Beyond Good & Evil : made in France

Le souvenir des échecs de la french touch fait encore peur ? Grosse erreur, la qualité à la française existe bel et bien comme le prouve le nouveau projet du créateur à succès de Rayman. Il est donc temps de revendiquer l’héritage multiculturel français.

Beyond Good & Evil

Le créateur de Rayman et auteur de cette belle et nouvelle aventure interactive l’avoue dans une interview (1) : le jeu actuellement disponible en magasin sur PS2 et PC en France (Xbox et GameCube en 2004) pourrait s’appeler Beyond Good & Evil 2 ! Suite à l’échec commercial (mais pas artistique) d’un Ico sur PlayStation 2 qui utilisait la même idée de coopération entre le personnage principal et un acolyte que BG&E, puis la sensation persistante que, malgré leurs succès, des jeux comme Zelda : Ocarina of Time sur N64 ou The Wind Waker sur GameCube ne correspondent plus vraiment aux goûts du grand public, Michel Ancel a pris la décision courageuse, mais peut-être discutable, de modifier son jeu.

BG&E v2

Alors qu’il était quasiment terminé il y a 18 mois, Ancel, en accord avec son éditeur Ubisoft, a donc fait des ajustements assez sévères pour qualifier la mouture actuellement entre nos mains de version 2 du jeu ! Design plus « sérieux » et donc moins cartoon de l’héroïne devenue aussi plus masculine, concentration de l’histoire et des dialogues, allégement des puzzles « freinant » la progression? De la même façon qu’il dénonce le statut d’auteur sur lequel Ubisoft s’est appuyé pour promouvoir BG&E, Michel Ancel – pourtant le seul concepteur de jeu vidéo français ayant connu un vrai succès international et pouvant prétendre à une notoriété – préfère le pragmatisme commercial à l’orgueil de star qu’il pourrait être. Relevons tout de même que la décision forcément coûteuse de remettre son projet sur l’établi pendant un an et demi semblant lui appartenir en propre, Michel Ancel a bien, malgré ses dénégations, un statut d’auteur. Qui d’autre a le final cut dans l’industrie du jeu vidéo ? Un statut d’auteur aux mains libres conforté par un titre un peu obscur à connotation philosophique (2), un scénario assez poussé et, malgré une accessibilité tout public, une ambition socio-politique qui sort du cadre habituel du jeu vidéo.

Ne dites plus « french touch »

Suite aux trop nombreuses faillites de studios français spécialisés dans le jeu vidéo ces dernières années, le qualificatif de french touch est devenu tabou en France comme il était ambigu à l’étranger. Et c’est sans doute une erreur car, comme le montre le jeu de Michel Ancel, la touche française existe bel et bien, parfois pour le pire mais, ici, pour le meilleur. BG&E a en effet les qualités et les défauts bien connus des jeux vidéo français mais penche du bon côté de la balance : scénario à la fois original et hérité de la BD franco-belge (il y a du Tintin dans le personnage de Jade la photo reporter héroïne du jeu), lucidité politique s’exprimant via un mélange d’idéalisme naïf et de fatalisme réaliste, gameplay ambitieux limité par les moyens techniques si ce n’est financiers. Une réalisation forcément artisanale par rapport aux grosses productions japonaises comme l’est le cinéma français par rapport au cinéma américain. Rien de déshonorant, bien au contraire.

Culture made in France involontaire

Qu’ils le veuillent ou non, les créateurs de jeu vidéo français laissent toujours passer un peu de la culture française : littérature, peinture, cinéma, même quand elle se mâtine de culture manga ou comics. Et, même si les décideurs outre-atlantique froncent les sourcils, ils ne devraient pas en avoir honte car, comme le prouve la précédente réussite de Rayman et aujourd’hui le bel essai de Beyond Good & Evil, la sauce française finira bien par prendre un jour ou l’autre, peut-être même durablement. Michel Ancel le répète à son tour : « Le cinéma s’est inspiré de la photographie, les photographes des peintres, chaque nouveau médium s’intéresse forcément aux précédents. » Sans aller jusqu’à être gaulois, les créateurs français de jeux vidéo ne devraient avoir à dissimuler leur origine derrière des artifices en provenance d’autres continents. A chacun sa singularité. Car, de toutes façons, autant pour ne pas se plier au dictat habituel des gratte-ciel futuristes que pour des raisons techniques (le jeu se joue au format cinémascope et donc affiche une surface d’image réduite pour un effet, au choix, un peu chic ou un peu cheap) Michel Ancel ne peut pas dissimuler la sensibilité européenne qu’exhale l’architecture modeste du monde de la planète Hillys où se déroule l’essentiel de l’aventure.

