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Nintendo et Apple : l’heure du grand rassemblement a sonné

Les deux grandes marques aux coeurs de métier symbiotiques sont désormais orphelines, et au même moment. Apple sort une console Apple TV sans jeu vidéo phare. Avec une Wii U éteinte, Nintendo ne sait plus où et comment faire exister ses personnages chéris dans le salon. Après 20 ans d’esquive, il est cette fois temps que Nintendo et Apple se réunissent. Pour le meilleur et pour le meilleur. Opinion.

Logo Apple WiiU Bliss

Voilà longtemps déjà que je défends deux thèses jusque là dissociées.

L’une présente l’Apple TV – l’ancien même avec ses limites et définitivement le nouveau – comme une « bombe » à retardement sous le téléviseur dès qu’Apple décide d’en faire une machine à jouer. C’est fait. L’Apple TV 4e génération est bel et bien une console de jeux vidéo. Apple en personne n’hésite plus à le revendiquer. La question n’est désormais plus « et si » Apple s’y mettait, mais « quand ». Quand les développeurs et studios de jeux vidéo comprendront qu’il faut s’y mettre sérieusement. Les outils Apple sont désormais à leur disposition pour se jeter sur la TV. Les paris sont donc ouverts.

L’autre thèse, plus ancienne encore, concerne Nintendo. De nombreux prévisionnistes, sérieux ou à la petite semaine, ont régulièrement suggéré que Nintendo se résigne à lâcher, comme jadis Sega, la fabrication de consoles et développe ses jeux sur tous les appareils mobiles ou de salon du marché. Je n’ai jamais cru cela envisageable parce que l’ADN connu et revendiqué de Nintendo consiste à développer en symbiose jeux et hardware. Avec comme objectif indiscutable de garantir un gameplay aussi optimum que le plaisir qui lui est associé.

Chacun de leur côté du Pacifique, Apple et Nintendo fonctionnent depuis toujours avec la même philosophie et la même logistique. Contrôler hardware et software est la seule manière de garantir la meilleure expérience utilisateur. Que cela soit pour les interfaces et les logiciels comme pour les jeux vidéo. À voir et subir l’inconstance des appareils informatiques et des interfaces de toutes les autres marques, on ne peut que donner raison aux deux entreprises.

Apple épouse le modèle Wii

Mais comme le chantait le Bob Dylan qu’a affectionné et influencé Steve Jobs jusqu’à sa mort : «  The Times They Are A-Changin’ » . Les temps changent, les mutations sont inévitables. L’homme, la société doit savoir s’adapter à son époque. Les entreprises aussi. Depuis le décès de Steve Jobs, Apple a déjà changé et trouvé une seconde vie sans son mentor. Derrière son air dégagé et supérieur, le Apple de 2015 cherche ainsi à convaincre avec des mots et des démonstrations agitées très Wii de 2006 (près de 10 ans de retard sur le timing gamer !) que son nouvel Apple TV à tout faire audiovisuel est aussi une console privilégiée de jeux vidéo (voir mon dossier « L’Apple TV est-elle oui ou non une console de jeux vidéo ? »). L’Apple TV 2015 ressemble surtout furieusement à une Wii U Plus.

Nintendo en crise

En pleine crise économique, technologique et identitaire comme toute la scène du jeu vidéo japonaise, et endeuillé par le décès prématuré du respecté PDG Saturo Iwata, le Nintendo de cette deuxième partie des années 2010 va devoir changer à son tour, a déjà changé. Une mutation indéfinissable de l’extérieure et peut-être même de l’intérieur, allez savoir, est déjà en cours chez Nintendo ces dernières années. L’investissement et le déménagement dans un nouveau bâtiment où la R&D est en bonne place a forcément bousculé des habitudes malgré le secret qui l’entoure. Une tentative pour l’instant vaporeuse de diversification vers la conception d’appareils et d’applis liés à la santé reste en suspens. Et, après des années de dénégation bravache, le développement sur appareils mobiles tiers, au Japon en tous cas, est acté. Des personnages Nintendo vont donc bientôt apparaître sur des appareils mobiles d’autres marques. Les Mii pour l’instant, cela suffira bien. Mais le tabou est levé. Nintendo n’a plus vraiment de frontières nettes. Comme ses personnages ubiquitaires qui apparaissent partout et nulle part dans Hyrule Warriors, Mario Kart, Super Smash Bros et même, sous forme de vêtements (!), dans le dernier Project Zero. Sans compter les Amiibo, ses jouets-jeux vidéo copieurs tardifs de Skylanders. Nintendo ne sait plus à qui se vendre.

Mariage de raison

Nintendo sans plus d’appui hardware crédible *, Apple sans icône vidéoludique historique et sérieuse… Faut-il vraiment faire appel aux actionnaires, aux analystes de marché et autres grands clercs attitrés pour voir là le mariage idéal ? Culturel, technologique et économique. Celui qui assoirait pour de bon et sans discuter la crédibilité jeux vidéo à Apple. Celui qui garantirait enfin un support hardware (et marketing) universel permanent à Nintendo. Celui qui rendrait jaloux et repousserait les voraces économiques du secteur de loisirs : les Activision capable d’engloutir des King, les Vivendi boulimiques jusqu’à vouloir à tout prix une part du « phare » breton Ubisoft…

Association de bienfaiteurs

Apple et Nintendo ensemble ne serait pas une affaire de malfaiteurs comme tant d’autres mais une association de bienfaiteurs. L’intégrité artistique, technologique et même économique de l’un et de l’autre serait enfin réunie vers un objectif commun et idoine. Ce n’est pas de l’angélisme. Ces deux ADN là sont faits depuis longtemps pour accoucher d’un nouvel embryon. Seule l’histoire personnelle des entreprises, l’orgueil de leurs dirigeants fondateurs ont interdit d’imaginer sérieusement de telles fiançailles. Mais on l’a vu, Tim Cook le diplomate n’est pas Steve Jobs. Ses accords avec les ennemis jurés IBM et Microsoft suffiront à le prouver. Banquier et gestionnaire d’abord, Tatsumi Kimishima le nouveau responsable de Nintendo n’a sûrement rien à voir avec le redoutable stratège indépendant que fut Hiroshi Yamauchi ni avec le gentil et fidèle héritier Saturo Iwata. Avec ces nouveaux décideurs plus pragmatiques que leurs flamboyants prédécesseurs, tout devient à nouveau possible.

