS le fassent par esprit capitaliste puisque les sommes qu’ils mettent à disposition ne leur permettent pas d’être co-producteurs et donc d’espérer faire un retour sur investissement. La plupart le font par passion, simplement pour permettre à des projets originaux de voir le jour. En le faisant, ils ont le sentiment de participer à une aventure, de pouvoir en échange influer sur certains aspects du projet. Je suis resté assez utopiste et je pense encore que dans certains domaines, Internet peut toujours jouer un rôle de contre pouvoir contre les lobbys et la puissance financière. En un sens, et par rapport au sujet qui nous préoccupe, la dématérialisation et le crowdfunding sont assez complémentaires : ils mettent en contact direct consommateurs et producteurs indépendants. La dématérialisation résout le problème de surface linéaire accordée au produit qui a été longtemps un frein aux productions indépendantes. Mais cela modifie considérablement le rôle et le métier des producteurs qui doivent avoir des compétences d’éditeurs afin de faire la promotion de leurs titres, ce qui n’est pas toujours dans leur ADN.
Quant à savoir si c’est un truc typiquement anglo-saxon, oui c’est vrai. En France, on voit qu’investir, même des petites sommes sur KS, reste réservé encore à une élite hyperconnectée et parlant bien anglais.
Cela dit, le succès de certains projets financés sur des sites français de financement participatif prouve que cela peut aussi attirer le public français mais davantage dans les domaines de la musique et du cinéma que dans celui des jeux vidéo. Car la plupart des hardcore gamers ne s’intéressent encore majoritairement qu’aux grosses licences (GTA, Call of Duty…).
Nous savons, vous comme moi, que le gros du public des gamers est très conservateur.

Bliss : De nombreux projets de jeux sont lancés sur Kickstarter mais beaucoup ont aussi capoté, au point de faire douter de la pérennité du processus. A-t-il un avenir durable ?

Éric Viennot : Il y a indéniablement un effet de mode et il y aura, comme avec toutes les bulles, un retour de bâton. Notamment quand on verra que certains projets pourtant financés ont du mal à sortir ou sortent atteindre le niveau de qualité souhaité. D’ailleurs, les annonces comme celle de Tim Schafer ont déjà entamé la confiance de certaines personnes (après avoir récolté 3 M$ le vétéran de LucasArts et auteur de Psychonauts en a réclamé d’avantage pour boucler son projet Broken Age, ndr). La nature a horreur du vide et je vois bien d’ici quelques années l’apparition de modèles mixtes de financement et l’apparition de nouveaux éditeurs dont la vocation sera justement de financer et produire des jeux indés puisque malheureusement la plupart des gros éditeurs ne font plus ce travail. Je l’ai souvent dit : je ne vois pas pourquoi on ne verrait pas à l’avenir des mécènes passionnés investir dans les jeux vidéo plutôt quand dans l’art contemporain.

Bliss : Envisagez-vous de refaire appel à Kickstarter et si oui que changerez-vous dans votre approche ?

Éric Viennot : Pourquoi pas si l’occasion se présente. Mais sans doute pas pour ce type de jeu.

Propos recueillis fin 2013 par François Bliss de la Boissière

(Publié en décembre 2013 dans le bimestriel Games)

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Les Pickford Bros : Artisans du jeu vidéo, et fiers de l’être

Étonnants vétérans du jeu vidéo en activité depuis les années 80, les frères John et Ste Pickford ont traversé presque toutes les époques. Après s’être frottés aux plus grands studios et éditeurs, ils ont décidé que leur place était désormais sur la scène indépendante où ils peuvent créer ce qu’ils entendent. Avec, comme le prouve l’excellent Magnetic Billiards, un talent et une originalité qu’ils cultivent farouchement.

Pickford Bros

Bliss : Vous avez créé autour de l’origine de Magnetic Billiards une fiction qui aurait 123 ans… Est-ce une façon de dire « nous sommes encore neufs » dans ce business du jeu ?

Ste Pickford : Fiction ? Mais c’est totalement vrai ! Magnetic Billiards : Blueprint (de son nom complet, NDR) est le premier jeu que nous ayons réalisé après avoir trouvé le plan (le blueprint du titre, NDR) et les notes griffonnées de notre arrière-arrière grand-père. Depuis nous avons avancé dans le déchiffrage de son écriture déglinguée et nous utilisons ce que nous avons découvert pour concevoir un nouveau jeu Magnetic Billiards plus fidèle encore à son projet original. Cela inclut plusieurs éléments de gameplay que nous avons redécouverts et l’atmosphère et les sensations d’une salle de billard au tournant du 20e siècle.

Bliss : Combien de gens ont travaillé sur Magnetic Billiards et en combien de temps ?

Ste Pickford : Tout le jeu a été conçu et développé par John (frère et partenaire de Ste qui répond aux question pour eux deux, NDR) et moi-même, à part l’audio. La version iOS a pris dix mois environ à développer, mais nous étions nouveau sur la plate-forme à ce moment là. Nous avons également travaillé au coup par coup sur le game design et le concept pendant deux ans auparavant, depuis que nous avons déniché les papiers et les plans de notre arrière-arrière grand-père. Nous avons d’abord fait des prototypes sur PC où nous avons expérimenté les mécaniques de gameplay et les systèmes de contrôle ainsi que les visuels. Aucun n’a été commercialisé mais tout cela a formé la base pour le jeu sur iOS et les prochains titres pour cette plateforme sur lesquels nous travaillons. Cela représente beaucoup de temps à travailler sur un seul jeu contrairement à la majorité des autres développeurs sur ces machines, mais c’est parce que nous inventons vraiment des mécaniques de jeu de toutes pièces et créons un gameplay inédit. Il est absurde de travailler avec des dates de sortie arbitraires si vous faites de la recherche de cette façon.

Bliss : Pourquoi avoir choisi ce design graphique retro comme dessiné à la main plutôt qu’un aspect brillant high-tech plutôt attendu de nos jours ?

Ste Pickford : John et moi sommes des professionnels du jeu vidéo depuis plus de 25 ans. Quand nous avons commencé, les résolutions d’écrans étaient très basses et les visuels primitifs et rudimentaires, un personnage de jeu vidéo pouvait être dessiné en 16×16 pixels en seulement deux couleurs. Mon travail en tant qu’artiste a toujours été d’obtenir les meilleurs résultats possibles en un tout petit nombre de pixels. Nous essayions toujours de rendre les graphismes un peu plus réalistes et un peu plus brillants et lustrés de façon à dépasser les limites du hardware. Il y a environ cinq ans nous avons pris conscience que le hardware moderne nous permettait de concevoir des visuels aussi réalistes et clinquants que nous voulions, il n’y avait plus de limitations à dépasser. En parallèle, pratiquement tous les jeux autour de nous avaient une apparence high-tech et brillante. Ce n’était plus un challenge technique mais un standard. Mais après 20 ans, nous étions lassés de ces jeux aux visuels clinquants. Nous avons alors décidé d’essayer d’utiliser la puissance du hardware moderne d’une façon différente et d’y incorporer visuellement notre propre personnalité en essayant de capturer mon style de dessin.

Bliss : Le touché du gameplay de Magnetic Billiards est très précis et technique et en même temps très doux et plaisant. Comment avez-vous atteint cet équilibre et à quel point est-ce proche de votre objectif initial ?

Ste Pickford : Nous avons obtenu cela en prenant beaucoup de temps à prototyper et designer le jeu avec énormément d’itérations du contrôle du jeu. Cela implique de coder la façon dont le jeu se contrôle, d’y jouer beaucoup, de parler de ce que nous aimons ou pas, puis de le réencoder avec des changements. Encore et encore et ainsi de suite. La même procédure a été appliquée à toutes les autres caractéristiques et mécaniques du jeu. Le processus n’est pas rapide, mais nous pensons que c’est la seule façon de faire un vrai bon jeu, de ne pas copier des mécaniques de jeu à partir d’autres existantes.

Bliss : L’ambiance générale du jeu est plutôt décalée et peut-être risquée d’un point de vue commercial, comment en êtes-vous arrivé là ?

Ste Pickford : Après 20 ans à travailler pour les éditeurs et devoir constamment changer notre jeu pour répondre aux caprices des gens du marketing, ou pour s’aligner sur la tendance du moment, ou pour copier tel ou tel hit de l’année passée, nous sommes passés « indés » de façon à suivre nos propres idées et designs. Nous ne tentons pas de créer les jeux les plus commerciaux possibles ou de copier la mode du jour. Nous essayons de créer les jeux que nous ressentons le besoin de faire, et de suivre nos propres instincts et sensations. En conséquence, nos jeux sont souvent un peu différents du standard. Mais nous pensons qu’en y injectant notre propre personnalité cela peut aider à ce qu’ils se distinguent et soient davantage mémorables.

Bliss : Vous avez inclus beaucoup de pages de règles et d’aide dans le jeu… Vous n’avez pas craint de décourager les joueurs même si elles sont facultatives à lire ?

Ste Pickford : Probablement si, cela a été une préoccupation. Mais nous ne voulions pas ajouter un tutorial fastidieux qui aurait laborieusement forcé le joueur à absorber des tonnes de nouvelles règles en commençant à jouer. Il fallait réussir à ce que le joueur soit d’abord surpris dans le sens où le jeu ne soit pas ce à quoi il s’attendait sans, si possible, le décevoir. Ensuite le joueur est autorisé à découvrir les complexités des mécaniques et des règles selon son propre rythme au fur et à mesure qu’il joue. Nous voulions que le joueur réalise par lui-même les astuces utiles à atteindre un high-score plutôt que de lui imposer dans un tutorial. Néanmoins, nous voulions aussi expliquer les mécaniques du jeu aux joueurs qui aiment lire les manuels, et la meilleure méthode consistait à inclure des instructions complètes, mais sans forcer personne et permettre à ceux qui ne veulent pas lire des instructions de les éviter complètement.

Bliss : Les rayures qui identifient les boules en plus des couleurs sont conçues de façon à être identifiables par des daltoniens. C’est une idée qui s’est imposée après ou l’avez-vous voulue dès le départ ?

Ste Pickford : C’était définitivement délibéré. J’ai pris en compte les gens souffrants de daltonisme en dessinant les boules mais le retour que nous avons eu depuis la sortie indique que nous n’avons pas tout à fait réussi. Des couleurs que les daltoniens peuvent facilement confondre ont aussi des motifs assez similaires. Nous avons demandé davantage de feedback via notre blog, et avons obtenu des rapports utiles des joueurs et dans la prochaine mise à jour nous intervertirons les couleurs et motifs un peu. Il y aura aussi l’option de placer des symboles uniques sur chaque boule de façon à s’assurer que les gens qui ne distinguent pas bien les couleurs n’aient aucun problème pour jouer.

Bliss : Votre frère et vous-même apparaissez en personne dans le jeu sous forme de personnage de bande dessinée. Est-ce la première fois et le referez-vous ?

Ste Pickford : C’est notre première fois et, oui, nous le referons. La plupart des jeux, y compris ceux réalisé par des équipes d’une ou deux personnes, essaient de donner l’impression qu’ils ont été faits par un super studio et une grosse entreprise sans visage. C’est barbant. Nos jeux sont faits à la main par deux types dans leurs bureaux à domicile et nous voulons refléter cela dans le jeu. Nous voulons que l’utilisateur sache que le jeu est réalisé à la main, par qui il est fait et qu’il pense aux développeurs en tant que vraies personnes avec des personnalités, en tant que créateurs, d’auteurs même.

Bliss : Vous offrez 20 tables pour 0,79 euro, voire gratuitement lors de journées de promotion. Ne craignez vous pas que cela suffise aux gens et personne ne paie une somme supplémentaire pour davantage de contenu ? Le modèle freemium convient-il à vos projets ?

Ste Pickford : Oui, c’est une inquiétude. Le prix bas des jeux iOS en général est un souci mais nous avons découvert que le modèle freemium marche plutôt bien. Nous avons un taux de conversion décent. Plus que tout nous voulons que les gens jouent nos jeux, alors passer gratuit de temps en temps n’est pas un problème, nous ne considérons pas ça comme de l’argent perdu, parce que nous touchons de nouveaux fans ! Notre petite entreprise va bien. Nous ne gagnons pas de grosses sommes d’argent ni rien de la sorte mais nous savons que nous faisons de supers jeux et c’est notre objectif numéro un.

Bliss : Vous avez un plan strict de sortie des mises à jour ? Comment organisez-vous votre travail ?

Ste Pickford : Nous avons un planning mais la qualité du jeu doit venir d’abord. Nous sortons un jeu seulement quand nous avons vraiment fini. Comme nous nous spécialisons dans la recherche et le développement et inventons des nouvelles mécaniques de gameplay, notre processus comprend de nombreuses variations du programme, et nous y travaillons jusqu’à ce que cela nous apparaisse comme fun.

Bliss : Quelle est la suite pour Magnetic Billiards, des nouvelles options liées à iOS 5 ? Le jeu peut-il apparaître sur d’autres plateformes de téléchargement comme le Xbox Live ou le PlayStation, Network ?

Ste Pickford : Nous avons beaucoup de projets pour Magnetic Billiards (voir encadré ci-dessous). Dans les prochaines semaines nous aurons une mise à jour avec de nouvelles options. Le jeu pourrait apparaître sur PSN ou XBLA dans le futur, mais nous n’avons pas de plans immédiats. Aucune des deux consoles n’est très aimable avec les petits indés comme nous, alors nous nous concentrons sur iOS pour l’instant.

Bliss : Presque 30 ans de collaboration entre deux frères semble assez rare. Comment vous répartissez vous les tâches ?

Ste Pickford : Curieusement, les duos de frères sont assez communs dans l’industrie du jeu vidéo anglaise : les frères Stamper de Rare (fondateurs qui ont revendu Rare à Microsoft en 2002, NDR), les frères Darling chez Codemasters, les jumeaux Oliver chez Blitz, etc. De notre côté, John arrive avec les nouvelles idées de mécaniques de jeu ou un système de contrôle ou tout simplement un ressenti qu’il veut inspirer au joueur. Nous discutons ses idées, les trions, travaillons la faisabilité, puis John code le prototype pendant que je travaille sur les visuels et les données. Une fois un projet lancé nous avons tendance à décider ensemble le game design général du jeu, avec des discussions constantes et même des disputes sur la façon dont les choses devraient fonctionner ! Nous sommes tout le temps en désaccord, principalement à propos des petits détails des règles du jeu. Nous avons tendance à tirer chacun dans une direction opposée avec moi voulant un gameplay dépendant de données bien contrôlées et John préférant un gameplay algorithmique plus ouvert. Les produits finis se retrouvent quelque part au milieu.

Bliss : Vous avez travaillé avec des entreprises du jeu vidéo connues pour leur très grand savoir faire comme Nintendo ou Rare. Quel est votre sentiment sur ces collaborations et qu’avez-vous gardé de cette culture ?

Ste Pickford : Nous adorons collaborer avec d’autres designers de jeu et nous avons eu de bons moments au début avec Rare, mais la plupart du travail effectué avec des grosses entreprises n’étaient pas des collaborations mais des commandes dictées par des départements marketings cherchant à imiter d’autres jeux bien vendus. Nous en avons eu assez de travailler dans cet environnement, sans la possibilité de nous exprimer nous mêmes ou nos idées, ou de pouvoir faire des jeux avec une personnalité et quelque chose d’unique. C’est pourquoi nous avons viré indé où personne ne peut nous dicter ce que nous avons le droit de faire.

Bliss : Vous avez travaillé sur 86 jeux ! Quels sont ceux dont vous êtes le plus fier, et ceux qui ont eu le plus gros succès commercial ?

Ste Pickford : Les jeux dont nous sommes les plus fiers sont ceux les plus proches de notre vision originale, avec le moins d’interférence des comités marketing des éditeurs. Notre premier jeu indé, Naked War, est probablement le jeu le mieux designé que nous ayons jamais faits, et sans doute celui dont nous sommes le plus fier. Nous travaillons en ce moment même avec quelqu’un en vue de sortir Naked War sur iOS. Avant ça, Wetrix est un autre jeu dont nous extrêmement fier (). Nous avons conçu le jeu nous mêmes comme une démo auto financée, avant de vendre le produit presque fini à Ocean, alors il n’y a pas eu trop d’interférence de l’éditeur sur ce coup là, et c’est pour cela que le résultat final était si bien ! Nous sommes aussi très fiers de Plok! sur Super Nintendo qui était un autre jeu commencé comme un projet auto-financé où nous nous sommes arrangés pour mettre en place les mécaniques de jeu et le gameplay avant l’implication de l’éditeur. J’ai aussi un faible pour Zub, Feud, Solar Jetman, Tin Star et Equinox. Nos plus grands succès commerciaux ont sans doute été Maximum Carnage, un jeu Spider-man sur Super Nintendo et Ken Griffey Major League Baseball développé pour Nintendo sur Super Nintendo. Feud sur machines 8 bit a aussi été un grand hit à l’époque.

Bliss : Vous êtes dans l’industrie du jeu vidéo depuis sa renaissance juste après son crash des années 80, êtes-vous surpris du parcours de cette industrie en 30 ans et comment la voyez-vous encore évoluer ?

Ste Pickford : Je ne suis pas étonné que l’industrie du jeu vidéo soit encore prospère, mais je suis déçu à quel point elle est si peu créative. Plus encore que les films, les livres ou la musique, les jeux vidéo ont tendance à être dominés par la mode du moment et le seul intérêt commercial avec très peu d’espace pour l’expression artistique et individuelle. Il y a de formidables projets créatifs mais, essentiellement dans la scène indé, ils ne représentent qu’une portion congrue du paysage du jeu vidéo contrairement à d’autres médias. Je ne crois pas que les critiques de jeux vidéo aient d’ailleurs fait un bon travail en encourageant le copié-collé commercial facile du jeu vidéo mainstream plutôt que l’originalité et la créativité. La situation est sans doute quand même mieux qu’elle n’a jamais été depuis la fin des années 80, avec iOS et les jeux téléchargeables qui offrent un canal où les indépendants s’expriment et où la créativité peut enfin obtenir un peu de reconnaissance.

Propos recueillis (et traduits) par François Bliss de la Boissière

Magnetic Billiards évolue

L’application Magnetic Billiards s’apprête à connaître plusieurs évolutions dans les semaines qui viennent. « Nous avons deux pages de tables supplémentaires en développement dans la partie Classic Game comprenant deux nouvelles aptitudes : Pegged Balls avec des boules collées à la table et qui ne peuvent pas bouger, et Struts qui imposent des connexions rigides entres les boules de couleurs différentes », expliquent les frères Pickford. « Elles ajoutent une nouvelle dimension au Classic Game. Nous avons aussi une option « prototype » sous forme de bonus au mode Skeleton Key qu’auront achetés certains joueurs et qui inclura des prototypes de gameplay sur lesquels nous travaillons. Ce sera une forme d’avant-première qui donnera l’opportunité aux joueurs de nous donner leur avis. La prochaine mise à jour comprendra ainsi deux prototypes : Squish qui est un nouveau jeu d’arcade avec un gameplay radicalement différent à base de gravité où toutes les boules s’empilent en bas de l’écran, et I Sent My Monkey To The Moon (ISMMTTM), un principe de jeu totalement nouveau sur lequel nous travaillons. Nous inclurons également un mode Annulation qui permet de rembobiner les mauvais coups, de revoir les bons coups et de sauvegarder les meilleurs coups réussis pour les revoir à volonté. Nous y travaillons encore et cela pourrait inclure un système pour rejouer une partie et la possibilité de redémarrer un jeu interrompu sur de plus vieux modèles de Smartphones comme l’iPhone 3GS qui actuellement interrompt la partie quand on appuie sur le bouton principal. Une fois cette mise à jour en ligne, nous regarderons ce que nous pouvons ajouter sous iOS 5. Envoyer des coups et des parties à des amis est une possibilité, ainsi, à terme, qu’un éditeur de table. Nous travaillons également sur une deuxième Magnetic Billiards, avec des visuels plus réalistes, qui vous emmènerait dans le monde d’une salle de billard du début du siècle. Il inclurait des personnages de l’époque de notre arrière-arrière grand-père, avec une toute nouvelle option de gameplay qui changera grandement le potentiel des scores de chaque table. Nous avons également encore au moins deux autres idées de jeu Magnetic Billiards que nous voulons explorer, si nous trouvons le temps ! »

Pour connaître l’ampleur de l’impressionnante carrière des frères Pickford, un passage sur leur site est hautement conseillé, notamment à cette page.

François Bliss de la Boissière

(Publié le 04/11/2011 sur Hitphone.fr)

 


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‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.


Yoji Shinkawa : L’ART au service du jeu

L’illustrateur vedette de la série de jeux Metal Gear Solid et collaborateur intime de la star japonaise Hideo Kojima a exposé ses dessins à Paris * à l’occasion de la sortie de l’épisode Peace Walker sur PlayStation Portable.

Bliss : Ne vous sentez vous pas trahi par le jeu vidéo ? Ne rêvez-vous pas d’un épisode de Metal Gear Solid (MGS) plus original qui utiliserait directement votre trait presque abstrait comme Okami de Clover Studio l’avait osé ?

Yoji Shinkawa : J’aime par-dessus tout que mes dessins participent à la création animée d’un jeu. Nous avons déjà eu l’occasion d’essayer de donner vie à mes dessins, notamment dans Metal Gear Solid 2. Le test a été intéressant mais nous avons préféré continuer à utiliser les dessins comme base de travail artistique. Néanmoins, dans Peace Walker, les cinématiques habituelles ont été remplacées par des approches graphiques très stylées. Grâce notamment à la participation d’Ashley Wood (illustrateur et auteur de comic books australien qui a travaillé sur des digital comics MGS, ndr) qui a adapté mes différents dessins. L’idée a été de trouver un subtil équilibre entre un jeu vidéo et des cinématiques dessinées qui donnent une certaine authenticité et un parti pris assez original. Je considère Metal Gear Solid : Peace Walker comme une bande-dessinée animée jouable.

Bliss ; Comment l’équipe artistique a-t-elle approché sans frustration les contraintes de travail sur PlayStation Portable (PSP) après avoir pu se lâcher sur l’ambitieux MGS 4 sur PlayStation 3 ?

Yoji Shinkawa : Notre équipe constituée de vétérans, de nouveaux arrivants, de M. Kojima (auteur de la série MGS, ndr), ou moi-même, sommes des gens passionnés dont l’objectif principal est de mettre en œuvre ce qui doit l’être pour concevoir un MGS. Toutes ces personnes exigeantes ont envie de faire partager leur point de vue, leurs idées et leurs passions à travers une réalisation artistique collective. L’objectif n’est pas d’essayer de retranscrire les besoins artistiques de chacun. Dans le cas de MGS Peace Walker les éléments de création d’origine sont en haute définition semblable à ce qui existe sur les consoles du moment à partir desquels nous avons retranchés des éléments pour s’adapter aux capacité de la PSP. Nous avons pris ces contraintes comme une sorte de jeu, de challenge.

Bliss : Vous avez utilisé les traits d’une personne réelle dans le jeu (cf encadré). Y-t-il des précédents dans la série ?

Yoji Shinkawa : Ce genre de procédé a été utilisé pour la première fois avec MGS 4. Les quatre personnages féminins emblématiques du jeu connus sous le nom de Beauty and the Beast ont été conçus à partir de femmes réelles. En observant, lors d’un casting, l’évolution physique des personnages à partir des maquillages et coiffures, nous avons commencé à envisager ce procédé. Au-delà de ces cas précis notre inspiration provient de sources variées, de la culture occidentale que nous aimons beaucoup. Dans Peace Walker Cécile est le seul personnage réel.

Bliss : Les bandes-annonces et jeux MSG s’amusent beaucoup aux private jokes et lectures à plusieurs niveaux. Participez-vous à ce petit jeu ?

Yoji Shinkawa : M. Kojima est seul à l’origine de tous ces clins d’œil décalés. L’humour dans les MGS peut s’expliquer par le fait que nous sommes originaires de la région de Kansai au Japon. De la même façon que les français ont un regard particulier sur tout ce qui est artistique, la mentalité naturelle des gens aux alentours d’Ôsaka ou Kyôto a toujours été un peu plus rigolarde que celle des gens issus de la région de Tokyo. C’est peut-être une des explications de cette attention particulière à l’humour.

Bliss : Cette dérision ne manque-t-elle pas de respect à votre trait qui n’a rien à voir avec du cartoon ?

Yoji Shinkawa : Notre objectif est d’imaginer la façon dont les dessins seront animés. Je me réjouis de l’humour à partir des machines ou des personnages dessinés. Cela me paraît une évolution naturelle parce que la finalité reste le plaisir du consommateur.

Bliss : M. Kojima est devenu célèbre pour annoncer régulièrement son départ de la série. N’éprouvez-vous pas aussi de la lassitude ?

Yoji Shinkawa : Je ne connais pas la satisfaction que l’on peut ressentir à avoir accompli une œuvre dans son intégralité après y avoir mis tout ce qu’on souhaitait. Peut-être que si je suis amené un jour à prendre la direction d’un projet et que je vais au bout de mes idées j’éprouverais la sensation que M. Kojima a peut-être de temps en temps.

Bliss : En tant qu’artiste, n’aspirez-vous pas à traiter d’autres thèmes que ceux associés au jeu, militaires notamment ? On sent votre trait capable d’aller traiter d’autres thèmes…

Yoji Shinkawa : Je suis passionné par ce que je fais. Je vis comme un ordre naturel de creuser le champ lexical de tout ce qui est militaire par exemple. J’aime beaucoup les méchas, robots et voitures. Peut-être qu’un jour dans le cadre d’un projet précis je me concentrerai davantage sur ces domaines qui me tiennent à cœur.

Bliss : Comme cela devient souvent le cas au Japon, la réalisation technique de MGS pourrait-elle être confiée à des studios occidentaux sous votre supervision artistique ?

Yoji Shinkawa : La rivalité que vous évoquez entre les développeurs japonais et occidentaux se fait également au niveau de l’implication, de la persévérance, de l’authenticité de la retranscription de la vision des choses. Nous avons eu l’occasion à de nombreuses reprises d’impliquer des développeurs étrangers ou des personnes qui avaient une vision un peu différente sur MGS. Mais leur vision était différente et ne retranscrivait pas nos attentes. Si un jour MGS était amené à tomber entre les mains d’occidentaux, j’ai la conviction que ce ne serait pas un MGS à la M. Kojima.

Bliss : Qu’elle est la place de MGS au milieu des jeux d’action et de guerre maintenant que Call of Duty ou Battlefield ont pris la vedette des médias et des joueurs à l’ouest du Japon ?

Yoji Shinkawa : Pour rappel MGS est à l’origine un jeu d’infiltration. L’objectif n’est pas de sortir son arme, d’abattre des gens et d’avancer. Le concept général est sans doute plus noble et spirituel que les gens ne peuvent le comprendre ou l’assimiler. Dès le premier MGS, Liquid, le boss final, parle directement au joueur en s’adressant au héros Solid Snake. Il lui demande : « Alors, la guerre est un jeu pour toi ? C’est comme ça que tu t’amuses ? » Dans tous ces jeux je souhaiterais que les gens se posent cette question : Pourquoi tu sors ton arme ? C’est le message que nous aimerions que les joueurs méditent grâce aux jeux Metal Gear Solid.

