Jeux vidéo toujours interdits de location, l’occasion fait le larron

Alors que la location de jeux vidéo reste interdite en France, le marché parallèle de l’occasion se développe toujours plus avec l’arrivée de la Fnac. Une solution satisfaisante ni pour les consommateurs ni pour les éditeurs. Et pourtant, quand on demande au porte-parole des éditeurs de jeu vidéo pourquoi cela n’est pas possible, il affirme : « Ce ne serait pas significatif, nous avons décidé en France de ne pas le faire ».

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Aujourd’hui 25 septembre, la Fnac se lance officiellement dans le marché du jeu vidéo d’occasion. En place depuis quelques mois à titre expérimental notamment à la Fnac St Lazare, la formule « Okaz Gaming » fonctionne désormais dans tous les magasins de l’enseigne. Il suffit de se présenter au rayon jeux vidéo avec ses jeux pour se voir proposer un prix qui sera valable uniquement en avoir, mais pour n’importe quel type de produit vendu à la Fnac. L’enseigne propose à ses clients intéressés une carte individuelle « Fnac Gaming » qui évite de décliner son identité à chaque transaction et qui offre quelques avantages à son lancement. Il n’est pas indispensable d’être adhérent pour l’obtenir. Tout en reconnaissant que le marché de l’occasion est en plein essor sans en donner les raisons (tarifs prohibés, crise économique ?), le directeur de la Fnac Fabien Sfez révèle ainsi qu’un « joueur » achèterait « environ 8 jeux par an dont 5 d’occasion ». La Fnac rejoint ainsi les enseignes spécialisées du jeu vidéo comme Game ou Micromania habituées de longue date à la reprise de jeux vidéo.

La mise en place à grande échelle de ce marché du jeu vidéo d’occasion a de quoi surprendre, non pas du côté des consommateurs, dont l’avantage, si l’on veut faire abstraction des tarifs ridicules de reprise par rapport au prix d’achat, se comprend aisément, mais du côté des éditeurs qui ne touchent pas un centime, à ce que l’on sache, sur ces transactions. Ce florissant et chaque jour plus officiel marché du jeu d’occasion en France reste un pis aller pour les gamers de grande consommation. Encore une fois, les tarifs de reprises face au prix de vente élevé, la baisse rapide du prix initial neuf de certains jeux quelques mois seulement après leur sortie, bref la cotation en temps réel de ce marché que gère à l’instinct, ou à la tête du client, les petits magasins spécialisés, et par un système informatique centralisé les grandes enseignes comme désormais la Fnac, relève plus de l’exploitation que d’un service. Une solution alternative à ce marché presque noir existe pourtant : la location de jeux vidéo. Plus digne, plus rentable pour les éditeurs, plus raisonnable pour les gamers ou les familles de joueurs moins avertis, la location de jeux vidéo fonctionne officiellement depuis des années aux États-Unis et même, pas très loin, en Grande-Bretagne. En France, la location de jeux vidéo ne se pratique pas parce qu’elle serait « interdite ». Comprendre, sans doute, que contrairement aux éditeurs de vidéo et de musique, les éditeurs de jeux vidéo s’entendent pour ne pas autoriser la location de leurs produits.

Le porte-parole bien connu du SELL français (Syndicat des éditeurs de Logiciels de Loisirs) Jean-Claude Larue a fait une petite sortie médiatique à la veille du Festival du jeu Vidéo de Paris que le SELL, et donc les éditeurs, parrainent pour la première fois. Lors d’un long entretien paru ici, nous lui avions posé une ou deux questions supplémentaires, dont une concernant cette impossibilité de louer des jeux vidéo en France. Voici sa – évidemment peu satisfaisante – réponse…

Bliss : Historiquement, le marché de l’occasion empiète sur les ventes de jeux neufs. Les éditeurs s’en plaignent régulièrement. Une solution serait d’autoriser la location de jeux vidéo sur le modèle des USA par exemple. Pourquoi n’est-ce toujours pas possible en France ?

Jean-Claude Larue, délégué général du SELL : Parce qu’on ne veut pas. Il existe un marché du neuf et un important marché de l’occasion en France. Il est donc possible d’acheter un jeu à sa sortie, puis quelques semaines plus tard d’occasion, puis quand il vient ensuite dans des offres à tarifs réduits. La location représente des chiffres relativement modestes et qui sont souvent facteur de piraterie. On estime que ce ne serait pas significatif. Donc, nous avons décidé, en France, de ne pas le faire.

François Bliss de la Boissière

(Entretien complet paru sur Electron Libre)

 


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Louisa Jackson : » VidZone a aidé les gens à célébrer la vie de Michael Jackson dans la musique »

La PlayStation 3 continue d’évoluer organiquement comme ses concurrentes en offrant régulièrement de nouveaux services. Dernier en date, l’application gratuite VidZone permet de regarder des centaines de clips musicaux en streaming à partir de la console multimédia. En tournée pédagogique, la directrice des ventes et du marketing, Louisa Jackson, fait le point sur le service VidZone et son futur proche.VidZone

Bliss : Quel succès depuis le lancement du service en juin dernier ?

Louisa Jackson (directrice des ventes et du marketing de VidZOne) : VidZone a été téléchargé par 1,31 million d’utilisateurs, dont 238 222 en France. Les gens utilisent VidZone entre 25 minutes et une heure par session. Soit, avec une moyenne de 3 à 4 minutes par vidéo, presque 140 millions de clips regardés en streaming depuis le 11 juin. Grâce au blog PlayStation dédié à VidZone nous observons que les utilisateurs de PS3 et du service sont globalement des hommes entre 18 et 40 ans. Ils réclament des clips des Foo Fighters, Pearl Jam, Muse ou Green Day, donc c’est très orienté rock. Cela étant dit, si vous regardez le Top 100, la pop est très représentée. En France dans le Top 20 on trouve Beyoncé, Britney Spears, Whitney Houston… Sur le blog, les hommes disent aussi que leur petite amie, leur femme ou leurs enfants regardent VidZone tous les week-ends sur leur PS3. Nous pensons que la population des utilisateurs de VidZone se rapproche de celle des jeux SingStar (jeux de karaoké PS2/PS3, ndr).

Bliss : Cinq clips de Michael Jackson occupent le top 10 du Hit Parade du service… Vous pensez que c’est une bonne chose ou une mauvaise qu’il truste ainsi les premières places ?

Louisa Jackson : VidZone est un service de clips vidéo musicaux à la demande qui a été lancé juste avant la disparition de Michael Jackson. Il est au service de ce que veulent voir les gamers. Nous sommes très content qu’ils puissent y sélectionner ce qu’ils souhaitent. Michael Jackson était un artiste fantastique et ses clips incroyables. Nous faisons la promotion de sa musique avant qu’il meure, et Thriller était déjà le clip le plus regardé. VidZone a aidé les gens à célébrer sa vie dans la musique mais nous avons été très prudent à ne pas exploiter sa mort. Ses clips ont été en effet beaucoup regardés les huit premières semaines. Il faut que je vérifie précisément le Top 10 correspondant à la période de la 8e à la 12e semaine (5 clips MJ dans le top 10 relevés le jour de l’interview, ndr). Michael Jackson a du succès mais aussi Lady Gaga, Eminem, les Black Eyed Peas, DJ Rascal…

Bliss : Gratuit pour l’utilisateur, sur quel business modèle s’appuie le service ?

Louisa Jackson : Nous avons un affichage de pub standard, bannières, leaderboards, MPU, ainsi que, récemment, des pre-rolls qui permettent de regarder 10 à 30 secondes d’un jeu ou d’un film en vidéo à venir avant le programme. Nous avons aussi un système de parrainage avec habillage des arrières plans des fenêtres du logiciel, de nouvelles skins. Nous avons ainsi trois niveaux de revenus que reçoivent les labels de disques, le service VidZone sur PlayStation et les éditeurs.

Bliss : Les utilisateurs de consoles de jeu n’ont pas l’habitude d’être confrontés à de la pub aussi frontalement. Vous pensez que c’est bien reçu ?

Louisa Jackson : C’est mitigé même si pour l’instant cela semble bien toléré, sans beaucoup de plaintes… Parce que c’est nouveau, nous n’avons pas encore à l’heure actuelle raffiné notre système. Nous venons tout juste d’installer les pubs en pre-rolls. À l’avenir ces messages vidéo ne se présenteront que tous les 5 ou 6 clips vidéo de façon à ne pas être trop perturbant pour l’utilisateur.