Le meilleur des deux mondes

Depuis novembre 2015, le positionnement et l’écosystème du nouvel Apple TV rend un rapprochement entre Apple et Nintendo tangible. Nintendo pourrait développer ses jeux, Mario, Zelda, Pikmin, sur Apple TV sans rien changer de son savoir faire. Pour garantir jusqu’au joueur son savoir faire ergonomique, Nintendo n’aurait qu’à fabriquer une de ses manettes innovantes dont elle a le secret et autant d’accessoires souhaités compatibles MFI : Apple TV et même iPhone et iPad dans la foulée. Le joueur récupérerait le meilleur des deux mondes. Apple nous a par exemple confirmé que chaque développeur de jeu est libre d’utiliser ses propres serveurs pour les parties multijoueur ou d’exploiter ceux d’Apple. Loin d’être au top, l’infrastructure réseau de Nintendo profiterait alors aussi là des moyens techniques d’Apple pour ne plus avoir qu’à se consacrer à sa magie interactive liée aux jeux vidéo.
Le mariage Apple et Nintendo n’est plus une hypothèse, ni un compromis, ni un souhait, juste une évidence. Et peut-être même une urgence. Pour l’un et l’autre.

* Le presque fameux commentateur Michael Pachter vient encore de condamner Nintendo et sa prochaine console NX et donne raison en creux à mon appel au rassemblement.

François Bliss de la Boissière


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La Wii marque le pas, Nintendo en baisse et le jeu vidéo retient son souffle

Nintendo a annoncé une chute spectaculaire de ses revenus et de ventes de Wii sur le premier semestre 2009 et une révision à la baisse d’ici la fin de son année fiscale bouclant fin mars 2010. La baisse notable des ventes de Wii et DS entamée au premier trimestre est ainsi confirmée. Si le leader japonais du jeu vidéo titube, toute l’industrie doit-elle s’inquiéter ? Ce serait sans compter le premier capital de la firme modèle : la créativité et la capacité à relancer la machine à jouer et à rapporter de l’argent.

Wii

Les ventes de consoles Wii ont chuté de presque 50 % en un an. 5,75 millions vendues au premier semestre 2009 (mars à septembre) contre 10 millions au premier semestre 2008. Moins dramatique, la DS/DSi s’est écoulée à 11,70 millions contre 13,7 millions en 2008. Les bénéfices, en baisse comme les ventes (548 milliards de yens/4,06 milliards €, soit – 34,5 %), s’apprécient quand même à 69,5 milliards de yens (514 millions €) soit 52 % de moins que l’année précédente (144,8 milliards de yens/1,07 milliards €). Premières explications avancées par Nintendo : le cours élevé du yen, la réduction du prix de vente de la Wii et, comme le diagnostiquait déjà pour le premier trimestre le PDG de Nintendo France Stephan Bole, l’absence de jeux à très fort potentiel commercial par rapport à l’année dernière. En janvier dernier, crise économique en tête des causes, Nintendo avait déjà revu pour la première fois en cinq ans ses prévisions à la baisse pour l’année 2008 (-33 %) alors que ses ventes totales atteignaient mille milliards et 820 millions de yens (13,55 milliards €) au lieu de 2 mille milliards de yens (14,8 milliards €). Malgré cela, les consoles Wii et DS/DSi ont atteint en un temps record des ventes mondiales, elles aussi, records : 56,14 millions d’unités en trois ans pour l’une installée dans les foyers, 113,48 millions pour l’autre baladeuse en presque cinq ans.

Crainte de la rechute

Les quatre années de succès foudroyant Nintendo ayant laissé étourdis bien des acteurs de l’industrie du jeu vidéo, le déclin confirmé pour la deuxième fois de suite des ventes de consoles Wii et, dans une moindre mesure, DS, ne va pas manquer de réintroduire de l’anxiété dans le secteur. L’embellie, probablement éphémère, des PlayStation 3 et Xbox 360 vendues à bas prix d’ici Noël ne peut suffire à rassurer une industrie évoluant en grande partie ces dernières années dans l’ombre blanche du succès des consoles tout public de Nintendo. Il n’y a qu’à voir : la relance envisagée en 2010 des deux consoles Sony et Microsoft se fera en adoptant des interfaces à reconnaissance dans l’espace déclinant le principe de la Wiimote de Nintendo. La chute radicale des ventes de Wii veut-elle dire que le concept n’a finalement pas de viabilité sur la durée ? Qu’après un élan de curiosité et un élargissement doux vers un nouveau public, l’intérêt se tasserait déjà ? Après deux années de succès stratosphérique – il faut se rappeler que la demande de consoles Wii a excédé les quantités livrées pendant cette période – le président de Nintendo, Saturo Iwata, a entériné la stagnation des ventes de consoles Wii en blâmant d’abord l’incapacité de son entreprise à proposer de nouveaux jeux marquants « qu’il faut absolument avoir ». « Une fois l’élan perdu (le momentum), cela prend du temps de se remettre » aurait-il reconnu, « la baisse de prix de la Wii va permettre aux ventes de retrouver un certain rythme mais pas assez pour rattraper le niveau de l’année dernière. » Nintendo prévoit ainsi de vendre 20 millions de Wii au lieu de 26 millions sur son année fiscale. Une quantité, signalons-le, encore largement impressionnante que la concurrence aimerait bien atteindre (24 millions en 3 ans pour la PS3, un peu plus de 30 millions en 4 ans pour la Xbox 360).