* Dans 11 Fnac Paris/Province du 8 juin au 7 juillet 2010

Propos recueillis le 15 juin 2010 par François Bliss de la Boissière

(Publié en 2010 dans Chronic’art)

Daniel Ichbiah : « Steve Jobs est insupportable. Mais avec l’iPad, il a créé l’appareil universel »

Biographe, auteur de nombreux ouvrages sur la musique, les nouvelles technologies et le jeu vidéo, éditorialiste au mensuel SVM Mac pendant plusieurs années, Daniel Ichbiah publie une biographie express de Steve Jobs qui inaugure une nouvelle collection de petits livres didactiques vendus en kiosque faisant le tour d’un sujet en « 52mn ». L’occasion de faire le point sur le gourou d’Apple, sur les i de iPad et jeux vidéo. INTERVIEW…

Daniel Ichbiah

Bliss : Vous qualifiez le Macintosh, l’iPod ou l’iPhone de « légendes », voire même d’ »œuvres »… Ces termes ne sont-ils pas un peu forts pour des produits de consommation, des utilitaires numériques éphémères par nature, aussi brillants soient-ils ?

Daniel Ichbiah : Si on compare le tout premier Macintosh sorti en 1984 avec les micro-ordinateurs de l’époque, le Commodore 64, le TRS-80 de Tandy…, la différence d’approche était totale. D’un côté il y avait des produits fonctionnels, comme l’IBM PC bien sûr, et de l’autre un objet conçu avec un sens de l’esthétique. Je n’arrive même pas à utiliser le mot « produit ». Quand on parle avec des programmeurs du Macintosh, on voit qu’il s’est dégagé une véritable intelligence dans la façon dont les programmes communiquaient entre eux, ou même le matériel. On peut vraiment parler d’une œuvre pour l’iPod. Il a été frappant dès le départ de remarquer qu’il s’agit là d’un objet impossible à brusquer. La molette est tellement souple qu’on se sent obligé d’être doux avec. Il a un côté zen. Depuis que le Mac peut lancer Windows, on voit des gens équipés des deux machines, PC et Macintosh. Et alors que le PC est traité comme un produit sans soin particulier, le Mac en revanche est placé dans une armoire, recouvert d’une petite laine (rires). L’iPod a créé un attachement qu’il n’y a pas d’habitude sur les objets de consommation. Avec Apple Steve Jobs a réussi à créer des objets qui ressemblent à des œuvres. Pour imposer ses choix Jobs est souvent allé à contre-courant, y compris en interne. Il se bat contre les gens du marketing. Il ne réfléchit pas en produit, ou en terme de marketing ou de recherche de ce qui a marché. Il a plutôt une vision d’artiste. Jobs a eu par exemple le flair d’aller dénicher Jonathan Ive (designer responsable du look des produits Apple depuis 1996, ndr), un artiste. Quand les journalistes lui avaient demandé s’il avait fait une étude de marché au moment de lancer le Macintosh, Jobs avait répondu : « Est-ce que vous croyez que Graham Bell a fait une étude de marché avant d’inventer le téléphone ? ». Est-ce que Léonard de Vinci a fait une enquête avant de peindre la Joconde ? Les premières équipes autour du Macintosh avaient été élevées dans l’idéologie hippie des années 70. En lançant le Macintosh ils affrontaient IBM, le « Big Brother » d’alors. On le voit dans le clip de lancement du Macintosh en 1984. Steve Jobs a réussi à garder cet état d’esprit, il se bat en permanence contre son conseil d’administration. Pendant son absence de chez Apple (entre 1985 et 1997, ndr), le niveau du Macintosh a baissé. C’est quand il est revenu en 1997 qu’il y a eu l’iMac, l’iPod. Il a une position extrêmement rare, pratiquement unique, il arrive à imposer un produit avec sa personnalité, simplement parce que ça lui plait.

Bliss : Steve Jobs apparait comme un homme peu amène ayant un caractère difficile au quotidien, presque un caractériel, pourtant il séduit à chacune de ses apparitions publiques, même hyper calibrées. Comment ces deux extrêmes peuvent-ils cohabiter ?

Daniel Ichbiah : Pour comprendre cette personnalité il faut faire le parallèle avec d’autres personnalités, comme Bob Dylan ou Picasso, ou même James Cameron. Ce sont des types pour qui l’œuvre devient une fin en soi. Comme dans le film Les révoltés du Bounty, le capitaine est prêt à sacrifier la santé de son équipage pour ramener une plante de l’île. Jobs a un petit peu ce penchant. Tout devait être fait pour que l’iPhone sorte en juin 2007, tant pis si les employés ne dorment pas, etc. Il est insupportable en privé. Mais tout comme Bob Dylan, ou Picasso, apparemment aussi insupportables dans leur vie privée. Ses collaborateurs à l’époque de NeXT expliquent que sa première réaction devant un projet consiste à dire que c’est mauvais. Alors ils ont pris l’habitude de commencer par lui faire des propositions sans intérêt qu’il puisse rejeter avant de lui présenter le vrai projet. Il est insupportable mais en même temps, pour beaucoup de gens il s’agit de travailler avec une légende. Bill Gates que je connais aussi assez bien (Ichbiah en a retracé la saga dans un livre en 1995, ndr) a également ce côté insupportable. Il va voir ses développeurs pour discuter aimablement avec eux tout en étant capable de leur faire remarquer que ce qu’ils disent est stupide. Les gens sortent complètement anéantis d’une réunion avec Gates. Ou avec Steve Jobs.

Paranoïa

Bliss : Depuis quand Steve Jobs n’est-il plus vraiment accessible, qu’il évolue dans une bulle ?

Daniel Ichbiah : Depuis son retour aux commandes en 1997 je pense. Il a donné quelques interviews mais il a développé le culte du secret devenu à la mode comme chez Google. Il a une paranoïa absolue sur les produits. Même les gens d’Apple n’osent pas discuter, ils ont l’impression qu’ils peuvent sauter pour un rien. Ce culte du secret est une arme pour beaucoup de ces sociétés. Elle entretient la paranoïa chez les concurrents.

Bliss : Si l’on peut comprendre la nécessité du secret industriel pour une entreprise, en quoi est-ce nécessaire que le PDG devienne lui-même l’objet du mystère ?

Daniel Ichbiah : Steve Jobs a déjà un mode de vie très particulier, voire étrange. Il n’a pas spécialement envie de mettre le projecteur sur lui. Quand il a eu son cancer, il a voulu se soigner par une médication alimentaire. Chez lui il y a très peu de meubles. Je cite souvent Bob Dylan (et Steve Jobs aussi en illustration musicale lors de ses conférences, ndr), parce que comme lui, il en a vraiment rien à faire qu’on l’aime ou ou pas. C’est la marque de certains grands artistes. Bill Gates avait ça aussi, je l’ai vu envoyer promener sans regret des journalistes.

Bliss : Vous n’avez pas pu inclure toutes les anecdotes souhaitées dans votre mini biographie sur Steve Jobs. Quelles sont celles que vous regrettez le plus ?

Daniel Ichbiah : Un jour, lors d’un Apple Expo, Jobs arrive devant le stand Sony où il voit un lecteur MP3 en vente et il demande à ce que le produit soit immédiatement retiré de l’étalage. Il s’agit de Sony quand même (rires) ! C’est assez révélateur de son état d’esprit.

Bliss : Suite au gigantesque succès de l’iPod puis de l’iPhone, la cagnotte d’Apple commence à se rapprocher de celle de Microsoft. Steve Jobs peut-il succéder à Bill Gates à la position d’homme le plus riche du monde ?

Daniel Ichbiah :  Je ne pense pas. Les revenus de Microsoft sont alimentés par d’autres sociétés qui travaillent pour elle. Dell, Hewlett Packard, Asus, etc, vendent Windows et versent des royalties. Microsoft a un revenu automatique. C’est une théorie que je développe dans mon livre sur Google (Comment Google mangera le monde, 2007, ndr). Beaucoup de sociétés rêvent d’un revenu automatique. Les millions de PC vendus avec Windows rapportent automatiquement des milliards de dollars chaque année à Microsoft. En 1995 Apple avait commencé à autoriser la commercialisation de clones du Macintosh et vendait Mac OS X à des sociétés tierces. Mais Jobs a complètement fermé le marché des clones dès son retour chez Apple en 97. S’ils avaient continué les clones, Apple aurait sans doute pu se générer des « revenus automatiques ».

Disparition de l’ordinateur

Bliss : Lors de la présentation de l’iPad, Steve Jobs a déclaré qu’Apple était désormais une entreprise faisant des produits mobiles. Ce basculement n’a sans doute pas été prémédité mais semble désormais assumé. Quel avenir pour les gammes d’ordinateurs de bureau ?

Daniel Ichbiah : Apple conçoit encore des produits comme le Mac Mini qui sont bien pratiques. Mais la taille des ordinateurs se réduit, leur mobilité s’accroit. La mobilité touche toutes les sociétés, autant Dell, HP qu’Apple. Je pense que Jobs doit apprécier les objets mobiles parce qu’il est peu attaché aux objets en tant qu’objet. Chez lui c’est assez dépouillé. J’imagine que l’iPad est un produit qui lui ressemble bien, assez proche de sa philosophie. La réduction de taille des ordinateurs est une mutation où l’objet physique perd son importance. Peut-être même qu’un jour il n’y aura plus besoin d’un ordinateur chez soi. Je pense que tôt ou tard tous les ordinateurs pourront devenir interchangeables.

Bliss : Assez typiquement, le projet iPad semble avoir convaincu les fidèles de la marque et laissé sceptique les autres. Quel type de succès imaginez-vous pour l’iPad et, notamment, quelle utilisation pourrait devenir la plus populaire selon-vous ? Le jeu vidéo, les livres, la presse, Internet tout simplement ?

Daniel Ichbiah : J’ai plutôt vu des enquêtes où 80 % des internautes étaient prêts à en acheter un ! Je suis assez étonné des réactions anti iPad. Je pense que c’est un objet d’une intelligence incroyable. L’iPad fait d’une pierre trois coups. Il prend le marché devenu important de l’Asus PC, il prend le marché des livres électroniques comme le Kindle d’Amazon, et c’est aussi un pavé énorme dans la marre de la console DS de Nintendo. Comme vous le savez, la DS est la console la plus vendue de tous les temps. Hors, là, Apple offre un système de jeux tactiles avec un écran beaucoup plus vaste. Et quand on voit le catalogue de jeux de l’iPod qui seront forcément réadaptés à l’iPad… Je pense que Jobs a fait l’appareil universel. Tous les usages vont s’y croiser. Le livre électronique va se développer très vite. Pour beaucoup d’adultes ce sera un usage plus bureautique, l’usage de consultation du web et du mail, etc. Difficile de dire quel usage va s’imposer le plus. Les trois catégories d’utilisateurs vont se cumuler. Il est quand même possible que l’iPad devienne la console portable n°1. Nintendo va devoir se mettre à niveau, au-delà de sa DSi XL avec ses écrans légèrement plus grands.

Bliss :  Vous avez récemment publié la 4e version augmentée de votre Saga des Jeux vidéo (publiée la première fois en 1997 sous le titre plus poétique : Bâtisseurs de rêves, ndr). En quelques mots, que pensez-vous de l’évolution du jeu vidéo ? Progresse-t-il comme on aurait pu s’y attendre ou avance-t-il encore et toujours en terra incognita ?

Daniel Ichbiah :  Vaste question. Le marché est devenu beaucoup plus prévisible que dans les années 80-90. Depuis une dizaine d’années on ne voit plus tellement apparaître de nouveaux types de jeux. L’industrie fonctionne par séries désormais. Chaque année on attend le jeu de football ou les courses automobiles encore plus précis, les déclinaisons des films qui sortent. Le jeu vidéo est devenu beaucoup plus prévisible et moins aventureux qu’à l’époque où naissaient les Sim City, les Doom… Il y a encore des accidents comme Les Lapins Crétins qui étaient des minis jeux dans un jeu Rayman lancés très vite pour accompagner la Wii et qui ont fait un triomphe au point de devenir des jeux à part entière. Le projet Natal sera peut-être intéressant. Mais un jeu ce n’est pas seulement son interface, souris, manette, Wiimote, ou son corps. Il faut un contenu et c’est peut-être pour ça que la Wii arrive un peu au bout. Ce n’est pas l’interface qui fait le jeu c’est le jeu qui fait le jeu. Je ne sais pas comment cela va évoluer dans les prochaines années mais je crois que les lieux de jeux vont se développer dans la maison. La technologie va permettre d’avoir l’impression de s’immerger dans un décor à 360°, de se battre avec des aliens ou de se balader dans la jungle chez soi. On pourrait très bien avoir une pièce entière, un cube, ou une sphère dans laquelle se déplacer. Peut-être à l’horizon 20-30 ans…

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière

(Publié le 3 mars 2010 sur Electron Libre)

 


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BONUS STAGE : Entretien Stéphane Natkin… jeux vidéo, art, game design, Nietzsche, etc.

Parce qu’il s’active en amont de la création commerciale du jeu vidéo quand il dirige l’ENJMIN, une des rares écoles du jeu vidéo, ou en aval quand il organise des conférences (la prochaine dès demain 17 février) s’adressant aux universitaires où interviennent créateurs et théoriciens du jeu vidéo, Stéphane Natkin reste peu connu du public amateur de jeu vidéo. Hyper actif, auteur de plusieurs publications scientifiques et du livre Jeux et Media au XXIe siècle, son rôle pivot à mi chemin entre ceux de la création pure et ceux des institutions qu’il représente (CNAM, CNC…) lui donne forcément un regard singulier et transversal.
Il nous a accordé un long entretien en décembre 2009 publié en plusieurs épisodes ici et là, où ont été abordés les jeux transmédia, l’écosystème perfectible du jeu vidéo, et les rapports avec la classe politique. Un autre chapitre de cet entretien est actuellement lisible dans le dernier numéro du trimestriel AMUSEMENT sur le thème du cinéma et des jeux vidéo. Nous publions ici un ultime élément de cette conversation autour, cette fois, des liens troubles qu’entretiennent le jeu vidéo et l’art. Ce à quoi s’ajoutent quelques petits secrets théoriques de la création du jeu vidéo.

Stéphane Natkin

Bliss : Vous avez été responsable d’une galerie d’art contemporain pendant un moment (Galerie Natkin-Berta) où vous présentiez des travaux d’art plastique, d’art vidéo et des installations d’art numérique…

Stéphane Natkin : Oui, c’est par là que je suis arrivé au jeu vidéo. En 2001, ce n’était pas rentable, quand je n’ai plus eu d’argent, j’ai arrêté (rires).

Bliss : Les œuvres d’art contemporain faisant appel au jeu vidéo que l’on croise à Beaubourg ou ailleurs détournent certains codes du jeu vidéo mais négligent totalement le principe qualitatif même du jeu vidéo, à savoir : l’interactivité. Un jeu Doom sur grand écran à pratiquer avec ses pieds à partir d’un tapis de danse Konami, c’est drôle 2 minutes mais cela réduit le jeu vidéo au lieu de l’augmenter. Idem pour le travail d’un artiste consistant à faire tourner en boucle vidéo, donc sans interaction, les morts de Lara Croft, à partir des jeux connus, par les gamers, pour être mauvais. Cela donne l’impression que les milieux artistiques eux-mêmes ne comprennent pas l’essence du jeu vidéo et ne le saisissent qu’à partir de leur représentation la plus superficielle ou de leur détournement et non d’une manière fibreuse. Sans être détourné ni moqué, le jeu Echochrome pourrait revendiquer une place permanente au Palais de Tokyo de Paris pour représenter le jeu vidéo… Comment interprétez-vous ces deux postures ?

Stéphane Natkin : Dans le premier cas vous parlez de plasticiens qui font des œuvres d’art plastique à propos du jeu vidéo. Comme en faisait Nam June Paik à partir de l’univers de la vidéo lors de sa première période. Il s’agit donc d’art plastique, et non du jeu vidéo. D’autre part, il existe un certain nombre de jeux vidéo qui sont à mon avis des œuvres d’art. Ce ne sont pas des œuvres d’art plastique mais elles portent une esthétique qui leur est propre : l’esthétique de l’interaction, de l’expérience interactive qui est apportée aux joueurs, dans son unicité. Au moment où les codes de cette esthétique commenceront à être reconnus, il y aura une mémoire… L’identification sociale d’un art émerge quand on commence à comprendre un certain nombre de codes esthétiques, qu’il y a des commentateurs, des critiques, etc. Et, en parallèle il faut une mémoire de ces codes esthétiques. Si on dit que le cœur du jeu vidéo (ce qui n’est pas tout à fait mon point de vue) c’est le gameplay, il faudrait qu’il y ait des gens qui disent « ce gameplay là se joue se cette façon, il fait donc évoluer ceci ou cela… » Là, nous rentrerions dans l’identification du jeu vidéo lui-même, comme un média porteur d’une forme d’art. Cela n’a donc rien à voir avec un plasticien qui monte une installation utilisant des éléments de jeux vidéo. Moi je fais la séparation. J’ai vu des œuvres d’art plastique à propos du jeu vidéo qui n’étaient pas tout à fait inintéressantes mais je n’ai jamais considéré que c’était du jeu vidéo. Prenons l’exemple du groupe français « Kolkoze » qui à un moment donné a créé toute une série d’installations, un univers virtuel où les collectionneurs pouvaient reproduire l’ensemble de leur collection, leurs tableaux par exemple, dans un mode de Doom. On pouvait y faire exploser son Picasso (rires) ! Je pense qu’il va y avoir des gens qui vont produire des œuvres d’art interactives de plus en plus intéressantes. Et qui seront des œuvres d’art prennant leur essence dans ce qui constitue l’identité du jeu vidéo, c’est l’implication du joueur et l’expérience qui est apportée par le jeu. Mais c’est encore un peu tôt.

Bliss : Dans la série d’entretiens Iwata Asks que publie Nintendo en ligne, Miyamoto explique une théorie appliquée dès le premier jeu Mario, Donkey Kong en l’occurrence. À savoir qu’il suffit d’apprendre au joueur une action simple, sauter par exemple, puis, un moment plus tard, une autre action simple, grimper, et, ensuite, de lui demander de faire ces deux mêmes actions simples simultanément ! Et là, devant la soudaine difficulté, parce que le cerveau du joueur a enregistré qu’il savait faire chacune des actions, celui-ci est persuadé qu’il peut réussir le double geste. À partir de là, harponné sans le savoir, il va persister à essayer de réussir sans s’ennuyer et avec l’intime conviction que c’est à sa portée. La compulsion de continuer à jouer est ainsi créée ! Est-ce que vous enseignez des choses comme ça à l’ENJMIN ?

Stéphane Natkin : Oui, bien sûr. Il y a une théorie qu’on enseigne maintenant dans toutes les écoles de jeux vidéo, qui se nomme la théorie du flot. Elle consiste à maintenir le joueur entre un état où il s’ennuie, parce que c’est trop simple, et un état où il n’y arrive pas et se décourage parce que c’est trop compliqué. On apprend à construire un jeu à partir de ça. On prend des éléments de gameplay, idéalement, paramétrables, un ou deux degrés de difficulté par exemple. Serge Hascoët (directeur de la création chez Ubisoft, ndr) en donne un exemple simple : une balle de papier à jeter dans une corbeille dont il suffit de modifier la taille de la corbeille par rapport à la balle de papier pour rendre l’exercice plus ou moins difficile. On prend ensuite un certain nombre d’options, et on met en place des mécanismes de combinaison. On apprend alors aux gens à envoyer quelque chose, à un moment précis, comme dans Guitar Hero. Puis ensuite on les oblige à l’envoyer dans la corbeille au moment où se produit l’événement. Donc on construit un système de difficulté croissante qui fonctionne par petits paliers, pour que les gens arrivent à franchir chacune des difficultés, sans se décourager, mais en ayant la sensation que c’est grâce à eux-mêmes ! Jesper Juul est un théoricien qui a écrit une œuvre géniale sur cette notion là (professeur d’art à l’University Game Center de New York, ndr). Il est venu donner une conférence à l’ENJMIN en janvier dernier. Il a appelé cet ensemble de mécanismes « le sac des stratégies ». Il explique que, à un moment donné, on a fait apprendre au joueur un « sac de stratégies ». Il sait que quand il rencontre un gros monstre vert, un coup de poing et un coup de pied élimineront le monstre vert. Il en voit un 2e, idem, il y arrive, c’est magnifique. Et puis on lui envoie un gros monstre rose. Et là, quand il essaye le coup de pied et le coup de poing, ça ne marche plus ! Mais quelque part, on lui a fait comprendre que s’il insistait, s’il donnait un 2e coup de pied, ça va à nouveau fonctionner avec le monstre rose. Il le fait, et là, il est tout content, parce qu’il se dit, mince, qu’est-ce que je suis fort, j’ai réussi à trouver la solution. L’exemple vaut pour les jeux solos. Et l’ensemble de ce processus, moi je vous le dis, c’est un processus nietzschéen. C’est le développement d’une sensation de puissance. Parce que le joueur a la sensation d’être dans un univers libre, et que grâce à son intelligence – c’est un des mécanismes d’implication du jeu – il trouve toujours le moyen de s’en sortir, contrairement à ce qui se passe dans la vie réelle. D’où le développement d’une jouissance, d’une sensation de puissance qui est un des moteurs essentiels de la construction d’un jeu vidéo.

François Bliss de la Boissière

(Entretien publié en février 2010)
 


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Philippe Sauze : « Les politiques n’ont jamais véritablement reconnu le jeu vidéo comme quelque chose d’important. »

Le Directeur Général d’Electronic Arts France défend les nouveaux choix éditoriaux à risques de son catalogue de jeux, avoue les difficultés de réussir sur consoles Nintendo et revient, quand on lui demande, sur la critique déplacée de la norme PEGI par Nadine Morano. Les politiques passent et leur ignorance du jeu vidéo reste chronique. INTERVIEW 2/2…

Philippe Sauze

Bliss : Avec l’annonce récente de la relance de la franchise Medal of Honor qui choisit l’Afghanistan comme glissant terrain de jeu on a encore l’impression, après la nudité de The Saboteur, que l’Electronic Arts qu’on a connu plus sage lorsqu’il était leader de l’industrie se retrouve beaucoup plus provocateur depuis qu’il est en deuxième place des éditeurs derrière Activision-Blizzard. Est-ce une posture nécessaire pour se faire remarquer ?

Philippe Sauze (directeur EA France) : Mais non ! Quand on était trop propre on nous reprochait de l’être trop, quand on était n°1, on nous reprochait d’être arrogant. Quand aujourd’hui on a un soupçon de polémique qui n’est même pas forcément voulu, on nous reproche de l’être. C’est une orientation qui a d’abord été prise par le studio. Nous avons mis la série Medal of Honor en sommeil et on s’est aperçu à travers les sondages que les gamers attendaient son retour à un moment ou à un autre. Alors évidemment nous ne sommes pas inconscient. L’Afghanistan est un sujet un peu délicat dans lequel on se doit d’être très attentif. On ne veut pas mélanger les genres. On n’a pas une volonté de prises de position ou d’opinions par rapport à un conflit actuel. Premier point. Deuxième point, je voudrais revenir sur ce qui a fait la force des FPS comme Medal of Honor. Quand la série a connu le succès, la tendance du genre était plutôt la Seconde guerre mondiale. Le Call of Duty : Modern Warfare 2 d’Activision (dont l’action se déroule pendant des guerres fictionnelles contemporaines, ndr) a ouvert une nouvelle tendance. Vous savez très bien qu’on surfe aussi sur les tendances, on fait tous ça. Surf, skate, musique, tout le monde y va… Avec Medal of Honor, nous essayons de coller à la tendance. Mais nous n’avons aucune volonté de polémique derrière le jeu. On essaie juste de répondre à l’attente des joueurs avec des jeux de qualité, c’est tout.

Bliss : La Wii semble poser un problème de positionnement à pas mal d’éditeurs, comme EA avec Dead Space : Extraction, qui découvrent que les jeux dits matures ne s’y vendent pas et forcent à développer des jeux casuals spécialement dédiés aux consoles Nintendo. Blockbusters sur consoles high-tech, jeux casuals sur consoles Nintendo, social gaming en ligne…, EA peut tout piloter en parallèle et au même niveau ?

Philippe Sauze : Nous avons toujours eu une stratégie multi plateforme et il faut l’assumer. Maintenant, il faut l’optimiser. On s’est aperçu que lancer trop de produits tue le produit. Nous n’avions pas le temps, comme on dit, « d’engineer » le produit, de le « fabriquer ». On a raté le démarrage Wii au début, mais nous y sommes revenus en mai 2009 avec trois produits forts, Grand Chelem Tennis, Harry Potter et EA Sports Active. Et nous avons vu que nous étions capables de prendre des parts de marché. Cela étant dit, sur la Nintendo nous n’aurons jamais les mêmes parts de marché que sur PlayStation ou sur Xbox. Parce que la politique de Nintendo c’est d’abord de développer ses propres productions. Ce qui est normal. Si vous analysez son historique, souvenez-vous du nombre de journalistes et de distributeurs qui donnaient Nintendo pour mort depuis la Nintendo 64. Nintendo ne mourra jamais parce qu’ils s’auto suffisent. Ils ont les consoles qu’il faut, avec les jeux qu’il faut. Nintendo n’avait pas une politique d’éditeurs tiers avant la DS et la Wii comme Sony en avait développée une avec la PlayStation depuis 1995. Ce n’est effectivement pas simple de rentrer sur ce marché Nintendo très orienté Nintendo.

Bliss : Vous avez été président du SELL et vous avez travaillé à l’élaboration de la norme PEGI (classification des jeux par âges recommandés). Que pensez-vous de la critique déplacée de Nadine Morano à propos de l’utilité du PEGI et de la réaction bouillante de Jean-Claude Larue, le porte-parole des éditeurs ?