Bliss : Il y a des raccourcis dynamiques qui permettent apparemment d’aller directement au PlayStation Store à partir de VidZone…

Louisa Jackson : Cliquer sur la bannière de pub d’un éditeur pour un jeu vidéo vous conduira directement au PlayStation Store, en effet, où vous pourrez y télécharger le jeu. Depuis l’importante mise à jour du service lundi 14 septembre, les liens directs avec les stores de Guitar Hero et Rockband fonctionnent. Si vous regardez une vidéo des Foo Fighters , le raccourci vous conduit jusqu’au PS Store pour y acquérir le morceau de musique correspondant aux jeux musicaux Guitar Hero ou Rockband. Dès qu’il sera possible de télécharger des chansons pour les jeux SingStar à partir du PS Store, nous serons très heureux d’y inclure des liens.

Bliss : VidZone abrite des services pour téléphones mobiles…

Louisa Jackson : Le portail vers les téléphones mobiles ne fonctionne qu’en Grande-Bretagne et en Allemagne où les tarifs des networks de téléphonie mobile restent raisonnables pour les labels de disques. En France, en Espagne, en Italie et en Irlande, les droits trop élevés demandés par les opérateurs ne nous permettent pas de fournir des services vers les mobiles. Nous envisageons, d’ici le mois de mars, de passer par le système de paiement de la PS3 de façon à ce que les gens en France puissent commencer à télécharger du contenu VidZone vers leurs téléphones mobiles.

Bliss : VidZone diffuse ses images en définition standard (SD) sur une PlayStation 3 capable d’afficher des images de bien meilleure qualité… Des clips en haute définition (HD) sont-ils envisageables ?

Louisa Jackson : Les clips vidéo musicaux ont été originellement enregistrés en SD, il est donc difficile de les obtenir en HD. Les clips d’Elvis Presley des années 50, par exemple, ou ceux de Bill Haley and The Comets, les clips de la Motown, les Jackson Five… tous ces classiques n’ont pas été conçus en HD. Pour l’instant les plus gros fichiers diffusés en streaming sur VidZone pèsent entre 30 et 35 Mo. Ce qui est déjà un fichier important à envoyer en streaming. Et pour l’instant nous plafonnons aux limites mondiales autorisées pour le streaming.

Bliss : Avec quels labels avez-vous des accords ?

Louisa Jackson : Nous travaillons avec Universal Music, Sony Music et des milliers de labels de musique indépendants dans le monde. Nous espérons travailler avec EMI et d’autres également. Nous aimerions étendre le service pour y inclure des interviews, des documentaires sur les coulisses. Et si possible, mais ce n’est pas encore confirmé, la diffusion de concerts. Si Mika donne un concert en France, par exemple, nous pourrions diffuser des extraits en parallèle à ses clips. Nous discutons déjà à l’obtention d’exclusivités d’artistes français, clips, interviews avec Sony Music et Universal Music… Il y aura des concours pour gagner des tickets de concerts, des CD…
Notre prochaine étape importante consiste à étendre la disponibilité du service des sept pays actuels à onze nouveaux d’ici décembre. Puis les USA prochainement.

Bliss : Comment se tenir informer de l’activité du service ?

Louisa Jackson : Pour suivre l’actualité de VidZone, il faut aller sur notre blog mis à jour toutes les deux semaines environ, le jeudi. Mais quand nous avons l’exclusivité d’un clip comme le récent clip Papillon de The Editors le site est mis à jour à ce moment là. Les utilisateurs ont donc intérêt à s’y rendre régulièrement. VidZone a aussi ses flux Twitter et Facebook. En téléchargeant l’application VidZone les utilisateurs indiquent leur adresse email et nous commencerons bientôt à les informer directement chaque semaine des exclusivités.

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière

(publié le 22 septembre 2009 sur Electron Libre)

 


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JUMP ! JUMP ! JUMP ! Les jeux de plateforme réinventés

Morts avec l’arrivée de la 3D et enterrés par la réussite inimitable de Mario 64, les jeux de plate-forme qui ont fait les belles années 80 et 90 interactives font un véritable comeback. D’abord discrètement infiltrés dans des jeux d’action (Assassin’s Creed) puis – encouragés par des revival 2D et revisités par des artistes (Little Big Planet) – ouvertement et transfigurés comme le prouve et l’assume le vertigineux Mirror’s Edge.

MirrorsEdge

Dans un jargon complètement ésotérique pour les non pratiquants, le jeu vidéo s’est doté naturellement de genres, de catégories interactives au fil des inventions techno ludiques. Le cinéma a ses westerns, péplums, comédies musicales. Le jeu vidéo a ses RPG (jeux de rôles), ses beat’em up and all (duels sur ring et castagnes de rue) et plus récemment, ses FPS (First Person Shooter) et MMO (Massivement Multijoueur Online). Quand le jeune Shigeru Miyamoto invente en 1982 le petit plombier sauveur de princesse sautant de planches en planches sur un périlleux échafaudage dans Donkey Kong, le principe interactif impose son évidence ludique et fait des petits. Au sein d’une 2D pourtant contraignante, le jeu alors baptisé de « plate-forme », où des personnages de pixels colorés découvrent brusquement en sautillant le haut et le bas signe l’âge d’or des consoles 8 bits (Master System de Sega et Famicom de Nintendo) et 16 bits (Megadrive et SuperFamicom). Quel que soit le Panthéon de chacun, vécu ou redécouvert plus tard, les chef d’œuvres d’époque, pour leur précision ou leur ambiance, leur structure ou leur densité, se sont nommés Super Mario Bros et World, Sonic, Quackshot, Mickey Castle of Illusion, Aladdin, Addams Family, Kid Chameleon, Cool Spot, James Pond, Mister Nutz, Donkey Kong Country, Tiny Toon Adventures, Yoshi’s Island… En se cherchant une veine moins enfantine, plus d’atmosphère, le jeu de plate-forme réussit même à s’épaissir en intégrant mystère et scénario avec les (Super) Metroids, Prince of Persia, Castlevania, Strider, Earthworm Jim, Flashback, BlackThorn…

L’électrochoc Mario 64

Prospère pendant 30 ans au cinéma, le western ne survécut pas à la descente réaliste et à la déconstruction du mythe cowboy du western spaghetti des années 70. À lui tout seul Mario 64 provoqua en 1996 le même choc dans le genre « jeu de plate-forme » alors dominant sur consoles. La remise en question radicale de l’espace provoqué par la 3D ne s’accommodait plus d’un simple parcours d’obstacles placés devant le joueur. Tout à coup, comme le château de Mario 64 le démontrait dès l’ouverture du jeu, il fallait aussi habiter l’espace, le construire, et donc, déjà, le scénariser. A quelques exceptions près, notamment Banjo-Kazooie qui fut le seul jeu capable d’émuler et approcher la qualité du suprême Mario 64, le jeu de plate-forme dans sa forme pure s’éteignit naturellement. Ultimes sursauts avant abandon quasi total, les nouvelles consoles 3D d’alors tentèrent leur chance avec des jeux de plate-forme 3D bâtards. Ainsi vinrent et disparurent trop vite le créatif Bug! sur Saturn, le transfuge bancal Sonic Adventure sur Dreamcast, et le très novateur Jumping Flash sur PlayStation. Seule réussite intermédiaire mixant visuels 3D et touché 2D sur PlayStation, Crash Bandicoot devint le dernier grand représentant à succès du genre pendant que le satirique Conker’s Bad Fur Day signait intellectuellement la mort du jeu de plate-forme sous sa forme candide originelle. Approchant l’âge adulte au milieu des années 90, le jeu vidéo se reconnut alors dans la réinvention dissimulée du jeu de plate-forme que fut le premier Tomb Raider. Héritières de la lignée atmosphérique Metroid, Castlevania, Flashback, les acrobaties de Lara Croft indiquèrent une nouvelle voie où, bien que centraux, les principes du jeu de plate-forme s’intégraient dans un mix d’action, d’aventure et de tirs. Le qualificatif jeu de plate-forme finit par disparaître lui aussi des catalogues. Et des esprits puisque les brillants joyaux que furent Mario Sunshine sur GameCube et Jak and Daxter sur PlayStation 2 ne purent totalement assumer leur statut de jeu de plate-forme : l’un en s’équipant d’un pistolet à eau, l’autre, d’un arsenal explosif dès son 2e épisode.