Trauma center

Tout populaire soit-il de nos jours, le jeu vidéo garde au fond de lui le trauma du crash légendaire de l’industrie interactive naissante au début des années 80. Atari, Mattel Intellivision, 3DO, Sega (alors 2e fabriquant de consoles), Acclaim, Infogrames… l’hécatombe entrepreneuriale de l’industrie pourtant fleurissante du jeu vidéo n’a guère d’équivalents. La renaissance puis la consolidation de cette culture en parallèle à son organisation économique est alors venue du Japon. Plus précisément de Nintendo et de ses consoles Famicom, SuperFamicom et GameBoy. Dans les années 2000, presque bouté hors jeu par les PlayStation 1 et 2, Nintendo encore a redynamisé le marché en l’obligeant à réévaluer, avec la DS et la Wii – console low-tech comparé aux PS3 et Xbox360 -, la fuite en avant technologique. Ce Nintendo exemplaire, énorme machine créative capable de se remettre en question, d’innover et de générer, comme Apple, de nouveaux marchés, a atteint ce statut de monstre qu’on envie et que l’on hait tout autant. Une figure du père dont l’influence est impossible à ignorer et dont la moindre hésitation peut remettre en question toute la famille. Même si, comme le dit l’éditorial du dernier numéro de Edge (208, déc. 2009), Nintendo est presque devenu une industrie en soi, évoluant sur un autre plan que les autres sociétés.

Génération de surface

Actée de force, la popularité de la DS et de la Wii n’a pas été si bien expliquée sociologiquement. Les éditeurs ont suivi, ou plutôt, ont rattrapé tant bien que mal l’attelage Nintendo parti devant eux au galop. Jusqu’à finir par surcharger l’embarcation. Désormais majoritaire en longueur de linéaires, les rayonnages de jeux Wii et DS empilent une quantité déconcertante de jeux similaires, clonés, ou de logiciels ludo-éducatifs tout publics, c’est à dire visant autant de pseudos niches (les familles, les filles, les seniors,…) qu’un public de masse au hasard (les Sudoku, casse-briques, et autres jeux passe-temps…). « 13 jeux autour de la thématique des chevaux sur DS ou Wii à Noël 2008, pas étonnant qu’il y en ait qui reste sur le carreau » s’indigne le porte-parole des éditeurs de jeux vidéo en France Jean-Claude Larue. Saturé, le marché dit du « casual gaming » serait sur le point de s’effondrer sur lui-même ? Une tendance « Titanic » que la chute brutale des ventes de Wii confirmerait alors. La spirale ascendante vertueuse pourrait très bien se transformer en toupie infernale auto-destructrice.

Renouvellement anticipé

Evidemment, Nintendo n’a pas attendu ce dernier bilan public avant de prendre des mesures. L’immuable politique contre nature depuis trois ans consistant à ne vendre qu’un seul coloris de Wii, blanche, et à s’arc-bouter sur le prix de vente (250 €) qui jusque là ne nuisait pas au succès vient enfin de changer. La Wii coûte désormais 200 €, et une version noire, en quantité limitée, ouvre un peu les perspectives. La DS, devenue DS Light puis DSi se déclinera sous une nouvelle petite variation DSi LL ou XL avec un écran un peu plus grand au Japon avant la fin de l’année (1er trimestre en Europe à confirmer). Niée encore et toujours par Nintendo, une version HD de la Wii, apte au Blu-ray par exemple, compatible avec le catalogue de jeux actuels, reste la réponse et la pièce maîtresse que les analystes attendent fin 2010. Sans compter les jokers que la créative société japonaise peut sortir n’importe quand de son chapeau. En février dernier, Nintendo a fait l’acquisition d’un terrain à Kyoto où construire un nouveau centre de R&D (40 000 m2 et un investissement de 12,8 milliards de yens/94,8 millions €), le fer de lance de l’entreprise depuis les années 80.

L’important ce n’est pas la chute

D’un point de vue économique, il n’y aucune raison de s’inquiéter pour la santé financière de Nintendo qui reste une des entreprises les plus rentables du Japon. Même si cette chute stigmatise l’impact de la crise économique que l’industrie du jeu vidéo semblait pouvoir esquiver et, sans doute, le déclin culturellement plus dramatique de la scène japonaise du jeu vidéo confirmée publiquement par quelques créateurs au dernier Tokyo Game Show. Les jeux DS et Wii continuent de truster les charts. Selon le Financial Times, chacun des 3000 salariés des bureaux de Kyoto génère 1,6 millions de dollars (1 million €) de profit. Il est presque certain en revanche que les atermoiements de la Wii et de la DS vont se répercuter sur les éditeurs tiers et influencer leurs prochaines productions. L’insuccès chronique des jeux pour « adultes » sur la Wii (les pourtant bons No More Heroes, Mad World ou Dead Space Extraction…) va déjà avoir un impact sur les choix éditoriaux des uns et des autres. D’un point de vue culturel, depuis l’étonnant paradigme shift opéré par la Wii, Nintendo s’est installé dans une zone de confort, toujours créative mais plutôt hors jeux, où les core gamers ne l’ont pas suivi. Le succès des 7,9 millions de la planche de fitness Wi-Fit en étant devenu un des exemples les plus frappant. Dans ce contexte de lissage générationnel, même le retour des grands jeux Nintendo comme Mario et Zelda s’annonce comme de simples suites et non les réinventions techno-graphiques que la marque avait le scrupule d’entretenir jusque là. Zelda Spirit Tracks sur DS descend ouvertement de Phantom Hourglass, Super Mario Galaxy 2 assumé comme tel, un nouveau Zelda Wii dérivé de celui déjà trop tranquille de Twilight Princess, sans compter le rétro New Super Mario Bros. de Noël sur la Wii qui bégaie la version à succès de la DS de 2006. Le fléchissement des ventes va obliger le géant japonais rigidifié dans son succès à bouger. Et quand Nintendo bouge, en général, c’est toute l’industrie qui tremble. De plaisirs et de bénéfices partagés, ou de peur devant un futur qu’il va falloir à nouveau dessiner. À main levée sans doute cette fois encore.