Philippe Sauze : Pendant mes trois années de présidence du SELL je peux dire que les politiques n’ont jamais véritablement reconnu le jeu vidéo comme quelque chose d’important. Il a fallu œuvrer avec les membres du conseil d’administration et Jean-Claude Larue pour faire reconnaître le monde du jeu vidéo. À partir de là, le jeu vidéo a toujours voulu être volontaire et prendre ses responsabilités. C’est quelque chose que j’ai senti dès 1995 quand j’ai rejoint cette industrie. Il y a plusieurs volontés dans le jeu vidéo. D’abord celle d’installer ce marché qui, quand même, vient de loin. Et pèse aujourd’hui en France près de 2,7 milliards d’euro, deuxième marché derrière le livre ! Ce marché là se doit d’être régulé. Et le jeu vidéo a tout de suite identifié que nous aurions un moyen d’être connu et reconnu vis à vis des pouvoirs publics avec l’installation d’un système de contrôle, d’auto contrôle qui s’appelle PEGI. Et au niveau européen nous avons eu la chance de pouvoir, ensemble, mettre en place ce système d’information aux joueurs et aux parents. La problématique c’est qu’on a installé PEGI au niveau européen, mais qu’au niveau local, national, les politiques, qui sont très loin du jeu vidéo, qui ne connaissent les jeux vidéo que par les faits divers, tirent des boulets rouges sur cette activité qui leur pose problème. Sauf que, derrière, le marché du jeu vidéo est organisé. Et ils découvrent aujourd’hui PEGI. Alors, comme dans tous les domaines, chaque gouvernement voudrait revendiquer une petite partie de chaque mesure qui est prise. Et après c’est au tour de chaque ministre qui passe… « PEGI, pas PEGI, ah mais il nous faudrait quelque chose en plus en France »… Le système d’autocontrôle PEGI a été décidé avec la conseillère européenne Viviane Reding. À partir de là, PEGI a une légitimité européenne et, de fait, une légitimité nationale. On s’est mis tous d’accord au niveau des pays européens ! Donc Nadine Morano… En plus, je ne voudrais pas faire de polémique mais franchement on a vu une photo de Nadine Morano chez elle dans un média où ses enfants jouaient avec un jeu dont nous connaissons le nom (GTA IV, ndr) qui est un jeu + 18 ans… Jean-Claude Larue a réagi de façon violente mais, sincèrement, sa réaction a été saine parce que ça fait des années que cela dure. Encore une fois. La norme PEGI est européenne, a été validée par Bruxelles. Il n’y a pas beaucoup de systèmes européens qui fonctionnent, celui-ci fonctionne sur toute l’Europe.

Bliss : Comment se présentent les rapports avec le nouveau ministre de la culture ?

Philippe Sauze : Jean-Claude Larue et Georges Fornay (PDG de Sony Computer Entertainment France et actuel président du SELL, ndr) ont rencontré Frédéric Mitterrand. Ça se présente bien mais, comme à chaque fois, il faut qu’on réexplique notre histoire.

INTERVIEW Philippe Sauze 1/2 : « On n’a pas su faire ce qu’Ubisoft a très bien fait avec Assassin’s Creed 1. »

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière

(Publié le 5 février 2010 sur Electron Libre)

 


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Philippe Sauze : « On n’a pas su faire ce qu’Ubisoft a très bien fait avec Assassin’s Creed 1. »

Alors qu’une lourde restructuration mondiale de l’éditeur américain de jeux vidéo Electronic Arts est en cours, le Directeur Général de la branche française évoque une mutation nécessaire pour mieux optimiser ses ressources. Quant aux provocations plus ou moins originales de quelques uns des derniers titres de son catalogue, Philippe Sauze les minimise. La polémique ne serait que dans le regard des médias. INTERVIEW 1/2…

Philippe Sauze

Bliss : Le lancement du jeu The Saboteur en décembre dernier s’est accompagné d’un procédé inédit consistant en un patch à télécharger gratuitement dès le jeu acheté, puis payant plus tard,… et qui dénude presque totalement les danseuses de cabaret du jeu. C’était volontaire de prendre le risque de provoquer une réaction médiatique, en plus pendant la période de Noël ?

Philippe Sauze (directeur EA France) : Electronic Arts n’a pas nécessairement la volonté d’être polémique tout le temps contrairement à certains confrères. On peut voir ça de la façon que vous évoquez, médiatique, mais nous n’avons pas du tout vu ça sous cet angle. Grâce à ce système de patch il est possible d’éviter la nudité. Pour vraiment éviter les dérapages, rassurer les parents. Nous avons plutôt voulu instaurer un système de protection original contre le piratage et de protection vis à vis de l’enfant par rapport au vice qu’il y a dans le jeu (le jeu est officiellement recommandé aux + 18 ans, ndr). En terme d’initiative commerciale nous avons trouvé intelligente cette démarche développée par le studio de création.

Bliss : Le studio Pandemic à l’origine de The Saboteur a été fermé au moment même de la sortie du jeu. N’est-ce pas un peu politiquement incorrect ?

Philippe Sauze : Parfois la date de sortie des jeux peut être choisie, et parfois pas. Là c’est effectivement tombé au moment où Pandemic fermait. Je vous laisserai juge par rapport à ça mais, comme nous l’avons annoncé, nous avons lancé une grande restructuration de l’ordre de 1500 personnes. Cette restructuration a trois objectifs. On nous a reproché dans le passé de faire trop de jeux dont la qualité n’était pas à la hauteur de certains autres éditeurs. Là, notre premier objectif consiste à faire le chemin inverse : moins de quantité, donc moins de jeux, mais plus de qualité. Cela implique de plus gros investissements sur moins de titres avec plus de potentiel. Le deuxième objectif consiste à vendre des jeux et des services en ligne. Nous voulons vraiment toucher le consommateur en direct avec les jeux en ligne. Nous allons continuer d’investir parce que ce créneau là nécessite des ressources financières importantes. Ensuite, nous allons essayer d’optimiser nos dépenses et d’améliorer notre profitabilité. Nous sommes un groupe côté en bourse et ce troisième aspect est nécessaire. Comme pour toute entreprise, cotée en bourse ou pas cotée. Ce troisième objectif, dépense et amélioration de profitabilité, a cette fois impacté toutes les divisions d’Electronic Arts. Les 1500 personnes concernent toutes les divisions, le publishing mais aussi les studios où il y a eu des réorganisations, des redéploiements d’équipes et des fermetures.

Bliss : Il y a quand même eu quelques licenciements nets, notamment au studio Pandemic justement. Et en France ?

Philippe Sauze : Nous ne sommes pas appelés à commenter ça. Je dépasse un tout petit peu mon cadre pour vous donner une position générale et vous expliquer que nous avons d’abord cherché à optimiser nos équipes et, également, nos outils. Nous avions une tendance à développer des programmes d’intelligences artificielles studio par studio. Dorénavant nos studios vont partager ces ressources. C’est nécessaire et c’est ce que font déjà nos concurrents. Nous étions un peu dispersés de ce côté là. Concernant Pandemic en particulier, nous avons étudié tous nos studios, et évalué les caractéristiques de Pandemic. Mais il n’y avait pas matière aujourd’hui à les replacer ailleurs, et certains membres de l’équipe n’avaient pas nécessairement une volonté de continuer. Je ne peux pas aller beaucoup plus loin. La restructuration n’a pas d’impact sur toute la région dont je m’occupe, c’est à dire la France, le Benelux, l’Italie, l’Espagne et le Portugal.

Bliss : Le recentrage évoqué par vous et John Riccitiello, CEO monde d’Electronic Arts, autour de jeux de « qualité » sous-entend qu’EA n’aurait pas développé de tels jeux alors qu’au contraire, depuis quelques années, les productions EA montent en qualité. Mais, en revanche, la réussite commerciale n’est pas forcément au rendez-vous. Comment expliquez-vous ça ?

Philippe Sauze : Merci de le remarquer. Nous pensons pourtant avoir été trop loin dans la nouveauté. Nous n’avions ainsi pas l’habitude de lancer autant de titres sur une période donnée. Les équipes de distribution n’ont pas le temps de marketer le produit et de le vendre correctement. Il y a maintenant des périodes cruciales dans le jeu vidéo qui se dégagent de plus en plus clairement. Quand les blockbusters arrivent en novembre, ils raflent la mise. On le voit avec Mario, avec Assassin’s Creed… Ensuite, pour connaître le succès, ces titres là demandent d’être construits d’un point de vue marketing. Désolé, le gamer n’aime peut-être pas entendre ça, une fois qu’on a la qualité du produit il faut le faire savoir à l’aide du marketing. Et je pense qu’avec Mirror’s Edge (sorti fin 2008, ndr), qui est un très bon titre qui me tient à cœur, si on fait notre autocritique, on se rend compte qu’on n’a pas su faire ce qu’Ubisoft a très bien fait avec Assassin’s Creed 1. Ils ont créé un produit de A à Z et, en parallèle, ils l’ont créé aussi dans l’univers gamer. Nous n’avons pas su faire ça.

Bliss : Vous pensez donc agir dans ce sens là ?

Philippe Sauze : Nous allons agir dans deux directions. La qualité des jeux, et le marketing. Jusqu’à présent nous avions un savoir faire marketing. On savait prendre le temps, etc, mais on n’agissait pas assez sur la qualité. John (Riccitiello, ndr) a dit, et il a raison, il faut d’abord penser à la qualité produit. Au prix où sont les jeux aujourd’hui, on ne peut plus présenter au consommateur des produits au contenu moyen. C’est pour ça que plus de 14 de nos jeux ont dépassé les 85 % sur Metacritic (agrégateur de critiques notées des jeux, films, musiques…) l’année dernière. Metacritic est devenu un véritable vecteur pour nous. Mais ça ne suffit pas. Derrière, il faut l’appui marketing. Nous allons maintenir, voire augmenter le budget de développement des jeux et, comme nous aurons moins de titres à promouvoir, ils profiteront d’un marketing plus important.

Bliss : Le rachat de la société Playfish, spécialisée en jeux sociaux en ligne, au moment de la restructuration d’EA, par exemple, semble indiquer un redéploiement de ressources vers le développement de jeux dits casuals en ligne. Vous confirmez ?

Philippe Sauze : Non pas du tout. L’acquisition de Playfish répond à notre orientation prise dans le domaine on line. Les réseaux sociaux devenant tellement importants, voir le poids aujourd’hui de Facebook, il était nécessaire d’être présent dans le réseau social gaming. Mais ça n’a rien à voir avec le reste de notre production et nos produits package goods. Je crois qu’il ne faut pas tout mélanger.

Entretien Philippe Sauze 2e partie : « Les politiques n’ont jamais véritablement reconnu le jeu vidéo comme quelque chose d’important. »

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière

(Publié le 3 février 2010 sur Electron Libre)

 


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Stéphane Natkin : « La classe politique n’a pas un point de vue uniforme sur les jeux vidéo »

Acteur, enseignant, et évangéliste aussi avisé qu’enthousiaste du jeu vidéo au sein de l’ENJMIN qu’il dirige et du CNAM où il enseigne, Stéphane Natkin évoque dans la dernière partie de notre entretien les rapports conflictuels qu’entretiennent le jeu vidéo progressant comme la technologie, à grande vitesse, et les politiques, obligés de respecter les valeurs d’hier.

3ÈME PARTIE : POLITIQUES DU PIRE OU DU MEILLEUR…

Stéphane Natkin by Bliss 03

Bliss : Malgré sa popularité grandissante dans toutes les couches de la population, le jeu vidéo continue à avoir mauvaise presse. La prétendue nocivité du jeu vidéo liée à son contenu parfois violent est-elle justifiée ?

Stéphane Natkin : Qu’est ce qui est dangereux dans le jeu vidéo ? Un ami, Gonzalo Frasca, qui est à la fois producteur et vrai théoricien du jeu, a donné une conférence à la Villette où il a commence en disant : « Je suis sûr que dans la salle beaucoup de gens pensent que le jeu vidéo est très dangereux. Alors, à votre avis, combien de gens sont morts à cause du jeu vidéo ?… 5000 ? Allez, disons que 10 000 personnes sont mortes à cause du jeu vidéo. Donc le jeu vidéo semble en effet quelque chose de très dangereux qu’il faudrait interdire aux enfants. Maintenant, prenons un autre media au hasard : le livre. Les deux grands succès de librairie : la Bible et le Coran, il faut absolument interdire aux enfants de les lire, parce que c’est une véritable catastrophe pour l’humanité ! (rires) ».

Bliss : Les politiques eux-mêmes, comme Nadine Morano dernièrement, ne ratent pas une occasion de dénoncer une pratique que visiblement ils ne comprennent pas. Cela ne gène pas votre travail au sein d’une école du jeu vidéo ?

Stéphane Natkin : Je n’ai pas une vision uniforme sur le sujet. Des politiques sont venus à l’école et nous ont soutenu, disant que c’était une très belle école. Elle a été créée par Jean-Pierre Raffarin et soutenue par Ségolène Royal. Donc, ce n’est pas une question de bord politique, mais de positionnement. Si vous avez des responsabilités à la création artistique, vous allez soutenir une école de jeux vidéo car vous savez que ceux qui vous écoutent entendront bien ça. Si vous défendez la politique familiale, vous allez faire un discours pour les associations familiales. Je ne suis pas vraiment sûr que ça corresponde dans un cas et dans l’autre aux convictions personnelles des uns et des autres. C’est un positionnement politique, c’est une nécessité de l’exercice de la politique. Quand on a commencé à faire l’école en 2003 (l’ENJMIN, inaugurée en 2005, ndr), celle-ci n’était pas considérée comme culturelle. Jean-Claude Larue (porte-parole du SELL ndr) et André-Marc Delocques-Fourcaud, alors directeur du CNBDI (Centre National de la Bande Dessinée et de l’Image qui accueille l’ENJMIN, ndr), qui soutenaient l’école, sont allés au CNC pour obtenir des aides. On leur a dit : « Allez voir le ministère de l’Industrie » (rires). Ça a changé depuis puisque le CNC a créé le fonds d’aide aux jeux vidéo.

Bliss : Il suffit alors qu’une institution donne de l’argent, ou quelques médailles, pour dire officiellement que c’est « culturel », ou considéré comme tel ?

Stéphane Natkin : Non, pas forcément, mais puisque vous avez un fonds d’aide aux jeux vidéo qui donne plusieurs millions à la création du jeu vidéo, ça veut dire que c’est considéré comme un « objet culturel », oui.

Bliss : Le discours des politiques sonne autrement pourtant. Même si, aussitôt nommé au ministère de la culture, Frédéric Mitterrand est venu faire un petit tour au festival du jeu vidéo de Paris en septembre pour jouer de la guitare, vous ne trouvez pas que les politiques désapprouvent en général le jeu vidéo ?

Stéphane Natkin : Le discours de l’ancienne ministre de la culture Christine Albanel était plutôt positif. Et je n’ai jamais entendu Mme Nathalie Kosciusko-Morizet dire quelque chose contre le jeu vidéo, au contraire. Je n’ai pas l’impression qu’il y ait un point de vue uniforme de la classe politique par rapport aux jeux vidéo. Il s’agit sans doute d’un positionnement qui doit dépendre de ce qu’on doit dire à un moment donné pour telle ou telle raison. Regardez aux États-Unis, c’est un peu la même chose. Il y a nécessité, d’une certaine façon, de considérer l’importance du jeu vidéo parce que sinon vous n’êtes pas de votre époque, pas de votre temps, vous n’attirez pas les jeunes. Et d’un autre côté vous ne pouvez pas faire quelque chose qui déplaise à l’ensemble des associations familiales qui considère qu’on pervertit cette pauvre jeunesse.

Bliss : La technologie irait donc beaucoup plus vite que l’absorption culturelle ?

Stéphane Natkin : La technologie va, en effet, bien plus vite que la capacité d’assimilation sociale. Mais la capacité de création va aussi plus vite. L’éclatement de la bulle Internet, en 2001, a été provoqué par des gens qui ont cru qu’il suffisait de mettre de l’Internet dans n’importe quel projet pour que dans les six mois tout le monde se mette à utiliser Internet. Il manquait huit années. Toutes les idées sur lesquelles on spéculait à l’époque existent bel et bien aujourd’hui et rapportent de l’argent. Ce n’était pas possible en 2001, il fallait le temps de l’assimilation sociale. Vous pouviez commencer à faire des réseaux sociaux à ce moment là, sauf qu’il fallait le temps que les gens s’y intéressent… Il y a d’un côté la vitesse de propagation de la technologie, et ensuite les politiques qui apprennent progressivement que leurs électeurs sont vraiment intéressés. Alors tout changera. En ce qui concerne le jeu vidéo, pour l’instant il faut attendre encore un peu.

Entretien Stéphane Natkin, 1ère partie : Quand le jeu vidéo devient transmédia…
Entretien Stéphane Natkin, 2e partie : Le jeu vidéo, un système de production à revoir…

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière

(Publié le 26 janvier 2010 sur Electron Libre)

 


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Stéphane Natkin : « Certains patrons français du jeu vidéo mériteraient des cours de capitalisme. »

Auteur de l’essai Jeux vidéo et médias du XXIe siècle, professeur et membre du conseil d’administration du Conservatoire national des Arts et Métiers, le directeur de l’école du jeu vidéo d’Angoulême continue de nous dresser, dans un long entretien, un panorama culturel et économique du jeu vidéo. De ses élèves de l’ENJMIN aux patrons du jeu vidéo qui mériteraient eux aussi, selon lui, quelques cours d’économie d’entreprise…

2E PARTIE : LE JEU VIDÉO, UN SYSTÈME DE PRODUCTION À REVOIR…

Stéphane Natkin by Bliss

Bliss : Les productions interactives vendues en magasin sont très conservatrices. Les mécaniques de jeu, les « raisons » d’interagir répètent des procédures déjà bien anciennes. Les prototypes créatifs, qui existent, que vous développez notamment avec vos étudiants, ne se transforment pas en produits commerciaux. Qu’est-ce qui bloque ?

Stéphane Natkin : Le mode de financement ! Il n’y a pas de production indépendante dans le jeu vidéo. Ça commence tout juste. Quelques-uns sont autoproduits. Une des raisons de l’éclatement actuel du jeu vidéo, et qui ne peut plus durer, vient du système de production bâti sur des éditeurs. La capacité de distribution en ligne est en train de faire éclater tout ça. À l’IGF de San Francisco [festival annuel du jeu vidéo indépendant, ndr], une quantité de jeux assez extraordinaires a été présentée. Quelques uns se sont vendus. Certains, tellement bien, que des éditeurs ont récupéré les équipes pour faire autre chose, comme les créateurs de Rag Doll Kung Fu devenus le studio Media Molecule à l’origine de LittleBigPlanet chez Sony. Donc ça va venir. Vous aurez peut-être, comme dans le cinéma, des productions indépendantes osées à 3 francs 6 sous, et puis vous aurez des productions comme Assassin’s Creed à 9 millions d’euros… L’un n’empêche pas l’autre.

Bliss : Les passerelles avec le monde financier, l’économie, ne font pas partie des éléments que vos étudiants apprennent dans leur cursus jeu vidéo ?

Stéphane Natkin : Ils apprennent la production, ils apprennent comment aller chercher un minimum d’argent pour créer un jeu vidéo. Mais je ne fais pas un cours sur la façon de monter une société de jeux vidéo, non. Bien entendu il y a quand même une relation entre les professionnels et nos élèves puisque dans tous nos jurys de projets à l’ENJMIN, des pros du jeu vidéo viennent observer des projets qu’ils ne verraient pas dans leurs entreprises. Ça leur donne des idées qu’ils ne développeront pas tel quel en produit commercial, mais ça leur permet de trouver des créatifs. Et puis de temps en temps certains jeux ont une chance d’être produits. Après, comment nos élèves gèrent avec leur créativité dans un univers assez standardisé, qui répond avec un minimum de risques à l’attente du marché, c’est l’histoire de tous les créateurs. Vous sortez de la Femis avec plein d’idées sur le cinéma 35 mm et puis vous êtes obligé de vous adapter.

Bliss : Le 13 janvier dernier le fondateur d’Infogrames/Atari, Bruno Bonnell, a donné une conférence à l’ENJMIN. Un entrepreneur locomotive du jeu vidéo français dans les années 1990 et 2000 mais qui a fini par avoir un comportement très dépensier à la Jean-Marie Messier jusqu’à conduire sa société au bord de la faillite et à être démissionné. Son parcours n’est pas très exemplaire d’une réussite contrairement à celui d’Yves Guillemot, qui a réussi, lui, à faire de sa société Ubisoft un acteur international majeur du jeu vidéo… Pourquoi le présenter à vos étudiants ?

Stéphane Natkin : Parce que c’est l’histoire d’un parcours assez typique, parti du jeu vidéo, avec la création d’Infogrames, jusqu’aux robots de sa société Robopolis aujourd’hui. Ne serait-ce que de ce point de vue là, c’est probablement intéressant. Je crois que les gens critiquent plutôt Bruno Bonnell parce qu’il n’a jamais laissé une place à ses créateurs [il a spolié l’auteur français Frédérick Raynal des droits de son jeu Alone in the Dark, ndr]. Il s’est trompé sur certains aspects financiers, il a probablement fait des erreurs de stratégie industrielle. Comme d’autres. Maintenant, est-ce que, en soi, c’est vraiment critiquable ? C’est une réaction très française. De toutes façons je ne forme pas des stratèges industriels, je forme des créateurs de jeux vidéo. Je ne connais aucun élève qui ait l’ambition de créer un empire. Cela étant dit, beaucoup de patrons de boîtes françaises de jeux vidéo mériteraient quelques cours de capitalisme… Sur la capitalisation d’une entreprise, comment tenir plus de six mois, même quand on n’a pas de contrats dans ce milieu là, avoir suffisamment de supports financiers derrière, une véritable politique de ressources humaines de façon à ne pas abandonner tout le monde avant de réembaucher trois semaines plus tard…

Bliss : En surface, ce fonctionnement ressemble assez au cinéma, sauf que les équipes s’assemblent pendant deux ans, au lieu de six mois pour une équipe de tournage par exemple. Il y aurait une autre méthode ?

Stéphane Natkin :  Le jeu vidéo nécessite beaucoup plus de mémoire technologique, et même de conception, que le cinéma. J’en parlais récemment à Cap-Digital, à l’exception peut-être d’Ubisoft, les petites boites ont une méconnaissance des fonctions des ressources humaines et, surtout, semblent incapable jusqu’à aujourd’hui de se regrouper vraiment. Cela viendra peut-être via le SNJV (Syndicat National du Jeu vidéo, ex APOM, ndr). Pour l’instant c’est une profession immature qui ne sait pas gérer ses ressources humaines. Un exemple qui ne me fera pas que des copains, tant pis. Lors de l’arrivée de cette génération de consoles alors appelée next gen il y a cinq ans, deux ans après la sortie de la PS2, tout le monde a su rapidement qu’un jeu qui coûtait entre 2 et 4 millions d’euros allait passer à 6 à 8 millions d’euros. Que les équipes constituées de trente à quarante personnes allaient devenir des équipes de quatre-vingt à deux cents personnes. Ce qui impliquait un changement de l’ensemble des mécaniques de financement, de production, des dispositifs techniques et la gestion des ressources… Tout le monde le savait, tout le monde l’a dit… Croyez-vous, que ce secteur là ait d’un seul coup dit : « Il faut qu’on examine l’ensemble de la mécanique, les regroupements industriels qu’il faut faire, lancer des cours de management pour les grosses équipes, etc » ? C’est à dire une anticipation sur deux ans globale à la profession ? Eh bien non, ça n’a pas eu lieu. Quelques studios vont s’en sortir malgré tout parce qu’ils ont des gens brillants, des créatifs, notamment en France. Des gens sont venus nous demander de former des programmeurs ayant trois ans d’expérience sur PlayStation 3 avant qu’elle ne sorte dans le commerce ! Je n’ai pu répondre que : « Ça, je ne sais pas faire » (rires).

Bliss : La technologie progresse tellement trop vite que ce que vous apprenez aujourd’hui, pendant deux ans, ne va pas être appliqué dans quatre ans. Ça ne serait pas la première problématique du jeu vidéo ?

Stéphane Natkin : Vous ne croyez pas que les gens d’Airbus sont en train de travailler sur la génération d’avion qui va sortir dans six ans ? Sans même parler des ressources technologiques, une équipe de vingt personnes ne se gère pas de la même manière qu’une équipe de quatre-vingt. Un studio ne s’organise pas de la même façon quand il développe simultanément trois jeux à 2 millions d’euros, ou trois à 8 millions qui font grimper la note à 24 millions d’euros. Comment est-ce qu’on transite de l’un à l’autre d’un point de vue capitalistique ?

Entretien Stéphane Natkin, 1ère partie : Quand le jeu vidéo devient transmédia…

Entretien Stéphane Natkin, 3ème partie : « La classe politique n’a pas un point de vue uniforme sur les jeux vidéo »

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière

(Publié le 23 janvier 2010 sur Electron Libre)

 


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Stéphane Natkin : « Les gens de 40 ou 50 ans qui n’utilisent pas Facebook aujourd’hui seront en rupture avec le reste de la population demain »

Directeur de l’ENJMIN, l’école de jeu vidéo d’Angoulême, professeur au Cnam, et auteur de plusieurs essais sur le jeu vidéo, Stéphane Natkin nous a accordé un long entretien autour du médium interactif, ses acquis culturels et ses mutations.

1ÈRE PARTIE : QUAND LE JEU VIDÉO DEVIENT TRANSMÉDIA…

Stéphane Natkin by Bliss 01

Bliss : Lors d’une conférence récente sur les jeux communautaires et ubiquitaires, vous avez présenté le futur du jeu vidéo en lui attribuant une qualité dite « transmédia » où le jeu devient Alternate ou Expanded Reality Games (A ou ERG). D’où vient et comment s’exprime cette évolution ?

Stéphane Natkin : Comme le dit très bien Éric Viennot (créateur précurseur avec son jeu In Memoriam exploitant dès 2003 plusieurs supports, ndr), c’est un genre de jeu qui a été développé sous diverses formes ces dernières années, qui utilise de façon complémentaire l’ordinateur, les téléphones portables, les consoles de jeu, des lieux d’exposition et éventuellement la salle de cinéma. J’ai par exemple collaboré au projet Transport Amoureux qui incitait les gens à communiquer et à participer à une création collective pendant leur trajet en tramway. Ce sont des projets qui vont de plus en plus avoir des chances d’être mis en production en faisant appel à des producteurs de cinéma, de télévision et des opérateurs. Orange Vallée a lancé un appel d’offres et Arte Cinéma travaille autour d’un Transmedia Lab. En décembre, Michel Reilhac directeur d’Arte Cinema a notamment organisé un forum de discussion sur le sujet et plus particulièrement en direction d’un cinéma cross ou transmédia.

Bliss : De la part de ces médias installés cela sonne un peu comme de la récupération. Ont-ils une compétence dans ce domaine là ?

Stéphane Natkin : Non mais ils vont les produire. Imaginez très simplement que vous créez un jeu de piste dans la ville, dans le bureau, et qu’il se déroule toutes les semaines. Ensuite le jeu se poursuit partiellement sur Internet, partiellement sur mobile, éventuellement relayé par du mobilier urbain, tout un tas de choses qui se passent dans la ville intelligente. Les gens rassemblent alors des indices, ils se filment, ils envoient tous leurs indices et documents, et à partir de ça on présente chaque semaine une émission de télévision sur l’équipe qui a gagné, celui qui a réussi telle chose. On crée une série qui est presque pré-prévue à partir des indices qui ont été rassemblés, et on fabrique un univers transmedia. On crée une communauté avec un réseau communautaire. D’ailleurs, on leur vend tous les accessoires pour qu’ils ressemblent à la communauté, on les fait se réunir au Mc Donald’s, ainsi Mc Donald’s sponsorise l’évènement.

Bliss : Est-ce que ce genre de jeu, peut-être plus accessible, risque de supplanter le jeu vidéo traditionnel ?

