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Zelda Wii U : ce sera tout ou rien

ÉDITO. La Wii U a besoin d’un sauveur et, en 2015, son nom est Link. Quels que soient les jeux à venir, seul le prestige d’un Legend of Zelda remettra la Wii U et Nintendo dans la lumière et les coeurs. Mais à quoi faut-il s’attendre exactement ?

Note: Le Zelda en question sera finalement Breath of The Wild qui sortira simultanément sur Wii U et sur Switch. Soit comme avec Twilight Princess  à la fois en guise de crépuscule d’une console et d’aube pour une autre !

Zelda Wii U : horizon dégagé

Après le fantastique remake HD de Wind Waker, la commercialisation de celui de Majora’s Mask attendu avec une impatience renouvelée depuis au moins l’apparition clin d’oeil du masque de Majora accroché à un mur de Zelda : A Link Between Worlds, laisse désormais la place libre au projet Zelda sur Wii U. Même si Nintendo continue de surveiller l’exploitation commerciale quasi sacrilège de parcelles d’Hyrule distribuées vers Mario Kart (Link en moto ? Aussi cool qu’hérétique), Hyrule Warriors ou en Amiibo, Aonuma et son équipe principale peuvent et doivent désormais se concentrer uniquement à ce Zelda version Wii U, et donc, à l’échelle Nintendo : nextgen. Toute la planète jeu a évidemment frémi devant l’extrait du jeu présenté à l’E3 2014, et en particulier face, tout bêtement, à l’écran immobile montrant un Link à cheval en train de regarder tranquillement l’horizon au milieu de plaines verdoyantes. Les extraits de gameplay ont ensuite révélé en décembre ce que au fond, chacun attend au minimum : un jeu parfaitement animé, détaillé, fluide, lumineux, généreux. Généreux… comme un monde ouvert, ont promis Aonuma et Miyamoto mais ouvert jusqu’où ? La démo révèle que Link est capable de se jeter d’une montagne et de planer en temps réel jusqu’à un point très éloigné de la carte. Les paysages dessinés à l’horizon seraient tous accessibles en temps réel, nous dit-on. Sans surprise, alors qu’il prétend ne jouer que pendant ses heures de travail, Aonuma a confié dans une interview récente jouer à… Far Cry 4 pendant ses loisirs. Cela n’a rien d’un hasard…

Une légende vraiment à l’épreuve du temps

Tous ceux qui s’y sont essayés le confirmeront (et ils sont nombreux désormais), écrire sur les jeux Zelda s’avère aussi facile que compliqué. La passion pour la saga de Link au royaume d’Hyrule injecte mille souvenirs dans les doigts sur le clavier. Mais chaque aventure fait désormais aussi l’objet de mille observations, de déconstructions thématiques comme mécaniques (ah les vilains speed runners sacrilèges et pourtant si plein d’amour pour donner autant de leur temps à bégayer et raccourcir le trajet de Link). Après des années de silence culturel autour du jeu vidéo, les livres sur le jeu vidéo ne manquent plus, et les ouvrages sur Zelda en particulier non plus. Nintendo lui-même commercialise une encyclopédie Zelda (Hyrule Historia) évidemment incontournable.
Malgré la profusion d’infos, quelle ne fut pas notre surprise d’apprendre des détails inédits et parfois mêmes croustillants à propos d’Ocarina of Time et Majora Mask’s à l’occasion de la dernière table ronde Iwata Asks consacrée au remake 3DS de Majora ? Sans forcément lever le voile sur tous les secrets intimes de la création et du fonctionnement de l’entreprise Nintendo, Eiji Aonuma nous apprend tout de même la pression que lui a imposé le déjà tout puissant Miyamoto pour concevoir Majora en une année seulement après Ocarina, qui en deviendront deux. Saturo Iwata souligne à ce sujet et non sans cynisme que le remake 3DS pris en charge par Grezzo a été conçu en 3 ans lui, soit en plus de temps que l’original ! Un luxe nécessaire et qui permet bien entendu à Nintendo de faire coïncider la sortie de Majora’s Mask avec celle de la New 3DS comme Ocarina of Time 3D avait fait décoller la 3DS quelques mois après sa commercialisation. Nouvelle preuve, s’il en fallait, de la synergie hardware/software indissociable du savoir faire Nintendo.

Zelda porte-drapeau hardware de Nintendo

Depuis quelques années, les jeux Zelda ont pris le relai des jeux Mario pour jouer les ambassadeurs hardware. Conçu pour la GameCube, Twilight Princess a été retravaillé et repoussé d’une année pour sortir avec la Wii et faire la démonstration du couple Wiimote/Nunchuk. Les jeux de l’épée de Skyward Sword ont été raffinés pour mettre en valeur le Wii Motion Plus avant d’être intégré dans les Wiimote. Link’s Crossbow Training a été conçu pour le Wii Zapper. Les remakes de Ocarina of Time puis Majora’s Mask ont été chacun leur tour les ambassadeurs technologiques premium de la 3DS puis de la New 3DS. Que va-t-il se passer alors avec le Zelda Wii U ? Le jeu va-t-il nous présenter lui aussi un nouvel accessoire ? Sinon, il s’agira du premier Zelda depuis des années à interrompre cette logique (si l’on exclu le remake HD de Wind Waker qui faisait néanmoins implicitement la preuve des qualités graphiques de la Wii U).
Dans leur présentation de fin décembre, le couple Aonuma/Miyamoto a fait la démonstration du Zelda Wii U en s’appuyant surtout sur les fonctionnalités du Gamepad tenu en mains. Utiliser tout le potentiel créatif du Gamepad vanté par Nintendo mais au fond si peu exploité pourrait suffire à soutenir le nouveau Zelda. D’autant que sans forcément le citer, Saturo Iwata a récemment réaffirmé la volonté de Nintendo de démontrer toutes les possibilités du Gamepad. Néanmoins, les derniers usagers Wii U devraient le confirmer, une fois la nouveauté passée, le Gamepad entre les mains devient vite crispant. La position écartée des mains forcée par l’écran du Gamepad ne crée pas la même sensation de contrôle intime d’une manette traditionnelle comme le rappelle le triste et heureux retour de la manette GameCube pour Smash Bros. De fait, Wind Waker HD utilise déjà de manière complémentaire le Gamepad. Pour surprendre, le nouveau Zelda est condamné à faire mieux que de présenter la carte d’Hyrule, même interactive, de permettre la gestion des objets, ou de viser façon vue subjective gyroscopique de la 3DS.