Le come back des années 2000

Après des années d’indifférence, le jeu de plate-forme sous toutes ses formes est pourtant en train de faire un grand retour officieux en cette fin de décennie 2000. Le succès de la console portable DS devenu repère de classiques de la 2D, comme la mise à disposition d’anciens jeux en téléchargement sur Xbox Live, PlayStation Store et Console Virtuelle de la Wii ont remis en toute simplicité l’exercice au goût du jour. Un plaisir réaffirmé par les ventes de New Super Mario Bros sur DS en 2006 qui firent, et font encore, rougir les Mario 3D des consoles de salon et prépara le succès sur Wii de la 3D très contrôlée de Mario Galaxy. Le jeu de plate-forme à l’ancienne reprend des couleurs et s’assume presque comme tel sur consoles de salon. Répétant curieusement la séquence 1996-98 de la Nintendo 64 où Banjo-Kazooie avait succédé à Mario 64, fin 2008 un tout nouveau Banjo-Kazooie (Nuts and Bolts sur Xbox 360) semble encore une fois vouloir relever le défi d’un Mario (Galaxy)
Sur PlayStation 3, le très médiatisé Little Big Planet s’appuie sur un gameplay 2D classique de jeu de plate-forme pour imaginer un jeu 3D malléable et créatif. Il confirme après le récent LocoRoco sur PlayStation Portable et le prochain Pixel Junk : Eden sur PlayStation 3 une récupération artistique inattendue du jeu de plate-forme où se mélangent sans tabou gameplay rétro classique et expérimentations visuelles et sonores.
Mais si les enjeux artistiques et techniques sont à peu près identifiables dans cette cour de récrée colorée, c’est plutôt du côté des jeux pour (jeunes) adultes qu’il faut pister un jeu de plate-forme transfiguré et non déclaré. Le succès planétaire anachronique 2D de Rayman en 1995, et entretenu depuis, encra sans doute dans l’ADN de son éditeur Ubisoft la notion que les principes du jeu de plate-forme pouvaient avoir du succès. Pendant que la série Tomb Raider s’enfonçait dans les abysses, la série Prince of Persia, réussit, elle, à ressusciter en 3D un des fleurons du jeu de plate-forme 2D. En 2007, Ubisoft insiste, entre assassinats et chevauchées libres, les cabrioles d’Assassin’s Creed sur les toits de Jérusalem affirmèrent sans détour les vertus revisitées du gameplay d’équilibriste.

Le grand écart du jeu de plateforme contemporain

Désormais, le concept jeu plate-forme s’assume à tous les niveaux et s’adapte à toutes les situations. Stigmatisant bien la nouvelle cohabitation entre l’approche rétro et contemporaine du genre, Capcom s’apprête à sortir simultanément deux nouvelles versions de son Bionic Commando de 1988. Un Bionic Commando Rearmed en 2D et un Bionic Commando totalement en 3D tous deux pratiqués à la 3e personne. Les excellents Lost Winds et Braid respectivement sur Console virtuelle Wii et Xbox Live rende grâce au gameplay 2D en y ajoutant de nouvelles idées interactives. Cas unique depuis 2002, Metroid Prime fut, après Mario 64, le seul vrai exemple réussi d’un gameplay 2D réinventé en 3D. Après les essais timides non suivis de Turok en 1997, pour la première fois, vue subjective et jeu de plate-forme arrivaient à cohabiter. Un exemple qui ne fera école qu’en cette fin d’année avec le très prometteur Mirror’s Edge où, totalement en vue subjective, une jeune héroïne baptisée Faith, court, saute, bondit de toit en toit tel un Mario féminin lâché dans une mégapole. Elle donnera d’ailleurs des coups de têtes, mais dans celles de ses adversaires. Son rôle ? Messagère, runner porteuse de messages pour la résistance clandestine. Des messages secrets, politiques, dont un désormais public : adultes, réinventés, les jeux de plate-forme sont bel et bien de retour !

François Bliss de la Boissière

(Publié en 2008 dans Amusement #2)

 


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Festival du jeux vidéo à Paris : 16+ petites impressions sans langue de bois manette en main

La journée réservée presse du jeudi 17 septembre a permis d’essayer sereinement la plupart des jeux présentés. La foule publique attendue des trois jours suivant (18-20 et 21 septembre) va forcément compliquer l’accès aux jeux. Avec beaucoup de passion et de patience, l’attente devant chaque borne devrait tout de même valoir le coup. Bruyants podiums avec danseurs et danseuses, jolies hôtesses et figurantes costumées dans les allées et quelques décors donnent à ce salon parisien des allures de petit E3 pas désagréable. Après la réussie Games Convention de Cologne et l’annulation à la dernière minute de l’événement GameOn de Londres en novembre, le Festival de Paris devient vite indispensable. En attendant le Micromania Games Show qui s’installera à la Grande Halle de la Villette en octobre.

Nous avons donc pu jouer à 16 jeux (!) au fil de l’inspiration et observer quelques autres… Le grand événement technique du salon se présente sous la forme de plusieurs écrans Panasonic de 103′ (261 cm de diagonale). De véritables monstres sur lesquels Ubisoft fait une démonstration assez laborieuse en pleine allée de Splinter Cell Conviction et, dans une toute petite salle drapée noire, du jeu Avatar en 3D. Une présentation de luxe sur un tel écran au résultat inégal. Les effets de perspectives, d’avant et d’arrière plan de la 3D stéréoscopique fonctionnent plutôt bien avec les lunettes polarisantes. Voir les indicateurs du jeu flotter devant l’écran ajoute bien à l’effet un peu irréel de l’image. Les réserves viennent plutôt du moteur graphique du jeu lui-même. Bien qu’il utilise celui de Far Cry 2 comme l’annonce le démonstrateur d’Ubisoft Montréal où le jeu est conçu, l’affichage saccade, la définition semble basse (version Xbox 360 en démo), les contours peu nets et aliasés de la si importante jungle de Pandora. L’eau sur le sol est rudimentaire, les effets d’éclaboussures quasi inexistants. Du côté du gameplay le contact entre les personnages et le décor laisse à désirer. Bref c’est un jeu loin d’être fini, et si l’on sait que l’assemblement technique de certains gros jeux se fait à la dernière seconde (on se souvient du premier Halo plein de hoquets quelques semaines avant sa sortie), la sortie calée pour la fin novembre, avant celle du film le 16 décembre, ne laisse pas beaucoup d’espoir.

Assassin’s Creed 2 était lui aussi présenté de façon magistrale dans une petite salle à part pour un résultat en demi teinte. La section présentée se déroule dans des sous-sols aux décors de pierre assez neutres, loin des bâtiments colorés italiens attendus en surface. Les déplacements d’Ezio se calent pour l’essentiel sur ceux d’Altair et, mis à part des aptitudes comme celle, montrée, de pouvoir poignarder deux personnes en même temps dans le dos (!), en se laissant tomber d’une hauteur par exemple. On ne sent pas, avec cette démonstration, un changement significatif. Une section de saute-mouton et de plate-forme à la Prince of Persia ne réussit pas non plus à donner plus de poids aux actions du personnage. Il saute beaucoup trop vite d’une poutre à l’autre, ne semble pas avoir la pesanteur de son corps et se résume à une version superficielle des déplacements acrobatiques du dernier Prince of Persia. Même si le voir s’accrocher à des chaines suspendues et de s’y balancer réjouit.

Les 3 gros jeux multi-joueurs installés dans des décors thématisés se sont laissés regarder de plus ou moins loin. Y accéder demande plus de temps et d’organisation collective que les manettes simplement disponibles. Un coup d’œil rapproché à Halo ODST laisse visuellement très froid. Rien de neuf, des effets et des environnements bien connus et une image à la résolution plutôt basse. À réserver visiblement aux grands habitués des parties en ligne. Deux regrets : ne pas voir pu assister à la présentation d’Aliens vs Predator chez Sega pour cause de présentations trop espacées dans le temps, et de Battle Field Bad Company 2 dont les postes n’ont pas voulu fonctionner.