François Bliss de la Boissière

(publié le 30 octobre 2009 sur Electron Libre)

 


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WII SPORTS RESORT : Vacances forcées

Fun Wii Sports Resort comme veulent nous le faire croire l’ambiance estivale et les couleurs primaires ? A condition d’aimer les ordres, les conseils techniques et l’exercice physique en guise de jeu vidéo. Les temps de chargement sont peut-être absents sur la Wii mais les listings de directives qui s’y substituent rendent l’exercice pénible avant d’être éventuellement amusant. À vos ordres ? Prêt ? Jouez…

Wii Sports Resort

Avec la génération DS/Wii Nintendo a réussi une autre mutation dans les rouages de l’industrie du jeu vidéo. Le succès des ventes d’un jeu s’étale et se vérifie sur plusieurs mois, voire plusieurs années, au lieu de se concentrer comme auparavant, et comme sur les autres plateformes concurrentes, dans les premiers jours. Il n’y a aucune raison de supposer que les ventes de Wii Sports Resort sorti cet été ne suivent pas la même courbe progressive que ses prédécesseurs Wii Play ou Wi Fit, qui contre tous les pronostics, se retrouvent désormais en tête des ventes de jeu sur 10 ans avec respectivement 11,1 millions d’exemplaires pour l’un et 7,9 millions pour l’autre simplement aux États-Unis et devant les 8,25 millions de GTA : Sans Andreas de la PlayStation 2. Fort de ces chiffres et de cette évolution tout à fait souhaitable des ventes, Miyamoto a lui même confié récemment que Nintendo s’attend à ce que le prochain New Super Mario Bros. sur Wii continue de se vendre en 2010 jusqu’à atteindre les 10 millions d’exemplaires aux côtés de Wii Fit Plus et de Wii Sports Resort. Avantage pour la critique, il n’est plus jamais trop tard pour faire la critique d’un jeu Nintendo. CQFD.

Paradoxes

Ce serait évidemment faire preuve de mauvaise grâce que de critiquer Wii Sports Resort pour ce qu’il n’est pas. Pourtant au-delà du fun indéniable des 12 épreuves, dont seulement 9 inédites (le tennis de table existe sur Wii Play), il faut bien dénoncer quelques paradoxes. Le premier qui saute aux yeux et aux mains vient de la nouvelle extension Wii Motion Plus à ajouter à la Wiimote. Celle qui, justement, transforme en vedette le jeu et doit ouvrir la Wii, brusquement 1.5, à une nouvelle génération de jeux, plus précis, plus fidèles aux mouvements de la main. Passons sur le (re)sentiment qui laisse l’impression de s’être fait manipuler par les pseudos vertus de reconnaissance des mouvements de la Wiimote de base. Le directeur de Nintendo France Stephan Bole assume totalement l’upgrade technologique dans un secteur en constante mutation : « L’évolution de notre technologie de reconnaissance de mouvements n’était pas disponible il y a 3 ans lors du lancement de la Wii », affirme-t-il.

Upgrade/downgrade

De fait, l’amélioration s’apprécie difficilement. Chaque épreuve pose ses propres difficultés de manipulation et, en plein effort, il faut une capacité d’attention assez hors norme pour pouvoir dissocier les nuances de contrôles qui appartiendraient à l’adjuvant plutôt qu’à la Wiimote toute nue. C’est sans doute pourquoi Nintendo a eu l’idée maligne d’inclure le Bowling et le Golf du premier Wii Sports où la comparaison peut se faire sur des bases concrètes de manipulation. En effet, il devient possible d’y créer de nombreux effets gestuels impossibles auparavant. Mais qui dit effets, dit davantage de prises de risque du joueur et l’augmentation de précision demande une dextérité de jeu elle aussi supérieure. Bref, cela paraît moins simple et plus difficile.
Cette prise en mains plus ardue, quel que soit le jeu d’ailleurs, se vit de manière d’autant plus hard qu’elle nécessite un véritable investissement physique dans la foulée sportive du nouveau et systématique crédo fitness de Nintendo.

Fais pas ci, fais pas ça

Le suffixe Resorts n’est pas usurpé s’il s’agit d’y entendre un camp de vacances sportives. Un camp d’entrainement intensif plutôt qu’un séjour de loisirs parce que, des modes d’emploi des épreuves aux ajustements constants de réglages de la Wiimote équipée du Wii Motion Plus, il faut sans arrêt lire et faire ce que le jeu vous dit. Il rejoint d’une manière beaucoup plus flagrante que son prédécesseur les Cérébrales Académies et Wii Fit qui passent leur temps à donner des directives. Avec une suffisance pédagogique lourde et redondante même quand elle n’est pas écrite en toute lettre : « Faites ce que je vous dis et vous vous porterez mieux ». Que des jeux si directifs connaissent un tel succès public laisse songeur sur la manière dont le-dit public, le peuple, les gens, nos contemporains, envisagent vacances et loisirs. Jusqu’à nouvel ordre, les vacances se résument d’abord à un décrochage des carcans de la vie quotidienne, comme l’explique fort bien le spécialiste de l’histoire contemporaine Christophe Granger dans son livre Les corps d’été. Retomber dans un environnement surchargé de règles, de directives et d’impositions et de compétitions relèvent d’une autre aspiration, d’un autre besoin que celui, original, du petit goût de la liberté recouvrée.