Link, le nouveau joker de la Wii U

Puisque Link défend désormais le hardware, Zelda arrivera forcément et naturellement dans le rôle du sauveur Noël 2015 d’une Wii U abandonnée par les éditeurs tiers (sauf le fidèle mais déçu Ubisoft). Comme l’anglais le dit mieux : ce devrait être le « second coming » de la Wii U. Depuis des mois Nintendo s’arc-boute sur son business modèle Wii U, rejoue des partitions bien connues avec des Mario Kart et des Smash Bros calibrés qui font tourner les moteurs et les tirelires. Mais le gamer avide d’inédits ambitieux made in Nintendo ne s’y trompera pas. L’excellent Captain Toad qui sera suivi d’ici la fin 2015 par les non moins prometteurs (faut-il douter du Nintendo Seal of Quality ?) Splatoon, Mario Maker, Yoshi Woolly World et Star Fox (supervisé par Miyamoto lui-même) éviteront à la Wii U de trop s’engourdir. Mais qu’on se le dise, ces jeux là ne seront que des amuse-gueules. Le vrai morceau, l’unique morceau – de bravoure qui illuminera la Wii U et qui fait que l’on s’accroche encore aujourd’hui au Gamepad comme à une bouteille à la mer, est bel et bien le Zelda nextgen conçu uniquement pour la Wii U.

Le monde a besoin d’un Zelda king size, sur grand écran, à la hauteur des puissances d’affichages d’aujourd’hui. Skyrim, Dragon Age Inquisition, Far Cry 4 et même les Assassin’s Creed ou le prochain The Witcher sont autant d’exemples à suivre. Y compris parce ceux-ci descendent tous du tout premier Zelda de la NES/Famicom puis, en version 3D, d’Ocarina of Time. Il serait donc temps que Nintendo rattrape ses héritiers et leur montre, pourquoi pas, de nouveaux horizons. Parce que, il faut le reconnaître, les centaines d’heures englouties dans tous ces jeux open world fourmillants d’activités n’abritent pas tant que ça de trouvailles de gameplay. Ils fonctionnent tous sur des boucles de gameplay, combats/loot/xp/repeat… tout juste rhabillés de décors et de contextes. À ce jour, même si en retard techniquement, les Zelda restent encore les patrons du gameplay évolutif ou chaque geste appris conduit à une nouvelle situation qui elle-même déclenche de nouvelles sollicitations physiques et mentales. Mais quels genres de bonnes et mauvaises surprises nous prépare Nintendo avec ce Zelda ?

Hyrule : futur royaume des animaux ?

Aonuma l’avoue donc indirectement, le monde ouvert et sauvage du Far Cry (4) d’Ubisoft est un objet d’étude pour la team Zelda chez Nintendo. Le deltaplane de Far Cry qui laisse survoler les vallées jusqu’à un point d’atterrissage, la vie sauvage en liberté, la chasse aux prédateurs, le contrôle plus ou moins indirect des animaux pour attaquer, voilà autant de moments fous et convaincants de Far Cry 4 à reproduire voire, si Nintendo a encore la magic touch, à améliorer. En tous cas à adapter au gameplay souple et pacifique de Zelda. Après tout, cavalier émérite et déjà en bonnes relations avec le royaume animal, Link fréquente depuis longtemps les chats et les poules, les cochons et les vaches, les oiseaux et les abeilles, sait déjà pêcher, attraper les papillons, jouer au cow-boy fermier avec des chèvres et sympathiser avec les petits singes… Mais que va donc faire Link obligé de caresser dans le sens du poil un hardware pur et dur innovant et un animal kingdom douillet et, en général, rassurant ?

Alerte game design : éviter les mêmes erreurs

On n’aura surtout pas l’outrecuidance de prétendre donner des leçons de game design à Nintendo. Toutefois, les intentions déclarées de Aonuma concernant ce Zelda Wii U et les grossièretés flagrantes non esquivées des derniers Zelda console de salon, Twilight Princess et Skyward Sword, laissent planer quelques inquiétudes. Pour plusieurs raisons ces deux derniers Zelda (ils mériteraient déjà des remakes complets, mais c’est une autre histoire) n’ont pas été tout à fait à la hauteur de la légende. Cherchant à vendre un Zelda plus « mature » avec une apparence plus proche des RPG occidentaux (moins de couleurs donc), et coincé par les limites de la GameCube, Twilight Princess est devenu un des Zelda les plus moches et graphiquement antidatés de son histoire. Nintendo y privilégie les grandes étendues et les grands décors au détriment des détails. Tout y semble en carton, à commencé par la nature et les arbres figés. Plus coloré et quand même mieux animé, Skyward Sword développé vraiment pour la Wii souffre, lui, d’un préambule bavard et interminable. À l’échelle du savoir-faire Nintendo, ce long tunnel obligatoire avant de s’envoler ressemble fort à une erreur de game design. De mémoire, il semble que Nintendo se soit plus ou moins excusé auprès des joueurs de cette trop longue introduction. Heureusement, la suite spirituelle de A Link to the Past sur 3DS a remis les pendules à l’heure. Zelda reprend enfin toutes ses couleurs dans A Link Between Worlds et l’idée consistant à mettre tous les objets et armes à disposition dès le début de l’aventure ressemble fort à une révolution conceptuelle. Quels défauts et quelles qualités va donc hériter le Zelda Wii U ? Graphiquement, même sans le style marqué toon shading de Wind Waker, ni le magnifique style tissu du mini Zelda de Nintendoland, le nouveau Zelda semble parfaitement animé et coloré.