Gran Turismo 5 et Forza 3 : Tous les deux disponibles sur des écrans et dans des baquets, le plaisir du premier contact avec les deux monstres va très nettement en faveur du jeu sur Xbox 360, alors qu’un seul circuit est pourtant praticable. Forza surprend d’ailleurs avec des couleurs pétantes à la Sega qui l’éloigne un peu du réalisme photographique, il faut bien l’avouer, de plus en plus désincarné de Gran Turismo. Les tracés déjà connus du jeu de Polyphony, l’aliasing flagrant, et la lourdeur générale transforment Gran Turismo en vieux dinosaure figé dans sa formule. Les maigres extraits ne donnent pas, on l’espère, la mesure du jeu complet. Signalons quand même que les icones des menus et le curseur qui les survole vont beaucoup plus vite que l’interface de GT5 Prologue. En bon copieur de Gran Turismo, Forza 3 accentue encore son réalisme avec une prise en main d’une efficacité redoutable. Plusieurs tours dans un baquet avec un volant estampillé Porsche donne toute la mesure de l’exercice physique demandé ici. Sur la base de ce premier essai, Forza 3 renvoie à l’arraché le plus d’excitations visuelles, sonores et nerveuses.

Le retour des beat’em all, ou plutôt des slash’em all : Pratiquer l’un après l’autre Bayonetta, Dante’s Inferno et God of War III et même Ninja Gaiden 2 – le Brutal Legends esquivé pourrait s’ajouter à cette liste – provoque une certaine gène. Avec, bien sûr des variations bien à eux, les 3 premiers jeux déclinent le même gameplay, la même procédure générale de jeu. Les grands moulinets d’armes extensibles des uns et des autres font voler avec la même efficacité les vagues d’assaillants surnaturels au point que les mêmes gestes de bases semblent interchangeables d’un jeu à l’autre. Les petits et gros combos évidemment varient, comme la mise en scène de certaines extravagances, mais ces jeux là se ressemblent trop et ne devraient pas sortir en même temps au premier trimestre 2010 comme actuellement planifié. Pour entrer dans quelques détails, Dante’s Inferno semble accentuer davantage les énigmes de passage. Plutôt abscons, l’exemple donné à jouer à base de leviers, de déplacements de socles et de contrepoids n’était pas très probant. Les menus et les différentes possibilités de gestion apparaissent dès maintenant très plaisantes. L’amour des détails de l’équipe derrière Dead Space se ressent. Le Bayonetta japonais décline ouvertement et légitimement l’ADN de Devil May Cry puisque le même créateur en est responsable. Les animations de l’héroïne à la Sarah Palin mérite toute l’attention des hétéros. Elle n’hésite pas à onduler outrageusement du bassin par provocation et le déclenchement de certains combos font disparaître sa combinaison moulante pour laisser voir en une fraction de seconde sa nudité (à la Samus Aran période 16 bits). Très chaud pour un jeu vidéo. Une attraction qui cacherait presque une mise en scène des combats complètement délirante avec des entités monstrueuses sortant du sol et des jets de matières et de couleurs hors normes. Joué en mode Normal après avoir jeté un œil aux différents modes assistés bien présents et bien expliqués dans les menus, l’affaire fonctionne avec une belle aisance. Bayonetta se révèle beaucoup plus impressionnant en jouant que dans les extraits vidéo. Commun aux 3 jeux, le spectaculaire jaillit sans effort du moindre bouton. Entre les mains, God of War III a pour lui une familiarité confortable. Peut-être trop, coups et QTE se déclenchent sans surprise. L’ensemble s’appuie sur une fluidité particulièrement convaincante, le personnage solidement ancré dans son monde et les animations d’une rigueur exemplaire. Un passage où il fallait franchir des obstacles en s’accrochant plusieurs fois à la suite aux pattes de harpies capricieuses a bien posé quelques problèmes mais avec un peu plus d’application et sans doute d’adresse, un joueur plus habile doit pouvoir manœuvrer ça sans problème. Rien ne surprend dans cet extrait de God of War III mais tout fait plaisir. Ninja Gaiden 2 quant à lui, plus mécanique dans ses mouvements et déplacements, devient capable, dans le petit parcours essayé sous tutorial, de courir sur les murs façon Prince of Persia. Plus vertical, puisque le niveau se déroule dans les escaliers d’une pagode géante, et quand même plus sobre que ses congénères à la sauce mythologique, la démo renoue avec le gameplay à la fois travaillé et raide de la série.

Sur Wii, Red Steel 2 et Dead Space Extraction, présenté lui dans les tentes ouvertes du stand Nintendo, arrivent difficilement à retenir l’attention, avec leurs petits écrans et leur basse résolution, et à générer un plaisir de jeu spontané avec leur maniabilité compliquée. Il faut impérativement un ou une hôtesse à côté pour expliquer comment jouer (un comble pour la Wii tout public) et même comme ça, le début de Dead Space Extraction oblige à affronter un monstre trop gros pour soi, demandant trop d’effort physique et une coordination entre la Wiimote et le Nunchuk qui ne s’apprend visiblement pas en cinq minutes. L’ambiance et certains détails reflètent pourtant bien l’univers de Dead Space et le jeu mérite sûrement plus d’attention. Red Steel 2 n’appelle pas beaucoup de reproche ni d’enthousiasme. Le réussi aspect visuel dessiné presque cellshadé flatte un peu l’œil comme le décor entre western et Japon féodal. La prise en main, après explications, s’avère certainement plus efficace et moins trouble que sur le premier Red Steel. Déplacements, mouvements d’épée, reconnaissance des mouvements de la main fonctionnent apparemment avec assez de fidélité. On y croirait plus si les situations de jeux avaient un peu plus d’originalité. Épée, pistolet, époque, prise en main… Red Steel (2) continue d’être tout et rien et donc d’avoir un problème d’identité.

The Saboteur : L’outsider presque caché au stand chez Electronic Arts se laisse pourtant regarder et jouer comme un jeu à l’environnement totalement inédit. Quelque part dans la France de la Seconde guerre mondiale, un ouvrier en casquette et manches retroussée, un début en noir et blanc sous la pluie avec taches de rouges évidemment nazis, une campagne vallonnée avec petits murs de pierre, des oiseaux innocents qui se dégomment au vol, clochers au loin, Tour Eiffel irisée aussi…, l’ambiance et le rythme posé du jeu tranchent nettement avec l’hystérie du reste du salon. La prise en main à la 3e personne aussi à base de visée tranquille et de cachecache derrière les caisses ou murs et d’échelles à grimper ou descendre. Tout irait bien si dès le départ le level design n’avait pas recours à des répétitions de couloirs et d’espaces digne d’un jeu vidéo paresseux et non d’une architecture crédible.

DJ Hero : La proue musicale du stand Activision dont les couleurs, la musique et les faux musiciens de Guitar Hero 5 sur scène ont fini par attirer le nouveau ministre de la culture en visite. Un casque sur la tête et une platine DJ Hero sous les mains ont permis d’échapper un moment au superficiel brouhaha politique pour vérifier que, oui, l’interface de jeu de DJ Hero fonctionne bien. L’exercice sera clairement moins convivial et sexy que le rock band multi instrumentistes, même avec 2 platines simultanées, mais le plaisir de jeu descend sans équivoque de celui des Guitar Hero. L’option pour gaucher place curieusement les 3 boutons colorés sur l’extérieur du disque plutôt qu’à sa position initiale à l’intérieur. Retourner la platine pour utiliser la main gauche ne semble pas possible. Un détail minoritaire. La fausse platine de disques qui permet de singer les scratchs ne fait pas toc (juste un peu tristoune, stickers colorés à venir probablement) et s’avère même assez lourde pour demander un vrai effort musculaire pour scratcher avec tel ou tel doigt appuyé sur la couleur demandée. Petites déceptions avec l’intérêt acoustique des mixes des Daft Punk, notamment celui qui absorbe de façon très anecdotique le We will Rock you de Queen.

Uncharted 2 : Among Thieves : Est-ce vraiment utile de confirmer qu’il s’agit là d’un grand jeu ? Que ce qu’on voit de spectaculaire en vidéo a encore plus d’impact la manette en mains ? La richesse visuelle des détails et des couleurs n’a d’égal que dans le raffinement des contrôles du personnage. Ça shoote beaucoup dans le centre urbain explosé jouable, mais les phases de grimpette sur les façades et dans les bâtiments détruits laissent augurer du meilleur. Petit moment privilégié recommandé : jouer installé sur la banquette arrière d’une petit Fiat 500 sortie tout droit des décors du jeu.