Stéphane Natkin : Vous n’avez jamais vu un mode de création faire disparaître les autres jusqu’à présent, n’est-ce pas ? Il s’agit là d’une voie qui a été explorée par un certain nombre de gens, et qui commence à avoir une possibilité de réalité économique pour différentes raisons. D’abord on se rend compte que c’est autour des systèmes communautaires qu’on peut développer de la communication, éventuellement de la publicité, etc. Ensuite, les gens qui font de la télévision se rendent compte qu’on la regarde de moins en moins et qu’on se tourne de plus en plus vers Internet, son téléphone mobile. Donc il va bien falloir trouver quelque chose qui va les ramener dans leur giron. Enfin, la troisième raison c’est que l’espace du jeu vidéo est actuellement trop petit… Prenez Electronic Arts, la société représente dans le monde 16 000 personnes, France Télécom c’est 120 000 personnes ! Je ne sais pas qui va avaler qui mais à un moment donné toutes ces capacité d’interaction vont fusionner…

Bliss : Vous évoquez les fusions d’entreprises telle celle d’Activision et Vivendi-Blizzard en 2007 ?

Stéphane Natkin : Oui mais des contenus aussi. Parce que nous sommes partis sur une logique qui était purement économique et financière et dont la vision technologique était tellement réductrice. Transférer un film en HD sur un téléphone portable parce que ce n’est pas difficile pour un propriétaire de contenu est une erreur. L’usage du téléphone portable et l’usage de la HD ne sont pas la même chose. Cela ne se réduit pas à ça. Il faut décliner le même univers avec des modalités différentes sur les différents supports. Il va falloir dessiner du linéaire, ou du non linéaire, disons de l’interactif, sur le type de support et le type d’usagers. Et puis à partir de là, il faut générer du contenu pour l’autre. L’ensemble de tout ça va générer une population de gens qui va rester dans l’univers créé autour de l’ensemble. Nicolas Gaume, par exemple, (fondateur en 1990 de la société Kalisto liquidée en 2002, ndr) est en train de créer avec BlackMamba un univers sur Internet qui se situe entre un jeu et un réseau social. Il y a de la 3D, c’est autour de la musique, ça intéresse les ados, ça leur permet de personnaliser des avatars, des animations, éventuellement de créer leur propre musique, la mettre sur un serveur… Voilà un jeu qui commence à ressembler à ceux que l’on retrouve sur Facebook. Mais ce n’est plus tout à fait un jeu. Plutôt un réseau communautaire qui se concentre sur un type de population qui se retrouve à la fois cible de design et cible marketing. C’est cette évolution qui est en train de se passer.

Bliss : Visiblement ces nouvelles pratiques s’étendent à tout le monde. Ça veut dire que nous sommes tous appelés, pas forcément à jouer, mais à interagir avec des nouveaux outils, des nouveaux matériaux. Est-ce juste un effet de mode ou est-ce qu’il y a vraiment une évolution de la société ?

Stéphane Natkin : Un effet de mode, non, je ne pense pas. Je ne suis pas un futurologue, mais enfin c’est certainement une tendance. Moi je suis quelqu’un de l’email, du mobile. Mes enfants utilisent le tchat, leur mode de communication n’est déjà plus le même. Dans quelques années, je serai sans doute « hors service » (rires). Dans 15 ou 20 ans toutes ces notions et pratiques seront installées. Évidemment, ça ne va pas prendre du jour au lendemain, les gens ne vont pas passer directement de la télévision purement passive à la télévision interactive, mais en une génération… Autrement dit, très vite, un tas de gens vont entrer dans ces univers, comme dans Facebook, etc., et ceux qui n’y viennent pas parce que ce n’est pas leur univers, et en France ils sont nombreux, les gens au-delà de 50 ans, même 40 ans, dont très peu y sont rentrés, quand ils seront à la retraite dans quelques années, il y aura une grande fracture avec ceux qui utilisent un réseau social comme Facebook ou ses descendants.

Bliss : Ces activités interactives se résument néanmoins souvent à du fonctionnel, on utilise les outils à des fins diverses. Où se situe l’artistique dans tout ça, celui qui existe encore dans le jeu vidéo traditionnel ?

Stéphane Natkin : Dans une partie de ces nouvelles façons de communiquer il y aura certainement, comme c’est déjà le cas dans certains jeux vidéo, un nombre de choses qu’on peut considérer comme artistiques et qui se revendiqueront comme artistiques. Je pense que quelque chose comme In Memoriam (le jeu cross média d’Éric Viennot chez Lexis Numérique, ndr) peut se revendiquer comme étant une création artistique, une autre façon de faire de la narration. Ceci dit, je suis en train de monter des formations autour de ça, mais c’est très difficile. Autant maintenant j’ai un bon corpus sur le jeu vidéo, j’ai une série de bouquins, j’ai des idées sur la façon dont on peut enseigner le game design, autant sur ces nouvelles formes d’interaction il n’y a rien encore. Comment écrire une histoire qui est complètement hachée ? Je vais devoir prendre des exemples, je vais aller chercher quelqu’un qui connaît bien les jeux de rôles pour venir raconter ça, des gens comme Éric Viennot. J’ai reçu quelqu’un qui avait fait une thèse sur les mécanismes de narration… mais on est loin de pouvoir dire simplement, par exemple, « On place la caméra comme ça… ».

Bliss : La narration à fourches multiples existe déjà depuis longtemps, dans les livres dont vous êtes le héros par exemple. Qu’est-ce qui rend un jeu transmédia innovant au-delà de ses outils de mise en place ?

Stéphane Natkin : L’innovation n’est certes pas dans l’histoire. Celle d’In Memoriam n’est pas du tout originale. Ce qui existe d’innovant se trouve dans l’esthétique et dans la relation d’engagement que vous créez. Quand vous êtes en train de jouer à In Memoriam sur votre ordinateur et que votre téléphone mobile sonne et que ça déclenche votre peur, ce n’est pas la même chose que d’être dans un cinéma et d’entendre une sonnerie… C’est l’esthétique de la relation d’engagement, pas l’esthétique des images ou du son… Un jeu qui développe une nouvelle forme d’implication du joueur.

Entretien Stéphane Natkin 2e partie : « Certains patrons français du jeu vidéo mériteraient des cours de capitalisme.  »

Entretien Stéphane Natkin 3e partie : « La classe politique n’a pas un point de vue uniforme sur les jeux vidéo  »

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière

(Publié le 2A janvier 2010 sur Electron Libre)

 


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Louisa Jackson : » VidZone a aidé les gens à célébrer la vie de Michael Jackson dans la musique »

La PlayStation 3 continue d’évoluer organiquement comme ses concurrentes en offrant régulièrement de nouveaux services. Dernier en date, l’application gratuite VidZone permet de regarder des centaines de clips musicaux en streaming à partir de la console multimédia. En tournée pédagogique, la directrice des ventes et du marketing, Louisa Jackson, fait le point sur le service VidZone et son futur proche.VidZone

Bliss : Quel succès depuis le lancement du service en juin dernier ?

Louisa Jackson (directrice des ventes et du marketing de VidZOne) : VidZone a été téléchargé par 1,31 million d’utilisateurs, dont 238 222 en France. Les gens utilisent VidZone entre 25 minutes et une heure par session. Soit, avec une moyenne de 3 à 4 minutes par vidéo, presque 140 millions de clips regardés en streaming depuis le 11 juin. Grâce au blog PlayStation dédié à VidZone nous observons que les utilisateurs de PS3 et du service sont globalement des hommes entre 18 et 40 ans. Ils réclament des clips des Foo Fighters, Pearl Jam, Muse ou Green Day, donc c’est très orienté rock. Cela étant dit, si vous regardez le Top 100, la pop est très représentée. En France dans le Top 20 on trouve Beyoncé, Britney Spears, Whitney Houston… Sur le blog, les hommes disent aussi que leur petite amie, leur femme ou leurs enfants regardent VidZone tous les week-ends sur leur PS3. Nous pensons que la population des utilisateurs de VidZone se rapproche de celle des jeux SingStar (jeux de karaoké PS2/PS3, ndr).

Bliss : Cinq clips de Michael Jackson occupent le top 10 du Hit Parade du service… Vous pensez que c’est une bonne chose ou une mauvaise qu’il truste ainsi les premières places ?

Louisa Jackson : VidZone est un service de clips vidéo musicaux à la demande qui a été lancé juste avant la disparition de Michael Jackson. Il est au service de ce que veulent voir les gamers. Nous sommes très content qu’ils puissent y sélectionner ce qu’ils souhaitent. Michael Jackson était un artiste fantastique et ses clips incroyables. Nous faisons la promotion de sa musique avant qu’il meure, et Thriller était déjà le clip le plus regardé. VidZone a aidé les gens à célébrer sa vie dans la musique mais nous avons été très prudent à ne pas exploiter sa mort. Ses clips ont été en effet beaucoup regardés les huit premières semaines. Il faut que je vérifie précisément le Top 10 correspondant à la période de la 8e à la 12e semaine (5 clips MJ dans le top 10 relevés le jour de l’interview, ndr). Michael Jackson a du succès mais aussi Lady Gaga, Eminem, les Black Eyed Peas, DJ Rascal…

Bliss : Gratuit pour l’utilisateur, sur quel business modèle s’appuie le service ?

Louisa Jackson : Nous avons un affichage de pub standard, bannières, leaderboards, MPU, ainsi que, récemment, des pre-rolls qui permettent de regarder 10 à 30 secondes d’un jeu ou d’un film en vidéo à venir avant le programme. Nous avons aussi un système de parrainage avec habillage des arrières plans des fenêtres du logiciel, de nouvelles skins. Nous avons ainsi trois niveaux de revenus que reçoivent les labels de disques, le service VidZone sur PlayStation et les éditeurs.

Bliss : Les utilisateurs de consoles de jeu n’ont pas l’habitude d’être confrontés à de la pub aussi frontalement. Vous pensez que c’est bien reçu ?

Louisa Jackson : C’est mitigé même si pour l’instant cela semble bien toléré, sans beaucoup de plaintes… Parce que c’est nouveau, nous n’avons pas encore à l’heure actuelle raffiné notre système. Nous venons tout juste d’installer les pubs en pre-rolls. À l’avenir ces messages vidéo ne se présenteront que tous les 5 ou 6 clips vidéo de façon à ne pas être trop perturbant pour l’utilisateur.

Bliss : Il y a des raccourcis dynamiques qui permettent apparemment d’aller directement au PlayStation Store à partir de VidZone…

Louisa Jackson : Cliquer sur la bannière de pub d’un éditeur pour un jeu vidéo vous conduira directement au PlayStation Store, en effet, où vous pourrez y télécharger le jeu. Depuis l’importante mise à jour du service lundi 14 septembre, les liens directs avec les stores de Guitar Hero et Rockband fonctionnent. Si vous regardez une vidéo des Foo Fighters , le raccourci vous conduit jusqu’au PS Store pour y acquérir le morceau de musique correspondant aux jeux musicaux Guitar Hero ou Rockband. Dès qu’il sera possible de télécharger des chansons pour les jeux SingStar à partir du PS Store, nous serons très heureux d’y inclure des liens.

Bliss : VidZone abrite des services pour téléphones mobiles…

Louisa Jackson : Le portail vers les téléphones mobiles ne fonctionne qu’en Grande-Bretagne et en Allemagne où les tarifs des networks de téléphonie mobile restent raisonnables pour les labels de disques. En France, en Espagne, en Italie et en Irlande, les droits trop élevés demandés par les opérateurs ne nous permettent pas de fournir des services vers les mobiles. Nous envisageons, d’ici le mois de mars, de passer par le système de paiement de la PS3 de façon à ce que les gens en France puissent commencer à télécharger du contenu VidZone vers leurs téléphones mobiles.

Bliss : VidZone diffuse ses images en définition standard (SD) sur une PlayStation 3 capable d’afficher des images de bien meilleure qualité… Des clips en haute définition (HD) sont-ils envisageables ?

Louisa Jackson : Les clips vidéo musicaux ont été originellement enregistrés en SD, il est donc difficile de les obtenir en HD. Les clips d’Elvis Presley des années 50, par exemple, ou ceux de Bill Haley and The Comets, les clips de la Motown, les Jackson Five… tous ces classiques n’ont pas été conçus en HD. Pour l’instant les plus gros fichiers diffusés en streaming sur VidZone pèsent entre 30 et 35 Mo. Ce qui est déjà un fichier important à envoyer en streaming. Et pour l’instant nous plafonnons aux limites mondiales autorisées pour le streaming.

Bliss : Avec quels labels avez-vous des accords ?

Louisa Jackson : Nous travaillons avec Universal Music, Sony Music et des milliers de labels de musique indépendants dans le monde. Nous espérons travailler avec EMI et d’autres également. Nous aimerions étendre le service pour y inclure des interviews, des documentaires sur les coulisses. Et si possible, mais ce n’est pas encore confirmé, la diffusion de concerts. Si Mika donne un concert en France, par exemple, nous pourrions diffuser des extraits en parallèle à ses clips. Nous discutons déjà à l’obtention d’exclusivités d’artistes français, clips, interviews avec Sony Music et Universal Music… Il y aura des concours pour gagner des tickets de concerts, des CD…
Notre prochaine étape importante consiste à étendre la disponibilité du service des sept pays actuels à onze nouveaux d’ici décembre. Puis les USA prochainement.

Bliss : Comment se tenir informer de l’activité du service ?

Louisa Jackson : Pour suivre l’actualité de VidZone, il faut aller sur notre blog mis à jour toutes les deux semaines environ, le jeudi. Mais quand nous avons l’exclusivité d’un clip comme le récent clip Papillon de The Editors le site est mis à jour à ce moment là. Les utilisateurs ont donc intérêt à s’y rendre régulièrement. VidZone a aussi ses flux Twitter et Facebook. En téléchargeant l’application VidZone les utilisateurs indiquent leur adresse email et nous commencerons bientôt à les informer directement chaque semaine des exclusivités.

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière

(publié le 22 septembre 2009 sur Electron Libre)

 


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Jean-Claude Larue / « Au nom des éditeurs de jeux vidéo, je vous dis que l’année ne sera pas mauvaise »

Le Délégué général et porte-parole toujours truculent du SELL, le Syndicat des éditeurs de Logiciels de Loisirs, a un message à faire passer avant d’entrainer ados et parents au Festival du Jeu Vidéo de la Porte de Versailles ce week-end : Tout va bien, le fléchissement du marché du jeu vidéo au premier semestre a d’autres symptômes que la « crise ». Avec la baisse récente du prix de vente des consoles high-tech, ce Noël devrait battre des records. Dans le jeu vidéo, la crise économique se chasserait donc d’un coup de manette magique.Jean-Claude Larue

Bliss : Hadopi 2 vient à l’instant d’être votée. Quelle est la position des éditeurs de jeux vidéo ?

Jean-Claude Larue : Vous savez aujourd’hui je suis en colère. En France on préfère faire des discours que de faire de la lutte. Nous, nous, faisons de la lutte anti piraterie. J’ai des agents assermentés, d’anciens gendarmes assermentés pour intervenir sur la piraterie « classique ». De nouvelles façons de faire de la piraterie sont intervenues dans le domaine des consoles. J’ai écrit il y a trois mois au ministère de la culture qui donne les assermentations, et je n’ai pas reçu de réponse. J’ai écrit au ministre, et je n’ai pas reçu de réponse. Alors je constate qu’on préfère faire des discours à l’Assemblée Nationale plutôt que de s’occuper de la piraterie sur le terrain. Le piratage de cartouches de jeux falsifiés s’est peut-être moins populaire que le piratage par Internet mais c’est notre réalité à nous !

Bliss : Le SELL et GFK fournissent toutes les semaines un hit parade des jeux et des consoles mais aucun chiffre de vente exact n’est jamais donné en France contrairement à d’autres pays. Cela manque, alors pourquoi ?

Jean-Claude Larue : Les chiffres se paient très cher. Le contrat entre le SELL et GFK coûtent déjà près d’un million d’euros par an. Et ces données appartiennent au secret des affaires. C’est pas rien d’avoir 2000 magasins visités régulièrement chaque semaine et d’avoir les ventes à l’unité près fournies par un grand institut international comme GFK que personne ne conteste. C’est beaucoup d’argent. On n’a pas à donner ça aux gens qui ne veulent pas payer. Quand vous regardez le top des livres on ne vous dit pas non plus le nombre d’exemplaires vendus. Toutes les semaines nous publions sur le site du SELL les 5 premiers jeux PC et consoles, dans l’ordre. On ne met simplement pas les quantités. Nous donnons en général les chiffres deux fois par an. À l’IDEF, notre salon professionnel à Cannes du mois de juin, et vers la fin de l’année.

Bliss : La crise a fini par rattraper officiellement l’industrie du jeu vidéo comme le dit, entre autres, un communiqué du SNJV (Syndicat National du Jeu Vidéo), avec une baisse nette des ventes consoles et jeux. Comment résiste la France par rapport au reste du monde ?

Jean-Claude Larue : Le SNJV représente les studios de développement de jeux vidéo. Pour nous, les éditeurs, ce n’est pas la crise. L’année dernière nous avons atteint le chiffre d’affaires historique de 3,2 milliards d’euros. Trois ou quatre ans en arrière nous faisions 1 milliard et demi. Le début d’année a été difficile pour deux raisons. Il n’y a pas eu des sorties de jeux aussi importantes que l’année dernière à la même période et nos consoles de nouvelles génération n’étaient pas au bon prix. Avec la baisse récente de la Xbox 360 Elite à 249 € et la PS3 à 299 € le bon prix est cette fois en place. Les ventes ont été multipliées par dix en une semaine en France, ont explosé au Japon et aux États-Unis. Le PDG d’Ubisoft Yves Guillemot, LA success story française, qui n’est pas un analyste extérieur à l’industrie, a dit qu’il allait revoir à la hausse ses résultats. Et moi qui vous parle au nom des éditeurs je vous dis qu’avec ce qu’on voit, l’année ne sera pas mauvaise. On va montrer pendant le Festival du jeu vidéo de ce week-end à la Porte de Versailles, que nous soutenons pour la première fois, un line up de jeux extraordinaires pour la fin de l’année. Nous allons faire une année autour de 3 milliards. C’est à dire la deuxième année historique ! Alors effectivement certains studios de jeux vidéo ont des difficultés… C’est toujours la même histoire… À sa sortie, la DS a fait un tel carton que tout le monde s’est précipité « on va faire de la DS on va faire de la DS ». Résultat : pléthore de jeux de style carnets intimes, maquillages, chevaux, poney etc. Vous savez combien il y avait de jeux de chevaux à Noël ? 13 ! Et il s’en est vendu… un et demi seulement… Et maintenant le nouvel Eldorado serait l’iPhone ? Nous verrons.

Bliss :  Le SELL est-il en contact avec Apple devenu soudainement et tardivement éditeur de jeux avec son iPhone ? Leur modèle de prix est justement en train d’exploser les habitudes du marché…

Jean-Claude Larue : Vous savez Apple joue toujours tout seul. Vous avez vu récemment les difficultés rencontrées par les responsables d’Apple en France en attente désespérée d’une réponse du siège central à Cupertino quand la société a été accusé pour les problèmes d’écrans d’iPhone. Tout ça est extrêmement centralisé. Quant aux prix, 80 % de ce qui est sur Apple est gratuit.

Bliss : Après les salons éphémères de jeux vidéo des années 90 à Paris, que représente aujourd’hui ce Festival du jeu Vidéo ?

Jean-Claude Larue :Aujourd’hui en France nous avons 20 millions de clients ! 90 % des familles avec enfants ont un système de jeux vidéo à la maison. Sans beaucoup de moyens, la société Games Fed avait commencé courageusement à organiser son salon à Montreuil les premières années. Nous avons pensé que c’était le bon moment pour démarrer un partenariat et donner les moyens à ce Festival de se développer. Nos amis allemands nous ont montré la voie en faisant venir 250 000 personnes à Cologne au mois d’août pour leur Games Convention. Il ne serait pas invraisemblable d’avoir 100 à 150 000 personnes à Paris. Je vais depuis 20 ans au salon de l’auto, ma fille de 16 ans ira au salon du jeu vidéo dans 20 ans. On va voir si on arrive à faire 60, 70 000 personnes ce week-end.

Bliss : Entre les grands jeux internationaux présentés au public sur le salon et les jeux franco-français et presque confidentiels concourants pour un Milthon awards le contraste est énorme. Comment expliquer ça ?

Jean-Claude Larue : Vous êtes en face du problème des communiqués du SNJV évoqués tout à l’heure. Je n’ai jamais été très favorable aux prix et aux récompenses. Le jeu vidéo est toujours à l’avant-garde et doit inventer des choses. C’est ça qui fait la force de notre industrie. Si on m’avait dit il y a 3 ans que j’irais cet été dans une maison pour personnes âgés pour y voir des personnes à mobilité réduite jouer à la Wii, honnêtement, je ne l’aurais pas cru. Si on m’avait dit il y a 3 ans qu’on ferait un tel chiffre d’affaires avec Guitar Hero et si je ne voyais pas à la maison ma fille de 16 ans jouer à Guitar Hero avec des copines, je ne l’aurais pas cru. Si on m’avait dit qu’il y aurait des gens de mon âge qui iraient faire de « l’Entrainement Cérébral » ou apprendre l’anglais sur DS je ne l’aurais pas cru non plus. Donc notre industrie s’appuie sur deux choses : du silicium et des écrans d’un côté, et de la créativité de l’autre. Il faudra remettre des récompenses le jour où la France sera capable aussi d’innover à cette échelle. Les grands jeux ne vont pas aux Milthon, les petits y vont, ça leur sert d’embryon de notoriété, et ça ne fait de mal à personne.

Bliss :  La vente dématérialisée de jeux importants comme les nouveaux chapitres de GTA IV ne semblent pas rencontrer le succès aussi vite que prévu. Pourquoi ?

Jean-Claude Larue : Quand une nouvelle voie se présente il y a toujours quelqu’un pour dire : « non non la diligence sera toujours plus rapide que la voiture ». Dans la musique ce sont les gens qui disent « Internet connerie, jamais, on aura toujours un support physique pour mettre dans sa bibliothèque ». Vous avez aujourd’hui monsieur Serge Eyrolles président du syndicat du livre qui dit « Google est notre ennemi »… C’est ce que j’appelle la marine à voile. Ce n’est pas très intéressant parce que, un jour, ça coulera. Par contre quand l’aviation arrive, il ne faut pas se tromper. Là, vous l’avez bien vu, on se dirige de plus en plus vers l’Internet. Nous avons de plus en plus de jeux multi-joueurs, de prolongements en ligne. Alors, oui, on y va, mais tout saborder d’un seul coup en se disant « je coule la marine à voile pour tout mettre dans les avions à réaction », ce n’est pas très malin. Il n’y a plus aujourd’hui une seule de nos plateformes qui n’ait pas de prolongement Internet comme presque tous nos jeux. Mais nous ne voulons pas tuer le modèle sur lequel nous sommes assis. Certains se battent contre le nouveau modèle. C’est la discussion à l’Assemblée Nationale aujourd’hui. Hadopi toute ! Hadopi 12 ! Vous allez voir ce que vous allez voir, la musique va remonter ! Très bien c’est formidable mais je n’y crois pas une seconde. Nous avons des magasins, spécialisés qui représentent 55-60 % des ventes. Nous vendons encore du jeu dans un emballage physique. Donc le jeu vidéo se dirige vers la dématérialisation, sans résistance, mais sans précipiter le mouvement.

Bliss : Malgré les discours des uns et des autres, les magasins continuent de mettre en démonstration des jeux interdits aux moins de 18 ans et continuent d’en vendre aux mineurs avec ou sans parents présents. Un laxisme qui entretient la mauvaise réputation du jeu vidéo. Quelles actions entreprendre ?

Jean-Claude Larue : Je suis entièrement d’accord avec vous. Nous sommes en train de travailler sur une charte éthique de la distribution. Nous avons eu déjà trois réunions et j’ai été surpris de voir l’accueil très positif de la distribution. Je pense aux chaines de magasins Micromania, Game, mais aussi Auchan. L’hyper marché reste encore une difficulté. Autant le vendeur spécialisé de Micromania et Game peut avoir le client en face, autant il est évident que la caissière de Carrefour ne peut pas faire attention. J’espère signer cette charte avec la distribution avant la fin de l’année et que vous m’interviewerez à ce sujet.

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière

(Publié le 17 septembre 2009 sur Electron Libre)

 


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Avatar, le coming out planétaire de James Cameron

Bande-annonce du film disponible sur Internet, puis 15 minutes de projection en 3D et gratuite d’extraits du film en salle ont transformé le vendredi 21 août en exceptionnelle journée Avatar. Et signé le retour public de James Cameron, le réalisateur bâtisseur de mondes qui veut toujours nous faire croire que derrière l’effondrement des machines et de la civilisation (Terminator, Abyss, Titanic) l’amour est toujours possible. Analyse et impressions à chaud, et froid.

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* Note aux passionnés : Pas de spoilers ci-dessous. Mots et impressions sont tirés de la bande-annonce du film disponible partout depuis le 21 août que l’on recommande de voir, ici, avant de lire. Le montage de 15 minutes projeté vendredi 21 août dans quelques salles Gaumont à Paris et en province, et vu avec le public invité gratuitement, est évoqué mais non décrit plan à plan. James Cameron le précise lui-même au début de ce privilégié bout à bout de quelques scènes montré d’abord au Comic-Con de San Diego, les images présentées n’appartiendraient qu’à la première moitié du film.

1ère partie : où le réalisateur de Titanic redevient une figure publique avec une bande-annonce dont les aliens/avatars du titre apparaissent plus comiques que convaincants avant de cueillir le spectateur au ventre avec une bande-son porteuse de toutes les intentions émotionnelles du voyage…

Après douze années d’attente depuis le succès planétaire de Titanic, 4 années de production et d’innovations technologiques annoncées, la première vision de la bande-annonce du méga projet en 3D et « cinéma virtuel » de James Cameron laisse circonspect et réveille les vieux démons du scepticisme avant de convaincre. Presque un cliché pour l’inventeur des mécaniques de substitution guerrière ou ouvrière d’Aliens, Abyss ou Terminator, les « méchas » (armure géante robotisée pilotée de l’intérieur par un humain) où se glissent les Marines colonialistes du scénario d’Avatar ne surprennent pas. Les corps longilignes aux aptitudes animalières, les yeux de biches et la voyante peau bleue des indigènes extraterrestres de la planète Pandora frôlent le ridicule et, surtout, ne renvoient pas au premier abord le côté sérieux-réaliste supposé être associé au projet. Les scènes d’affrontements aériens entre les hélicos militaires du 22e siècle et les montures volantes des Na’vis confirment le spectaculaire d’un film d’action sans faire naître un étonnement technique post Star Wars, Seigneur des Anneaux, ou Transformers signifiant. Syndrome inévitable de l’attente et du buzz mondialisé, orchestré ou spontané, l’image concrétisée d’aucun projet ne réussit jamais à se substituer à la page blanche de l’imagination de chacun. Néanmoins, un minimum intéressé et concerné pour y passer le temps requis, la vision répétée de cette bande-annonce de 2’09 minutes finit par laisser durablement une empreinte. Car au-delà de l’esbroufe technologique plus ou moins appréciable, Cameron cherche avant tout l’émotion. Et c’est bien elle qu’il faut guetter, oreilles au moins aussi grandes ouvertes que les yeux, dans la bande-annonce.