Alerte game design : open world à trop tout faire

Aonuma a déjà prévenu que, façon open world, Hyrule serait toujours ouvert à l’exploration, sans doute sur le modèle de A Link Between Worlds, à grand échelle bien sûr. Mais qui dit open world, dit syndrome GTA et Assassin’s Creed. Faut-il craindre un Zelda éparpillé en centaines de mini quêtes et activités de remplissage (la fastidieuse pêche aux coffres et à la Triforce du Wind Waker GameCube original a laissé quelques marques indélébiles) ? De Nintendoland à Captain Toad, Nintendo a justement tendance ces dernières années à privilégier dans ses projets consoles de salon les mini games aux jeux de grande haleine. Quitte à casser l’élan de la course de Mario lui-même dans Super Mario 3D World. Sans doute un héritage du développement de jeux sur 3DS mobile. Encore une fois, du point de vue exploration tranquille et infinie de vastes contrées fantastiques, les modèles et repères gamers se nomment désormais The Elder Scrolls, Oblivion, ou Skyrim, Dragon Age (Inquisition) ou Far Cry et sans doute bientôt The Witcher. Déjà à l’époque du projet Ocarina of Time quand les mondes virtuels en 3D commençaient tout juste à naître, tout le monde se demandait avec quoi le joueur allait s’occuper dans tant d’espace vide. L’exploration émotionnelle de l’espace et des architectures n’était pas encore née, ni donc vécue. Aujourd’hui encore malgré les qualités avérées de ce type d’expérience contemplative (assumée par exemple par Journey) la peur du vide incite les développeurs à surcharger leurs jeux open world d’activités répétitives. Depuis A Link to the Past, l’expérience physique de l’espace et du temps qui se hume (chronologique et météorologique) fait partie de l’ADN de Zelda.

Alerte game design : le multi à tous prix

Autre tendance cette fois piochée dans le reste de l’industrie du jeu vidéo, Zelda pourrait aussi se diriger vers des modes multijoueur en ligne, notamment coopératif. Pionnier là comme ailleurs, Nintendo en avait déjà fait l’expérience avec un Wind Waker jouable sur GameCube avec un partenaire connecté en même temps avec la Game Boy Advance. Zelda Four Swords Adventures a ensuite poussé jusqu’au bout le concept d’un Zelda multi avec 4 joueurs Game Boy Advance réunis sur GameCube. Même si Link a toujours été pour l’essentiel un personnage partant seul à l’aventure, il y a de fortes chances que Nintendo inclut de manière plus ou moins optionnelle, un mode compagnonnage occasionnel à la Dragon Age Inquisition. Là aussi, l’ADN de Zelda est ailleurs mais…

Alerte game design : le piège Musou

Dans les extraits de gameplay du Zelda Wii U montrés par Aonuma et Miyamoto, Link chevauche sans contrainte les plaines d’Hyrule, et même la forêt en esquivant les arbres automatiquement. À cheval il peut frapper les ennemis à terre comme dans Twilight Princess, et le tir à l’arc bascule en mode bullet time pour mieux viser dans un joli ralenti. Autant de mécaniques de gameplay que Nintendo fignolera sans aucun doute. Dans le même temps Aonuma déclare fièrement à un Miyamoto qui joue les candides que Link peut ainsi chevaucher 3 à 4 mn sans discontinuer tellement les distances de terrain sont grandes. On se souviendra que, à pieds ou au galop, la grande plaine de Twilight Princess était bien vide. Pour donner vie aux plaines et collines du Hyrule nextgen et pour occuper Link sur son trajet, il ne faudrait pas que Nintendo rejoue le projet Hyrule Warriors et glisse entre deux donjons classiques des combats hack & slash à la Dynasty Warriors juste parce que la Wii U peut afficher des centaines de créatures passives à l’écran en même temps. Quand on pense que même Dragon Quest (Heroes) se la joue beat’em all énervé à la Dynasty Warriors, tout est à craindre de cette tendance Musou m’as-tu-vu.

Place au mystère

De ce nouveau Zelda inévitablement géant on ne sait rien, au fond. Aonuma déclare vouloir tenter de redéfinir les « conventions » bien connues de gameplay, revenir à une exploration et une approche des donjons moins dirigistes. Après la revisitation réussie de ces mêmes conventions dans A Link Between Worlds, rien ne laisse supposer que Nintendo ne trouvera pas la bonne nouvelle formule. À condition de ne pas tomber dans tous les pièges évoqués ci-dessus par un simple observateur passionné et tous ceux que seuls les professionnels de la profession savent voir et affronter. À la métaphore dépressive du demi verre vide ou plein on préférera, pour regarder venir en grand optimiste ce nouveau Zelda, le demi verre vide. Ce que l’on ne sait pas encore de ce Zelda est sans doute le meilleur : Zelda « hospitalier » comme Ocarina of Time ou « challenge » comme Majora’s Mask (voir Iwata Asks) ? Nouvel accessoire ou réinvention vraiment ludique du Gamepad Wii U ? Après le dark world, le voyage dans le temps, la musique et la chevauchée, l’éternel retour et les masques, le vent et la mer, la mutation en loup et le vol d’oiseau, quel est donc le nouveau concept FORT qui portera le Zelda Wii U ? Derrière ces mystères se cachent justement la continuation de la légende. Celle de Zelda, de Nintendo et de toute l’industrie du jeu vidéo forcément à l’affut.

François Bliss de la Boissière

(Publié en mars 2015 sur Gameblog)

 


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Le business des remastérisations next-gen : racket ou réhabilitation artistique ? 1/2

Le nombre de rééditions de prestige avec comme premier prétexte un rehaut technique s’allonge chaque jour et mélange dans le grand fourre-tout du jeu vidéo : blockbusters sur disques et jeux indés haut de gamme à télécharger. Pour qui et pourquoi faire ?

