Faut-il dire Wii à la REVOLUTION ?

Pour réinventer la pratique du jeu vidéo avec sa nouvelle console, Nintendo a remplacé le nom et la notion trop explicite de Revolution par un logo à peine digne d’une interjection enfantine. En grattant un peu, le Wii de Nintendo recèle pourtant, comme les jeux Mario, une inventivité révélatrice de toute une philosophie ludique.

En mai dernier, Shigeru Miyamoto a présenté de façon spectaculaire la révolution Wii en jouant au chef d’orchestre sur la scène du célèbre Kodak Theatre de Los Angeles. Télécommande Wii à la main, il mimait les gestes nécessaires à la direction d’un orchestre virtuel intimé d’interpréter à l’écran le célèbre thème de Zelda. Exagérant l’exercice face aux 3000 spectateurs, ses bras étaient le plus souvent dressés à auteur d’épaules comme si, entre deux battements de mesure, il ne pouvait se retenir de les lever en signe de victoire.
Plus tard, sur cette même scène, le Président de Nintendo, Satoru Iwata, vint expliquer plus sobrement le concept de la console Wii. Un peu gauchement, il ouvrait largement ses bras en vantant, tel un prêcheur, le concept rassembleur des anciens joueurs et des nouveaux autour de la console Wii dont le nom simpliste doit évoquer le « we » anglais, « nous ». En regardant les photos de l’événement quelques jours plus tard, une observation troublante émergea : en direct-live devant un parterre de journalistes, les deux hommes s’obstinaient à dessiner avec leurs bras et leurs corps le W du logo Wii. Dans les années 90, Prince, l’artiste musicien de Minneapolis, s’amusait sur ses photos posées à reproduire de façon quasi subliminale avec son corps et ses postures son fameux logo « Love Symbol« …

Quand Nintendo a annoncé le nom officiel de sa prochaine console de jeu en remplacement du sobriquet Revolution, la surprise fut totale. L’entreprise avait réussit à contenir toute fuite, et le nom retenu, Wii, tomba sur le monde comme une goutte d’urine acidulée, une mauvaise plaisanterie. En anglais wee, ou wee-wee, signifie pipi, voire, plus vulgairement, « pissou » si l’on veut comprendre le choc de la communauté anglo-saxonne. Les railleries fusèrent puis devinrent critiques : ce Wii au bord du ridicule continue d’enfermer Nintendo dans son image enfantine. Les médias avaient donc déjà oublié l’indirecte insolence dont peut être capable Nintendo quand, par exemple, Mario s’arme d’un pistolet à eau et pisse (justement !) en toute insouciance humide sur la popularité des arides FPS dans Super Mario Sunshine.
Encouragés par Nintendo, les analystes rappelèrent alors le succès médiatiques des entreprises au nom d’oiseau cyber adoptés facilement : Yahoo, Google, voire en France, Noos. Plus précis encore avec la démarche de la console Wii, Nintendo revendique la notion de « technologie disruptive » qu’a réussi Apple en brisant l’ordonnance de l’industrie musicale avec son iPod. Au « i » individuel d’Apple, la première personne du singulier, répond le Wii collectif (we) de Nintendo, la première personne du pluriel. Les deux ii de Wii ne laissent d’ailleurs aucun doute quant à la filiation avec Apple. Une seule syllabe « i » ou Wii qui a vocation de se glisser en préfixe d’un néologisme marketing pour singulariser un concept, un objet, une attitude, une action : iMac (je fais du Macintosh), iBook, iSight, iPod… Une première série de petits de jeux de sports Nintendo a ainsi été nommée Wii Sports et se déclinent en Wii Golf, Wii Tennis, Wii Baseball, « nous jouons au golf, au tennis, au base-ball »… La connexion Internet permanente de la console a été nommée WiiConnect24, « nous nous connectons »…

Quoiqu’on en pense, Nintendo a déjà gagné une première bataille médiatique, le nom Wii a réussi à marquer les esprits. On estime alors très vite que l’entreprise a pris le risque d’une démarche marketing simpliste en rupture avec son propre héritage terminologique associant au moins deux mots : Game Boy, SuperFamicom, Nintendo 64, GameCube, Dual Screen… Le nom de la marque Nintendo serait presque proscrit aux alentours de la Wii. A l’instar du mode de jeu « révolutionnaire », à base d’une simple télécommande pointant vers l’écran, proposé par la nouvelle technologie Nintendo, le logo Wii et sa signification n’ont apparemment plus rien à voir avec l’historique des jeux et des consoles Nintendo. Néanmoins, une observation à la loupe de ce symbole Wii met à jour une surprenante multitude de signes, codes, significations, directes ou indirectes, explicites comme implicites, étendues comme résumées, du monde Nintendo et de ses intentions.

La vague dessinée par la lettre W est, par exemple, un symbole familier chez Nintendo. Wario, le double racaille de Mario a été nommé en retournant le M de Mario. Même s’il suffit de supprimer la première barre du W pour qu’il redevienne un N, le W est d’abord pour Nintendo un M inversé, l’initiale du génial Miyamoto (Wiamoto ?). Et si l’on retourne tel quel le logo Wii, c’est le M cousu sur la casquette de Mario suivi de deux points d’exclamations qui se lisent ! Un Mario tête en bas directement en osmose avec le nouveau jeu Super Mario Galaxy sur Wii où le fameux plombier trotte, en oubliant l’assiette horizontale, tout autour de petites planètes flottantes dans le cosmos comme autant de points sur le i !