Voyage spirituel extérieur et intérieur

Une fois la première impression digérée, positive ou négative, face aux images, l’habile montage et le crescendo émotionnel de la sobre mais pénétrante bande son musicale tout juste bruitée, révèlent l’intimité et la puissance d’évocation recherchée par Cameron. Même si les plans objectifs du filmage ne l’indiquent pas directement, la bande-annonce se vit pratiquement en vue subjective. Réunis dans la position d’observateurs passifs, le spectateur assis derrière son écran et le Marine, héro de l’aventure coincé dans sa chaise roulante, partagent ainsi le même voyage : le trajet physique qui va du vaisseau spatial quittant la Terre à l’atterrissage sur la base militaire de la lune Pandora ; le parcours physiologique qui transforme le Marine handicapé en créature aux aptitudes physiques surhumaines quand il investi le corps d’un Na’vi, l’avatar ; et le chemin spirituel du héros qui va littéralement quitter le monde mécanique des hommes pour épouser le destin « naturaliste » des indigènes Na’vis. Dès le soulèvement de paupières du premier plan, la direction de regard est donnée. La curiosité du Marine, qui descend en chaise roulante de l’avion cargo en observant avec attention autour de lui, guide celle du spectateur. Ou, plus précisément, la qualité du regard porté sur les choses par le Marine doit instruire celle du spectateur, l’entrainer dans son émerveillement et son intensité émotionnelle. Le discret et pourtant formidable mouvement de caméra qui accompagne la découverte du Na’vi flottant dans un caisson transparent porte en lui toute la force du moment et du futur qu’il va engendrer. En glissant doucement derrière le héros dans sa chaise roulante, la caméra épouse son regard jusqu’au moment où, prolongeant le mouvement alors que lui s’arrête pour observer le Na’vi, elle redonne conscience au spectateur de sa propre présence dans son dos et anticipe sur l’expérience de décorporation, de sortie du corps, que va concrètement vivre le Marine en investissant celui du Na’vi. Acquiescement, émerveillement, tranquillité, le simple sourire du héros ponctuant cette courte séquence porte en lui le capital d’énergie positive à venir et ramène le spectateur dans le corps du héros qui dit, en souriant, oui à l’expérience. Ce sourire est forcément celui de James Cameron. Il signe le degré d’intention et de qualité  spirituelle attribuée à cette invitation au voyage.

Pulsations cardiaques partagées

Un lointain riff de guitare fait alors monter d’un cran la tension. Des battements de cœur étouffés donnent son rythme au montage et accompagnent le mystérieux transfert, vécu de l’intérieur, de l’humain au Na’vi. La respiration de la créature, digne d’un astronaute ou d’un scaphandrier fortement connotée trip intérieur et cosmique (2001, Abyss…), se joint aux battements cardiaques pour créer une poignante nouvelle dynamique rythmique. Le plan totalement subjectif qui suit, avec les deux mains du Na’vi dans l’écran, confirme au spectateur – et au gamer déjà bien habitué à cette position – l’immersion jusque là suggérée par les sons, le voyage intérieur auquel conduit le trajet intersidéral et sidérant. Un léger travelling permet de découvrir en même temps que lui sa nouvelle enveloppe, cet improbable corps géant et bleu au début maladroit avant que le Marine devenu Na’vi, du seul mot prononcé dans toute la bande-annonce, déclare avec un sourire rassurant au laborantin/spectateur inquiet et incrédule derrière sa vitre : « This is great », « C’est génial ».

« Altereted States »

La suite, extravertie, volontairement plus spectaculaire et ponctuée par une nouvelle couche rythmique contenue, enchaine sur la raison d’être du voyage : l’expérience primale de la vie de la vie du héro qui, tel le scientifique auto-expérimentateur du Altereted States de Ken Russel en 1980 ou un certain « danseur avec les loups » empathique, bascule de la lutte humaine contre la population native locale à la participation du côté autochtone à la guerre contre la colonisation humaine. Les images parlent ici le langage facilement identifiable de l’action et il faut encore vivre la magistrale pulsation de la musique pour y ressentir les intensions dramatiques qui suggèrent un au-delà des scènes de bataille. L’ébauche de baiser final entre les deux Na’vi dont on suppose que le mâle est l' »ancien » Marine humain, rappelle sans surprise mais avec pertinence que, malgré la tempête alentour, les enjeux sont émotionnels et intimes comme l’étaient ceux du couple d’Abyss ou du Titanic.

2ème partie à suivre ici : Où le projet de James Cameron engendre une promotion d’un nouveau genre

François Bliss de la Boissière

(Publié le 11 septembre 2009 sur Electron Libre)

 



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Stephan Bole : « Pour Nintendo, la notion de casual gaming est un peu has been »

Serein Nintendo face à la crise ? Lucide en tous cas, semble penser Stephan Bole, Directeur Général de Nintendo France… Les consoles Nintendo représentent avec les iPod/iPhone d’Apple un des phénomènes de consommation et de société du XXIe siècle. Les consoles DS et Wii se vendent tellement qu’elles modifient le paysage et les habitudes historiques de consommation et de production de l’industrie du jeu vidéo. Nintendo pèse lourd. Au point de ne pas craindre les autres… poids lourds, les anciens comme Sony et Microsoft, et le nouveau venu dans la cour du jeu vidéo, Apple…

Stephan Bole

Bliss : Quel bilan tirez-vous un mois après votre conférence à l’E3 ? Avez-vous réussi l’exercice délicat et attendu consistant à satisfaire gamers traditionnels et nouveau public ?

– Stephan Bole, Directeur Général de Nintendo France : Ce n’est pas à nous de le dire. Depuis 2-3 ans nous ne sommes plus dans une logique de surenchère d’annonces à l’E3. La conférence essaie de se concentrer sur ce qu’on est en mesure d’apporter au consommateur dans les semaines ou les mois qui viennent. Il y a quelques années on n’hésitait pas à présenter des produits ou des projets à l’E3 qui au final arrivaient 3 ou 4 ans plus tard, comme un Zelda. Désormais, on ne montre plus le reste de nos projets. Cela provoque un impact moindre que les conférences de Sony et Microsoft mais ce qui est intéressant c’est le feedback du marché que nous avons eu dans un 2e temps. Des analystes américains ont rejoint les distributeurs pour nous dire, 3 jours après le salon et la retombée des différents buzz de la concurrence : « Vous avez sous délivré lors de la conférence, mais au bout de 3 jours de salon, quand on a commencé à trier les titres 2009 du reste annoncé pour 2010 ou 2011, en mettant des quantités en face, on s’est retrouvé focalisé sur des produits des plateformes Nintendo ». Il n’y a pas l’ombre d’un doute, notre stratégie aujourd’hui consiste encore à élargir l’audience du jeu vidéo. Ce qui nous intéresse avant tout c’est de casser le mur entre les joueurs et les non joueurs. Quelques jeux dont nous sommes très fier en font partie : Mario Kart sur Wii et Professeur Layton sur DS qui s’adressent à des débutants comme à des core gamers. Wii Sports Resort aujourd’hui (sortie le 24 juillet), New Super Mario Bros en fin d’année, et dans une moindre mesure Wii Fit Plus, sont des jeux qui ont aussi cette ambition. La notion de casual gaming est un peu has been.

Bliss : L’éco système de l’iTunes store appliqué aux logiciels et jeux a littéralement fait exploser le nombre de jeux développés et achetés sur iPhone. Nintendo Japon ne semble pas publiquement s’en inquiéter alors que ce sont des millions de dollars dépensés en jeu qui échappent, pour une fois, à Nintendo. N’y a-t-il pas là un exemple à suivre ? Nintendo n’est-il pas en train de se faire doubler par sa droite ?

Stephan Bole : Il est clair qu’on a assisté à l’éclosion d’une nouvelle plateforme de jeux et que le modèle est un succès, et la masse des applications sur l’iTunes Store est en effet remarquable. Mais si vous posez la question à l’ensemble des éditeurs qui étaient particulièrement excités il y a un an parce qu’ils s’apercevaient qu’il suffisait de mettre des titres sur l’iTunes Store pour en vendre, ils réalisent aujourd’hui qu’il est plus difficile d’émerger sur iTunes Store que dans les linéaires d’hypermarchés qu’ils critiquaient il y a un an. Même quand les investissements marketing et la qualité des titres sont importants, ils ne suffisent plus à émerger sur l’iTunes Store. Du coup beaucoup d’éditeurs se sont intéressés à la DSi et au DSiWare. Ce sont d’ailleurs souvent les mêmes éditeurs qui avaient connus des premiers succès sur Apple au moment où le store avait été ouvert qui viennent naturellement sur DSiWare et discutent aujourd’hui avec Nintendo.

Bliss : Vous commercialisez avec le Wii Motion Plus un nouvel accessoire qui améliore le fonctionnement de la Wiimote. N’y a-t-il pas un risque de brouiller le message aux consommateurs, de laisser entendre que la Wiimote originale n’était pas au point, de diviser le marché entre jeux compatibles et non compatibles ?

Stephan Bole : On assume complètement l’évolution de notre technologie sur un secteur technologique, ça fait partie du marché. Toutes les plateformes ont proposé des évolutions au fur et à mesure. Nous, nous proposons une évolution de notre technologie de reconnaissance de mouvements qui n’était pas disponible il y a 3 ans lors de son lancement. Elle a le mérite d’être la seule disponible aujourd’hui sur le marché. Nous y travaillons depuis longtemps pour essayer de donner plus de profondeur de jeux pour les gamers comme pour le grand public, des expériences immersives et plus challenging comme le prochain Zelda dont Monsieur Miyamoto a parlé qui se jouera avec la Wii Motion Plus à l’épée ou dans les combats à l’arc (en 2010, ndr). Nous pensons que c’est un accessoire qui va apporter beaucoup au consommateur et nous sommes extrêmement agressif commercialement puisqu’on offre au consommateur le Wii Motion Plus avec Wii Sports Resort. C’est à dire que pour le prix d’un jeu normal vous avez le Wii Motion Plus gratuit (50 € le jeu avec l’accessoire, 20 € l’accessoire seul, ndr). Trois jeux compatibles sont déjà dans le commerce dont le Virtua Tennis 2009 de Sega. Et nous avons laissé la possibilité à certains éditeurs d’offrir eux-mêmes leur bundle comme Electronic Arts sur le très grand Tiger Woods PGA Tour 10 ou sur Grand Chelem Tennis. L’expérience japonaise du lancement de Wii Sports Resort nous laisse penser qu’il s’agit là de la killer application qui va faire vendre des Wii Motion Plus. Il s’est vendu 650 000 Wii Sports Resort en 3 semaines au Japon. Il s’agit du plus gros lancement sur Wii avec Mario Kart sur le marché Japonais. Et il y a un taux d’attache de 1 pour 1 entre le jeu et l’accessoire vendu à part. Donc, en gros, les gens en possession de Wii Sports Resort au Japon sont d’ores et déjà équipés de 2 Wii Motion Plus.

Bliss : Selon les observateurs, cette génération de consoles high-tech, Microsoft et Sony donc, pourrait être la dernière. Le jeu du futur proche pourrait ne nécessiter qu’une box d’accès pour jouer directement en streaming. Est-ce envisageable pour Nintendo ?

Stephan Bole : Écoutez, ce que nous avons de très gros dans les cartons sont des produits bien physiques, souvent avec des interfaces d’ailleurs. Wii Sports Resort avec le Wii Motion Plus, ce n’est pas du tout dématérialisé, Wii Fit Plus vendu avec une balance pour ceux qui ne sont pas encore équipés, Pokémon Gold et Silver qui seront vendus avec un accessoire sur Nintendo DS en 2010, non plus. De Guitar Hero à Mario Kart, toutes les meilleures ventes 2008 l’ont été avec un accessoire. Je ne vais pas faire de prospective au-delà des 2-3 ans puisque de toutes façons je ne serais pas en mesure de vous donner de scoop, mais nous pensons qu’aujourd’hui la dématérialisation offre surtout du business complémentaire au business physique. C’est une réalité pour Nintendo avec Virtual Console sur Wii qui permet de jouer à des jeux anciens disparus des linéaires et avec le développement de jeux inédits sur WiiWare et DSiWare qui permet à la création indépendante de s’exprimer.

Bliss : Nintendo connaît-il la crise ?

Stephan Bole : Nous continuons à penser que le jeu vidéo résiste plutôt bien à la crise. La DSi s’est vendue à 400 000 unités en France depuis son lancement en avril. Le total de DS et DSi en France a atteint 7,5 millions (+ de 100 millions dans le monde, ndr). Pour vous donner un ordre d’idée, la console la plus populaire avant la DS, sans compter les différentes générations de GameBoy, a été la PlayStation 2 dont le parc installé aujourd’hui doit être de 5,9 millions en France (en 9 ans de commercialisation, ndr). 7,5 millions de DS c’est énorme. Un chiffre inégalé qui reflète tout simplement l’élargissement de cible qui représente le premier driver de croissance de l’industrie depuis 3 ans maintenant. Et le fait que le jeu vidéo, notamment portable, touche tous les types de consommateurs avec un public plus féminin, plus adulte. Chaque semaine en France et dans le monde la DS reste la console la plus vendue. Et la 2e console la plus vendue chaque semaine est la Wii qui compte 3,3 millions d’unités en France (50 millions + dans le monde, ndr). Grosso modo il se vend dans le monde chaque semaine autant de Wii que de PlayStation 3 et de Xbox 360 réunies dont le parc serait respectivement de 1,4 et 1,3 millions en France d’après les derniers chiffres GFK (+ de 22 millions de PS3 dans le monde, 30 millions de Xbox 360, ndr).
On pense en revanche que nous arrivons, en ce qui concerne le hardware, à l’asymptote dans la courbe de vie de cette génération. C’est à dire que nous atteignons la 2e moitié du cycle de vie des consoles, et donc que les volumes ne vont plus forcément progresser et vont même peut-être décliner peu à peu. Mais la règle d’or sur ce marché reste le contenu, c’est lui qui tire les ventes de soft et de hard, et non l’inverse. Le lancement de Dragon Quest IX sur DS au Japon la semaine dernière est une belle histoire. En 2 jours le jeu a fait 2,3 millions d’exemplaires. Les ventes de DS/DSi sont passées de 37 000/40 000 à 160 000 uniquement grâce à Dragon Quest IX. La dynamique sur ce marché est toujours sur le soft, les killer app, ça n’a pas changé.

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière

(publié le 23 juillet 2009 sur Electron Libre)

 


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Peter Molyneux, le grand fabulateur 2/3 : « Je ne veux plus que vous pensiez en terme de bien ou de mal »

Deuxième partie de mon interview de Peter Molyneux qui veut savoir si le joueur est cruel ou gentil, pur ou corrompu, comment vous tuez si vous tuez, et si tout le monde ment ? Non parce que Dieu lui-même nous « induit en erreur dans la Bible ». Plus tellement populaire Peter Molyneux, mais Populous for ever, et tellement inimitable…

Bliss : Je suis français, pardonnez ma prochaine question. Le premier Fable a été bien reçu mais a aussi eu des critiques précises. L’une d’entre elles concerne le tout début du jeu quand le jeune héros encore gamin surprend un couple adultère en train de s’embrasser derrière un mur. S’il dénonce le mari auprès de sa femme, cela est considéré comme une bonne action et il reçoit un peu d’argent. Comment la délation, sans parler de la violation de l’intimité, peut-elle être qualifiée de bonne action ou de morale ? Comment en êtes-vous arrivé à simplifier certains comportements dans le jeu pour mettre en scène le bien et le mal ?

Peter Molyneux : Dans de nombreux cas, il ne s’agit pas de bien ou de mal. Dans Fable 2 nous ne mesurons plus directement le bien ou le mal, mais combien vous êtes cruel ou gentil, pur ou corrompu, généreux ou vénal, combien vous êtes prêt à sacrifier. Parce que, comme vous le demandez, dénoncer à l’épouse était-ce bien ou mal dans Fable 1 ?

Bliss : Vous avez décidé à l’époque pour Fable 1. Y a-t-il eu beaucoup de débats sur ces questions de choix moraux ?…

Peter Molyneux : Nous avons décidé, oui, quelqu’un devait trancher. Et chacune des questions a fait l’objet d’un long débat. Vous pourriez dire que mentir est mal mais, ce que nous appelons en Angleterre un mensonge blanc (white lie) quand vous dites un petit mensonge, est-ce mal ? Après tout, Dieu lui-même induit plusieurs fois volontairement en erreur dans la Bible, et cela passe. Alors il y a un énorme débat philosophique sur le sujet. Et encore une fois on peut éventuellement dire que dénoncer une mauvaise action de quelqu’un auprès de quelqu’un d’autre peut être une bonne action mais peu corrompue. Il existe une graduation du bien et du mal dans Fable 2 : corrompu, pur, cruel ou gentil. Ce n’est pas juste bien ou mal.

Bliss : Vous avez quand même toujours ce concept à la portrait de Dorian Gray avec un héros dont le visage porte les stigmates de ses mauvaises actions ?

Peter Molyneux : Oui, mais avec l’idée que le chien, et la façon dont le monde lui-même vous traite va changer pour refléter ce que vous êtes. Je ne veux plus que vous pensiez en termes de bien ou de mal, il s’agit de vous en tant que personne unique. Je me suis rendu compte que les gens se sont trop obsédés, comme vous, sur le bien et le mal (depuis Dungeon Keeper et Black & White, Peter Molyneux a beaucoup insisté lui-même sur le concept, NDR), donc il y a beaucoup moins de ça et davantage de « soyez vous-même » et découvrez qui vous êtes. Si vous avez envie de tenter quelque chose en jouant à Fable 2, allez-y, expérimentez. Soyez créatif. Si vous voulez vraiment être diabolique, vous devez penser diabolique. Il ne s’agit pas juste de tuer les gens, mais où vous les tuez, comment vous les tuez, qui vous voit faire, ce qui s’est passé avec ceux qui se font tuer…

Bliss : Le jeu ne risque-t-il pas ainsi de conduire à des impasses, qu’un mauvais choix bloque l’histoire ?

Peter Molyneux : Puisque vous pouvez avoir un comportement tantôt mauvais, tantôt bon, puis mauvais à nouveau, cela implique que votre personnage peut changer. Si vous arrivez au bout d’une logique vous n’y êtes pas coincé. Si vous êtes devenu vraiment diabolique, vous pouvez redevenir bon mais cela vous prendra du temps.

Bliss : Cela veut dire qu’il faudra revenir sur ses pas, physiquement à travers la carte ?

Peter Molyneux : Non non. Rappelez vous que c’est ce que vous faites dans le jeu, comment vous approchez les situations, où vous en êtes dans l’histoire qui affecte votre vie, pas où vous vous situez géographiquement dans le monde.

Bliss : Plusieurs de vos précédents projets ont été abandonnés, comme BC (Before Christ), est-il envisageable de voir un jour un documentaire sur le sujet comme Lost in La Mancha qui retrace l’arrêt du tournage du film Don Quichotte de Terry Gilliam ? Nous pourrions y voir la préparation, le travail en cours, des extraits du jeu non aboutis, etc ?

Peter Molyneux : Toutes les six semaines nous présentons déjà les carnets vidéo de développeurs (diary) de Lionhead (ici). Une caméra se balade dans les bureaux et filme les gens. Dans un de ces documentaires il y a aura des chutes de jeux.

Bliss : De tous les jeux, même les anciens ? Lesquels par exemple ? BC ?

Peter Molyneux : Oui. Vous y verrez forcément des extraits de Fable 2. BC n’est pas mort en réalité, le jeu dort. Je ne dis pas que nous le ferons mais nous pourrions un jour le dépoussiérer et le continuer.

À lire également…

Propos recueillis en octobre 2008 par François Bliss de la Boissière

(Publié en octobre 2008 sur Gameweb.fr)

 


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Peter Molyneux, le grand fabulateur 1/3 : « Pourquoi tout le monde ne joue pas ? »

Toujours créatif, Peter Molyneux compare les jeux vidéo aux films de Chuck Norris, invoque Dieu, rêve de vendre un jour 300 millions d’exemplaires d’un jeu et ne s’excuse pas de s’être excusé pour Fable 1.

Interview d’un des plus beaux et plus anciens parleurs du jeu vidéo, pas tout à fait en roue libre avec une attachée de presse en garde-à-vue, mais définitivement en tournée internationale pour la promotion du dernier projet de son studio Lionhead : Fable 2.

Bliss : Que pensez-vous du nouveau public jeu vidéo des années 2000 ? Est-ce qu’il grandit ? Rajeunit ? Est-il plus idiot ou plus intelligent ?

Peter Molyneux : Je vais vous donner un exemple de ma grande frustration avec le public. Le premier jeu que j’ai conçu s’appelait Populous, en 1989, il y a presque 20 ans, et il s’est vendu à… 4 millions d’exemplaires. 20 ans plus tard, je viens toute juste de finir Fable 2 et si le jeu se vend à 4 millions d’exemplaires, ce sera le 2e plus grand succès de la Xbox 360… En 1989, nous pensions que le jeu sur ordinateur était une nouvelle forme de loisirs, que tout le monde jouerait. Cela ne se concrétise que maintenant et je suis vraiment obsédé par cette idée : pourquoi tout le monde ne joue-t-il pas ? Pourquoi seuls les gamers devraient jouer ces jeux fantastiques ? Cela n’implique pas qu’il faille faire des jeux plus idiots ou plus simples, pour moi cela veut dire imaginer des jeux plus distrayants. Vous connaissez un acteur du nom de Chuck Norris (champion de karaté devenu acteur grâce à Bruce Lee qui le fait jouer dans La Fureur du Dragon en 1972, NDR) ? Il jouait dans des films destinés à des garçons et des hommes qui aiment les films avec des combats, des gunfights, des tueries. On les appelle des films d’action. Indiana Jones et le Temple Maudit, voilà aussi un film d’action (d’aventures dirions-nous, NDR). Un film de Chuck Norris a été vu par 3 millions de personnes alors qu’Indiana Jones a été vu par 300 millions de personnes. Jusqu’à aujourd’hui, nous avons surtout fait des jeux qui ressemblent aux films de Chuck Norris. Nous pouvons encore faire des jeux d’action et viser cette énorme audience.

Bliss : Populous était plutôt un jeu intelligent et pas « d’action » et vous en avez vendu, comme vous dites, 4 millions à l’époque. Le public d’aujourd’hui est donc moins éduqué, moins exigeant ?

Peter Molyneux : Je crois que le public d’aujourd’hui a une soif inextinguible d’être distrait comme jamais auparavant. Et nous commençons tout juste à réaliser que nous pouvons distraire une énorme audience et pas seulement les joueurs habituels.

Bliss : En 2002, lors d’une présentation de Fable 1, votre premier jeu sur console (Xbox), vous avouiez la difficulté à développer un jeu console par rapport à un jeu PC, à atteindre un certain nombre de conditions requises comme le framerate (rapidité d’affichage), l’ergonomie. Est-ce devenu plus facile pour vous et votre équipe de développer sur console maintenant ?

Peter Molyneux : Je peux vous dire que chacun des éléments de Fable 2 nous a paru impossible à concrétiser pendant que nous le faisions. Puisqu’il s’agit d’un free roaming world (monde ouvert où le décor 3D s’affiche sans temps de chargements, NDR), pour le framerate nous ne pouvions utiliser les trucs habituels des jeux plus linéaires où le héros se déplace dans un couloir au milieu d’un décor hyper détaillé que l’on peut rendre très beau parce que le joueur n’ira jamais. Le fait que dans Fable 2, vous puissiez aller où bon vous semble, le framerate a été un énoooorme problème, la vitesse du processeur, l’Intelligence Artificielle aussi… Fable 2 a été vraiment difficile à faire. Bien souvent des gens nous ont dit : « Vous n’arriverez jamais à finir Fable 2, c’est impossible ».

Bliss : Quel est le budget du jeu ?

Peter Molyneux : Si je vous disais ça, je serais probablement… tué.

Bliss : Quel est le budget marketing du jeu ?

Peter Molyneux :  (se tourne vers l’attachée de presse) Ai-je le droit de dire ça ? (l’attachée de presse suggère en riant que nous demandions avant à l’éditeur ou quelque chose comme ça, NDR).

Bliss : Le budget marketing du jeu est-il plus important que celui de la réalisation, comme il arrive avec certains films hollywoodiens ?

Peter Molyneux (et l’attachée de presse de concert) : Non, mais c’est quand même beaucoup d’argent. Quand je pense aux 10 000 euros environ du budget de développement de Populous qui représentait l’argent dont j’avais besoin pour manger et je les compare avec maintenant… Ce sont des sommes folles.

Bliss : Maintenant vous avez une équipe complète à nourrir à Lionhead, de combien de personnes ?

Peter Molyneux : Je pense que nous avons grimpé jusqu’à 150 développeurs. Ce qui pose un giiigantesque problème logistique. Garder occupées 150 personnes, en s’assurant qu’elles vont dans la bonne direction tout en restant concernés est vraiment dur.

Bliss : Il y a deux ans nous avons eu droit simultanément à 2 jeux faisant appel à des loups (Zelda : Twilight Princess et Okami), cette année nous avons deux héros avec un chien de compagnie, Fallout 3 et Fable 2 ? D’où viennent de telles coïncidences ?

Peter Molyneux : Le chien de Fable 2 n’est pas un héros, vous ne le contrôlez pas (mais il répond à quelques commandes quand même, NDR), il est juste votre compagnon, il voyage avec vous, vous n’avez pas un contrôle direct du chien. Il existe parce que nous savions faire un chien contrôlé par une IA. Je voulais vraiment que l’on s’attache à l’animal.

Bliss : On ne l’envoie pas se battre par exemple ?

Peter Molyneux : Cela dépend de vous, le joueur, de lui apprendre à se battre. Alors il se battra pour vous et pourra être blessé. Un grand nombre de personnes choisissent de ne pas le faire pour épargner le chien. Il essaiera d’effrayer des ennemis, mais si le danger approche, il reculera.

À suivre prochainement…

Propos recueillis en octobre 2008 par François Bliss de la Boissière

(Publié en octobre 2008 sur Gameweb.fr)

 


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Peter Molyneux, le grand fabulateur 3/3 : « Il fallait que je m’excuse pour Fable 1 »

Troisième et dernière partie de mon interview de l’inénarrable Peter Molyneux au moment de la sortie de Fable 2. En 2008 comme les années précédentes et comme lors de son retour en 2016, le créateur joue avec son audience, passe du black au white, du mea culpa à l’hyperbole avec une facilité déconcertante. Quoi qu’on en dise, Molyneux restera comme un maître du jeu. Et pas forcément à celui que l’on pense. 