Tout en un

Un des grands plaisir de Beyond Good & Evil est d’aller à la rencontre des nombreuses idées qui jalonnent le parcours de la jeune aventurière Jade. Même si la plupart des principes de jeu ont été déjà plus ou moins vus ailleurs, il faut apprécier une vraie volonté de faire la différence et de chercher la cohérence comme, par exemple, l’idée simple qui consiste à devoir photographier une carte affichée sur un panneau pour en garder une trace ensuite. Le rythme des séquences est assez bref et donne l’occasion au joueur d’enchaîner de nombreuses activités avant d’avoir le temps de s’en lasser : exploration, bagarres et esquives avec un bâton dit de « dai-jo », shoot’em up, courses de vitesse, infiltration, collecte d’items et de valeurs numéraires, coopération partielle avec partenaire virtuel, mini-games, Boss. Si sur PlayStation 2 le jeu a parfois des difficultés à s’afficher correctement, on peut en revanche saluer les temps de chargements allégés qui encouragent l’immersion tant convoitée.

Derrière le résultat technique parfois timide à l’écran et des emprunts trop flagrants à quelques autres références du jeu vidéo, Beyond Good & Evil exprime nettement une volonté de se démarquer, d’aller plus loin et de surprendre le joueur. Qu’est-ce donc que la french touch ? S’il s’agit d’ambition et la recherche d’une qualité à la Française, faut-il s’en cacher ? Il est même peut-être temps de s’en féliciter, voire de la revendiquer.

(1) Edge # 131.
(2) Traduction anglaise du « Par-delà le bien et le mal » écrit par le philosophe allemand Friedrich Nietzsche en 1886, et sous-titré : prélude à une philosophie de l’avenir.

Beyond Good & Evil
1 joueur
Disponible sur PlayStation 2 et PC

François Bliss de la Boissière

(Publié en décembre 2003 sur Overgame)

 


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Billy Hatcher and the Giant Egg : oeufs de ouf

Les concepteurs de jeux japonais sont fous et c’est pour ça qu’il faut les adorer. Même, et surtout, quand ils nous demandent d’enfiler un costume de poulet « légendaire » pour sauver le Pays du Matin des corbeaux. Car pour beaucoup d’entre eux, les jeux vidéo sont synonymes de joie de vivre et de légèreté. Bien heureux les Japonais.

Billy Hatcher and the Giant Egg

Être fou est assez facile vous en conviendrez, il suffit sans doute de se laisser aller. En revanche, concrétiser un peu de folie en un jeu vidéo praticable par tout le monde demande un talent hors du commun. Partir d’une idée absurde pour la rationaliser en une interactivité accessible, amusante et si possible innovante, est un double exercice de délire créatif et de rigueur technique que les Japonais semblent les seuls encore capables de faire. Et même de vouloir faire à l’heure où le marché des jeux vidéo se standardise autour de formules commerciales éprouvées. Mais tenter l’innovation ne veut pas dire la trouver.

Bêtise pour enfants

De son principe de base à peine descriptible jusqu’à la concrétisation des différents niveaux et objectifs du jeu, Billy Hatcher est, par exemple, un mélange improbable de bêtise pour enfants, de délire pop-psychédélique, de tradition et d’invention. Un peu à la manière d’un Mario Sunshine qui posait la question « et si on donnait un pistolet à eau à Mario que se passerait-il ? », la SonicTeam à l’origine de cette réalisation atypique, oblige son personnage principal à trimballer avec lui un oeuf, ou des variétés d’oeufs, pour traverser son univers. Moitié handicap, moitié atout, l’oeuf en question devient le vecteur obligatoire de tout le gameplay hérité de la tradition du jeu de plateforme. Plus il roule devant Billy plus il grossit. A terme son éclosion donne accès à des nouvelles aptitudes.