Heavy Rain : Deux impressions simultanées ressortent après avoir pris le jeu en main. Impatience et doutes face à une séquence d’enquête sous la pluie bien trop lente et lourde. Et une stimulante et, pour le coup vraiment inhabituelle, séquence où une jeune femme se maquille, s’habille et va, toujours sous le contrôle minutieux de la manette, séduire un mafiosi sur la piste de danse d’un night-club. Maintenir une pression permanente sur le bouton R2 pour marcher et ne pas pouvoir courir irrite d’emblée. Les gestes contextuels à accomplir avec le stick droit quasi organique, l’affichage évanescent des pensées des personnages en appuyant sur L2 et les secousses de la manette qui complètent les gestes à l’écran, en revanche, surprennent et enthousiasment. Il y a là nettement « more than meet the eyes » (plus que ce que les yeux ne peuvent voir) et cette aventure ne se mesurera pas en quelques minutes de prise en main sans contexte, et sans musique.

New Super Mario Bros : Jouable uniquement à plusieurs, le nouveau Mario sur Wii fait tout sauf neuf. L’impression d’avoir déjà vu et pratiqué les niveaux mille fois laisse un peu sur le carreau malgré l’envie enfantine que procure toujours un jeu Mario. La description du gameplay et des contrôles impeccables ne nécessite aucune explication au-delà de la réserve chronique de la prise en main à l’horizontale de la Wiimote. Cette incarnation Wii du succès de la DS réussira-t-elle à sortir des casquettes et Mario et Luigi des surprises permettant de rouvrir grand les yeux sur le monde Nintendo ? Mario et Luigi faisant de la luge sur le ventre rhabillé en costumes de pingouins font-ils rire ? On demande à voir.

François Bliss de la Boissière

 


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Jean-Claude Larue / « Au nom des éditeurs de jeux vidéo, je vous dis que l’année ne sera pas mauvaise »

Le Délégué général et porte-parole toujours truculent du SELL, le Syndicat des éditeurs de Logiciels de Loisirs, a un message à faire passer avant d’entrainer ados et parents au Festival du Jeu Vidéo de la Porte de Versailles ce week-end : Tout va bien, le fléchissement du marché du jeu vidéo au premier semestre a d’autres symptômes que la « crise ». Avec la baisse récente du prix de vente des consoles high-tech, ce Noël devrait battre des records. Dans le jeu vidéo, la crise économique se chasserait donc d’un coup de manette magique.Jean-Claude Larue

Bliss : Hadopi 2 vient à l’instant d’être votée. Quelle est la position des éditeurs de jeux vidéo ?

Jean-Claude Larue : Vous savez aujourd’hui je suis en colère. En France on préfère faire des discours que de faire de la lutte. Nous, nous, faisons de la lutte anti piraterie. J’ai des agents assermentés, d’anciens gendarmes assermentés pour intervenir sur la piraterie « classique ». De nouvelles façons de faire de la piraterie sont intervenues dans le domaine des consoles. J’ai écrit il y a trois mois au ministère de la culture qui donne les assermentations, et je n’ai pas reçu de réponse. J’ai écrit au ministre, et je n’ai pas reçu de réponse. Alors je constate qu’on préfère faire des discours à l’Assemblée Nationale plutôt que de s’occuper de la piraterie sur le terrain. Le piratage de cartouches de jeux falsifiés s’est peut-être moins populaire que le piratage par Internet mais c’est notre réalité à nous !

Bliss : Le SELL et GFK fournissent toutes les semaines un hit parade des jeux et des consoles mais aucun chiffre de vente exact n’est jamais donné en France contrairement à d’autres pays. Cela manque, alors pourquoi ?

Jean-Claude Larue : Les chiffres se paient très cher. Le contrat entre le SELL et GFK coûtent déjà près d’un million d’euros par an. Et ces données appartiennent au secret des affaires. C’est pas rien d’avoir 2000 magasins visités régulièrement chaque semaine et d’avoir les ventes à l’unité près fournies par un grand institut international comme GFK que personne ne conteste. C’est beaucoup d’argent. On n’a pas à donner ça aux gens qui ne veulent pas payer. Quand vous regardez le top des livres on ne vous dit pas non plus le nombre d’exemplaires vendus. Toutes les semaines nous publions sur le site du SELL les 5 premiers jeux PC et consoles, dans l’ordre. On ne met simplement pas les quantités. Nous donnons en général les chiffres deux fois par an. À l’IDEF, notre salon professionnel à Cannes du mois de juin, et vers la fin de l’année.

Bliss : La crise a fini par rattraper officiellement l’industrie du jeu vidéo comme le dit, entre autres, un communiqué du SNJV (Syndicat National du Jeu Vidéo), avec une baisse nette des ventes consoles et jeux. Comment résiste la France par rapport au reste du monde ?

Jean-Claude Larue : Le SNJV représente les studios de développement de jeux vidéo. Pour nous, les éditeurs, ce n’est pas la crise. L’année dernière nous avons atteint le chiffre d’affaires historique de 3,2 milliards d’euros. Trois ou quatre ans en arrière nous faisions 1 milliard et demi. Le début d’année a été difficile pour deux raisons. Il n’y a pas eu des sorties de jeux aussi importantes que l’année dernière à la même période et nos consoles de nouvelles génération n’étaient pas au bon prix. Avec la baisse récente de la Xbox 360 Elite à 249 € et la PS3 à 299 € le bon prix est cette fois en place. Les ventes ont été multipliées par dix en une semaine en France, ont explosé au Japon et aux États-Unis. Le PDG d’Ubisoft Yves Guillemot, LA success story française, qui n’est pas un analyste extérieur à l’industrie, a dit qu’il allait revoir à la hausse ses résultats. Et moi qui vous parle au nom des éditeurs je vous dis qu’avec ce qu’on voit, l’année ne sera pas mauvaise. On va montrer pendant le Festival du jeu vidéo de ce week-end à la Porte de Versailles, que nous soutenons pour la première fois, un line up de jeux extraordinaires pour la fin de l’année. Nous allons faire une année autour de 3 milliards. C’est à dire la deuxième année historique ! Alors effectivement certains studios de jeux vidéo ont des difficultés… C’est toujours la même histoire… À sa sortie, la DS a fait un tel carton que tout le monde s’est précipité « on va faire de la DS on va faire de la DS ». Résultat : pléthore de jeux de style carnets intimes, maquillages, chevaux, poney etc. Vous savez combien il y avait de jeux de chevaux à Noël ? 13 ! Et il s’en est vendu… un et demi seulement… Et maintenant le nouvel Eldorado serait l’iPhone ? Nous verrons.

Bliss :  Le SELL est-il en contact avec Apple devenu soudainement et tardivement éditeur de jeux avec son iPhone ? Leur modèle de prix est justement en train d’exploser les habitudes du marché…

Jean-Claude Larue : Vous savez Apple joue toujours tout seul. Vous avez vu récemment les difficultés rencontrées par les responsables d’Apple en France en attente désespérée d’une réponse du siège central à Cupertino quand la société a été accusé pour les problèmes d’écrans d’iPhone. Tout ça est extrêmement centralisé. Quant aux prix, 80 % de ce qui est sur Apple est gratuit.

Bliss : Après les salons éphémères de jeux vidéo des années 90 à Paris, que représente aujourd’hui ce Festival du jeu Vidéo ?

Jean-Claude Larue :Aujourd’hui en France nous avons 20 millions de clients ! 90 % des familles avec enfants ont un système de jeux vidéo à la maison. Sans beaucoup de moyens, la société Games Fed avait commencé courageusement à organiser son salon à Montreuil les premières années. Nous avons pensé que c’était le bon moment pour démarrer un partenariat et donner les moyens à ce Festival de se développer. Nos amis allemands nous ont montré la voie en faisant venir 250 000 personnes à Cologne au mois d’août pour leur Games Convention. Il ne serait pas invraisemblable d’avoir 100 à 150 000 personnes à Paris. Je vais depuis 20 ans au salon de l’auto, ma fille de 16 ans ira au salon du jeu vidéo dans 20 ans. On va voir si on arrive à faire 60, 70 000 personnes ce week-end.

Bliss : Entre les grands jeux internationaux présentés au public sur le salon et les jeux franco-français et presque confidentiels concourants pour un Milthon awards le contraste est énorme. Comment expliquer ça ?