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The Last of Us, Halo, Grand Theft Auto V, Metro : Last Light, et même Zelda : The Wind Waker sur Wii U… les rééditions hier occasionnelles sur PS3 et Xbox 360 virent au phénomène de masse sur consoles next-gen. Alors qu’un tel procédé éditorial propice à controverses (revendre un produit déjà commercialisé, risque d’altération tactile et plastique du projet original) pourrait se contenter comme ces dernières années sur PS3, Xbox 360, PS Vita, d’un calendrier de rééditions anecdotiques (date anniversaire d’un jeu célèbre ou injustement oublié, accompagnement d’un nouveau titre d’une série, compilation…), l’afflux inédit à cette échelle de rééditions en mode « haut de gamme » sur consoles PS4 et, dans une moindre mesure, Xbox One, dans la toute première année de leur existence, soulève quelques questions. Le jeu vidéo entretient-il tout seul son histoire culturelle ou exploite-t-il sans scrupule commercial son catalogue ? La réponse, forcément, ne s’affichera pas plus clairement en 60i/s et 1080p.

Business is business

En 5 ou 6 ans (entre les sorties du premier iPhone, 2007, et du premier iPad, 2010, déclencheurs à deux déflagrations du big bang des jeux dématérialisés et indépendants), l’industrie du jeu vidéo a basculé d’une culture volatile attachée à des supports technologiques physiques voués à disparaître régulièrement, vers une culture dématérialisée durable puisque se propageant de manière virale d’une génération de matériel à une autre sans plus vraiment de limites ou de frontières physiques. La crainte de voir disparaître un jeu vidéo avec son support physique d’origine n’existe presque plus. Même le plus obscur des jeux devient susceptible d’une renaissance sur un support ou un autre. Le business des rééditions HD sur PS3 et Xbox 360 (voire sur iPhone et iPad) de jeux PSOne, PS2 et Xbox a été entrepris et entretenu avec un bonheur inégal d’abord et surtout par les éditeurs japonais soucieux de capitaliser sur leurs licences historiques en perte de vitesse. Dans ce prolongement logique d’exploitation, Square Enix a été le premier à commercialiser une réédition améliorée du reboot de Tomb Raider sur la nouvelle génération de consoles quelques mois seulement après sa sortie. Entérinant une résurrection technique et artistique inattendue de Lara Croft, la bonne réception critique et commerciale de la réédition rapide sur PS4 et Xbox One du reboot Tomb Raider aura donc ouvert grand la voie aux rééditions de productions… occidentales ! Car toujours empêtrés dans leur décalage culturel et technologique, les japonais continuent de rééditer leurs productions last-last-gen sur last-gen laissant seul Capcom annoncer tristement un énième remake de Resident Evil sur toutes les consoles, y compris PS4 et Xbox One.

Logique d’exploitation

Le phénomène des « remasterisations » dérive de plusieurs facteurs techno-économiques mais aussi culturels plus ou moins contrôlés. Pour la première fois depuis longtemps, une nouvelle génération de consoles ne propose pas de rétro compatibilité avec les jeux de la génération précédente. Un manquement culturel fondamental de la PS4 et de la Xbox One que les constructeurs justifient avec des arguments techniques et commerciaux spécieux (économiser le coût de fabrication des nouvelles consoles aux technologies si « avant-gardistes »). Le peu de remous populaire devant cette carence technique confirme peut-être un désintérêt avéré pour une rétro compatibilité hier symbolique réclamée à grands cris à défaut d’être totalement vitale. Il y a quelques années, un responsable Microsoft avait déclaré, presque dépité, qu’un très faible pourcentage de joueurs Xbox 360 relançait des jeux Xbox sur une Xbox 360 pourtant rétro compatible. La vague de rééditions dites HD pour des jeux en théorie déjà HD, « remasterisés » sonne alors mieux, dès la première année de la PS4 et de la Xbox One mais si elle laisse pourtant trainer quelques soupçons. À quel point la suppression de la rétro compatibilité n’est pas d’abord l’instrumentalisation de nouvelles formes de commercialisation ? Avec peine Sony essaie par exemple déjà de faire exister sous abonnement prohibitif un procédé de pratique en streaming de jeux du catalogue PS1, PS2 et même PS3 (PlayStation Now, en expérimentation seulement aux USA). Et la prolifération de rééditions si tôt dans le cycle de nouvelles consoles laisse entendre qu’une clientèle existe. Il faudrait aujourd’hui alors demander au courageux Nintendo encore attaché à ce « vieux » concept de rétrocompatibilité combien de joueurs lancent des jeux Wii sur Wii U.

Jargon technico-commercial discutable

Le techno mantra supposé transformer chaque réédition en célébration high-tech se livre sous une formule en forme d’équation à vocation magique : 60 i/s et 1080p enfin réunis sans faillir sur l’autel des nouvelles consoles, PlayStation 4 en tête. Même s’il faut rester vigilant devant cette hyperbole technologique croissante, l’escroquerie commerciale crainte n’a pas encore eu lieu en 2014. Les jeux plus ou moins indés concernés sont soit offerts aux abonnés PSN, et même parfois Xbox Live, soit accessibles contre une dime mesurée. Et les grosses productions arrivent dans des packaging qualité-quantité-prix honorables, si l’on fait l’impasse, bien entendu, sur le fait de l’avoir déjà acheté sur autres consoles. Bien que la ressortie d’une version améliorée d’un jeu populaire ou reconnu semble viser un public averti déjà conquis, qui sont les acheteurs réellement ciblés ? Josh Walker, Product Manager chez Sony Computer, avance une théorie selon laquelle la remasterisation de The Last of Us, par exemple, viserait un grand nombre de propriétaires de PS4 qui « n’auraient pas joué au jeu sur PS3 » (big brother is watching you gamer, ndr). Quel serait le profil de ces early adopters Sony/PS4 capables de rater le dernier grand jeu de la PS3 ? Peut-être et très probablement les switchers Xbox 360 revenus en masse dans le giron Sony grâce à la PS4. Pour les fidèles Sony venus en ligne droite de la PS3, pas de récompense cependant. Si Sony vend cette remasterisation un peu moins chère que le prix de vente initial du jeu PS3 (50 € aujourd’hui contre 70 € hier, DLC inclus) l’éditeur ne propose pas de réduction aux acheteurs de la version PS3. Si problème il y a vis à vis des rééditions de qualité et donc tentantes de blockbusters, c’est bien la politique tarifaire qui entretient l’idée qu’il est normal de racheter un produit déjà payé. Le système d’upgrade d’une poignée de jeux PS3 vers PS4 contre une dizaine d’euros proposé au lancement de la console de Sony avait pourtant montré le bon exemple.


