La Wii marque le pas, Nintendo en baisse et le jeu vidéo retient son souffle

Nintendo a annoncé une chute spectaculaire de ses revenus et de ventes de Wii sur le premier semestre 2009 et une révision à la baisse d’ici la fin de son année fiscale bouclant fin mars 2010. La baisse notable des ventes de Wii et DS entamée au premier trimestre est ainsi confirmée. Si le leader japonais du jeu vidéo titube, toute l’industrie doit-elle s’inquiéter ? Ce serait sans compter le premier capital de la firme modèle : la créativité et la capacité à relancer la machine à jouer et à rapporter de l’argent.

Wii

Les ventes de consoles Wii ont chuté de presque 50 % en un an. 5,75 millions vendues au premier semestre 2009 (mars à septembre) contre 10 millions au premier semestre 2008. Moins dramatique, la DS/DSi s’est écoulée à 11,70 millions contre 13,7 millions en 2008. Les bénéfices, en baisse comme les ventes (548 milliards de yens/4,06 milliards €, soit – 34,5 %), s’apprécient quand même à 69,5 milliards de yens (514 millions €) soit 52 % de moins que l’année précédente (144,8 milliards de yens/1,07 milliards €). Premières explications avancées par Nintendo : le cours élevé du yen, la réduction du prix de vente de la Wii et, comme le diagnostiquait déjà pour le premier trimestre le PDG de Nintendo France Stephan Bole, l’absence de jeux à très fort potentiel commercial par rapport à l’année dernière. En janvier dernier, crise économique en tête des causes, Nintendo avait déjà revu pour la première fois en cinq ans ses prévisions à la baisse pour l’année 2008 (-33 %) alors que ses ventes totales atteignaient mille milliards et 820 millions de yens (13,55 milliards €) au lieu de 2 mille milliards de yens (14,8 milliards €). Malgré cela, les consoles Wii et DS/DSi ont atteint en un temps record des ventes mondiales, elles aussi, records : 56,14 millions d’unités en trois ans pour l’une installée dans les foyers, 113,48 millions pour l’autre baladeuse en presque cinq ans.

Crainte de la rechute

Les quatre années de succès foudroyant Nintendo ayant laissé étourdis bien des acteurs de l’industrie du jeu vidéo, le déclin confirmé pour la deuxième fois de suite des ventes de consoles Wii et, dans une moindre mesure, DS, ne va pas manquer de réintroduire de l’anxiété dans le secteur. L’embellie, probablement éphémère, des PlayStation 3 et Xbox 360 vendues à bas prix d’ici Noël ne peut suffire à rassurer une industrie évoluant en grande partie ces dernières années dans l’ombre blanche du succès des consoles tout public de Nintendo. Il n’y a qu’à voir : la relance envisagée en 2010 des deux consoles Sony et Microsoft se fera en adoptant des interfaces à reconnaissance dans l’espace déclinant le principe de la Wiimote de Nintendo. La chute radicale des ventes de Wii veut-elle dire que le concept n’a finalement pas de viabilité sur la durée ? Qu’après un élan de curiosité et un élargissement doux vers un nouveau public, l’intérêt se tasserait déjà ? Après deux années de succès stratosphérique – il faut se rappeler que la demande de consoles Wii a excédé les quantités livrées pendant cette période – le président de Nintendo, Saturo Iwata, a entériné la stagnation des ventes de consoles Wii en blâmant d’abord l’incapacité de son entreprise à proposer de nouveaux jeux marquants « qu’il faut absolument avoir ». « Une fois l’élan perdu (le momentum), cela prend du temps de se remettre » aurait-il reconnu, « la baisse de prix de la Wii va permettre aux ventes de retrouver un certain rythme mais pas assez pour rattraper le niveau de l’année dernière. » Nintendo prévoit ainsi de vendre 20 millions de Wii au lieu de 26 millions sur son année fiscale. Une quantité, signalons-le, encore largement impressionnante que la concurrence aimerait bien atteindre (24 millions en 3 ans pour la PS3, un peu plus de 30 millions en 4 ans pour la Xbox 360).

Trauma center

Tout populaire soit-il de nos jours, le jeu vidéo garde au fond de lui le trauma du crash légendaire de l’industrie interactive naissante au début des années 80. Atari, Mattel Intellivision, 3DO, Sega (alors 2e fabriquant de consoles), Acclaim, Infogrames… l’hécatombe entrepreneuriale de l’industrie pourtant fleurissante du jeu vidéo n’a guère d’équivalents. La renaissance puis la consolidation de cette culture en parallèle à son organisation économique est alors venue du Japon. Plus précisément de Nintendo et de ses consoles Famicom, SuperFamicom et GameBoy. Dans les années 2000, presque bouté hors jeu par les PlayStation 1 et 2, Nintendo encore a redynamisé le marché en l’obligeant à réévaluer, avec la DS et la Wii – console low-tech comparé aux PS3 et Xbox360 -, la fuite en avant technologique. Ce Nintendo exemplaire, énorme machine créative capable de se remettre en question, d’innover et de générer, comme Apple, de nouveaux marchés, a atteint ce statut de monstre qu’on envie et que l’on hait tout autant. Une figure du père dont l’influence est impossible à ignorer et dont la moindre hésitation peut remettre en question toute la famille. Même si, comme le dit l’éditorial du dernier numéro de Edge (208, déc. 2009), Nintendo est presque devenu une industrie en soi, évoluant sur un autre plan que les autres sociétés.