La télécommande Wii avait également surpris quand elle avait été révélée. Elle est pourtant la grande sœur logique du stylet de la DS que tout le monde avait déjà en main. Le i du logo Wii évoque autant le stylet de la DS et sa pointe que le pictogramme d’une silhouette humaine, la télécommande rectangulaire Wii et son curseur pointé au loin sur l’écran de la télévision, ou, comme nous le montre un teaser vidéo, une raquette et sa balle. Le double i, bien sûr, signale Nintendo, que le jeu Wii se veut collectif. On peut d’ailleurs insérer autant de i que l’on veut, le nom se prononce toujours pareil, et le nombre de joueurs reliés à la Wii grâce à sa connectivité Internet n’altèrera pas son fonctionnement, au contraire exponentiel. Avec une console Wii « aware » reliée, allumée ou en veille, 24h sur 24 à Internet, et éventuellement avec d’autres joueurs, le Wii sonne Wi-fi, le tracé du W devient une sorte de fil symbolisant la connectivité, le lien de communication susceptible de s’étirer indéfiniment comme un accordéon ou une onde se propageant WWWWWWW. Le W de la Wii est aussi celui du wagon attaché à d’autres wagons tant qu’ils roulent ensemble dans une même direction. Ou une population de gens, nommée Touch Generation par Nintendo, se tenant la main en une longue chaîne de fraternité interactive. Les deux ii qui peuvent devenir mille ne rappellent-ils pas aussi les Pikmin ? En leur imaginant un peu d’épaisseur, les deux barres obliques du W symbolisent la télécommande Wii d’un côté et son accessoire nunchaku de l’autre, les deux reliés par leur cordon, ou brandis par une personne au centre comme l’ont mimé insidieusement sur scène les deux têtes pensantes de Nintendo. Plus tangible, quoi que, derrière le double V de la Wii se cache aussi le mot videogame et le concept de Virtual Console, une « deuxième » console capable de télécharger et faire fonctionner des jeux anciennes générations (Nes et SuperNes) tandis que la Wii proprement dite est apte à lire inhabituellement deux formats de disques, ceux de la GameCube et ceux de la Wii ! La Wii, une console double, multiple, comme le synthétise sans en avoir l’air son logo.
Définitivement confondant, les deux V du W peuvent aussi s’interpréter comme deux oiseaux, ou un seul avec une grande envergure, dont le vol induit que la Wii prend son envol et s’affranchit du reste du monde, en l’occurrence, des habitudes de l’industrie du jeu vidéo.

Le concept de la Wii a tellement étonné que certains médias se sont pris à l’imaginer en dernière solution farfelue et improvisée d’un Nintendo incapable de suivre la course technologique entretenue par Sony et Microsoft. On retrouve pourtant l’idée et l’envie, voire le besoin impérieux, de faire surgir l’interface sans manette de la Wii dans plusieurs jeux importants Nintendo de ces dernières années. Avant même la concrétisation de l’interface touch screen de la DS, un certain Luigi’s Mansion, premier jeu de la GameCube, brandissait son aspirateur vers les fantômes, les retenait d’un fil invisible avant de les amener à lui. Luigi allait même jusqu’à frapper de la main le mobilier, les murs, et l’écran de la télévision transformé en vitre (toc toc), toucher donc. Dans Super Mario Sunshine, Mario et son pistolet à eau tendent en permanence une main virtuelle vers le décor et les gens tout en pourchassant un Shadow Mario lui-même équipé d’un pinceau prompt à peinturlurer le décor. Dans sa dernière aventure sur GameCube, le petit Link de Zelda agite au bout du bras une baguette de chef d’orchestre pour jouer de la musique et changer le cours du vent. N’a-t-il pas en substance une télécommande Wii à la main ? Non seulement l’aspiration à créer la télécommande Wii s’exprimait déjà avant l’heure, mais l’esquisse du logo lui-même circule aussi avant sa naissance. Il veut déjà surgir du Legend of Zelda dont le sous-titre Wind Waker contient déjà beaucoup de W, comme la série des WarioWare. Et il apparaît de façon quasi explicite dans Super Mario Shunshine, quand, au lancement du jeu, Shadow Mario signe à l’écran le M de Mario avant de se l’approprier en appliquant deux points sur le sommet des deux barres du M. Avant même d’être formulé ou cherché, le logo Wii est déjà là, en train de naître.

« N’est-ce pas tout de même une erreur de donner un nom qui embarrasse les gens au moment de le prononcer ? » insiste le respecté et très british magazine Edge encore gêné par l’écho au wee anglais dans son numéro de juillet (164) à la double Une malgré tout entièrement consacrée au logo Wii. « Quand vous prononcez le mot « we », avez-vous une hésitation ? » rappelle Satoru Iwata avec une incontournable évidence, alors que, étonnamment complice, l’amorce de son nom de famille semble décliner le « i » d’Apple, ou, inversée, le Wii Nintendo.

L’incroyable convergence de signes complices référents, voulus ou fortuits, signifiants ou simplement évocateurs, autour d’un logo d’apparence si basique, révèle de façon inattendu ce que les jeux Nintendo dissimulent déjà en surface : une entreprise capable de transformer sa complexité créative inouïe en une façade aimable et simple destinée à séduire puis retenir n’importe quel public. Face aux mastodontes de son secteur, Nintendo joue la carte de l’intelligence contre la force brute. L’entreprise séculaire déclare ne plus vouloir se battre avec ses concurrents engagés dans une bataille technologique mal choisie. Pour autant, comme Shigeru Miyamoto et Saturo Iwata l’ont montré physiquement en dessinant dans l’air le double V de victoire, Nintendo n’a pas baissé les bras. L’entreprise compte bien propager avec la Wii une « win attitude » qui a le potentiel de lui redonner sa place de leader de l’industrie du jeu vidéo. Si Nintendo gagne son pari, les journaux pourront facilement titrer Wiintendo !

François Bliss de la Boissière

(Publié le 7 juillet 2006 dans Chronic’art 27)

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