Wii doute plus

L’intrusion permanente de conseils et, surtout, de conditions techniques à respecter pour que le Wii Motion Plus « fonctionne » (poser la Wiimote sur table face à plat, pointer vers l’écran pour valider ses coordonnées, les conseils réguliers de calibration « si la télécommande ne fonctionne pas correctement »…) transforment Wii Sports Resort avant tout en exercice de soumission, voire d’asservissement. Et laisse comprendre que les conditions de fonctionnement du Wii Motion Plus sont bien instables. Le jeu vidéo évidemment fonctionne depuis toujours à partir d’innombrables règles et conventions. Jusqu’à la Wii, Nintendo a toujours eu la grâce et la volonté de faire passer ses règles de jeu dans le flux du spectacle interactif proprement dit. L’apprentissage d’un Mario ou d’un Zelda ou même d’un Mario Kart, se fait en jouant, dans le geste du jeu (les Pilot Wings déroulaient certes pas mal de règles préambules). Depuis le succès de la série des Wario Ware et ses challenges éclairs liés à un ordre à saisir, Nintendo semble avoir réalisé que le public, notamment celui qui ne joue pas parce qu’il ne comprend ni les enjeux ni les manipulations, non seulement était prêt à tolérer des règles plus explicitement émises mais à les privilégier. Le retour bienvenue au B.A.-Ba du jeu vidéo entrepris depuis par la DS et la Wii pour rallier et éduquer une nouvelle génération de joueurs de tous horizons a muté, au fil des succès, en une succession de leçons de choses, tantôt généralement comportementales, tantôt simplement didactiques. Il y a peu, un jeu multipliant les conseils et règles en début de partie était voué à l’échec. Aujourd’hui, sur consoles NIntendo, en parallèle à la concrétisation sommaire de leurs manipulations à travers des accessoires explicites, les règles cachées du jeu vidéo ont fait surface là où les meilleurs jeux les dissimulaient et les distillaient dans le cours de l’action. Un académisme cérébral a remplacé l’intelligence de l’instinct du jeu.

Jouer à un jeu Nintendo implique désormais un retour à l’école permanente. Dans le cadre d’un jeu d’été, destiné à traverser les saisons, Wii Sports Resort fait plutôt office d’université d’été. Si distractions il y a derrière ses épreuves éminemment physiques (Canoë-kayak Wakeboard, Sabre et épuisant Motomarine en tête), qui ira les confondre avec des vacances, ou même des loisirs ?

François Bliss de la Boissière

 


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Stephan Bole : « Pour Nintendo, la notion de casual gaming est un peu has been »

Serein Nintendo face à la crise ? Lucide en tous cas, semble penser Stephan Bole, Directeur Général de Nintendo France… Les consoles Nintendo représentent avec les iPod/iPhone d’Apple un des phénomènes de consommation et de société du XXIe siècle. Les consoles DS et Wii se vendent tellement qu’elles modifient le paysage et les habitudes historiques de consommation et de production de l’industrie du jeu vidéo. Nintendo pèse lourd. Au point de ne pas craindre les autres… poids lourds, les anciens comme Sony et Microsoft, et le nouveau venu dans la cour du jeu vidéo, Apple…

Stephan Bole

Bliss : Quel bilan tirez-vous un mois après votre conférence à l’E3 ? Avez-vous réussi l’exercice délicat et attendu consistant à satisfaire gamers traditionnels et nouveau public ?

– Stephan Bole, Directeur Général de Nintendo France : Ce n’est pas à nous de le dire. Depuis 2-3 ans nous ne sommes plus dans une logique de surenchère d’annonces à l’E3. La conférence essaie de se concentrer sur ce qu’on est en mesure d’apporter au consommateur dans les semaines ou les mois qui viennent. Il y a quelques années on n’hésitait pas à présenter des produits ou des projets à l’E3 qui au final arrivaient 3 ou 4 ans plus tard, comme un Zelda. Désormais, on ne montre plus le reste de nos projets. Cela provoque un impact moindre que les conférences de Sony et Microsoft mais ce qui est intéressant c’est le feedback du marché que nous avons eu dans un 2e temps. Des analystes américains ont rejoint les distributeurs pour nous dire, 3 jours après le salon et la retombée des différents buzz de la concurrence : « Vous avez sous délivré lors de la conférence, mais au bout de 3 jours de salon, quand on a commencé à trier les titres 2009 du reste annoncé pour 2010 ou 2011, en mettant des quantités en face, on s’est retrouvé focalisé sur des produits des plateformes Nintendo ». Il n’y a pas l’ombre d’un doute, notre stratégie aujourd’hui consiste encore à élargir l’audience du jeu vidéo. Ce qui nous intéresse avant tout c’est de casser le mur entre les joueurs et les non joueurs. Quelques jeux dont nous sommes très fier en font partie : Mario Kart sur Wii et Professeur Layton sur DS qui s’adressent à des débutants comme à des core gamers. Wii Sports Resort aujourd’hui (sortie le 24 juillet), New Super Mario Bros en fin d’année, et dans une moindre mesure Wii Fit Plus, sont des jeux qui ont aussi cette ambition. La notion de casual gaming est un peu has been.

Bliss : L’éco système de l’iTunes store appliqué aux logiciels et jeux a littéralement fait exploser le nombre de jeux développés et achetés sur iPhone. Nintendo Japon ne semble pas publiquement s’en inquiéter alors que ce sont des millions de dollars dépensés en jeu qui échappent, pour une fois, à Nintendo. N’y a-t-il pas là un exemple à suivre ? Nintendo n’est-il pas en train de se faire doubler par sa droite ?