Bliss : Revenir au développement PC ne vous a pas porté chance avec The Movies qui n’a pas eu le succès et l’attention qu’il méritait, même avec sa fonction d’enregistrement et de partage de petits films façon Web 2.0 populaire de nos jours… Qu’est-ce qui n’a pas marché ? Le public PC encore une fois a-t-il changé ?

Peter Molyneux : Je me blâme toujours. En regardant en arrière on peut émettre des critiques à l’égard de The Movies. Il y avait trop à faire dans le jeu, il fallait trop s’affairer et cela devenait frustrant. Il s’agissait de gérer un studio de cinéma mais nous aurions dû le concevoir de façon moins embrouillée, plus relax. Tout le monde cherche à faire un jeu excitant et ce n’était pas tout à fait le cas avec The Movies. Voilà ma première critique. Ma deuxième c’est, bien que le module de réalisation de films fut cool, nous aurions dû arranger plusieurs choses pour que cela soit encore plus cool : les positions de caméra, l’incorporation de davantage d’éléments du joueur…

Bliss : Suite aux pluies de critiques vous reprochant d’avoir annoncé de nombreuses fonctionnalités absentes dans Fable 1, vous avez fini par faire des excuses publiques…

Peter Molyneux : Oui !

Bliss : Y a-t-il un risque que dans quelques mois vous soyez obligé de vous excusez à nouveau pour Fable 2 ?

Peter Molyneux : Vous savez, il fallait que je m’excuse pour Fable 1. J’ai été si excité avec le jeu, j’ai commencé à parler de ses fonctionnalités avant de pouvoir les montrer et je n’ai pas dit aux gens quand les fonctionnalités en question avaient changé ou étaient différentes. Pour être honnête avec vous, c’était idiot. Quand je donne une interview, je ne parle pas à ça (il pointe l’appareil enregistreur, NDR), je vous parle à vous, et je deviens tout excité. Cela m’a pris des années avant de réaliser que les gens écoutent vraiment ce que je dis.

Bliss : Vous avez déjà été cité disant que vous ne pouviez rien dire sur votre prochain jeu sauf qu’il était « ridiculement ambitieux ». La méthode de communication Peter Molyneux ne va pas vraiment s’arrêter, n’est-ce pas ?

Peter Molyneux : Non, je suppose que non. Mais j’espère avec Fable 2 ne pas avoir évoqué une seule fonction sans être en mesure de la montrer (pendant les démonstrations jouables, les parties étaient tout de même strictement interrompues et relancées quand nous arrivions aux combats, soi-disant hyper efficaces et modulables… épées, pistolets, magies…, NDR) et je ne vous ai pas montré tout ce qu’il y a dans le jeu. Ce n’est qu’aujourd’hui, juste avant que vous ne le jouiez que je commence à parler du contenu du reste du monde (d’Albion, NDR), comment vous pouvez influencer l’histoire. Ce sont des choses que je veux que vous découvriez. Avec Fable 1, j’ai parlé du contenu bien trop tôt, de façon trop détaillée, avant que les démos soient en place. Beaucoup de gens m’ont interpellé et reproché : « C’est typiquement du Peter Molyneux ». Et je me suis dit, les gens ne vont plus jamais écouter ce que je dis, je dois être honnête, je dois écrire cette lettre (d’excuses) et je dois m’y tenir. Il y a beaucoup de pression, vous savez. Certains journalistes vous brutalisent vraiment, « dites-moi ci ou ça », « est-ce que c’est comme ci ou comme ça » et évidemment je réponds un peu. Je ne vais pas répliquer « no comment ».

Bliss : Vous faites naturellement dans l’hyperbole…

Peter Molyneux : Oui, oui, mais je vous promets, je ne dis rien de plus que ne j’ai déjà dit aux équipes de Lionhead quand nous avons commencé à travailler sur Fable 2 : « Nous allons écrire une histoire dont les gens se rappelleront pour le reste de leur vie ».

Bliss : Comment pouvez-vous espérer réaliser votre objectif et même aller plus loin après une telle phrase ?

Peter Molyneux : Au début de chaque jeu, il faut avoir une motivation et une raison de le faire. En ce qui me concerne, si je me dis : c’est mon job de réaliser un autre jeu, si je pense comme ça, alors je ne devrais probablement pas le faire. Pensez que vous allez devoir entrer dans une pièce pleine de gens pour leur dire de passer trois ans de leur vie à travailler sur le projet, comme sur Fable 2. J’avais dit pour Fable 1, je veux faire le meilleur jeu de rôle de tous les temps. Si vous n’essayez pas de réussir le meilleur jeu de tous les temps, à quoi bon ? En particulier avec les sommes d’argent que cela coûte, c’est fou. Vous savez, si je refaisais un autre jeu avec le même genre de fonctionnalités encore et encore, je devrais m’abstenir. Et les gens ne devraient pas me confier leur argent pour ça. J’ai écrit sur le tableau des bureaux de Lionhead, ça y est encore, je pourrais vous le montrer : « Nous allons concevoir une histoire formidable, pas juste une « autre histoire », quelque chose capable de modifier votre façon de penser ». Évidemment que cela sonne comme de la hype, évidemment nous n’atteindrons jamais ce « formidable » que j’imagine. Mais même si je n’arrive qu’à mi-chemin de ce quelque chose de formidable, c’est mieux que de ne pas essayer.

À lire également…

Propos recueillis en octobre 2008 par François Bliss de la Boissière

(Publié en octobre 2008 sur Gameweb.fr)

 


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OFF RECORD : « Game designer, métier de Bozo » (entretien anonyme)

Après « testeur de jeu », la 2e porte d’entrée rêvée dans l’industrie du jeu vidéo serait game designer. Celui qui imagine le jeu, « l’inventeur ». Las, un Lead Game Designer ayant fréquenté start-ups prétentieuses et stars capricieuses du jeu vidéo nous apprend que le quotidien de la création d’un jeu vidéo est loin d’être glamour.

anonymous 2

Bliss : Un game designer peut-il être qualifié d’auteur d’un jeu ?

Game designer anonyme : Fuck no. Plus encore que dans n’importe quelle autre branche de l’entertainment, le jeu vidéo est le résultat d’un effort commun. C’est une équipe qui bosse pendant des mois, voire des années ensemble. « Nous » sommes les auteurs, il n’y a pas de « je ». On a bien sûr des créateurs de jeu vedettes comme Will Wright, Hideo Kojima, David Cage, Peter Molyneux qui sont en quelque sorte des über game designers. Ils incarnent l’âme d’un projet. Mais leurs jeux ne prendraient pas forme sans une batterie de game designers pour formaliser leur vision, des programmeurs de génie pour la rendre palpable du bout d’un pad, et des artistes fous pour l’habiller.
Un simple game designer n’est pas un auteur, loin de là. C’est un ouvrier spécialisé, il exécute les ordres et prend des micros décisions au sein de l’espace créatif que son supérieur a déterminé pour lui. On n’est pas dans le Showbizness, on travaille dans des bureaux tous ensemble plus de 250 jours par an, ce n’est pas hyper sexy ni très fun en fait.

Bliss : Le rôle du game designer est-il clairement défini par rapport aux autres membres de l’équipe ?

Game designer anonyme : Bien sûr. Le game designer c’est le chieur qui vient casser les pieds sur ce qui semble être un détail et qui pour lui est un truc dont sa vie dépend. Celui qui vient voir le programmeur après qu’il ait passé des jours à monter une feature délicate pour annoncer que finalement il veut autre chose et qu’il faut tout reprendre à zéro. C’est le mec qui bassine avec sa philosophie de design sous-jacente associée à des AFM (Acronymes Fumeux de Merde) ; le même qui n’a plus grand-chose à faire quand les autres sont en crunch-de-la-mort-parce-qu’ils-doivent-livrer-le-master-gold-à-la-fin-de-la-semaine. Au pluriel, les game designers, c’est la bande de gars qui fait le plus de bruit dans un bureau, qui rigolent le plus fort et se livrent à des joutes verbales incessantes et ultra violentes. Les mêmes qui passent des heures à jouer aux derniers jeux sortis sous couvert de faire de la « veille techno ». C’est en Game Design qu’on trouve les plus grands tarés, les égos les plus difficiles à gérer, en général ce sont des control freaks avec une tendance à aborder tout sujet de design de manière anale.

Bliss : Vous avez été game designer au sein de plusieurs studios de taille et d’ambitions différentes, avez-vous eu l’impression de faire le même travail à chaque fois ?

Game designer anonyme : À peu près oui. Le travail du game designer au quotidien est d’avantage lié au projet qu’au studio. Si je bosse sur un jeu avec une forte composante aventure, je vais passer les ¾ de mon temps sur le scénario, les dialogues et les énigmes. Tout ce qui est User Interface et Gameplay passe au second plan. Si je bosse sur un platformer, je vais me focaliser sur le contrôle du perso et mettre en place les « briques de gameplay » qui feront office de notes de musiques que les level designers déploieront sur leur partition / niveau. Si je suis sur un actioner, je vais passer le plus clair de mon temps sur les capacités de combat du personnage, de celles des ennemis et des comportements associés, ce en étroite collaboration avec les programmeurs gameplay et les animateurs.
Plus sérieusement, le rôle du game designer dépend surtout de sa place dans le chain of command. Le Game Director va superviser le contenu de jeu de manière transversale, le lead va manager l’emploi du temps de l’équipe, s’assurer que la documentation est à jour et passer des heures en meeting avec les leads des autres départements. Ensuite il y a les game designers couteaux suisses qui d’une semaine à l’autre vont être placés sur des sujets divers (UI, controls, gameplay feature X, besoin outils, etc.). Et puis t’as les game designers spécialistes d’un sujet (combats, puzzles, etc) qui passent d’une prod à l’autre…
Idéalement, le game designer est reconnu comme le médiateur entre programmeurs et artistes. C’est celui dont le travail existe à travers celui des autres. Donc pour les autres, il est celui qui ne sert à rien…

Bliss : Pas de problèmes d’égo entre ces créatifs ?

Game designer anonyme : Il y a trop de game designers qui se croient dans Top Gun. Il faut composer avec des Ice et des Maverick qui ne sont d’ailleurs pas les Top Guns qu’ils imaginent. Le game design, particulièrement en phases concept et préprod, mène à des batailles d’opinions incessantes. D’autant plus épuisantes si le chef d’équipe, « le lead », est incapable de prendre du recul et s’enflamme comme ses hommes. Ma plus belle expérience de game design a eu lieu en binôme avec une jeune femme. Notre relation de travail était dépourvue d’animosité, ou de testostérone, et ça c’est inestimable et rare.

Bliss : Vous avez exercé dans des studios dirigés par des statures du jeu vidéo et des studios plus débutants… Quelle différence au quotidien ?

Game designer anonyme : Il faut plus que des vedettes du jeu vidéo et du pognon pour faire exister un studio. J’ai travaillé dans plusieurs start-ups qui étaient « équipées » de vedettes créatives, pleines aux as, et dirigées par des personnalités venant d’industries plus prestigieuses et adultes que celles du jeu vidéo. À chaque fois, on commence à bâtir des rêves sur de belles intentions. Puis les ressources humaines sont limitées et on peine à recruter des pointures qui apporteraient un savoir faire évitant de réinventer la roue. Bien que parfois excentriques, les gens à la tête de ces studios start-ups ne sont pas des idéalistes. Ils ne souhaitent pas produire les meilleurs jeux du monde, même si bien évidemment ils affirment le contraire. Non, ils cherchent le moyen de faire de l’argent le plus rapidement possible. Il en résulte, malgré la présence de créateurs vedettes expérimentés, une politique éditoriale de type « girouette », drivée par les remarques du dernier client potentiel. Ce problème d’identité et cette absence de savoir faire (pas encore de jeu publié) fait qu’à chaque fois la direction clame que ses équipes sont capables de produire n’importe quel type de jeu dans n’importe quel genre. Ce qui fait que l’on passe pour des bozos… Et que les premiers jeux sont des jeux de bozos. Lorsqu’ils aboutissent…
En opposition, dans les studios tenus par des idéalistes qui ont réussi à sortir au moins deux ou trois jeux, la direction est beaucoup plus claire, la perception de ce qu’est le studio aussi. Et là il y a un éditeur derrière, des équipes rodées et soudées en mesure de se concentrer en toute sérénité sur le boulot au quotidien.

Bliss : La collaboration est-elle vraiment possible avec des vedettes du jeu vidéo ?

Game designer anonyme : J’ai directement travaillé avec deux d’entre elles et ce fut deux expériences radicalement différentes. Une « légende » qui n’avait pas terminé de projet depuis un certain temps. Très ouvert sur le plan professionnel et amical, il m’a appris énormément. Son sens du jeu, son instinct était extraordinaire. Nous avons monté ensemble des projets réellement chouettes. Puis sa relation avec le studio s’est durcie, il a perdu sa garde rapprochée et s’est retrouvé seul face aux gars du patron. Là, il a amorcé un repli sur lui-même. Nous n’arrivions plus à « fermer des sujets », à trancher pour produire, et il avait des exigences de plus en plus extravagantes et irréalistes. Le dialogue entre nous s’est délité et on a fini par s’engueuler.
L’autre est à la fois patron de son entreprise et directeur créatif. Autant dire que sa société est son royaume, et ses jeux, ses batailles. Il a plié le jeu vidéo à son imaginaire, à ses envies et à ses capacités. Cela fait de lui un créatif extraordinaire. Mais alors quel égomaniaque ! Je ne rentrerai pas dans le détail mais disons que si en tant que game designer vous n’avez pas en plus une compétence de technicien, de manager ou un MBA en léchage de cul, votre espérance de vie dans son royaume est de trois à douze mois. Ensuite, il explique gentiment que son jeu, il va le faire tout seul parce que c’est comme ça qu’il se sent le plus à l’aise.

Bliss : Quelles sont les erreurs commises par un jeune studio ?

Game designer anonyme : Comme évoqué tout à l’heure. La girouette attitude est très dommageable. Ensuite viennent le mensonge et l’arrogance. Le mensonge c’est par exemple d’affirmer à un éditeur de renommée mondiale en passage dans les locaux pour un audit que dans le bâtiment, là en face, il y a 200 employés qui bossent sur un jeu top secret classified financé par l’armée. Bâtiment dans lequel malheureusement on ne peut se rendre car on ne peut déroger aux clauses de confidentialités et qui, naturellement, n’appartient pas du tout à la société. Ou alors, face aux huiles d’un des cinq premiers éditeurs mondiaux, clamer que le jeu présenté par nos soins a été élu meilleure démo de l’E3 précédent, sans bien évidemment qu’aucun des invités n’en ai jamais entendu parler… L’arrogance c’est être à deux doigts de vendre un projet à THE publisher japonais et, à une question cruciale par mail concernant le cœur de l’expérience de jeu, lui répondre : « Nous savons ce que nous faisons, votre question touche à une simple affaire de réglages, nous verrons cela en production… ». Evidemment face à une telle réponse de charlot, les gars laissent tomber et tu n’entends plus jamais parler d’eux. Il y a des dizaines d’anecdotes comme ça mais rien que d’y repenser j’ai à nouveau envie de vomir.

Propos recueillis en 2008 par François Bliss de la Boissière

(Publié en 2008 dans Amusement #2)

(Note : si l’anonyme en question passe par cette page et souhaite que l’on réintroduise son nom, qu’il fasse signe, il y a sans doute prescription…)

 


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OFF RECORD : Avec ou sans bug ? (entretien développeur anonyme)

Sous promesse d’anonymat, un développeur francophone nous révèle les coulisses de la fabrication d’un jeu vidéo. Si le folklore et la désorganisation étaient de mise il y a encore une petite dizaine d’années, l’avènement des jeux blockbusters à gros budget a obligé les équipes de développement à se structurer. Horaires de fous, commandes intenables, le pire semble derrière eux.

Anonymous (DR)

Bliss : Quelle est votre fonction exacte ?

Développeur anonyme  : Je suis programmeur de jeux vidéo pour un gros studio… Si je donne plus de précision, comme la liste de jeux sur lesquels j’ai travaillé, mes collègues vont vite deviner de qui il s’agit. Je peux vous dire que je travaille sur des moyennes et des grosses productions depuis pas mal d’années.

Bliss : Justement, le mode de fonctionnement a changé dans la façon de réaliser un jeu ? Il parait qu’on travaille beaucoup dans le jeu vidéo, qu’on frôle l’esclavage volontaire…

Développeur anonyme  : Les choses vont quand même nettement mieux qu’avant, les équipes se sont vraiment professionnalisées. Les plannings sont devenus beaucoup plus réalistes et réalisables sans avoir recours à des horaires monstrueux. Ce n’était pas (mais alors vraiment pas) le cas il y a encore quelques années. À la fin des années 90, par exemple, nous étions amenés à faire des portages de jeux PC sur consoles (PlayStation, Dreamcast et même PS2) en quelques mois. Cela nous obligeait à faire des heures supplémentaires de dingue. J’ai connu plusieurs projets où on travaillait plus de 14H par jour, tous les jours, samedi compris, souvent même le dimanche et ce, pendant plusieurs mois ! Ces 3-4 dernières années, l’expérience aidant, tout s’est énormément structuré, et vraiment en bien ! C’était obligatoire pour passer de projets à 30 personnes à des projets qui vont jusqu’à 100/150. Sur des grosses productions récentes, j’ai à peine travaillé quelques samedis, c’est dire si cela s’est amélioré !

Bliss : Le « crunch mode » existe vraiment ? C’est aussi horrible que le dit la légende ?

Développeur anonyme  : Oui ça existe. Généralement juste avant la sortie du jeu (pendant les semaines de debug final). Horrible ? Oui et non. On fait évidemment beaucoup d’heures supplémentaires durant ces quelques semaines de finalisation du jeu. On est débordé par les bugs à corriger, on tente d’en éliminer un maximum… On finit tard le soir, on bosse les samedis, on mange des pizzas à son bureau pendant qu’on continue de debugger… Mais quelques semaines de crunch sur un projet de deux ans ou plus, c’est tout à fait acceptable, même si sur le moment, c’est effectivement un peu dur.

Bliss : Les salaires sont-ils proportionnés aux budgets des jeux sur lesquels vous travaillez ?

Développeur anonyme  : Clairement : Non ! Le salaire dépend de la fonction, de l’ancienneté et éventuellement de la performance. Mais aucun lien avec le budget. On peut compter parfois sur un petit intéressement et quelques primes. Pas de quoi rouler en Ferrari (Certains développeurs à succès américains – David Perry, John Carmack – roulent ouvertement en Ferrari, ndr).

Bliss : À quelques rares exceptions, les gens qui travaillent sur les jeux vidéo sont peu connus, pourquoi ?

Développeur anonyme  : Tout comme au cinéma : on ne connait bien souvent que le réalisateur. L’éclairagiste, le caméraman, le preneur de son, pratiquement tout le monde s’en fiche. Dans le jeu vidéo, certains ont la communication plus « facile » que d’autres, autant que ça serve.

Bliss : N’y a-t-il pas des tensions-compétitions entre les équipes, parfois internationnales, travaillant sur un même jeu ? Certaines équipes ne cherchent-elles pas à tirer la couverture à elles au détriment des autres ?

Développeur anonyme  : Très honnêtement, pas tant que ça. Ça arrive bien sûr, mais c’est relativement rare. Et j’ajouterai que les programmeurs sont plutôt les mieux lotis en fait. Il y a beaucoup moins de mécontentement chez nous que chez les game designers, level designers, ou même graphistes, par exemple. Nous sommes moins au cœur de la conception des jeux qu’eux. Et puis, en travaillant principalement sur des jeux à gros budget on a moins à se plaindre.

Bliss : On entend dire que la réalisation de démos jouables pour tel ou tel salon ou pour téléchargement (PC, XBL, PSN…) peut coûter très cher en temps, ressource, budget ? Qu’en est-il ?

Développeur anonyme  : La réalisation d’une démo jouable impose de terminer (par exemple) un niveau en entier et de le debugger et de finaliser beaucoup de choses… Ça occasionne souvent une petite période de crunch avant le vrai crunch. Généralement, ça n’est pas une perte puisque le niveau terminé se retrouve de toute façon dans le jeu final, et les bugs corrigés à cette occasion ne seront (en principe) plus à corriger. Il y a bien évidemment des petits développements annexes qui ne servent qu’à la démo, mais ça reste assez limité.

Bliss :  Quand la version dite « preview » d’un jeu est mal reçue par la critique, cela change-t-il quelque chose au développement ?

Développeur anonyme  : Tout dépend de la date de la preview. La plupart étant faites quelques semaines avant la sortie du jeu elles sont bien souvent publiées alors que le jeu est déjà presque debuggé voire même en train d’être pressé. Donc évidemment, toute critique, même juste, passe forcement à la trappe (à moins d’un patch). On fait tout pour anticiper les éventuelles critiques, et souvent, au moment de la preview, certains de ces problèmes sont déjà corrigés parce que les phases de debugging continuent en interne alors même que la preview est en circulation.

Bliss :  Qui décide quand un jeu est terminé et qu’il est prêt à sortir dans le commerce ? Le réalisateur du jeu ? L’éditeur ? Le service marketing ?

Développeur anonyme  : C’est un tout. On tente de valider le plus tôt possible le cœur du jeu en lui-même. Si celui-ci ne tient pas la route, hors de question de le sortir. Beaucoup de tests sont effectués. On fait, par exemple, régulièrement tester le jeu à des panels de consommateurs, en les questionnant ensuite sur leurs impressions, etc. Une date de sortie est fixée. Mais si quelques mois avant la fin du projet on se rend compte qu’on ne pourra jamais finir à temps sans dégrader la qualité, on repousse la date de sortie ou on augmente la taille de l’équipe.

Bliss : Comment de très grosses productions développées pendant plusieurs années sortent dans le commerce avec visiblement des bugs ou des éléments non terminés ?

Développeur anonyme  : La raison est assez simple : le manque de temps. Les dates de sortie sont fixées assez longtemps à l’avance pour diverses raisons logistiques. Il faut réserver une période pour la fabrication des jeux, pour la mise en place dans les magasins, les publicités qui doivent accompagner la sortie et qui perdraient énormément en efficacité si elles passaient alors que le jeu n’est pas sorti. Tout cela fait que l’on est forcé de corriger les bugs par ordre d’importance. Comme au cinéma : une faute de raccord (un verre vide, puis plein dans le plan juste après) on la laisse passer ; une scène qu’on ne peut pas terminer à temps ou parce qu’on n’a pas le budget : on la coupe au montage (pareil pour certains niveaux dans un jeu, il n’est pas rare d’en supprimer un en cours de production pour des questions de temps, ou de faisabilité). Le but étant de ne laisser que des bugs mineurs (un personnage qui ne réagit pas une fois sur cent, une texture qui clignote, un objet qui disparait un peu trop vite, un petit bug sonore) et/ou qui ne seront rencontrés que très très rarement. Évidemment, s’il reste des bugs importants, hors de question de sortir le jeu car cela nuirait trop à la réputation du jeu et de ses développeurs. Il s’agit alors de trouver le bon compromis sur ce qui est acceptable ou non.

Bliss : Malgré les efforts évoqués, il y a quand même de grosses productions qui sortent avec des défauts techniques. La faute à qui ?

Développeur anonyme  : Tout dépend de la volonté de l’éditeur. Sortir un jeu bancal et buggé est quand même très risqué. C’est bien pour cela que beaucoup de jeux sont repoussés : pour s’assurer d’un bon niveau de qualité.
Malgré tout, avec une date de sortie imposée par les engagements pris avec le marketing, certains développeurs n’hésitent pas à sortir le jeu quand même, en s’attaquant à un patch correctif avant même la sortie du jeu. Alors oui, quelque part c’est dommage, mais c’est comme ça, du moins pour les grosses productions. Ceci dit, il arrive aussi que des bugs inédits apparaissent une fois le jeu sorti car, et c’est logique, même une équipe de 100 testeurs ne peut rivaliser avec des dizaines de milliers de joueurs. Et bien souvent, même si un nombre très restreint de personnes relève un bug, avec Internet, ça prend des proportions assez importantes.

Propos recueillis en 2008 par François Bliss de la Boissière

(Publié en 2008 dans Amusement #1)

(Note : si l’anonyme en question passe par cette page et souhaite que l’on réintroduise son nom, qu’il fasse signe, il doit y avoir prescription…)

 


Message aux lecteurs. Vous avez apprécié cet article, il vous a distrait un moment ou aidé dans vos recherches ? Merci de contribuer en € ou centimes de temps en temps : Paypal mais aussi en CB/Visa avec ce même bouton jaune sécurisé


Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n
‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.


Van Ling interview HD : DVD producer pour James Cameron et Star Wars

En 2007, j’ai demandé à trois producteurs stars de DVD ce qu’ils pensent de la HD, est-elle tout bonus ?
Van Ling, concepteur d’effets spéciaux, proche collaborateur de James Cameron a conçu les DVD de Titanic, The Abyss, Starhip Troopers, Star Wars Trilogy… Excusez du peu !

Version originale anglaise complète ci-dessous après la VF éditée pour publication…

Version française éditée pour publication papier…

Bliss : Quel est le premier film/DVD sur lequel vous travaillez avec un format HD ?

Van Ling : J’ai travaillé sur 9 Blu-ray l’année dernière, y compris Terminator 2, mon premier. S’agissant de disques contenant seulement le film, ils m’ont donné l’occasion d’apprendre ce qui marche ou pas. Je suis actuellement sur le Blu-ray d’Independance Day et nous expérimentons des idées utilisant la programmation Java sur Blu-ray.

Bliss : Avez-vous une approche différente pour les bonus selon les formats HD DVD et Blu-ray ?

Van Ling : Entre la SD et la HD, surtout. Les objectifs sont les mêmes mais il y a plein de choses à réapprendre et beaucoup plus de problèmes de programmation, surtout pour la navigation dans les menus.

Bliss : Si l’un de vos précédents DVD ressort en HD, y travaillerez-vous ?

Van Ling : Oui parce que je sais déjà ce qui a été fait et que j’ai une bonne idée comment le surpasser. Il faudrait pouvoir inclure ce qui a été fait sur DVD et ensuite créer des choses inédites qui tiennent compte des nouvelles possibilités.

Bliss : Comment allez vous effectuer la transition entre SD et HD pour les documents d’archives déjà mastérisés ou à venir ?
 Est-ce utile de filmer documentaires et interviews en HD ?

Van Ling : Oui, nous filmons tout en HD. La majorité des films transférés en vidéo ces 8 dernières années l’ont été en HD, donc exploitables tel quel. Quand ils achètent un disque HD, les consommateurs s’attendent à ce que les suppléments soient en HD. Comme les vieux documents ont été filmés en vidéo SD ou 16mm, c’est un challenge de décider comme présenter une featurette mélangeant les formats.

Bliss : Les réalisateurs avec qui vous travaillez sont-ils concernés par la HD ?

Van Ling : Les plus jeunes sont déjà au courant des nouvelles possibilités des formats HD et participent. Les réalisateurs vétérans y voient d’abord une nouvelle manière d’intéresser plus de spectateurs.

Bliss : Les fonctions interactives propres au Blu-ray et au HD DVD ouvrent-elles de nouvelles possibilités ?