Génération de surface

Actée de force, la popularité de la DS et de la Wii n’a pas été si bien expliquée sociologiquement. Les éditeurs ont suivi, ou plutôt, ont rattrapé tant bien que mal l’attelage Nintendo parti devant eux au galop. Jusqu’à finir par surcharger l’embarcation. Désormais majoritaire en longueur de linéaires, les rayonnages de jeux Wii et DS empilent une quantité déconcertante de jeux similaires, clonés, ou de logiciels ludo-éducatifs tout publics, c’est à dire visant autant de pseudos niches (les familles, les filles, les seniors,…) qu’un public de masse au hasard (les Sudoku, casse-briques, et autres jeux passe-temps…). « 13 jeux autour de la thématique des chevaux sur DS ou Wii à Noël 2008, pas étonnant qu’il y en ait qui reste sur le carreau » s’indigne le porte-parole des éditeurs de jeux vidéo en France Jean-Claude Larue. Saturé, le marché dit du « casual gaming » serait sur le point de s’effondrer sur lui-même ? Une tendance « Titanic » que la chute brutale des ventes de Wii confirmerait alors. La spirale ascendante vertueuse pourrait très bien se transformer en toupie infernale auto-destructrice.

Renouvellement anticipé

Evidemment, Nintendo n’a pas attendu ce dernier bilan public avant de prendre des mesures. L’immuable politique contre nature depuis trois ans consistant à ne vendre qu’un seul coloris de Wii, blanche, et à s’arc-bouter sur le prix de vente (250 €) qui jusque là ne nuisait pas au succès vient enfin de changer. La Wii coûte désormais 200 €, et une version noire, en quantité limitée, ouvre un peu les perspectives. La DS, devenue DS Light puis DSi se déclinera sous une nouvelle petite variation DSi LL ou XL avec un écran un peu plus grand au Japon avant la fin de l’année (1er trimestre en Europe à confirmer). Niée encore et toujours par Nintendo, une version HD de la Wii, apte au Blu-ray par exemple, compatible avec le catalogue de jeux actuels, reste la réponse et la pièce maîtresse que les analystes attendent fin 2010. Sans compter les jokers que la créative société japonaise peut sortir n’importe quand de son chapeau. En février dernier, Nintendo a fait l’acquisition d’un terrain à Kyoto où construire un nouveau centre de R&D (40 000 m2 et un investissement de 12,8 milliards de yens/94,8 millions €), le fer de lance de l’entreprise depuis les années 80.

L’important ce n’est pas la chute

D’un point de vue économique, il n’y aucune raison de s’inquiéter pour la santé financière de Nintendo qui reste une des entreprises les plus rentables du Japon. Même si cette chute stigmatise l’impact de la crise économique que l’industrie du jeu vidéo semblait pouvoir esquiver et, sans doute, le déclin culturellement plus dramatique de la scène japonaise du jeu vidéo confirmée publiquement par quelques créateurs au dernier Tokyo Game Show. Les jeux DS et Wii continuent de truster les charts. Selon le Financial Times, chacun des 3000 salariés des bureaux de Kyoto génère 1,6 millions de dollars (1 million €) de profit. Il est presque certain en revanche que les atermoiements de la Wii et de la DS vont se répercuter sur les éditeurs tiers et influencer leurs prochaines productions. L’insuccès chronique des jeux pour « adultes » sur la Wii (les pourtant bons No More Heroes, Mad World ou Dead Space Extraction…) va déjà avoir un impact sur les choix éditoriaux des uns et des autres. D’un point de vue culturel, depuis l’étonnant paradigme shift opéré par la Wii, Nintendo s’est installé dans une zone de confort, toujours créative mais plutôt hors jeux, où les core gamers ne l’ont pas suivi. Le succès des 7,9 millions de la planche de fitness Wi-Fit en étant devenu un des exemples les plus frappant. Dans ce contexte de lissage générationnel, même le retour des grands jeux Nintendo comme Mario et Zelda s’annonce comme de simples suites et non les réinventions techno-graphiques que la marque avait le scrupule d’entretenir jusque là. Zelda Spirit Tracks sur DS descend ouvertement de Phantom Hourglass, Super Mario Galaxy 2 assumé comme tel, un nouveau Zelda Wii dérivé de celui déjà trop tranquille de Twilight Princess, sans compter le rétro New Super Mario Bros. de Noël sur la Wii qui bégaie la version à succès de la DS de 2006. Le fléchissement des ventes va obliger le géant japonais rigidifié dans son succès à bouger. Et quand Nintendo bouge, en général, c’est toute l’industrie qui tremble. De plaisirs et de bénéfices partagés, ou de peur devant un futur qu’il va falloir à nouveau dessiner. À main levée sans doute cette fois encore.

François Bliss de la Boissière

(publié le 30 octobre 2009 sur Electron Libre)

 


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