Jean-Claude Larue : Vous êtes en face du problème des communiqués du SNJV évoqués tout à l’heure. Je n’ai jamais été très favorable aux prix et aux récompenses. Le jeu vidéo est toujours à l’avant-garde et doit inventer des choses. C’est ça qui fait la force de notre industrie. Si on m’avait dit il y a 3 ans que j’irais cet été dans une maison pour personnes âgés pour y voir des personnes à mobilité réduite jouer à la Wii, honnêtement, je ne l’aurais pas cru. Si on m’avait dit il y a 3 ans qu’on ferait un tel chiffre d’affaires avec Guitar Hero et si je ne voyais pas à la maison ma fille de 16 ans jouer à Guitar Hero avec des copines, je ne l’aurais pas cru. Si on m’avait dit qu’il y aurait des gens de mon âge qui iraient faire de « l’Entrainement Cérébral » ou apprendre l’anglais sur DS je ne l’aurais pas cru non plus. Donc notre industrie s’appuie sur deux choses : du silicium et des écrans d’un côté, et de la créativité de l’autre. Il faudra remettre des récompenses le jour où la France sera capable aussi d’innover à cette échelle. Les grands jeux ne vont pas aux Milthon, les petits y vont, ça leur sert d’embryon de notoriété, et ça ne fait de mal à personne.

Bliss :  La vente dématérialisée de jeux importants comme les nouveaux chapitres de GTA IV ne semblent pas rencontrer le succès aussi vite que prévu. Pourquoi ?

Jean-Claude Larue : Quand une nouvelle voie se présente il y a toujours quelqu’un pour dire : « non non la diligence sera toujours plus rapide que la voiture ». Dans la musique ce sont les gens qui disent « Internet connerie, jamais, on aura toujours un support physique pour mettre dans sa bibliothèque ». Vous avez aujourd’hui monsieur Serge Eyrolles président du syndicat du livre qui dit « Google est notre ennemi »… C’est ce que j’appelle la marine à voile. Ce n’est pas très intéressant parce que, un jour, ça coulera. Par contre quand l’aviation arrive, il ne faut pas se tromper. Là, vous l’avez bien vu, on se dirige de plus en plus vers l’Internet. Nous avons de plus en plus de jeux multi-joueurs, de prolongements en ligne. Alors, oui, on y va, mais tout saborder d’un seul coup en se disant « je coule la marine à voile pour tout mettre dans les avions à réaction », ce n’est pas très malin. Il n’y a plus aujourd’hui une seule de nos plateformes qui n’ait pas de prolongement Internet comme presque tous nos jeux. Mais nous ne voulons pas tuer le modèle sur lequel nous sommes assis. Certains se battent contre le nouveau modèle. C’est la discussion à l’Assemblée Nationale aujourd’hui. Hadopi toute ! Hadopi 12 ! Vous allez voir ce que vous allez voir, la musique va remonter ! Très bien c’est formidable mais je n’y crois pas une seconde. Nous avons des magasins, spécialisés qui représentent 55-60 % des ventes. Nous vendons encore du jeu dans un emballage physique. Donc le jeu vidéo se dirige vers la dématérialisation, sans résistance, mais sans précipiter le mouvement.

Bliss : Malgré les discours des uns et des autres, les magasins continuent de mettre en démonstration des jeux interdits aux moins de 18 ans et continuent d’en vendre aux mineurs avec ou sans parents présents. Un laxisme qui entretient la mauvaise réputation du jeu vidéo. Quelles actions entreprendre ?

Jean-Claude Larue : Je suis entièrement d’accord avec vous. Nous sommes en train de travailler sur une charte éthique de la distribution. Nous avons eu déjà trois réunions et j’ai été surpris de voir l’accueil très positif de la distribution. Je pense aux chaines de magasins Micromania, Game, mais aussi Auchan. L’hyper marché reste encore une difficulté. Autant le vendeur spécialisé de Micromania et Game peut avoir le client en face, autant il est évident que la caissière de Carrefour ne peut pas faire attention. J’espère signer cette charte avec la distribution avant la fin de l’année et que vous m’interviewerez à ce sujet.

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière

(Publié le 17 septembre 2009 sur Electron Libre)

 


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Les blockbusters du jeu vidéo trébuchent sur la dématérialisation

Aussitôt annoncée la date de mise à disposition en téléchargement du 2e chapitre inédit de la saga Grand Theft Auto IV le 29 octobre prochain, le studio Rockstar s’empresse de préciser qu’il sera également vendu en magasin sur un disque en compagnie du 1er chapitre. Deux pas en avant, un pas en arrière, l’heure du jeu vidéo blockbuster dématérialisé n’a donc pas encore tout à fait sonné.

GTAIV

The Lost and the Damned, le premier chapitre indépendant du multimillionnaire Grand Theft Auto IV (GTA IV), commercialisé uniquement sous forme dématérialisée sur le Xbox Live en février 2009, aurait dû signer l’avènement du jeu vidéo blockbuster téléchargeable en chapitres sur console. Au lieu de quoi, le succès modéré de l’opération que l’on peut déduire de l’omerta de l’éditeur Take Two sur les chiffres de vente, aurait plutôt freiné l’élan. Et au moment de la sortie attendue, encore en exclusivité sur Xbox Live le 29 octobre, du 2e chapitre au titre clin d’œil et subversif digne de la série (The Ballad of Gay Tony), Dan Houser, un des fondateurs vedettes du studio Rockstar à l’origine de la série, annonce, à la surprise générale, la commercialisation en parallèle des 2 épisodes simultanés sur disque Xbox 360 (qui ne nécessitera pas de posséder le jeu original pour fonctionner).

Un horizon flou comme la dématérialisation

L’avenir du jeu vidéo sera téléchargeable, plus personne n’en doute. Mais quand exactement aura lieu le basculement définitif entre la vente traditionnelle de jeux en boite dans les magasins et la dématérialisation totale ? Dans un sérieux reportage vidéo allant à la rencontre de la crise économique aussi installée dans l’industrie du jeu vidéo, l’ancien directeur créatif d’Oddworld Inhabitants, Lorne Lanning, toujours prêt à jouer les prophètes, ne donne pas plus de 5 ans au jeu vidéo « en boite » avant de rejoindre le destin du vinyle. Tout en confirmant la croissance de la vente en ligne de contenu de jeux, une étude plus réservée de Screen Digest prévoit que d’ici 2013, les 830 millions d’euros dépensés à l’acquisition de jeux complets dématérialisés ne représenteront que 11 % du marché des jeux pour consoles, le reste étant encore vendus en boite. Aussi dynamique soit-elle et malgré sa durée de vie allongée à 10 ans, cette génération de consoles ne servirait que de répétition à la consommation en masse de loisirs dématérialisés. La prochaine vague de consoles de salon, que tout le monde a du mal à cerner au milieu de la fusion généralisée de tous les services dans des box de plus en plus interchangeables, signerait, elle, l’avènement de la vente totalement virtuelle, entre autres, de jeux vidéo.

Deux pas technologiques en avant

Au jour d’aujourd’hui, le marché du jeu vidéo, toujours à la pointe des tendances, avance de deux pas un jour, pour reculer d’un pas le lendemain. Le succès incontestable des DLC, ces Downloadable Contents ou encore, en français, « contenu téléchargeable » (et non « date limite de consommation »), qui occupent les communiqués de presse éditeurs et les conversations des gamers, s’arrêtent là où prix et contenu ne trouvent pas une harmonie culturelle encore à définir.
Il suffit de prendre l’exemple du nombre vertigineux de chansons disponibles à l’achat autour des jeux musicaux Guitar Hero et Rockband sur les stores Sony et Microsoft, pour mesurer à vue d’œil et d’oreille l’accélération incontestable des microtransactions sur consoles. Le nombre d’extensions de jeux (DLC donc) un jour apanage du jeu sur PC (add-ons sous la forme classique de maps, de nouveaux engins, de nouvelles épreuves ou récemment, plus fétichistes, de nouvelles tenues pour les héros…) ne cesse de croitre sur les trois consoles de salon. Un marché dématérialisé qui peut aller jusqu’à, exceptionnellement, faire le succès d’un jeu inédit dit d’arcade comme le récent Shadow Complex, supervisé par Epic Games connu pour la série Gears of War, triomphant publiquement à 200 000 exemplaires vendus en 2 semaines. Entre les rééditions de jeux anciennes générations sur la console virtuelle de la Wii, le Xbox Live Arcade de la Xbox 360 et le PS Store de la PlayStation 3, les consommateurs sont entrainés depuis 3-4 ans, à faire l’acquisition de jeux à prix réduits associés à une réalisation sérieuse mais visiblement modeste par rapport aux superproductions. L’écosystème va jusqu’à permettre d’acheter et transférer des jeux complets à partir des consoles de salon jusqu’aux consoles portables comme la PlayStation Portable et la DSi de Nintendo. Sans lecteur de disques UMD, le nouveau modèle de PSP baptisée Go, disponible le 1er octobre, ne fonctionnera plus qu’avec des jeux dématérialisés téléchargeables. Et bien sûr, depuis un an, l’AppStore et ses 6 000 jeux iPhone/iPod Touch a fait exploser les modèles d’offre et de demande.