Stephan Bole : Il est clair qu’on a assisté à l’éclosion d’une nouvelle plateforme de jeux et que le modèle est un succès, et la masse des applications sur l’iTunes Store est en effet remarquable. Mais si vous posez la question à l’ensemble des éditeurs qui étaient particulièrement excités il y a un an parce qu’ils s’apercevaient qu’il suffisait de mettre des titres sur l’iTunes Store pour en vendre, ils réalisent aujourd’hui qu’il est plus difficile d’émerger sur iTunes Store que dans les linéaires d’hypermarchés qu’ils critiquaient il y a un an. Même quand les investissements marketing et la qualité des titres sont importants, ils ne suffisent plus à émerger sur l’iTunes Store. Du coup beaucoup d’éditeurs se sont intéressés à la DSi et au DSiWare. Ce sont d’ailleurs souvent les mêmes éditeurs qui avaient connus des premiers succès sur Apple au moment où le store avait été ouvert qui viennent naturellement sur DSiWare et discutent aujourd’hui avec Nintendo.

Bliss : Vous commercialisez avec le Wii Motion Plus un nouvel accessoire qui améliore le fonctionnement de la Wiimote. N’y a-t-il pas un risque de brouiller le message aux consommateurs, de laisser entendre que la Wiimote originale n’était pas au point, de diviser le marché entre jeux compatibles et non compatibles ?

Stephan Bole : On assume complètement l’évolution de notre technologie sur un secteur technologique, ça fait partie du marché. Toutes les plateformes ont proposé des évolutions au fur et à mesure. Nous, nous proposons une évolution de notre technologie de reconnaissance de mouvements qui n’était pas disponible il y a 3 ans lors de son lancement. Elle a le mérite d’être la seule disponible aujourd’hui sur le marché. Nous y travaillons depuis longtemps pour essayer de donner plus de profondeur de jeux pour les gamers comme pour le grand public, des expériences immersives et plus challenging comme le prochain Zelda dont Monsieur Miyamoto a parlé qui se jouera avec la Wii Motion Plus à l’épée ou dans les combats à l’arc (en 2010, ndr). Nous pensons que c’est un accessoire qui va apporter beaucoup au consommateur et nous sommes extrêmement agressif commercialement puisqu’on offre au consommateur le Wii Motion Plus avec Wii Sports Resort. C’est à dire que pour le prix d’un jeu normal vous avez le Wii Motion Plus gratuit (50 € le jeu avec l’accessoire, 20 € l’accessoire seul, ndr). Trois jeux compatibles sont déjà dans le commerce dont le Virtua Tennis 2009 de Sega. Et nous avons laissé la possibilité à certains éditeurs d’offrir eux-mêmes leur bundle comme Electronic Arts sur le très grand Tiger Woods PGA Tour 10 ou sur Grand Chelem Tennis. L’expérience japonaise du lancement de Wii Sports Resort nous laisse penser qu’il s’agit là de la killer application qui va faire vendre des Wii Motion Plus. Il s’est vendu 650 000 Wii Sports Resort en 3 semaines au Japon. Il s’agit du plus gros lancement sur Wii avec Mario Kart sur le marché Japonais. Et il y a un taux d’attache de 1 pour 1 entre le jeu et l’accessoire vendu à part. Donc, en gros, les gens en possession de Wii Sports Resort au Japon sont d’ores et déjà équipés de 2 Wii Motion Plus.

Bliss : Selon les observateurs, cette génération de consoles high-tech, Microsoft et Sony donc, pourrait être la dernière. Le jeu du futur proche pourrait ne nécessiter qu’une box d’accès pour jouer directement en streaming. Est-ce envisageable pour Nintendo ?

Stephan Bole : Écoutez, ce que nous avons de très gros dans les cartons sont des produits bien physiques, souvent avec des interfaces d’ailleurs. Wii Sports Resort avec le Wii Motion Plus, ce n’est pas du tout dématérialisé, Wii Fit Plus vendu avec une balance pour ceux qui ne sont pas encore équipés, Pokémon Gold et Silver qui seront vendus avec un accessoire sur Nintendo DS en 2010, non plus. De Guitar Hero à Mario Kart, toutes les meilleures ventes 2008 l’ont été avec un accessoire. Je ne vais pas faire de prospective au-delà des 2-3 ans puisque de toutes façons je ne serais pas en mesure de vous donner de scoop, mais nous pensons qu’aujourd’hui la dématérialisation offre surtout du business complémentaire au business physique. C’est une réalité pour Nintendo avec Virtual Console sur Wii qui permet de jouer à des jeux anciens disparus des linéaires et avec le développement de jeux inédits sur WiiWare et DSiWare qui permet à la création indépendante de s’exprimer.

Bliss : Nintendo connaît-il la crise ?