Intimité sadique

Les choses seraient presque simples s’il suffisait d’appuyer sur un bouton pour contrôler l’oeuf en question. Le choix sadique de la SonicTeam est d’obliger le petit bonhomme à se plaquer contre l’oeuf pour le contrôler. Au risque de voir celui-ci lui échapper. La difficulté principale repose alors sur la tentative de symbiose des mouvements de Billy et de l’oeuf devant lui. Comme il faut souvent faire des demi-tours brusques pour écraser des ennemis, sauter puis rebondir sur des obstacles, garder le contact entre les deux entités s’avère délicat. Le jeu commence là mais ne s’arrête pas là.

Tutorial tout du long

Contrairement à la plupart des jeux du moment, les créateurs de Billy Hatcher ne se sont pas contentés d’une idée principale déclinée en quelques variables pour tenir la distance. Le principe du jeu est en réalité le prétexte, la base, sur laquelle ils injectent peu à peu de nouveaux concepts de gameplay. Comme les productions Nintendo, l’ensemble du jeu est en fait un gigantesque tutorial où il faut apprendre sans cesse une nouvelle aptitude, une nouvelle manipulation. Même si le trajet du personnage est pointé sans ambiguïté dans chaque niveau, il est bien question ici d’exploration à la fois des frontières de son univers et de ses modes de fonctionnements : décors mobiles, leviers, portes à coulisses, passerelles, Boss et mini Boss, coopération avec des petits animaux? Et la collecte de quelques items bien cachés oblige à revenir faire un tour pour améliorer son score.

Entre Sonic et Nights ?

Billy Hatcher est presque aussi déconcertant à jouer qu’il est à expliquer. Décrire précisément le gameplay est aussi hasardeux que vain. Sans manette à la main, il est pratiquement impossible de vraiment comprendre ce qu’implique un jeu où il faut constamment pousser un oeuf de taille variable devant soit tout en faisant un parcours de jeu de plateforme. On peut éventuellement décrire ici et là quelques phases de jeu, évoquer un mélange entre Sonic et Nights, mais, de la même manière qu’il est impossible de saisir un tableau impressionniste en collant son nez sur les points de peinture qui le constitue, il manquera toujours le recul qui donne la vue d’ensemble.

Anti mode irresponsable

Avec son ambiance lumineuse et une candeur frôlant l’obscènité, Billy Hatcher est complètement anti mode et c’est sûrement son premier handicap. Le gameplay dynamique façon old school pourrait fort bien se passer de ses graphismes colorés qui d’ailleurs coûtent quelques ralentissements techniques inhabituels sur GameCube. Le gameplay justement, le coeur de l’interactivité tactile qui donne tout son intérêt au jeu vidéo sur console et qui disparaît peu à peu au profit de mises en scène approximatives et bâtardes?
Imaginer puis réaliser pour de vrai un jeu vidéo où le personnage enfile un ridicule costume de poulet pour tenter de sauver le Pays du Matin (Le Pays du Soleil Levant ?!) d’une obscurité permanente serait d’une irresponsabilité affolante partout ailleurs sauf au Japon. La survie du jeu vidéo comme loisir innovant et, qui sait, comme Art, ne peut que passer par cette folie où l’imagination est reine. Remercions alors sans réserve les enfantillages japonais.

PS. La chanson générique du jeu déclinée en trois interprétations selon les menus du jeu (pop instrumentale, dance-floor et vocale), est un monument de kitsch musical irrésistible. Les amateurs de Nights y retrouveront des cloches et une effervescence commune?

Billy Hatcher and the Giant Egg
1 à 4 joueurs sur un seul écran
Mode 60 Hz : oui, option au démarrage
Image 16/9 : oui automatique en 60Hz
Son : Dolby Surround Pro Logic II
Disponible uniquement sur GameCube

François Bliss de la Boissière

(Publié en décembre 2003 sur Overgame)


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