Van Ling : Oui mais c’est un vrai challenge parce qu’il s’agit plus de programmation créative que de création artistique. Nous sommes au point où les formats HD doivent faire leur preuve auprès des consommateurs, avec ce côté « essayons tout pour voir ce qui leur plait». Il y a beaucoup de gimmicks.

Bliss : Que pensez-vous des problèmes de compatibilités provoqués par ces nouvelles interactivités ?

Van Ling : Ces formats HD ont clairement des constitutions informatiques. Cela donne autant de possibilité de faire des choses que de les rater. Quand quelque chose ne fonctionne pas, vous n’êtes jamais sûr si cela vient du design, de la programmation, de la fabrication ou du lecteur.

Bliss : Avez-vous une préférence professionnelle entre le HD DVD ou le Blu-ray ?

Van Ling : J’ai surtout travaillé sur Blu-ray. Étant donné qu’une grande partie du succès de ces formats va dépendre de l’industrie du jeu vidéo qui a l’habitude de la cohabitation de formats, je ne pense pas qu’il y aura un vainqueur définitif.

Propos recueillis et traduits en mars 2007 par François Bliss de la Boissière

Lire aussi…

  • Charles de Lauzirika : DVD producteur pour Ridley et Tony Scott
  • Kim Aubry : DVD producer pour France Ford Coppola

Version originale complète de l’interview…

Bliss : Do you think there is a need for high definition bonus or is it still for some happy few passionate? Meaning, is it worth the efforts for you, the studios and even the movie directors?

Van Ling : I’ve always said that DVD producers are the most optimistic people in the film business, because we put our blood, tears toil and sweat into creating materials that only a very small number of people will ever watch. But I do think that it’s worth the effort, because it can be a winning situation for all parties: the filmmakers get the chance to discuss their visions, the studios have more to sell and the viewers get more for their money, even if they don’t care to watch it. As for us DVD producers, some of us enjoy the challenge of extending a narrative/universe and exploring new ways of educating and interacting with viewers.

Bliss : What is the first film you worked, or are working on, that is going to be released on any HD formats?

Van Ling : I actually worked on nine Blu-ray titles last year, including T2 (which was my first), but these were essentially « movie-only » discs that gave me an opportunity to learn how the format works (or doesn’t work, as the case may be). I am currently working on « Independence Day (ID4) » for Fox on Blu-ray, and we are exploring some new bonus feature ideas using Blu-ray Java programming.

Bliss : Do you have a different approach regarding extras on HD DVD or Blu-ray?

Van Ling : If you mean as opposed to standard DVD, yes. Even though most of the goals are the same (movie, commentaries, bonus content), the formats are completely different in terms of technical approach. There’s a lot of things you have to learn to do anew, and a lot more programming issues you have to keep in mind while you are designing and creating materials, especially for the menus and navigation.

Bliss : If, or when, one of your previous DVD is re-released on a HD format, will you work on it ? Would the bonus be a simple transfer from the DVD or would you work again on it?

Van Ling : I expect to be working on many of the HD versions of the titles I’ve previously done, simply because I already know how and what I’ve done before, so I have a good idea of how to surpass it. I feel that we should be able to include what we’ve done before on DVD as a starting point on the HD version, and then create new material that takes advantage of the new format’s capabilities.

Bliss : Did the digital transfers of past archives have been readied for HD formats and could be ported without going back to the digital scan? What is your opinion regarding those past documents? Going HD with them or keeping the already digital transfer? What is the position of the studios you work with regarding this issue?

Van Ling : Most films that have been transferred to video in the past seven to eight years were transferred to HD in the first place, so many of them are already usable. But I believe most studios assess how the existing HD transfers look in light of today’s technologies, and if they feel that the new equipment can yield an appreciably better transfer, they will do it.

Bliss :  What about future archives you might dig up, which kind of technical treatment would you do for the HD formats (or not)?

Van Ling : Most older archival material tends to have originated on standard-definition video or 16mm film, so it is more of a challenge to decide how to present a mixed-format documentary or featurette. But with the advent of the new HD formats, more and more special features are being done in HD, because consumers expect that when they buy an HD disc, as much of the content as possible will be in HD format.

Bliss : Are you shooting your documentaries and interviews in HD ? Since when, or do you plan to? Is it relevant to do so?

Van Ling : Yes, for current films, all of the material is shot in HD, as are all interviews and new footage shot for bonus material on older titles. It is generally accepted as a good practice to shoot in HD if it can be afforded, even if you are currently finishing the project in standard definition. All of my projects going forward will likely be in HD.

Bliss : Are movie directors you work with concerned, interested by those high def contents that they may have to provide for future HD DVD or Blu-ray releases? Whether for a new projects or past projects?

Van Ling : The younger generations of filmmakers are already savvy to the possibilities of the HD formats and are usually very open to creating or participating in new HD content, while the older generation of directors view it as a good way to get more people to experience their films, which are still the most important component of any release. They are usually thrilled to see their films in such high resolution.

Bliss : Both HD DVD and Blu-ray may be programmed for some special interactivities during movie footage… Did you start working on that technology? Is it easy to do? Does is really open some new doors for you as a DVD producer and maybe the consumer or is it just a gimmick?

Van Ling : Yes, I am working with the technology and it can be a real challenge, because it’s more about creative programming than traditional creative work. We are currently at the stage where the HD formats have to prove themselves to the consumer as being more worth getting than regular DVD, so there’s a lo of the same « shotgun » approach to interactive features… let’s try everything and anything and see what strikes the consumer. There are a lot of gimmicks, but I hope that some of them will evolve into actual useful features. I know I’m doing my part…

Bliss : There seem to have some compatibility issues with those interactive programs, whether on Blu-ray players or the LG Blu-ray HD DVD combo that doesn’t play HD DVD interactive programs. How do you deal with that?

Van Ling : These HD formats are much more clearly computer formats, and the more like a computer your format is, the more capabilities you have… but the more opportunities you have to mess things up. We are still in the preliminary phase in which the formats are evolving, and when something doesn’t work, you’re never quite sure if the problem is due to the design, the programming, the manufacturing, or the player. From my standpoint, I just keep pushing. I find out what they think the format can do, and then come up ways for it to do more. And try to work with people who are willing to try it.

Bliss : Do you have a preference as a professional between the two formats : Blu-ray and HD DVD?

Van Ling : My experience so far has been exclusively with Blu-ray, so I am more familiar with it, but I am learning more about HD-DVD as well. Given that a significant portion of the success of these formats is going to depend on the video game industry -which has a history of multiple formats co-existing-I don’t think there is going to be one definitive winner. And the only way the consumer will win is if there are really good combo players so the viewers never have to worry about whether they can or cannot play any disc they buy.

Propos recueillis et traduits en mars 2007 par François Bliss de la Boissière

Terminator 2 Van Ling BD menu

(Version française publiée en 2007 dans le mensuel Les Années Laser)

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Kim Aubry interview HD : DVD producer Coppola, George Lucas

En 2007 j’ai demandé à trois producteurs stars de DVD ce qu’ils pensent de la HD, est-elle tout bonus ?…
Kim Aubry, ingénieur du son, collaborateur intime de Francis Coppola a conçu les DVD de THX-1138, Apocalypse Now, Le Parrain… Des pans entiers du cinéma !

Version originale anglaise complète ci-dessous après la version française éditée pour publication

Version française éditée

Bliss : Quel est le premier film/DVD sur lequel vous travaillez avec un format HD ?

Kim Aubry : Notre premier enregistrement en vidéo HD a été une interview de Francis Coppola en 2004 pour le DVD de son film La Vallée du Bonheur (1967), jamais utilisé en HD. En 2005 nous avons commencé à filmer en HD des documentaires pour l’édition 2 DVD de Apocalyse Now The Complete Dossier, mais on nous a dit qu’à cause de la confusion de l’industrie autour des formats, le film sortirait sur DVD SD (Z1). Notre premier gros effort en HD a été fourni pour filmer les 70’ de bonus pour la nouvelle édition du Dracula (Coppola, 1992). Le documentaire d’époque a été filmé dans 16 mm impeccable, nous avons pu le transférer en HD. Sony a l’intention de sortir le film sur 2 DVD SD et en Blu-ray dans l’année. Nous avons créé les menus (formidables, ndr) et les bonus pour le DVD de Marie-Antoinette qui doit sortir en Blu-ray. Nous travaillons sur une édition spéciale de L’Idéaliste (1998) qui aura des éléments en HD.

Bliss : Avez-vous une approche différente pour les bonus selon les formats HD DVD et Blu-ray ?

Kim Aubry : Préparation des menus et programmation sont deux choses différentes. Nous concevons les éléments graphiques et l’authoring est confié à d’autres.

Bliss : Si l’un de vos précédents DVD ressort en HD, y travaillerez-vous ? Comment allez vous effectuer la transition entre SD et HD pour les documents d’archives déjà mastérisés ou à venir ?

Kim Aubry : Le transfert et la restauration coûte plus cher en HD parce que les imperfections sont beaucoup plus visibles en haute résolution et la réparation digitale bien plus longue et onéreuse. De nombreux professionnels m’ont dit que d’après leurs enquêtes marketings, la plupart des gens trouvent que de la SD lue sur un lecteur DVD capable d’upscaling ou même sur un lecteur HD DVD ou Blu-ray comme la PlayStation 3 rend très bien sur un diffuseur HD. Les studios n’ont donc aucune motivation pour dépenser plus d’argent pour remastériser les bonus en HD.

Bliss : Est-ce utile de filmer documentaires et interviews en HD ?

Kim Aubry : Nous avons commencé à filmer avec une HDCAM le documentaire d’un film tourné en Afrique du Nord, et pour des raisons de budget et les incertitudes concernant le Blu-ray et le HD DVD, l’équipe a continué avec des caméras SD !

Bliss : Les réalisateurs avec qui vous travaillez sont-ils concernés par la HD ?

Kim Aubry : C’est une distraction pour eux. Ils sont d’abord préoccupés à finir leur film ou planifier leur prochain.

Bliss : Les fonctions interactives propres au Blu-ray et au HD DVD ouvrent-elles de nouvelles possibilités ?

Kim Aubry : Dans les DVD du Parrain et de THX 1138 nous avons créé un peu d’interactivité. Si nous utilisons nous-mêmes ces nouveaux outils sur des BD ou des HD DVD, cela ouvrira des portes. Si d’autres le font, ce ne sera qu’un gadget.

Bliss : Avez-vous une préférence professionnelle entre le HD DVD ou le Blu-ray ?

Kim Aubry : Non. C’est Coca Cola et Pepsi.

Propos recueillis et traduits en mars 2007 par François Bliss de la Boissière

Lire aussi…

  • Charles de Lauzirika : DVD producteur pour Ridley et Tony Scott
  • Van Ling : DVD producer pour James Cameron,  Star Wars Trilogy…

Version originale anglaise complète

Bliss : Do you think there is a need for high definition bonus or is it still for some happy few passionate? Meaning, is it worth the efforts for you, the studios and even the movie directors?



Kim Aubry : I can’t really speak to the economics of creating new bonus content in the HD format for release on HD homevideo.
I can say that IF you have access to visual elements that are potentially of higher quality than standard definition video, obviously anything you produce will be of greater value eventually, as the world switches to HD.

Bliss : What is the first film you worked, or are working on, that is going to be released on any HD formats?

Kim Aubry : The first visual element that we photographed in HD was an on-camera video introduction by Francis Coppola for the 2004 re-release of the 1967 film “Finian’s Rainbow” on DVD, although this never went out in HD.
We began work on documentary featurettes for our special 2-disc “Apocalypse Now – The Complete Dossier” in 2005. Originally, we intended to shoot and finish all new materials in HD because the North American distributor intended an HD home video release. But shortly after starting work, we were told that due to confusion in the industry over formats, the plan was to release the DVD in just standard definition. We ended up finalizing only the “Watch Apocalypse Now with Francis Coppola” featurette in HD, and as of this writing, we are unaware of any plans to release the film or sbonus materials in an HD format.

Our first full-blown HD effort was in 2006 when we completed around 70 minutes of new bonus materials for a new release of “Bram Stoker’s Dracula” (1992).
It is Sony’s plan to release both a 2-disc SD and a BD version of the film later this year with these new documentaries produced in HD.  
We created menus and some bonus materials for the release of Marie Antoinette which may get a BD release. 
We are now working on a special edition DVD of Coppola’s 1997 film “The Rainmaker” which will have some elements in HD. We do not know the distributor’s plans regarding HD-DVD or BD release on this title.

Bliss : Do you have a different approach regarding extras on HD DVD or Blu-ray?
 


Kim Aubry : No. The menu preparation and programming is different, but we only do graphic design elements which are authored by others.

Bliss : If, or when, one of your previous DVD is re-released on a HD format, will you work on it ? Would the bonus be a simple transfer from the DVD or would you work again on it?

Kim Aubry : 

I would say it depends on whether or not we can improve the original bonus content in any way by incorporating newer or better visual elements.
If the distributor plans to just re-use the original SD materials, they don’t need us. Many industry insiders have told me that, according to their marketing research, most people think standard definition materials viewed on a up-converting DVD player or even a HD-DVD or BD player (like a Sony PS3) when seen on an HD display look great, and they have no motivation to spend more money to re-master the bonus elements in HD.

Bliss : Did the digital transfers of past archives have been readied for HD formats and could be ported without going back to the digital scan? What is your opinion regarding those past documents? Going HD with them or keeping the already digital transfer? What is the position of the studios you work with regarding this issue?



Kim Aubry : No simple answer, no official position that I know of. Every case is different. 
There are HD 1920 X 1080 transfers of films made 3-5 years ago that are not very good. 
No doubt, there are “2-k” scans that have been made that could be improved upon.
There are other HD transfers made 6 years ago that are fantastic. 
Some films are finished (for creating theatrical 35mm release prints) using Digital Intermediate technology for color correction, replacing the laboratory color timing step. But until quite recently, the “DI” masters did not necessarily consider the issue of making HD masters directly for the eventual broadcast, or home video markets. Indeed, most films finished with DI, end up with a film negative element that is scanned on a Telecine for home video, which might sound a bit strange. I say, this is a constantly evolving process, and the most important thing a responsible studio can and should do is to consult the filmmakers anytime they re-transfer the image to confirm that they are reflecting the original artistic intent.

At the moment, some of the distributors are having internal discussions about what characteristics make an older film title suitable for HD-DVD or BD release. 
I have heard many executives dismiss important classic films for BD because they fear it will not “wow” the audience sufficiently. Imagine a 1950s recording industry executive saying “We don’t need to release this recording of Pablo Casals from the 1940s on LP, we want to launch the new HiFi LP format with just brand new “sparkling” stereophonic recordings!”
 I find this point of view very strange.

Bliss : What about future archives you might dig up, which kind of technical treatment would you do for the HD formats (or not)?

Kim Aubry : 

Don’t understand the question. We are doing some restoration work for some wonderful documentary films made in the 1960s and 1970s. 
We encouraged the filmmakers to locate the best film elements possible and we transferred them to HD format on a good telecine. 
We see that the cost of doing transfer and restoration at HD is far greater than SD, because imperfections that require DNR or other kinds of treatments are far more visible at the greater resolution, and digital repair work is far more time consuming and expensive.

Bliss : Are you shooting your documentaries and interviews in HD ? Since when, or do you plan to? Is it relevant to do so?


Kim Aubry : Yes, we do. (See #2 above). Since 2003. Sometimes HDCAM 1920 X 1080 24P, sometimes Varicam 24 P.

Bliss : Are movie directors you work with concerned, interested by those high def contents that they may have to provide for future HD DVD or Blu-ray releases? Whether for a new projects or past projects?

Kim Aubry : Most directors I work with (so far) are preoccupied with finishing their film, or with making plans for their next film, and the technical details of the home video release seem like a distraction to them at the time. But this is changing, as filmmakers recognize the importance of the home video and electronic record we are creating, both artistically and commercially.

Bliss : Both HD DVD and Blu-ray may be programmed for some special interactivities during movie footage… Did you start working on that technology? Is it easy to do?  Does is really open some new doors for you as a DVD producer and maybe the consumer or is it just a gimmick?

Kim Aubry : 

I have very little experience with the interactivity. We tried to do some very basic interactive “added value” on some of our titles, including The Godfather DVD Collection which had a Corleaone Timeline plotted against actual news events, and a living Corleone Family Tree with many hidden aster eggs. In our THX 1138 DVD, we provided a “white rabbit” function that allowed viewers to jump out of the movie at pre-selected times and view sections of a documentary in which Walter Murch explained the audio style of that scene. If we use any of these new technical features in BD or HD-DVD, it will open doors; if someone else uses them, it will be a gimmick.

Bliss : 

Do you have a preference as a professional between the two formats : Blu-ray and HD DVD?



Kim Aubry : No. Coke and Pepsi. Warsaw Pact and NATO… One more note regarding the Dracula project.

 We were greatly aided in this because the “behind the scenes” unit that was on the set during the shooting of Bram Stoker’s Dracula (1991-1992) was a proper 16mm film crew. We accessed the original 16mm documentary negative (more than 20 hours of behind-the-scenes footage) negative which was pristine, and we transferred it to HD. We cropped the original 4:3 aspect to 16:9 on a scene by scene basis. We also made use of over 80 hours of informal doc footage shot on Hi 8 videotape at 60i. We had to treat this footage to make it 24 fps progressive. These days, “making of” units on the set are shooting in MiniDV, or sometimes in Digibeta, but it is almost always standard def. 

We are working on creating bonus materials for a new feature that began photography in North Africa with a doc unit shooting in HDCAM, but after a few weeks, for budget reasons and uncertainties about BD and HD-DVD, the documentary unit actually switched down to standard definition cameras!

Ironically, the older films with doc footage on 16mm will make the transition to HD better.

Propos recueillis et traduits en mars 2007 par François Bliss de la Boissière

THX 1138 DVD menu by Kim Aubry

(Publié en 2007 dans le mensuel Les Années Laser)

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‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.

Charles de Lauzirika Interview HD : DVD producer Ridley Scott

En 2007 j’ai demandé à trois producteurs stars de DVD ce qu’ils pensent de la HD, est-elle tout bonus ?
Charles de Lauzirika, réalisateur de documentaires, collaborateur rapproché des frères Ridley et Tony Scott a conçu les DVD de : Alien Quadrilogy, Spider-Man 2, Gladiator, La Chute du Faucon Noir…
  
Rien que ça ! 

Version originale anglaise complète à lire après la version française éditée pour publication…

Version française éditée pour publication

Bliss : Les nouveaux supports Blu-ray et HD DVD offrent-ils un meilleur support pour les bonus ?

Charles de Lauzirika : La qualité du son et de l’image du film doivent être prioritaires. HD DVD et Blu-ray offrent de nombreuses manières d’augmenter votre appréciation et votre connaissance d’un film mais à part filmer en HD je vois beaucoup de gimmicks et peu de réinvention.

Bliss : Quel est le premier film/DVD sur lequel vous travaillez avec un format HD ?

Charles de Lauzirika : Déjà sur Kingdom of Heaven, Man on Fire, Monster House et Déjà Vu. Et actuellement sur Blade Runner qui sortira, comme l’a dit Warner, en HD DVD et Blu-ray.

Bliss : Avez-vous une approche différente pour les bonus selon les formats HD DVD et Blu-ray ?

Charles de Lauzirika : Pas encore. Entre le In-Movie Experience de Warner ou le U-Choose d’Universal il y a des choses à faire, à condition de donner aux spectateurs quelque chose qui mérite d’être vu. J’ai expérimenté des choses sur DVD SD adoptées sur les nouveaux formats, je n’imagine pas m’arrêter maintenant.

Bliss : Si l’un de vos précédents DVD ressort en HD, y travaillerez-vous ?

Charles de Lauzirika : Il sera facile de faire des upgrades directs vers la HD pour certains, tandis que d’autres auront un sérieux besoin d’être recalibrés. Cela donnera l’occasion de faire des petits ajustements.

Bliss : Comment allez vous effectuer la transition entre SD et HD pour les documents d’archives déjà mastérisés ou à venir ? Est-ce utile de filmer documentaires et interviews en HD ?

Charles de Lauzirika : J’ai commencé à travailler en HD l’année dernière. Pour des raisons de budget, presque aucun des suppléments de mes anciens projets ont été préparé pour la HD. Tout ce que je conçois et archive est désormais en HD. Tout cela a un coût que les studios ne veulent pas payer tant qu’ils ne sont pas sûrs de leur stratégie vis-à-vis des deux formats HD. Nous sommes dans une période transitoire.

Bliss : Les réalisateurs avec qui vous travaillez sont-ils concernés par la HD ?

Charles de Lauzirika : Ils sont beaucoup trop occupés sur leur film pour être très concerné par les bonus HD. Ils sont plus intéressé de savoir si ces formats vont améliorer la présentation de leurs films.

Bliss : Les fonctions interactives propres au Blu-ray et au HD DVD ouvrent-elles de nouvelles possibilités ?

Charles de Lauzirika : Je ne crois pas que ces contenus interactifs synchronisés avec le film vont améliorer significativement ce que nous faisons en SD. Les capacités du DVD SD n’ont pas été assez vantées et maintenant que l’on veut attirer de nouveaux consommateurs, le marché insiste sur ces fonctionnalités sur HD DVD et Blu-ray.

Bliss : Que pensez-vous des problèmes de compatibilités provoqués par ces nouvelles interactivités ?

Charles de Lauzirika : Je crée le contenu, le livre au studio et m’assure que cela fonctionne comme prévu. Après, c’est la responsabilité des unités d’authoring et de duplication de s’assurer que les disques fonctionnent correctement chez les gens.

Bliss : Avez-vous une préférence professionnelle entre le HD DVD ou le Blu-ray ?

Charles de Lauzirika : Pas pour le moment. Aucun des deux formats ne rend mon travail plus facile ni plus satisfaisant.

Propos recueillis et traduits en mars 2007 par François Bliss de la Boissière

Lire aussi…

  • Van Ling : DVD producteur pour James Cameron, Star Wars Trilogy…
  • Kim Aubry : DVD producer pour France Ford Coppola

Version originale anglaise complète

Bliss : Do you think there is a need for high definition bonus or is it 
still for some happy few passionate? Meaning, is it worth the efforts 
for you, the studios and even the movie directors?

Charles de Lauzirika : First and foremost, picture and sound quality for the film itself has 
to take top priority.  Then, if there’s room available and there’s an 
interesting behind-the-scenes story to be told, I think the first you 
thing you have to do is consider what are the best ways to tell that 
story, regardless of format.  Right now, there are many possibilities 
with HD and Blu-Ray in terms of finding new ways to supplement your 
enjoyment and knowledge of a film but aside from shooting interviews 
and behind-the-scenes footage in hi-def for protection, I’m not seeing 
a lot of new ways to better tell the story.  I see a lot of gimmicks 
but not a lot of reinvention.  Hopefully, as HD and Blu-Ray evolve, 
that will change for the better.

Bliss : What is the first film you worked, or are working on, that is going 
to be released on any HD formats?

Charles de Lauzirika : 

The first DVDs I worked on with an eye towards an eventual HD or 
Blu-Ray release were Kingdom of Heaven, Man On Fire, Monster House and 
Deja Vu.  I’m currently working on Blade Runner, which Warners has 
announced will also be released on HD and Blu-Ray.

Bliss : Do you have a different approach regarding extras on HD DVD or 
Blu-ray?



Charles de Lauzirika : Not yet. It’s still about imparting information and meaningful 
content.  There are different ways of doing that with HD and Blu-Ray, 
such as Warner’s In-Movie Experience or Universal’s U-Choose features, 
but ultimately, it’s still about giving viewers something worth 
watching. I’ve been experimenting with interactive features since the 
beginning and doing things on standard-def DVD that are now being 
adopted or enhanced by the next generation formats, so I don’t imagine 
I’ll stop now.

Bliss : If, or when, one of your previous DVD is re-released on a HD format, 
will you work on it ? Would the bonus be a simple transfer from the DVD 
or would you work again on it?
  


Charles de Lauzirika : It depends on the project, the studio, the budget, the schedule, the 
availability of assets in HD and so many other things.  There are some 
projects that I think will be very easy to simply make a direct up-res 
to HD while others will require more serious retooling.  At the very 
least, it could provide me with an opportunity to make little tweaks 
and fixes I didn’t have time to make the first time.

Bliss : Did the digital transfers of past archives have been readied for HD 
formats and could be ported without going back to the digital scan? 
What is your opinion regarding those past documents? Going HD with them 
or keeping the already digital transfer? What is the position of the 
studios you work with regarding this issue?

Charles de Lauzirika : Due to budgetary considerations, almost none of the past projects I’ve 
worked on have been readied for HD, at least in terms of the 
supplements.  It’s really only within the last year that we’ve started 
doing that, and not on every title.  It would make things a lot easier 
to deliver everything as HD-ready but that costs more money and the 
studios don’t usually want to pay that unless they’re sure about their 
future strategy on HD or Blu-Ray.

Bliss : What about future archives you might dig up, which kind of technical 
treatment would you do for the HD formats (or not)?



Charles de Lauzirika : From now, almost everything I do will be protected for HD, so long as 
the budget allows for that.  Seriously, there is a significant 
difference in cost between a simple standard-def delivery and then 
including HD and Blu-Ray into the equation.  But in terms of scanning 
and shooting, the overwhelming majority of the content I’m working with 
will be archived with HD in mind.

Bliss : Are you shooting your documentaries and interviews in HD ? Since 
when, or do you plan to? Is it relevant to do so?



Charles de Lauzirika : Again, it depends on the budget, but yes, most of the interviews and 
behind-the-scenes footage are now being shot in HD.  We’re still in a 
little bit of a transitional period with the studios, as they decide 
how much money to spend on a given title and what kind of treatment 
that title deserves.  But for the most part, HD is part of the process 
now, especially on new movies.

Bliss : Are movie directors you work with concerned, interested by those 
high def contents that they may have to provide for future HD DVD or 
Blu-ray releases? Whether for a new projects or past projects?

Charles de Lauzirika : 

So far, they’re too busy working on their own films to be 
overly-concerned with HD or Blu-Ray extras.  They’re more interested in 
– -and rightly so —  how HD and Blu-Ray can improve the presentation 
of their films.  Everything else is icing on the cake.

Bliss : Both HD DVD and Blu-ray may be programmed for some special 
interactivities during movie footage… Did you start working on that 
technology? Is it easy to do? Does is really open some new doors for 
you as a DVD producer and maybe the consumer or is it just a gimmick?

Charles de Lauzirika : 

I discussed this above, but I don’t think the kind of synchronous HD 
and Blu-Ray content you’re talking about are allowing significantly 
more creative freedom or improved information delivery than what we 
already had in standard definition.  The difference is, most people 
weren’t pushing the capabilities of SD DVD and now they need something 
new to attract consumers, so they’re pushing that kind of experience 
harder with HD and Blu-Ray.

Bliss : There seem to have some compatibility issues with those interactive 
programs, whether on Blu-ray players or the LG Blu-ray HD DVD combo 
that doesn’t play HD DVD interactive programs. How do you deal with 
that?