Nintendo, le cas toujours à part

Sur Wii U, le remake du toujours magique Zelda : The Wind Waker de la GameCube a certes valeur d’exemplarité artistique mais s’inscrit dans une approche éditoriale exceptionnelle chez Nintendo. Les rééditions nombreuses d’anciens titres Nintendo sur DS, 3DS, Wii puis Wii U passent essentiellement par une émulation littérale des jeux d’époque, pour le pire comme pour le meilleur du témoignage historique. En réalité, même s’il cherche d’abord et surtout à combler le manque de sorties originales sur Wii U, The Wind Waker HD appartient, après les déjà lointains upgrades de Super Mario 64 sur DS puis de Ocarina of Time 3DS, aux pépites intemporelles que Nintendo décident de réhabiliter parcimonieusement de façon à être jouable aux normes techniques du jour. Assez d’indices conduisent à penser aujourd’hui que Majora’s Mask devrait à son tour subir un prochain lifting à la Ocarina sur 3DS.


Suite…

Le business des remastérisations next-gen : racket ou réhabilitation artistique ? 2/2

 François Bliss de la Boissière

(Publié en sept-oct 2014 dans le bimestriel Games)

 


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GAMES_05 ok Remasterisations 2:4 - copie

DOSSIER 3/5 : Jouer, mode d’emploi en couple 2003

Pour vous, le jeu vidéo c’est… un obstacle à une vie de couple (ou l’inverse). Vous voulez… vivre à deux et continuer à jouer.

Ce qu’il faut savoir pour jouer et vivre en couple

Vous aimez jouer mais, vous en avez l’expérience, l’avouer à Juliette que vous venez de rencontrer, c’est prendre le risque de la voir s’éloigner aussitôt… Vous avez gardé votre secret pour vous, mais après trois jours et trois nuits passés ensemble ce n’est plus possible, la manette vous démange, il va falloir trouver un moyen pour lui en parler… Juliette n’a pas fuit finalement, vous lui avez vanté l’avant-gardisme technologique et l’inventivité du jeu vidéo et, surtout, vous ne lui avez pas dit combien d’heures par jour vous avez l’habitude de jouer… Juliette s’installe avec vous, une vie de couple commence, il va falloir prendre des décisions : arrêter de jouer pour de bon, jouer en cachette la nuit ou, plus courageusement, lui expliquer après qu’elle a défait ses valises que non, ce n’est pas négociable : deux heures par jour et 500 euros de budget par mois est déjà un minimum pour assouvir votre passion… Avec le temps, vous avez trouvé un rituel, vous avez acheté un 2e écran de TV, vous jouez sans abus, elle ne critique plus, seulement voilà, vous n’êtes plus seul, votre amour a accouché d’un petit Pierrot, vous êtes devenu papa et les gros yeux de maman vous rappelle vos nouvelles responsabilités : jouer n’en fait sûrement pas partie. Comment faire accepter cette passion si exigeante des jeux vidéo ? Et, ultime satisfaction : comment essayer de la convertir ?

Pour apprivoiser votre nouvelle copine…

Elle vient chez vous pour la première fois, elle ne connaît rien aux jeux vidéo, elle a donc des préjugés (souvent justifiés quoi que votre passion de joueur en pense). Présentez lui…

  • Pikmin (GameCube)
    Les bruitages et musiques ludiques et enfantines, les couleurs, le jardin géant, la cueillette de pâquerettes et les coccinelles débonnaires devraient très vite lui faire comprendre que 1) les jeux vidéo c’est aussi ça 2) vous n’êtes pas un sanguinaire armé jusqu’aux dents. Une fois le message transmis, éteignez vite la console, vous avez mieux à faire ce soir là… Comme lui prouver que vous n’êtes pas non plus totalement infantile.

Pour la convaincre d’essayer…

Elle revient chez vous, c’est le moment d’essayer de lui expliquer votre activité préférée en la valorisant. Ne la forcez surtout pas à prendre une manette ou la souris si elle refuse de prime abord. Soyez patient, elle y viendra quand vous aurez trouvé le jeu qui lui convient…

  • Les Sims : Surprise-Partie / En vacances / Abracadabra (PC)
    Votre intérêt et votre capacité à gérer une petite famille virtuelle sera le meilleur argument de votre sociabilité. Pensez à créer une maison convenable pour vos Sims au préalable.
  • Zelda : The Wind Waker (GameCube)
    Choisissez bien les lieux et situations à montrer : une île ensoleillée sous un ciel azur, un couché de soleil à l’horizon vu du bateau. Mais le début du jeu avec le petit héros en pyjama trottant d’une maison à l’autre peut suffire à la faire craquer.
  • Ico (PlayStation 2)
    La poésie et la délicatesse qui émanent de cette aventure sont déjà des émotions directes à faire partager. Mais c’est évidemment parce que le petit garçon appelle à haute voix la princesse mystérieuse et qu’il sait lui tenir la main à travers les périls que les cœurs battront.

Pour jouer avec votre fiancée…

Elle vous connaît assez pour savoir à quel point vous êtes un obsédé sexuel, ou pas. Et si vos témoignages d’affection sont assez réguliers pour qu’elle ne doute pas de vos sentiments, vous pouvez lui faire goûter…

  • Dead or Alive Xtrem Beach Volleyball (Xbox)
    Les filles sont aussi sexy que des pin-up de calendriers pour routiers mais en réalité, derrière les bikinis, se cache un jeu pour les filles : faire connaissance avec les copines sur la plage, barboter dans la piscine, jouer au volley sans se prendre la tête, et surtout gagner, échanger et se voir offrir des parfums, des savonnettes, des vêtements… Japonais et donc délicat. Pour les filles on vous dit !