Stephan Bole : Nous continuons à penser que le jeu vidéo résiste plutôt bien à la crise. La DSi s’est vendue à 400 000 unités en France depuis son lancement en avril. Le total de DS et DSi en France a atteint 7,5 millions (+ de 100 millions dans le monde, ndr). Pour vous donner un ordre d’idée, la console la plus populaire avant la DS, sans compter les différentes générations de GameBoy, a été la PlayStation 2 dont le parc installé aujourd’hui doit être de 5,9 millions en France (en 9 ans de commercialisation, ndr). 7,5 millions de DS c’est énorme. Un chiffre inégalé qui reflète tout simplement l’élargissement de cible qui représente le premier driver de croissance de l’industrie depuis 3 ans maintenant. Et le fait que le jeu vidéo, notamment portable, touche tous les types de consommateurs avec un public plus féminin, plus adulte. Chaque semaine en France et dans le monde la DS reste la console la plus vendue. Et la 2e console la plus vendue chaque semaine est la Wii qui compte 3,3 millions d’unités en France (50 millions + dans le monde, ndr). Grosso modo il se vend dans le monde chaque semaine autant de Wii que de PlayStation 3 et de Xbox 360 réunies dont le parc serait respectivement de 1,4 et 1,3 millions en France d’après les derniers chiffres GFK (+ de 22 millions de PS3 dans le monde, 30 millions de Xbox 360, ndr).
On pense en revanche que nous arrivons, en ce qui concerne le hardware, à l’asymptote dans la courbe de vie de cette génération. C’est à dire que nous atteignons la 2e moitié du cycle de vie des consoles, et donc que les volumes ne vont plus forcément progresser et vont même peut-être décliner peu à peu. Mais la règle d’or sur ce marché reste le contenu, c’est lui qui tire les ventes de soft et de hard, et non l’inverse. Le lancement de Dragon Quest IX sur DS au Japon la semaine dernière est une belle histoire. En 2 jours le jeu a fait 2,3 millions d’exemplaires. Les ventes de DS/DSi sont passées de 37 000/40 000 à 160 000 uniquement grâce à Dragon Quest IX. La dynamique sur ce marché est toujours sur le soft, les killer app, ça n’a pas changé.

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière

(publié le 23 juillet 2009 sur Electron Libre)

 


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Little King’s Story : La Wii fait merveille

Même si une critique avisée ne manque pas de les pointer parmi l’ordinaire saignant du jeu vidéo, les jeux dégageant du merveilleux sont rares. En revanche, quand ils prennent cette direction et sont inspirés comme ce Little King’s Story sorti de nulle part, ils trouvent une grâce impossible à atteindre par d’autres médias.

Réelle ou fantasmée, l’aventure de ce petit garçon devenant roi pour s’entourer de sujets et éviter la solitude de sa chambre a bien sûr un petit côté Roi Arthur, Alice au Pays des Merveilles version jardin d’enfants, ou, si l’on veut prendre référence plus populaire récente, les livres et films Narnia. Mais quand le fidèle vieux chevalier « à la vache » (sa fière monture) évoque la nécessaire réunification du royaume, puis une fois faite, celle des royaumes adjacents, moins par esprit de conquête que pour rétablir un ordre et une paix juste, la gentille fable s’arme de politique.

Qu’y a-t-il de l’autre côté du miroir de la vie ordinaire ? L’année zéro, les balbutiements moyenâgeux d’une civilisation. Un petit château en bois et son village qui deviendront grands et en pierre. Des villageois dilettantes surnommés « adultes insouciants » qu’il faudra gentiment transformer en fermier, bucheron, charpentier, chasseur et bien sûr, soldat. L’apprenti Roi, aussi et surtout commandeur des armées, recrute un à un ses troupes pour ensuite conquérir des campagnes en friche traversées par des plantes sauvages, des navets agressifs, franchir des forêts de champignons, des champs de pastèques et de tournesols géants, installer habitations, fermes et commerces jusqu’à des vallées obscures…

Au fin fond de chaque recoin du royaume, un vilain rival et ses sbires qu’il faut vaincre avec ses petites escouades chacune spécialisée dans une procédure d’attaque ou de défense. Lorsque le roi sauve enfin de captivité la Princesse Abricot, celle-ci s’installe dans une demeure voisine et non dans le château lui-même. En fait de récompense au vainqueur, la princesse se révèle l’ambassadrice d’une lignée de princesses qu’il faudra également sauver ! Inutile de rêver au harem, le petit d’homme, ici, est au service de ces dames.

Le fondement du jeu, et surtout sa prise en main classique n’utilisant pas du tout les fonctions singulières des accessoires de la Wii, évoquera de nombreux jeux aux gamers avertis. à commencer par les fameux Pikmin de Nintendo auxquels Little King’s Story emprunte l’essentiel des contrôles et du principe. L’emballage graphique et sonore, pourtant, arrache le jeu à ses références pour l’entrainer sur un terrain artistique iconoclaste sans équivalent. L’animation crayonnée ou à la craie de l’introduction, puis des intermèdes, entrainée, comme le jeu lui-même, par de superbes morceaux de musique classique (de Ravel à Beethoven), provoque un délicieux choc culturel. Malgré les emprunts, Little King’s Story fait partie de ces jeux totalement uniques, entrainant le joueur dans un espace-temps reconfiguré à son échelle. Une pure et rare merveille interactive.

François Bliss de la Boissière (dévoué sujet)

(Publié en 2009 dans AMUSEMENT #5)


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Pikmin : Prends Moii !

« Pick me ! », cueillez-moi, hurlent silencieusement les craquants radis Pikmin plantés dans le jardin du bien aimé Shigeru Miyamoto…

Sous ses allures de jeu enfantin trop mignon pour être sérieux, Pikmin abrite en réalité une réinvention hyper maligne sur console des sophistiqués principes de gameplay des jeux de stratégie temps réel (RTS) répandus sur PC. C’est en s’intéressant à son jardin que le célèbre papa de Mario et Zelda, Shigeru Miyamoto, dit avoir imaginé les aventures du mini Capitaine Olimar.

Crashé sur Terre par accident, le petit astronaute, haut de 4 cm seulement, essaie de rassembler les pièces éparpillées de sa fusée en se faisant aider par les Pikmin, d’adorables et vulnérables créatures bourgeons transformées en petite armée de manutentionnaires, ouvriers qualifiés ou fantassins. Susceptibles de contrôler jusqu’à une centaine de Pikmin, obligé d’accomplir ses missions avant la tombée mortelle de la nuit, Olimar doit coordonner des petits groupes de travaux qui iront collecter des fleurs pour cultiver de nouveaux Pikmin, abattre des murs de pierre, construire des passerelles et affronter les insectes géants qui habitent les jardins devenus jungle à leur échelle.