Un pas culturel en arrière

Le succès de ces modèles repose néanmoins sur une politique de petits prix. Les jeux les plus sophistiqués comme les chapitres inédits de GTA IV plafonnent à 20 € et se cognent visiblement déjà aux limites des habitudes d’achat. À partir de quelle somme le consommateur-joueur éprouve-t-il le besoin d’avoir une trace concrète de son acquisition ? Tel un effet miroir renvoyant en magasins, la multiplication récente de versions collectors de jeux comme le récent Batman : Arkham Asylum ou le prochain Assassin’s Creed II, qui ajoutent entre 20 et 30 € à la facture déjà salée de 70 € de base, prouve que le consommateur reste plus enclin à payer cher la preuve en plastique de son achat plutôt qu’une portion inédite du jeu en ligne. Une faiblesse qu’encourage encore les éditeurs de jeu vidéo qui ne veulent surtout pas s’aliéner les circuits traditionnels de distribution. Si la mise en vente récente de jeux complets première génération Xbox 360 sur le Xbox Live semble une innovation, voire une prise de risque, le prix de vente calé à 30 euros se révèle plus élevé que celui du jeu désormais soldé en magasin (entre 15 et 25 € les titres en question). Devant la nécessité de ménager la chèvre et le chou, la poussée en avant technologique et culturelle de la dématérialisation souhaitée par Microsoft se limite pour l’instant à des phases d’observations et de béta tests. Le peu de succès de la vente dématérialisée sur le Xbox Live d’une poignée de jeux disparus des magasins de la première console Xbox, prouve que ce sont aussi les habitudes du consommateur que Microsoft, et les autres éditeurs embarqués dans l’aventure, explorent en tâtonnant.

Marche arrière forcée

La nouvelle PlayStation 3 Slim laissant encore une fois de côté, au grand dam des gamers à la pointe, la rétro compatibilité avec le catalogue de jeux PlayStation 2, contrairement aux premiers modèles de PS3 commercialisés en 2006 et 2007, on devrait s’attendre en toute logique évolutive à ce que Sony commence à vendre des jeux PS2 aux côtés des jeux PlayStation One sur son PS Store pour être jouables de façon émulée sur PlayStation 3. Pourtant, encore une fois, alors que Sony a aussi pour objectif de promouvoir son format Blu-ray contrairement à Microsoft, Sony Computer a annoncé, aux USA pour l’instant, la réédition remastorisée et upgradée de ses deux blockbusters God of War I et II de la PlayStation 2 réunis sur un seul disque Blu-ray destiné à la PS3. Deux pas en avant virtuel, un pas en arrière matériel, cahin-caha, le jeu vidéo poursuit ainsi prudemment son inexorable chemin vers la dématérialisation.

François Bliss de la Boissière

(publié le 14 septembre 2009 sur Electron Libre)

 


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Avatar, où comment le réalisateur de Titanic refait surface

Derrière le spectaculaire visuel et médiatique du nouveau projet de James Cameron avec bande-annonce et 15 minutes d’extraits offerts au public en salle, se cachent plusieurs intentions. Celle d’un réalisateur toujours en quête d’émotion et d’absolu et celle de l’industrie du cinéma qui utilise tous ses moyens technologiques, 3D, IMAX, pour arracher les gens à leurs écrans à domicile et les refaire voyager en grand dans les salles de cinéma.

Avatar 02

2ème partie (1ère partie ici) : Où le projet de James Cameron engendre une promotion d’un nouveau genre en arrachant, paradoxe ultime pour un film quasi virtuel, les spectateurs de leur écran d’ordinateur et les invite à venir voir des extraits gratuitement en salle. 4 mois avant la sortie mondiale, c’est aussi une façon de familiariser tout le monde avec ces, d’abord fumeux, puis fameux, avatars extra-terrestres bleus…

Paliers de décompression

Sans tendre l’oreille de façon volontariste pour épouser le rythme émotionnel de la bande-annonce, la première vision des créatures anthropomorphiques de la planète Pandora déconcerte sans aucun doute (cf 1ère partie). La projection inhabituelle de longs extraits du film quatre mois avant la sortie du film, d’abord au Comic-Con de San Diego, puis dans le reste du monde, y compris dans des salles IMAX, a peut-être la fonction cachée, derrière la promotion, de familiariser le spectateur avec ces étranges Na’vis avant la commercialisation du film. Cameron et la production savent sans doute déjà que le premier rejet instinctif de la présence curieusement humanisée des avatars pourrait peut-être nuire à l’appréciation du film. La bande-annonce qui sera certainement suivie d’autres et les 15 minutes de montage servent déjà de palier de décompression. Nos sens ont peut-être besoin d’être apprivoisés pour être capables d’accepter, sans même passer par le relief, le saut technique et sensoriel tenté par le film. Car les longs extraits démontrent au moins une chose non perceptible dans la bande-annonce : la viabilité expressive des dites créatures. Plus délicats à accepter pour le personnage masculin central rigidifié dans une posture de surprise, le personnage féminin Na’vi d’une des séquences fait la démonstration d’une large palette d’expressions faciales et corporelles. On y croit très vite, plus vite qu’avec les expériences botoxées virtuelles de Robert Zemeckis du Polar Express et de Beowulf, mais peut-être moins sincèrement, au jour d’aujourd’hui, qu’avec le Gollum du Seigneur des Anneaux et le King-Kong de Peter Jackson car, eux, ne cherchaient pas autant à faire humain.

La messe version Cameron

Sans chercher à en savoir davantage sur le scénario pour mieux se préserver du plaisir, il semble déjà évident que Cameron célèbre à nouveau la machine « évoluée » pour aussitôt en dessiner les dérives et les limites. Après avoir démontré, de Titanic à Terminator, que les machines asserviraient ou détruiraient l’homme par simple pesanteur ou logique rationnelle, Cameron entreprend cette fois de prolonger le message d’Abyss où le futur de l’homme serait plutôt la fusion, d’abord fraternelle, puis physique et spirituelle dans Avatar, avec une espèce venue d’ailleurs. Pour Cameron, le mecha improvisé qui permet au personnage de Ripley de lutter contre la reine alien (Aliens), puis les mechas militaires pourtant spectaculaires d’Avatar sont déjà dépassés. Toute puissante fut-elle, l’aide mécanique des machines à la motricité du Marine handicapé ne se compare pas à la renaissance physique que permet le transfert de son esprit dans un avatar alien. Ainsi, après avoir servi d’outil, d’assistance et d’instrument de destruction, l’intelligence artificielle de la machine pourrait aussi servir de vecteur entre l’homme et une autre forme de vie. Au delà de la cybernétique et du Terminator aux tissus mélangés, il faut à l’homme inventer la machine intelligente qui lui permettra de conserver son acquis intellectuel et émotionnel en le transférant dans un autre corps biologique, plus apte.

Au-delà des nuages et de la technologie

James Cameron explique que sa passion pour l’exploration des fonds sous-marins remplace l’exploration encore impossible du cosmos à laquelle il aspire depuis toujours. Au fond des abysses dit-il, dans le coton ouaté des mystérieuses profondeurs où toutes les rencontres sont encore envisageables, il cherche les autres mondes devinés sur la tapisserie étoilée du ciel. Après être descendu dans les profondeurs du Titanic pour remonter et toucher du doigt le ciel du succès, Cameron revient douze ans plus tard avec, cette fois, la ferme intention de nous emmener pour de bon au-delà des nuages. Et parce que la modernité ne lui échappe pas plus aujourd’hui qu’il y a dix-huit ans (Terminator 2), il n’oublie pas de joindre à l’exploration extériorisée de l’espace, celle intériorisée de l’espace atomique et biologique devenu digital. Si les procédés de 3D relief utilisés font l’événement (mais pas plus, à la vision du montage de 15 minutes, que les récents Là-haut et Coraline), si Avatar signe peut-être l’avènement du cinéma dit « virtuel » où l’on enregistre informatiquement bribes de décors et acteurs avant de réellement placer une caméra virtuelle et donc de « filmer », si Cameron comme avec Terminator 2 redéfinit les contours des effets spéciaux pour les cinq-dix ans à venir, il importe davantage de savoir quelle histoire fondamentale veut nous raconter le prophète James Cameron. Et si la motion capture, ou « performance capture », encore raide, le look étrange des Na’vis et les affrontements à la Star Wars laissent des doutes, la charge émotionnelle de la musique accompagnant le placement chirurgical de chaque image de la bande-annonce évoque sans détour le type de registre spirituel que cherche le réalisateur. Quand un cinéaste de 55 ans qui n’a plus rien à prouver de son talent fait un film de SF fantasmatique dont l’apparente candeur siérait plus à un jeune réalisateur geek et excusable, il faut bien se résoudre à envisager le pire ou le meilleur. Soit nous avons à faire à un réalisateur que le succès et l’ambition auraient rendu aveugle et fou. Soit nous allons assister au nouveau coming out d’un génie visionnaire toujours en avance sur son temps.