Pour jouer avec votre mariée…

Vous êtes inscrit dans la durée, vous avez appris à partager ensemble vos activités respectives. Vos enfants peuvent regarder ou travailler à leurs devoirs…

  • Syberia (Xbox)
    Un jeu d’aventure chic, cultivé, qui demande à réfléchir à deux. Vous à la manette et elle à la tête, de préférence face au grand écran de votre TV. Vous pouvez progresser à deux grâce une jolie fusion de la pensée et de l’action née de plusieurs années de vie commune. La version Myst-Riven PSone compatible PlayStation 2 est aussi recommandable que Myst III : Exile sur Xbox.

DOSSIER : Jouer, mode d’emploi 2003…

  1. Ce qu’il faut savoir pour commencer
  2. Ce qu’il faut savoir pour jouer en célibataire
  3. Ce qu’il faut savoir pour jouer et vivre en couple
  4. Ce qu’il faut savoir pour jouer en famille
  5. Ce qu’il faut savoir pour jouer en groupe
Dossier réalisé avec légèreté par François Bliss de la Boissière

(Publié dans VSD Hors série Jeux vidéo n°2 en novembre 2003)

VSD HS 2 Dossier jouer 2003
VSD HS 2 Dossier jouer 2003

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Zelda Wind Waker : Le vrai souffle de l’aventure

De la 2D qui l’a vu naître à la 3D qui l’a fait renaître, on croyait avoir tout vécu en compagnie de Link et Zelda. Mais l’inspiration de Nintendo semble inépuisable. Cette fois Link part à la rescousse du monde à bord d’un frêle voilier. Avec, au bout de la baguette magique : le contrôle du vent à volonté ! Il était une fois un grand petit navire…

Tous les jeux Zelda sont des sommes. À chaque jeu, Nintendo cherche l’essence du jeu vidéo et la trouve. Peu importe la console, la technologie du moment, le public soi-disant visé. Guidé par l’instinct de Shigeru Miyamoto, les grandes aventures Nintendo comme les Zelda ou les Mario deviennent de grandes aventures pour les joueurs et pour toute l’industrie. Après les monuments du jeu vidéo que furent A Link to The Past sur SuperNintendo et Ocarina of Time sur Nintendo 64, The Wind Waker est bien une nouvelle flèche de brillance créatrice. Cette fois plantée en plein cœur de la bancale frime photo-réaliste pourchassée par toute la concurrence. Le contre-pied esthétique assumé par The Wind Waker est plus qu’un caprice et certainement pas un parti pris rétro régressif comme on a pu lire ici et là. Le toon-shading (1) du nouveau Zelda est un véritable manifeste artistique. Même si une trop grande partie du public intoxiqué par le mafieux réalisme d’un GTA3 empêchait ce nouveau Zelda d’être le succès planétaire qu’il mérite, The WW restera comme une réussite étourdissante.

Nouvelles frontières émotionnelles

Comment expliquer avec des mots l’impact sensoriel de The Wind Waker ? À peine le jeu lancé, le vent, la mer, les mouettes, un ciel bleu carte postale, des personnages étranges et attachants vous accueillent dans un monde chaleureux plein de promesses. Nous voilà embarqués dans une aventure épique, artistique, cérébrale et physique sans équivalent dans aucun autre médium. Une fable singulière capable de mélanger avec un dosage miraculeux : action, suspens, sentiments, drame, humour. Une aventure merveilleusement portée par le vent et l’océan. Un jeu vidéo suscitant curiosité, désir, empathie. Une quête capable d’envoyer le joueur disponible au fond de lui-même, à la recherche de son âme d’enfant, là où résident encore l’espoir d’un monde meilleur, le rêve d’un destin unique. Nous sommes là, en effet, à la frontière tactile qui fait toute la différence entre un film cinématographique et un jeu vidéo… graphique.

Le cinéma est sans doute encore le plus fort vecteur de l’émotion mise en scène, mais, tout en s’approchant du Graal monopolisé par le cinéma, un jeu comme Zelda ouvre en réalité une autre antenne de perception émotionnelle. Sans doute complémentaire. L’interactivité, ce flux tendu entre le spectateur actif et l’avatar dans l’écran, génère une relation charnelle inédite ailleurs. Phénomène d’autant plus étonnant que l’on assimile le jeu vidéo à de la réalité virtuelle, immatérielle. Très concret, le contrôle merveilleusement articulé du petit personnage Link est un choc doux dès les premières minutes. Un trouble émotionnel doucereux ayant peu à voir avec l’esprit de compétition, avec les injections brutales d’adrénaline si fréquentes dans le jeu vidéo. Le terme galvaudé « d’immersion » a forcément été inventé pour décrire le plongeon sensoriel dans le monde dessiné si tangible de The WW. La vue, l’ouïe, et le touché envoient au cerveau des signaux qui ne se discutent plus : ce monde là, aussi fantaisiste soit-il, existe vraiment. C’est empirique. Joueurs blasés, néophytes, garçons comme femmes ne peuvent que saluer la relation étroite entre la manette et les actions du petit personnage. Les fluides animations corporelles et l’expressivité cartoon du visage de Link, l’apprenti héros, encouragent tous les gestes, toutes les audaces. Un plaisir qui ira croissant avec un personnage non seulement capable « naturellement » de trotter, de se suspendre aux rebords des tables et des corniches, de ramper sous les meubles, de grimper sur les toits, de se plaquer contre les murs, d’attraper des cailloux, de jeter au loin cruches et tonneaux, de courser le cochon domestique et de couper herbes folles et arbustes, mais bientôt de manier l’équipement complet d’un chevalier en devenir.

Le jeu tout en un

On ne reprochera pas trop à Link de s’appuyer sur cette vieille convention qui consiste à faire croire le héros capable de transporter des dizaines d’objets sans que ses poches ne débordent. Car Link tient entre ses doigts chaque objet et arme dont il se sert avec pertinence : la longue vue comme l’appareil photo anachronique. Le boomerang capable de verrouiller plusieurs cibles, l’arc aux flèches de feu ou de glace, les petites bombes bleues bien utiles pour ouvrir des passages secrets, le grappin permettant de survoler les obstacles, et même le Game Boy Advance qui autorise la participation d’un partenaire à l’aventure (voir encadré) est visible entre les mains de Link. Un détail qui, comme le reste, donne une véracité inédite. L’utilisation de tant d’accessoires est pourtant un modèle d’ergonomie. L’accessibilité est immédiate avec un menu simplifié à l’extrême. Et l’implémentation particulière des boutons de la manette GameCube donne accès à une multitude d’actions simultanées. À bord de son voilier, le bric-à-brac organisé de Link se découvre même des fonctions inattendues : suspendu à une mini grue, le grappin drague le fond de l’océan à la recherche de coffres ; les bombes sont projetées par un canon transformant tout à coup une scène d’affrontement sur mer en bataille navale ! Vertigineux, la variété des actions et des situations semble parfois sans limite.