Charles de Lauzirika : 

Fortunately or unfortunately, that’s out my hands.  I create the 
content, deliver it to the studio and make sure it works as designed.  
After that, it’s up to the various authoring and duplication facilities 
to make sure the discs they’re manufacturing actually work in people’s 
homes.

Bliss : Do you have a preference as a professional between the two formats 
: Blu-ray and HD DVD?

Charles de Lauzirika : 

Not at the moment. Both formats have their pros and cons. Originally 
I was rooting for Blu-Ray because of the higher disc capacity but as 
the format war drags on, it’s become more about survival of the 
fittest. I’ll wait for a clear winner before investing in one format 
or the other. Neither one makes my job any easier, or more fulfilling. Yet.

Propos recueillis en mars 2007 par François Bliss de la Boissière

Kingdom of Heaven DVD menu

(Publié en 2007 dans le mensuel Les Années Laser)

Éric Chahi : Another time (entretien 4/4)

(…)

Éric Chahi (DR)

Bliss : Est-ce que tu es sollicité par de jeunes créateurs de jeu vidéo ? Maintenant que tu fais presque partie des vétérans…

Éric Chahi : Des jeunes game designers me demandent des stages, mais je ne peux pas donner suite. Comme j’ai des idées assez claire sur ce que je veux faire, je fais attention à ne pas me laisser embarquer, je reste focalisé sur mon truc. Il y a un an j’ai donné une conférence à Supinfogame (école de game design à Valenciennes, ndlr) où j’ai présenté des repères sur l’évolution du jeu vidéo à travers mon parcours. C’était très intéressant parce que, c’est évident, de futurs bon game designers sortent de cette école spécialisée.

Bliss : Qu’est-ce que tu penses de la scène du jeu vidéo française ? La « French touch » ça existe encore ?

Éric Chahi : (Rires) Tu me poses une colle. Le terme French Touch m’a toujours un petit peu agacé. C’était déjà cataloguer la création française et ça a fini par devenir péjoratif, synonyme de beaux jeux sans gameplay, sans contenu. Je n’aime pas trop le catalogage. Aujourd’hui il y a bien une scène française du jeu vidéo même si, dans les années 2000, elle s’est prise une grosse claque. J’ai le sentiment qu’elle est en train de se restructurer. Même si il y a pas mal de développeurs expatriés à Montréal et aux Etats-Unis… Je crois au renouveau. Il y a pas mal de petits studios. Ce qui manque le plus finalement c’est l’autonomie créative. Tu es obligé de dépendre d’un éditeur pour créer des jeux. Sur le contenu, c’est dommage.

Bliss : Le débat est sans fin, mais à ton avis, le jeu vidéo est-il de l’art ou pas ?

Éric Chahi : Ça dépend ce qu’on appelle de l’art. C’est un regard sur quelque chose dans un contexte culturel… Est-ce que l’esthétique c’est de l’art, par exemple ? Est-ce que le simple fait d’avoir quelque chose d’esthétique, c’est de l’art ? Ce n’est pas évident. J’ai une définition assez imprécise de l’art. J’aurais tendance à dire qu’une œuvre d’art vient enrichir la personne qui la regarde, que l’art c’est communiquer une vision personnelle sur le monde. Le jeu vidéo, au minimum, est culturel, une forme d’expression. Je pense que c’est une forme d’art qui n’a pas atteint sa maturité mais comme il y a des choses qui s’y sont exprimées, j’aurais plutôt tendance à dire que, oui c’est de l’art. Dans certains jeux (rires).

Bliss : Aucun jeu ne réunit les critères que tu évoques comme semblant appartenir à l’art ?

Éric Chahi : Il y en a qui ont ces qualités, même si elles n’ont pas été consciemment voulues par leurs concepteurs. Katamari damacy est pour moi une oeuvre d’art. Et son créateur (Keita Takahashi) dit le contraire ! Le jeu a un sens contextuellement, il n’est absolument pas neutre par rapport à notre monde. C’est une sorte de métaphore du pouvoir. Il a un écho avec la société de consommation, Il ne s’agit pas simplement de faire grossir une petite boule. Il y a plus que ça.

Bliss : Tu ne cites justement pas des jeux plus plastiques…

Éric Chahi : Comme Shadow of the colossus ? Oui ce jeu là aussi. Il se rapproche plus d’une œuvre d’art… Il travaille sur le ressenti, sur l’émotion. En même temps ce n’est pas l’émotion qui fait une oeuvre d’art. A l’opposé, le terme divertissement pour qualifier le jeu vidéo est dégradant. Ce n’est pas suffisant. Aucun jeu n’est totalement neutre, il se place dans un contexte culturel. Sim city, Civilization, ou un jeu de guerre se positionnent. Ils délivrent une certaine vision du monde qui sera celle donnée volontairement ou non par les designers. Certains jeux ne sont évidemment que du divertissement mais il faudrait un peu plus de recul pour bien saisir tout ça. Dans une vingtaine d’années on se rendra peut-être un peu plus compte.

Bliss : Ne peut-on pas trouver dans les pixels des premiers jeux d’il y a vingt ou vingt-cinq ans des éléments qui, par exemple, pourraient relever de l’art contemporain comme semblait le montrer l’exposition Game On ?

Éric Chahi : Quand des images et des symboles du jeu vidéo s’infiltrent dans l’art contemporain, est-ce que ça implique que le jeu vidéo c’est de l’art ? Pas forcément. La comparaison est violente, c’est un questionnement : Coca Cola aussi est réutilisé dans l’art contemporain. Il y a des œuvres qui vont puiser dans la manne publicitaire, mais comme matière, comme vecteur d’expression. Coca Cola ne devient pas pour autant une oeuvre d’art. Donc il ne faut pas faire un amalgame entre les icônes du jeu vidéo récupérées dans l’art contemporain et le jeu vidéo lui-même. Les pixels colorés, les bruitages très primaires des tous premiers jeux d’arcade évoquent quelque chose, mais je ne saurais pas dire quoi… Entre les lignes du divertissement il y a peut-être des choses qui sont communiquées. Et peut-être que la qualité artistique d’un jeu vidéo ne réside pas dans le visuel mais dans ses interactions. C’est quand même ce qui caractérise le plus et différencie vraiment le jeu vidéo des autres médias.

Bliss : Dans l’art contemporain on croise des installations à l’interactivité rudimentaire bien inférieure à ce que propose depuis longtemps le jeu vidéo, et pourtant elles sont qualifiées d’oeuvre d’art…

Éric Chahi : L’important dans ces installations ce n’est peut-être pas la qualité des interactions mais le sens, le sens de l’oeuvre, le sens artistique de l’oeuvre. C’est peut-être ce qui lui confère un statut d’art.

Bliss : Donc ça veut dire que même les premiers jeux vidéo sont vides de sens ?

Éric Chahi : Un game designer de l’époque du nom de Chris Crawford (auteur du livre The Art of computer game design, organisateur à domicile des tous premiers GDC, ndlr) avait écrit que si Space Invaders avait eu autant de succès parmi tous les autres jeux du même genre, c’était parce qu’on pouvait y projeter ce qu’on peut ressentir dans la vie quotidienne, par exemple confronté à des grosses administrations, aux rouleaux compresseurs de la société. Il avait une lecture métaphorique en terme de ressenti pour y lire dans les jeux autre chose que le premier degré du pur divertissement. Il y trouvait un écho avec le réel. Cela me semple assez pertinent.

À lire aussi…

Éric Chahi : Another time (entretien 1/4)
Éric Chahi : Another time (entretien 2/4)
Éric Chahi : Another time (entretien 3/4)

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière

(Publié en février 2007 sur Chronicart.com)

 


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‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.


Éric Chahi : Another time (entretien 3/4)

(…)

Éric Chahi (DR)

Bliss : Comment es-tu passé d’une activité assise comme la création de jeu vidéo à une activité aussi physique ?

Éric Chahi : C’est vrai que pour approcher les volcans il faut crapahuter, avec un gros sac à dos. Les volcans m’ont toujours attiré mais je n’avais aucune idée que c’était accessible. Je pensais qu’il n’y avait que les scientifiques qui pouvaient y aller. Et puis j’ai découvert qu’il y avait une agence qui organisaient des voyages sur les volcans actifs. Je me suis inscrit et ça a commencé par là. J’y suis allé ensuite en autonomie avec des amis aussi passionnés de volcans rencontrés sur l’Etna. J’ai été dans des endroits assez reculés, il fallait le vouloir. Quand on est en milieu volcanique, proche d’une éruption, il faut faire gaffe, trouver la distance limite à ne pas franchir. Ma passion est née de la rencontre physique avec les volcans. Elle s’est pleinement révélée suite à une confrontation physique où j’ai pu voir de très près un volcan exploser avec de l’incandescence, de la lave en fusion et des choses comme ça.

Bliss : Tu as ressenti le danger quand c’est arrivé ?

Éric Chahi : Je me suis retrouvé dans une situation limite où j’ai eu très peur en effet. C’était au sommet du Lopevi au Vanuatu. Des bombes incandescentes sont tombées autour de nous à dix-vingt mètres, c’est super impressionnant. Je me suis dis : je suis foutu, je vais mourir (rire). J’étais en voyage organisé à ce moment là. Quand j’y vais seul je suis plus prudent désormais. Mais on n’est jamais à l’abri d’une explosion plus forte. C’est arrivé avec un volcan de type strombolien, des blocs incandescents éjectés sont éjectés en l’air régulièrement. Une explosion a été projetée vers nous. On début on voit des blocs très denses qui partent en l’air et on se dit qu’ils vont nous tomber dessus et qu’on est mort. En fait, les blocs s’écartent, ce qui est normal, en se rapprochant, mais c’est très impressionnant. On se demande quel bloc est pour soi. Dans ces cas là il ne faut surtout pas paniquer, ne pas courir dans tous les sens. Il faut rester et immobile et observer. On bouge uniquement s’il y a un projectile qui arrive sur nous, sur soi. Je n’ai pas eu à bouger. Mais quel stress ! Là j’ai décidé de ne plus revenir sur un volcan. Et j’y retourne quand même (rires).

Bliss : C’est ce rush là qui t’as rendu accroc ? Comme les sportifs ou les gens qui font des trucs extrêmes ?

Éric Chahi : Il y a une espèce de montée d’adrénaline c’est vrai. Ce fut une expérience assez extraordinaire pour moi. Je l’assimile à un traumatisme, mais un traumatisme positif. On angoisse complètement mais ce qu’on voit est tellement incroyable que l’on en retient un sentiment positif, même si au fond on n’a pas envie de le réitérer. Je ne fais rien pour me retrouver dans une telle situation. Quand je vais sur un volcan, je fais très attention et je reste beaucoup plus loin que cette première expérience volcanique.

Bliss : Tu as accumulé, semble-t-il, de véritables expériences sensorielles et même, en t’écoutant, du gameplay qui peuvent te servir à ton prochain projet de jeu, n’est-ce pas ?

Éric Chahi : (rires) Je ne peux rien dire mais tout vient nourrir. Comme je le disais tout à l’heure à propos de mon parcours en zigzag, quand on crée du jeu vidéo il ne faut pas s’intéresser qu’au jeu vidéo. Si on se nourrit de jeu vidéo pour créer du jeu vidéo on tourne en rond. Et on sort des jeux comme il en sort aujourd’hui à la pelle. Il faut s’intéresser à tout pour créer des jeux vidéo.

Bliss : N’y a-t-il pas un rapport entre le monde désolé alien et très rocheux d’Another world et celui des flancs de volcans ?

Éric Chahi : Complètement. Je suis passionné de désert aussi. J’aime les milieux arides, inhospitaliers… On retrouve des points communs entre le monde virtuel, par exemple d’Another world, et ce qui m’attire dans le monde réel.

Bliss : Est-ce que tu suis ce qui se passe en jeux vidéo ?

Éric Chahi : Oui, mais pas grand chose m’attire. J’aime bien les jeux originaux qui apportent quelque chose. Il y a des jeux que je commence sans les finir et il y ceux que je termine. Même si ça commence à dater, le dernier jeu que j’ai fini c’est Katamari damacy justement. Un jeu original que j’adore, un jeu qui parle. Qui m’a parlé. Je regarde ce qui sort comme consoles. J’ai joué à Half life 2, j’essaie des classiques sortis il y a quelques années que je n’avais jamais joué comme Civilization. Mais je ne suis pas forcément attaché à l’actualité du jeu vidéo. Je m’y intéresse sans suivre absolument au quotidien. Ça ne m’est pas indispensable. Je suis néanmoins très intéressé par la Wii. Je n’en n’ai pas encore mais je suis vraiment curieux de voir ce que donnent les jeux. J’ai une DS qui me plaît avec un certain nombre de jeux.

Bliss : Tu as une opinion sur ce qu’est devenu le jeu vidéo d’aujourd’hui ?

Éric Chahi : L’époque que j’ai connue était encore artisanale, aujourd’hui c’est une industrie. L’artisanat émerge encore avec un mouvement indépendant comme les développeurs de Darwinia ou de Chronic logic qui ont développé le jeu Gish (du même studio, Wik & the fable of souls est disponible sur le Xbox Live Arcade, ndlr). Mais du côté de l’industrie on sent la pression marketing. Les budgets des jeux sont tellement énormes, ont un tel besoin de rentabilité, que ce ne sont pas les créatifs qui dirigent ou orientent le contenu des jeux mais le marketing, l’aspect business. Ça conduit à refaire les mêmes recettes, les mêmes FPS ou jeux de voiture. Mais ça évolue un peu quand même. Tout est tellement marketing qu’il y a un mouvement de fond indépendant qui s’est élargi depuis deux trois ans qui cherche à créer des jeux sans prétention, plus conceptuels et un peu plus originaux que les autres, que les gros budgets tout du moins. Il faudrait aussi évoquer la responsabilité des éditeurs, des créateurs de jeux quand sort le énième jeu de guerre qui met en action sans retenu des GI dans la guerre du Golf. Il n’y aucun regard critique. Je trouve ça très dérangeant et je n’ai pas le sentiment que les éditeurs ou même les créateurs de ces jeux se posent des vraies questions de fond.

Bliss : Comment expliquer que tous ces créatifs du jeu vidéo acceptent et supportent de passer des jours, des mois, des années à recréer des situations de guerre avec les sons, les armes, les agonies ?

Éric Chahi : Peut-être que l’envie de travailler dans le jeu vidéo est plus forte que le problème éthique du contenu des jeux. Ils ont toujours espoir de se dire qu’après avoir commencé par ça ils travailleront sur un autre jeu. Et puis je pense qu’il y en a que ça ne dérange pas de bosser sur ce genre de jeu. Le programmeur se dit que de toutes façons ce qui l’intéresse c’est le code, le graphiste qu’il fait des animations sympa… Je caricature un peu mais il y a sans doute de ça. On peut y trouver son compte au niveau de la création. Mais dans l’ensemble, ce qui est généré au final n’est pas très beau. Quand on écoute les interviews de certains producteurs on remarque qu’apparemment ça leur plaît. La machine commerciale pressurise toutes ces personnes derrière. Il faudrait vraiment discuter avec les gens qui travaillent sur ces projets là pour avoir un regard plus éclairé. Je sais qu’il y a en France pas mal de développeurs qui en ont marre des jeux de guerre.

(à suivre…)

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Propos recueillis par François Bliss de la Boissière

(Publié en février 2007 sur Chronicart.com)

 


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Éric Chahi : Another time (entretien 2/4)

(…)

Éric Chahi (DR)

Bliss : Pourquoi privilégier un remixe d’Another world à une suite que tu aurais pu même déléguer ?

Éric Chahi : Je n’ai jamais pousser derrière. Je ne suis pas quelqu’un qui aime les suites. Je préfère des créations originales. Quitte à construire un projet je préfère que ce soit neuf.

Bliss : Déjà téléchargeable sur Internet, la version retravaillée en haute résolution sort sur PC-CD Rom pour les quinze ans anniversaire de sa première sortie mais le jeu ne pourrait-il pas être disponible aussi en téléchargement sur le Xbox Live Arcade ou la Console Virtuelle de la Wii ?

Éric Chahi : Oui, si je lance un développement là-dessus ce serait possible. Il n’y a rien qui m’en empêche. Ce serait plus compliqué pour diffuser la version SuperNintendo sur Wii, je parle de la ROM originale. Il y aurait sans doute un accord à trouver avec Interplay qui avait développé le code à l’époque. J’ai tous les droits de la propriété intellectuelle sur le jeu mais je n’ai pas le code source des versions consoles (SuperNintendo, Megadrive et 3DO).

Bliss : Est-ce que tu vois des descendants à Another world ?

On m’a souvent posé cette question… Flashback (1992, Amiga) évidemment. Dans le domaine de l’évidence, et reconnu par son auteur Fumito Ueda, il y a Ico (2001, PS2). ça se ressent un peu. Mais je ne cherche pas trop…

Bliss : Après plusieurs années de travail et de réflexion solo, Frédéric Raynal (créateur français de jeu vidéo, Alone in the dark…) a expliqué que ce qui lui manquait le plus dans la réalisation d’un jeu était le travail d’équipe. Ce n’est pas ton cas…

Éric Chahi : Le travail d’équipe sur Heart of darkness m’avait un petit peu refroidi et vacciné. C’est une des raisons pour lesquelles je n’avais pas spécialement envie de repartir sur un projet. Mais avec le recul je réalise que ce n’est pas mal, voire même très bien. Ça permet de travailler plus vite et d’échanger des idées.

Bliss : Ton prochain projet ne peut plus être, à notre époque, un jeu « garage ». Qu’as-tu en tête ? Aura-t-il une influence cinématographique comme Another world ou Heart of darkness ?

Éric Chahi : Il y a encore tout de même quelques jeux faits maison mais ce que j’envisage ne peut pas être créé tout seul en effet. Il me faudra une équipe, pas petite mais pas aussi grosse que celles des projets next-gen non plus. Et non, il n’y aura pas cette dimension cinématographique.

Bliss : Que fais-tu depuis Heart of Darkness finalement ? Des choses qui ont rapport avec le jeu vidéo ?

Éric Chahi : Heart of Darkness a été une sacré tranche de vie, un peu trop longue, qui m’a poussé à prendre un peu de recul. J’étais quand même assez exténué. Je ne me voyais plus travailler dans ce milieu là pendant un certain temps. Et puis c’était le début de la 3D, l’évolution de l’industrie, des grosses équipes, des grosses prods, je ne me sentais pas trop à l’aise. En plus ce n’était pas très structuré à l’époque. Ça ne me correspondait plus, en sus de la fatigue et du raz le bol accumulé sur Heart of darkness. C’est vrai que cette période de recul a duré à peu près autant que le développement du jeu (plus de six ans) (rires). Mais je crée des jeux depuis très longtemps, depuis 1983. Et surtout, entre Les Voyageurs du temps (1989), Another world (1991) et Heart of darkness (1998) il n’y a pas eu vraiment de temps mort. J’avais vraiment besoin de reprendre mon souffle et de me ressourcer. Donc j’ai fait des choses qui n’ont rien à voir avec le jeu vidéo. J’ai créé un outil pour manipuler de la synthèse sonore. Un truc fait pour moi pas tout à fait finalisé ni évident à utiliser qui s’appelle Sympheo et que j’ai mis à disposition sur Internet. Dans le domaine du créatif, j’ai fait de la peinture abstraite… J’ai pas mal voyagé et je me suis découvert une passion pour les volcans. J’ai assisté à des éruptions, j’ai vu de la lave en fusion. La photo m’a toujours intéressé et là je me suis exprimé. Je cherchais à créer des images susceptibles de retranscrire au mieux ces activités.

Bliss : Travaux photographiques et peinture abstraite ont-il un rapport ?

Éric Chahi : Dans mes peintures il y a un certain dynamisme que l’on peut retrouver dans les photos de volcans. Et je cherche à cadrer les volcans pour capter une certaine esthétique dans le mouvement, l’énergie. Il y a des points communs entre les deux, oui.

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Éric Chahi : Another time (entretien 1/4)

Son premier succès, prémonitoire, se nommait « Les Voyageurs du temps », car en effet, depuis la sortie d’Another world il y a quinze ans, le créateur de jeux vidéo Éric Chahi voyage dans un autre espace temps. Six ans pour accoucher du houleux jeu suivant Heart of darkness et, depuis 1998, plus un mot.

Éric Chahi (DR)

Pourtant, quand on lui demande à l’occasion de la réédition anniversaire en version HD d' »Another world » s’il travaille encore dans le jeu vidéo, il répond naturellement oui et qu’il prépare un projet, comme si les huit dernières années de silence ne comptaient pas. En tous cas pas selon son horloge.

Bliss : Est-ce que le fait d’avoir conçu un jeu aussi marquant qu’Another world à l’âge de 24 ans, au point d’occulter le reste de tes réalisations, n’est pas finalement une malédiction ? Le poids de la notoriété et de son héritage n’empêchent-ils pas d’avancer ?

Éric Chahi : Another world n’a pas changé grand chose en fait. J’étais un peu connu pour Les Voyageurs du temps, puis pour Heart of darkness et évidemment Another world qui m’a vraiment fait connaître. Il n’y a pas longtemps que j’ai réalisé qu’il a survécu au passage du temps, au moins dans les mémoires. Ce n’était pas du tout clair au moment de sa création. A cause de la nature même du jeu, son aspect immersif, son contenu, il a marqué les gens. ça me fait super plaisir. Je vois bien qu’il y a une attente d’autre chose. On me demande, oui mais qu’est-ce que tu prépares Eric ? Mais c’est plus un moteur qu’un frein, ça ne m’empêche pas d’avancer. Il y un côté stimulant.

Bliss : Pourquoi la fausse traduction du titre Another world en « Out of this world » aux Etats-Unis ?

Éric Chahi : Parce qu’aux Etats-Unis, il existe un soap opera assez populaire daté de la fin des années 60 (diffusé de 1964 à 1999 sur NBC, ndlr) qui porte le même nom. L’éditeur Interplay a estimé que ce n’était pas judicieux de garder le titre original et a imposé « Out of this world ». Je pouvais difficilement dire grand chose. Il aurait fallu argumenter. Au niveau culturel, je ne connaissais pas suffisamment les Etats-Unis, et je n’avais pas une maîtrise suffisante de la langue anglaise pour savoir si le titre était pertinent pour un américain. J’ai laissé faire et puis voilà. Je ne pense pas que cela ait eu d’incidence. Les titres résonnent un peu pareil. Au Japon, le jeu s’intitule « Outer world », contracté probablement pour des raisons de prononciations.

Bliss : Tu as dessiné la fameuse illustration de couverture de la boite ainsi que tous les graphismes du jeu et, plus tard, tu as fait de la peinture abstraite. Ta première envie d’un jeu est picturale ?

Éric Chahi : C’est plus compliqué que ça. J’ai un parcours assez sinueux. Le jeu vidéo est le tronc principal depuis le début mais j’ai eu d’autres pôles d’attractions. Des centres gravitationnels comme l’illustration, l’animation, le cinéma qui ont fait que tout en restant dans le jeu vidéo je me suis parfois spécialisé dans des domaines bien précis. Quand j’ai commencé sur Oric en 1983, les graphismes étaient très sommaires, programmer ces jeux là était bien plus simple. J’ai évolué avec la progression technologique. Au début je réalisais tout. J’étais très attiré par les jeux d’arcade que je recréais. Et puis petit à petit je me suis découvert une passion pour l’illustration, l’image, la peinture, et quand il y a eu la période Atari, Amiga, j’ai commencé à buter en programmation. Je me sentais un peu largué, je me suis retrouvé dans une situation où je ne pouvais plus tout créer. Il fallait que je prenne une décision : m’orienter vers la programmation ou vers l’image. Et je me suis orienté vers l’image. C’est comme ça que je suis devenu graphiste pendant un certain temps. Et quand j’ai suffisamment dominé le sujet, à l’époque des Voyageurs du temps, je me suis remis à la programmation. Another world est ainsi né d’un ensemble de compétences. Il y a eu une synergie de l’ensemble des passions qui m’avaient traversé depuis que je m’étais intéressé au jeu vidéo. Illustration, animation, le cinéma, le montage se sont cristallisés dans Another world.

Bliss : Another world avait un feeling cinématographique bien en avance sur son temps. A quel point était-ce volontaire ?

Éric Chahi : C’est vrai que le cinéma est très présent avec le montage de l’introduction, mais en réalité -malgré les quelques changements de plans ponctuels- cette sensation perdure pendant le jeu parce qu’il a une structure cinématographique. Il a un rythme, des rebondissements, une mise en scène dans le jeu sans forcément des changement de plans. ça caractérise vraiment Another world. Si on enlève la séquence d’introduction, je trouve qu’il garde son essence cinématographique. Même s’il a aussi été fait d’improvisations, quand j’ai programmé les premières scènes sans savoir comment le jeu allait se terminer, j’ai structuré la manière dont les choses sont révélées au joueur. C’était voulu. Il y a bien quelques gros plans et recadrages mais ce sont d’avantage des ponctuations qui ne cassent pas l’interactivité. Dans Heart of darkness, justement, les séquences de type cinématographiques étaient fluides mais trop longues et nuisaient à l’interactivité du jeu. Je ne suis pas un fan des cinématiques dans les jeux je trouve que c’est chercher à imiter le cinéma au détriment de l’interaction qui définit vraiment le jeu vidéo. En tant que joueur je ne suis pas trop fan des jeux avec des longues séquences où on ne fait rien du tout. Sur Another world j’ai énormément travaillé sur le ressenti. Je prenais du recul par rapport à la création du jeu et j’essayais de le vivre comme quelque chose de neuf et après j’écoutais ce que ça donnait par rapport à ce que je voulais communiquer. C’était un peu schizophrène comme approche, être à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du jeu.

Bliss : La notion de coopération, un mot devenu marketing, où deux personnes dans le jeu s’entraident pour faire des choses, descend aussi d’Another world, non ?

Éric Chahi : Dans les jeux de guerre ? Je ne crois pas. La coopération entre les deux personnages d’Another world est assez émotionnelle. Alors que les jeux de guerre héritent de l’aspect sportif. N’importe quel jeu d’équipe a plus d’influence sur ces jeux qu’Another world. Quand j’ai créé Another world, je n’avais aucune idée du succès qu’il allait rencontrer (400 000 exemplaires vendus environ). Mais par contre j’étais bien conscient qu’il y avait des éléments nouveaux : il n’y avait aucun score à l’écran, alors que la plupart des jeux affichaient le nombre de vies, les points, les jauges d’énergie, etc. Et il y avait l’aspect cinématographique, le côté mise en scène. C’était les deux points dont j’étais conscient. La relation entre Lester et l’ami extra-terrestre c’est faite en revanche un peu spontanément. Pendant longtemps, cet aspect là ne m’a pas semblé très novateur ni important. Avec le recul, c’est vrai que c’est une des caractéristiques du jeu qui apporte beaucoup de sens à l’ensemble de l’expérience. Je me suis rendu aussi compte qu’Another world avait marqué des joueurs mais aussi des développeurs. Mais j’ai un regard critique, il a marqué mais je ne l’encense pas. Il a ses qualités mais aussi ses défauts. (…)

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