François Bliss de la Boissière

Voir aussi 1ère partie : Avatar, le coming out planétaire de James Cameron

(Publié le 12 septembre 2009 sur Electron Libre)
 

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Avatar, le coming out planétaire de James Cameron

Bande-annonce du film disponible sur Internet, puis 15 minutes de projection en 3D et gratuite d’extraits du film en salle ont transformé le vendredi 21 août en exceptionnelle journée Avatar. Et signé le retour public de James Cameron, le réalisateur bâtisseur de mondes qui veut toujours nous faire croire que derrière l’effondrement des machines et de la civilisation (Terminator, Abyss, Titanic) l’amour est toujours possible. Analyse et impressions à chaud, et froid.

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* Note aux passionnés : Pas de spoilers ci-dessous. Mots et impressions sont tirés de la bande-annonce du film disponible partout depuis le 21 août que l’on recommande de voir, ici, avant de lire. Le montage de 15 minutes projeté vendredi 21 août dans quelques salles Gaumont à Paris et en province, et vu avec le public invité gratuitement, est évoqué mais non décrit plan à plan. James Cameron le précise lui-même au début de ce privilégié bout à bout de quelques scènes montré d’abord au Comic-Con de San Diego, les images présentées n’appartiendraient qu’à la première moitié du film.

1ère partie : où le réalisateur de Titanic redevient une figure publique avec une bande-annonce dont les aliens/avatars du titre apparaissent plus comiques que convaincants avant de cueillir le spectateur au ventre avec une bande-son porteuse de toutes les intentions émotionnelles du voyage…

Après douze années d’attente depuis le succès planétaire de Titanic, 4 années de production et d’innovations technologiques annoncées, la première vision de la bande-annonce du méga projet en 3D et « cinéma virtuel » de James Cameron laisse circonspect et réveille les vieux démons du scepticisme avant de convaincre. Presque un cliché pour l’inventeur des mécaniques de substitution guerrière ou ouvrière d’Aliens, Abyss ou Terminator, les « méchas » (armure géante robotisée pilotée de l’intérieur par un humain) où se glissent les Marines colonialistes du scénario d’Avatar ne surprennent pas. Les corps longilignes aux aptitudes animalières, les yeux de biches et la voyante peau bleue des indigènes extraterrestres de la planète Pandora frôlent le ridicule et, surtout, ne renvoient pas au premier abord le côté sérieux-réaliste supposé être associé au projet. Les scènes d’affrontements aériens entre les hélicos militaires du 22e siècle et les montures volantes des Na’vis confirment le spectaculaire d’un film d’action sans faire naître un étonnement technique post Star Wars, Seigneur des Anneaux, ou Transformers signifiant. Syndrome inévitable de l’attente et du buzz mondialisé, orchestré ou spontané, l’image concrétisée d’aucun projet ne réussit jamais à se substituer à la page blanche de l’imagination de chacun. Néanmoins, un minimum intéressé et concerné pour y passer le temps requis, la vision répétée de cette bande-annonce de 2’09 minutes finit par laisser durablement une empreinte. Car au-delà de l’esbroufe technologique plus ou moins appréciable, Cameron cherche avant tout l’émotion. Et c’est bien elle qu’il faut guetter, oreilles au moins aussi grandes ouvertes que les yeux, dans la bande-annonce.

Voyage spirituel extérieur et intérieur

Une fois la première impression digérée, positive ou négative, face aux images, l’habile montage et le crescendo émotionnel de la sobre mais pénétrante bande son musicale tout juste bruitée, révèlent l’intimité et la puissance d’évocation recherchée par Cameron. Même si les plans objectifs du filmage ne l’indiquent pas directement, la bande-annonce se vit pratiquement en vue subjective. Réunis dans la position d’observateurs passifs, le spectateur assis derrière son écran et le Marine, héro de l’aventure coincé dans sa chaise roulante, partagent ainsi le même voyage : le trajet physique qui va du vaisseau spatial quittant la Terre à l’atterrissage sur la base militaire de la lune Pandora ; le parcours physiologique qui transforme le Marine handicapé en créature aux aptitudes physiques surhumaines quand il investi le corps d’un Na’vi, l’avatar ; et le chemin spirituel du héros qui va littéralement quitter le monde mécanique des hommes pour épouser le destin « naturaliste » des indigènes Na’vis. Dès le soulèvement de paupières du premier plan, la direction de regard est donnée. La curiosité du Marine, qui descend en chaise roulante de l’avion cargo en observant avec attention autour de lui, guide celle du spectateur. Ou, plus précisément, la qualité du regard porté sur les choses par le Marine doit instruire celle du spectateur, l’entrainer dans son émerveillement et son intensité émotionnelle. Le discret et pourtant formidable mouvement de caméra qui accompagne la découverte du Na’vi flottant dans un caisson transparent porte en lui toute la force du moment et du futur qu’il va engendrer. En glissant doucement derrière le héros dans sa chaise roulante, la caméra épouse son regard jusqu’au moment où, prolongeant le mouvement alors que lui s’arrête pour observer le Na’vi, elle redonne conscience au spectateur de sa propre présence dans son dos et anticipe sur l’expérience de décorporation, de sortie du corps, que va concrètement vivre le Marine en investissant celui du Na’vi. Acquiescement, émerveillement, tranquillité, le simple sourire du héros ponctuant cette courte séquence porte en lui le capital d’énergie positive à venir et ramène le spectateur dans le corps du héros qui dit, en souriant, oui à l’expérience. Ce sourire est forcément celui de James Cameron. Il signe le degré d’intention et de qualité  spirituelle attribuée à cette invitation au voyage.

Pulsations cardiaques partagées

Un lointain riff de guitare fait alors monter d’un cran la tension. Des battements de cœur étouffés donnent son rythme au montage et accompagnent le mystérieux transfert, vécu de l’intérieur, de l’humain au Na’vi. La respiration de la créature, digne d’un astronaute ou d’un scaphandrier fortement connotée trip intérieur et cosmique (2001, Abyss…), se joint aux battements cardiaques pour créer une poignante nouvelle dynamique rythmique. Le plan totalement subjectif qui suit, avec les deux mains du Na’vi dans l’écran, confirme au spectateur – et au gamer déjà bien habitué à cette position – l’immersion jusque là suggérée par les sons, le voyage intérieur auquel conduit le trajet intersidéral et sidérant. Un léger travelling permet de découvrir en même temps que lui sa nouvelle enveloppe, cet improbable corps géant et bleu au début maladroit avant que le Marine devenu Na’vi, du seul mot prononcé dans toute la bande-annonce, déclare avec un sourire rassurant au laborantin/spectateur inquiet et incrédule derrière sa vitre : « This is great », « C’est génial ».

« Altereted States »

La suite, extravertie, volontairement plus spectaculaire et ponctuée par une nouvelle couche rythmique contenue, enchaine sur la raison d’être du voyage : l’expérience primale de la vie de la vie du héro qui, tel le scientifique auto-expérimentateur du Altereted States de Ken Russel en 1980 ou un certain « danseur avec les loups » empathique, bascule de la lutte humaine contre la population native locale à la participation du côté autochtone à la guerre contre la colonisation humaine. Les images parlent ici le langage facilement identifiable de l’action et il faut encore vivre la magistrale pulsation de la musique pour y ressentir les intensions dramatiques qui suggèrent un au-delà des scènes de bataille. L’ébauche de baiser final entre les deux Na’vi dont on suppose que le mâle est l' »ancien » Marine humain, rappelle sans surprise mais avec pertinence que, malgré la tempête alentour, les enjeux sont émotionnels et intimes comme l’étaient ceux du couple d’Abyss ou du Titanic.

2ème partie à suivre ici : Où le projet de James Cameron engendre une promotion d’un nouveau genre

François Bliss de la Boissière

(Publié le 11 septembre 2009 sur Electron Libre)

 



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