La fusion GameCube + GBA
 Nintendo ne joue pas en ligne, mais Nintendo incite le plus possible à jouer connecté off line, surtout avec ses consoles. Et l'idée est plutôt bonne, même si l'on n'enviera pas la personne qui jouera sur l'écran de sa GBA au lieu de la TV. Comme le boomerang ou le grappin, le Game Boy Advance est un accessoire que Link utilise dans le jeu. Aussitôt sélectionné dans l'inventaire du héros, une personne, réelle cette fois, peut participer au jeu via un GBA connecté. Dans la peau prétexte du farfelu personnage Tingle, dont on entend la voix interpeller Link si nécessaire, le joueur GBA repère les lieux sur la carte schématique affichée sur son écran, jette des bombes sur les ennemis, file un coup de potion magique au héros mal en point, soit pour le soigner, soit pour le rendre invincible un moment… Le plus irrésistible sera de savoir que seul Tingle est capable de voir des endroits cachés aux yeux de Link. Oui, il y a encore des grottes inédites à découvrir ! Facultatif, mais infernal.

Un océan de mystères

Nintendo a piégé les observateurs pendant des mois avant la sortie du jeu. La grande affaire annoncée de The Wind Waker était le vent. Prouesse technologique possible grâce au GameCube. Le monde matériel de Link est en effet complètement affecté par le vent : arbres, végétation, vêtements, moulin à vent oscillent et tournent au gré des alizés. Une fois entre les mains tendues au-dessus de la tête du héros, tel un parachute ascensionnel naturel, une grande feuille magique laisse même le héros planer d’un endroit à l’autre. Indispensable pour atteindre des endroits cachés ou éloignés. Une feuille capable aussi de repousser les adversaires à coups de bourrasques. Tout cela grâce à la gestion de ce corps immatériel et capricieux qu’est le vent. Mais en réalité, le vrai choc proviendra de l’océan. La prise de conscience de sa réalité énorme : le monde de Link est un archipel constitué de dizaines d’îles éparpillées sur des miles marins d’eau salée !

La Triforce est avec lui

Sur chaque île réside un mystère, ou plusieurs. Des restes de civilisation, des villages, des donjons aussi inquiétants que fascinants à explorer. Des rats trop malins pour être honnêtes, cherchent à vous piquer vos rubis dans les sous-sols mal fréquentés. Des oiseaux aux plumages hyper colorés défient Link sur le sommet des montagnes. Des gardes armés aux gueules de chiens ou de porcs improbables vous entraînent dans des combats à l’épée redoutables d’efficacité. Epée contre lance, épée contre torches enflammées, Link peut désormais attraper les armes ennemies abandonnées sur le terrain, s’en servir pour mieux se défendre, ouvrir des portes plus résistantes. Les péripéties ne se comptabilisent plus, elles se traversent avec une avidité croissante. Ce n’est pas un anneau qu’il faut reconstituer mais la Triforce. L’énergie vitale du monde.

La formidable légèreté de l’insolence

Cette histoire de petit garçon endossant le destin d’un héros légendaire pour sauver, au choix, sa petite sœur enlevée par erreur, une pirate en détresse, un royaume oublié avec son Roi, sa Princesse, un esprit de la forêt égaré, des arbres en voie d’extinction, pour ne pas dire le monde entier, pourrait être plombée de moralisme pontifiant. Il n’en est rien. Toujours conscients d’eux-mêmes, les dialogues futés ont assez d’ironie et de 2e degré pour ne pas tomber dans la niaiserie enfantine. Une qualité commune aux productions Pixar par exemple qui savent s’adresser aux enfants et aux adultes sans insulter l’intelligence des uns et des autres. Les personnages se moquent souvent ouvertement de Link, poussant le jeune héros à prouver ses aptitudes, son courage. Seuls les petits cris stridents des voix japonaises originales écorchent parfois les oreilles occidentales. Tout le reste est écrit avec recherche, merveilleusement bruité, rythmé par la musique. L’insolence est permanente, mais gracieuse. Nintendo rappelle, en creux, que la transgression et le ferment de la révolte ne consistent pas à voler des voitures ou à frapper des passants. Entrer et sortir chez les gens sans forcément leur accord est déjà un acte d’effronterie. Monter sur les tables, chasser du pied les assiettes, briser les tasses sont des gestes symboliques bien plus fort qu’ils n’y paraissent. Carpe Diem disait le professeur Robin Williams dans le Cercle des poètes disparus. Montez sur la table pour regarder le monde autrement ! C’est ce que fait Link.

L'art de faire vrai
 Contrairement aux apparences, les grands yeux de Link ne sont pas là pour faire manga. Ils répondent en réalité à la volonté des auteurs de rendre le personnage expressif. Les grands yeux se voient de loin, même lorsque la caméra est éloignée, même en pleine scènes d'actions hystériques. Outre les émotions que son regard exprime selon les situations drôles ou tristes, surprenantes ou ennuyeuses (ses paupières alors s'affaissent), les grands yeux de Link se dirigent vers les centres d'intérêts du décor. Pour mieux aider le joueur. Ce n'est pas toujours concluant quand un regard heureusement incapable de regarder dans le dos, invite, par défaut, à se diriger sur le côté, mais dans l'ensemble cela fonctionne. Avec sa tête ronde et ses yeux exagérément expressifs, Link a l'air plus vivant, plus vrai que bien des héros au look réaliste. C'est d'ailleurs toute la magie du design cartoon de The Wind Waker qui s'appuie sur un rendu dessiné pour créer un monde crédible de bout en bout.

 Qui est le Roi du monde ?

James Cameron a eu besoin de la proue hypertrophiée du tristement célèbre Titanic pour faire dire à son personnage principal : « Je suis le roi du monde ». À bord de son frêle esquif rouge, en pleine mer bleu azur, à des kilomètres de toute côte, Link EST le roi du monde. C’est en tous cas l’ivresse ressentie en mettant le cap sur l’horizon sans fin après les premières heures de jeu. Le sentiment mélangé de puissance et de fragilité éprouvé, seul, en pleine mer, est forcément celui des valeureux explorateurs de nouveaux mondes. Une émotion primitive, primordiale, diffuse, inattendue dans un jeu vidéo. Une euphorie portée par des variations climatiques spectaculaires, une partition musicale allégorique. Après tout c’est bien Link qui contrôle la direction du vent avec son bâton magique (The Wind Waker du titre original) pour diriger son embarcation du nord au sud, de l’est à l’ouest d’un océan sans limites visibles. Lui et lui seul parle aux poissons, affronte avec bravoure les pieuvres géantes, les requins, résiste aux orages nocturnes, aux sirènes de l’insaisissable Hollandais Volant, combat à l’arme blanche les avants-postes des pirates, racle les grands fonds à la recherche de trésors, contrôle les tornades… Lui et un voilier un peu magique quand même. Car avec sa tête de dragon bavard, ce voilier n’oublie pas de rappeler au héros exalté par l’immensité du monde que son destin l’attend.

Jeu phénomène signé Shigeru Miyamoto

Un des grands quiproquos planant sur Nintendo vient dans l’insistance apparemment conservatrice de continuer à créer des jeux avec des personnages vieux de 15 ou 20 ans comme Zelda ou Mario. C’est oublier que, contrairement aux films, les jeux vidéo ne sont presque jamais signés sur les boites ou dans les génériques d’introduction. Les noms des producteurs, directeurs et artistes apparaissent dans les génériques de fin ou en dernière page de manuel, comme une légende technique. Imaginons ne pas lire le nom de Steven Spielberg au début du 4e épisode des Aventuriers de l’Arche perdu ! À la place du titre Super Mario ou Legend of Zelda, il faut pourtant lire sans se tromper : jeu signé Shigeru Miyamoto. Même si la réalisation de The WW a été prise en charge au quotidien par un certain Eiji Aonuma, déjà co-responsable de Majora’s Mask sur Nintendo 64, The WW est bien imbibé de l’inimitable « touché » moelleux de Miyamoto. Un artiste qui a gagné contre vents et marées un pari fou avec The Wind Waker : les graphismes façon dessin animé ont été conspués unanimement au début du projet ! Un artiste si ouvert vers le monde qu’il n’a pas manqué d’incorporer dans son jeu l’influence d’autres jeux d’artiste, comme le poétique Ico de Sony sur PlayStation 2.

Bonus de rattrapage
Les graphismes cartoon de ce nouveau Zelda ont soulevé des concerts de protestations pendant deux ans. Craignant que ce Zelda décrié ne se transforme en échec commercial avant même d'arriver dans les mains des consommateurs, Nintendo a eu l'heureuse idée de faire un cadeau aux premiers acheteurs du jeu. Les tous premiers clients de The Wind Waker ont droit, sans supplément de prix, à la réédition sur DVD GameCube du chef d'œuvre reconnu The Ocarina of Time paru sur Nintendo 64 en 1998. Une réédition optimisée : affichage plus fluide, image nette quasi-parfaite. Plus généreux encore, Nintendo offre en parallèle l'inédit Master Quest, une version hard de Ocarina of Time, un jeu jamais sorti et donc entré dans la mythologie Nintendo. Malin, sous couvert d'une grande générosité, Nintendo s'appuie sur ce disque bonus pour créer un événement indiscutable autour de la sortie de The Wind Waker. Adieu les réserves, la polémique, même si The Wind Waker n'est pas le jeu "réaliste" que les joueurs auraient voulu, les deux jeux bonus réduisent à néant toutes les réticences.

Le grand voyage immobile

Faut-il alors soulever quelques vagues dans l’océan de louanges unanimes ? Est-ce utile de dire que l’on peut finir par s’ennuyer à force de traverser à la voile un océan aux dimensions presque trop réalistes ? Est-ce bien la peine de regretter que le nombre de donjons ne soit pas tout à fait suffisant (2) pour donner à l’aventure la densité qu’elle mérite ? Des réserves sans doute hardcores qui se noieront naturellement dans des dizaines de mini jeux et de quêtes annexes, des centaines d’instants de magie pure ou simplement d’humour où toute raison s’abandonne au charme kawaii (3) irrésistible d’un travail trop bien fait pour l’époque. Car tous comptes faits, polémique ravalée, succès international incertain, création hors normes et donc risquée, il faut bien avouer qu’on ne joue pas à The Wind Waker, on le vit. Pendant des dizaines d’heures, et donc des jours.
Les moments d’émerveillements sont devenus si rares dans notre société de consommation hyper formatée que lorsqu’un produit transcende sa formule pour se hisser au niveau d’une œuvre universelle aussi accessible que distrayante, il est un crime d’y résister. Sur terre ou sur mer, il est des voyages qui ne se refusent pas. Surtout assis sur son canapé.

(1) Le toon-shading, variation made in Nintendo du cell-shading 
(2) Miyamoto a reconnu que pour des raisons de délais, deux donjons au moins ont été supprimés du jeu à la dernière minute.
(3) kawaii : mignon en japonais. Véritable tendance culturelle au Japon qui va des produits de consommations courantes à l’expression artistique.

François Bliss de la Boissière

Zelda Wind Waker VSD HS Bliss
Zelda Wind Waker VSD HS Bliss
Zelda Wind Waker VSD HS Bliss
Zelda Wind Waker VSD HS Bliss
Zelda Wind Waker VSD HS Bliss

(Écrit en avril 2003 et publié en mai 2003 dans VSD Hors série Jeux vidéo #1)

 


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