Sous le label « Nouvelle façon de jouer ! », cette réédition sur Wii d’une merveille sortie en 2001 inaugure une série de jeux GameCube retravaillés pour être jouable à la Wiimote. Avec la télécommande pointant et sélectionnant les Pikmin à l’écran le joueur gagne effectivement une nouvelle liberté de contrôle et, même si le jeu reste identique à l’original, la prise en main améliorée est bien le meilleur prétexte pour succomber à nouveau au charme sensoriel total des Pikmin.

Nouvelle façon de Jouer ! Pikmin / Nintendo / Disponible sur Wii

Jardinier… François Bliss de la Boissière

(Publié en 2009 dans Amusement #4)

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ZELDA : MAJORA’S MASK WII/VC : L’éternel retour

Sans tambour ni trompette, la suite affolante de complexité conceptuelle de Ocarina of Time a été mise à disposition en téléchargement sur la Wii. Un jeu monstre qui s’est, littéralement, effondré sur lui-même. Depuis, les Zelda sont revenus à des choses plus simples…

Neuf ans presque jour pour jour (avril 2000-2009), Nintendo rend discrètement disponible en téléchargement sur les Wii japonaises et européennes (1000 points/10 €) la suite du révéré Ocarina of Time. Un évènement tamisé, bien trop discret, pas 100% satisfaisant à cause d’une émulation petits bras mais une expérience interactive audacieuse, jamais égalée et toujours aussi fascinante à pratiquer. Ne serait-ce que pour essayer de saisir la richesse de l’ensemble. Comme le demande joliment sur son blog Margaret Robertson, une des rares critiques féminines du jeu vidéo : « Majora’s Mask était-il bon ? Non, répond-elle avec la réponse déjà en tête, ce n’était pas bon. C’EST bon« . Pour continuer d’affirmer : « Plus que bon. C’est un modèle de brillance, un objet d’étude sur la manière dont un game design innovant et une narration non linéaire peuvent se rejoindre pour créer le Graal d’une interactivité avec une résonnance émotionnelle. » « Le jeu n’a pas expiré, précise-t-elle à notre place, il n’est pas rassis ou pourri. Comme d’autres chefs d’œuvre, il vous attend (…)« .

Un chef d’œuvre, certes, mais un des plus difficiles d’accès. Conceptuellement et en terme de réalisation et d’intégration de toutes ses idées, Majora’s Mask reste une des propositions de jeux les plus complexes jamais créées, par Nintendo comme par n’importe quel autre studio. Ne serait-ce qu’avec son contraignant système de sauvegarde à 2 niveaux, temporaire, ou brisant la chronologie de l’aventure, qui demande une vraie maitrise. C’est aussi, pour cette raison et quelques autres, un des jeux les plus techniquement faillibles de Nintendo. Destiné d’abord au 64 Disk Drive, le fameux add-on de la Nintendo 64 sorti uniquement au Japon, Majora’s Mask est finalement sorti sur Nintendo 64 en compagnie de l’Expansion Pak, un étrange gadget compromis rajoutant de la mémoire à la console. Jamais totalement concluant, l’add-on provoqua des ralentissements assez notables de l’affichage dans tous les jeux qui l’utilisèrent. À commencer, donc, par la cartouche Majora’s Mask, dont l’add-on (obligatoire) ajoutant de la puissance à la console N64 avait le culot de créer dans le réel un écho au concept des surcouches du jeu, des masques greffant des pouvoirs au héros les portant.

Bienvenue, cette émulation Console Virtuelle de la Wii se rend ainsi plus accessible que la version incluse dans le rare disque Collector’s Edition de 2003 regroupant 4 aventures Zelda (à dénicher à l’époque en France dans une édition limitée de Mario Kart Double Dash ! cherchant effectivement à surligner son titre double). Surtout qu’elle ne souffre pas de manière aussi flagrante des problèmes de son de la version émulée sur GameCube. Scrupuleusement annoncés par l’éditeur pour éviter tout malentendu sur le fonctionnement de la GameCube, les bugs sonores à chaque appel de menu ou franchissement de porte donnaient et donnent encore l’impression d’un jeu mal fini. Une impression validée par les ralentissements de l’affichage au milieu de décors trop copieux. La version Wii/VC se porte mieux mais, hélas pour les puristes, comme tous les jeux N64 émulés sur Wii (Mario Kart, Ocarina of Time), Majora’s Mask renoue avec les mauvaises conditions des jeux PAL d’alors en tournant en 50Hz au lieu des 60Hz d’origine. Résultat, ralentie et légèrement plus sourde, la musique n’a pas la tonalité originale et le petit Link se déplace plus lourdement qu’il ne devrait.
De plus, contrairement à Ocarina of Time qui avait été en grande partie optimisé lors, justement, des éditions collectors GameCube, Majora’s Mask n’a, lui, jamais été retravaillé. Sur GameCube avec ses bugs sons ou sur Wii, avec sa vitesse ralentie et l’absence cruciale du mode vibration, le jeu n’a pas encore reçu le travail de ravalement qu’il mérite. Cela étant dit, une fois les remarques de puristes maniaques énoncées, il ne reste qu’une seule chose à faire sérieusement : jouer ou rejouer cette extraordinaire mise en abime vidéo ludique. Comme le décrit malicieusement Eurogamer.net : le meilleur Zelda que vous n’avez jamais joué.

En l’an 2000, quand Overgame cherchait déjà à s’extirper du carcan rigide de la formule test de jeu vidéo, l’expérimental Majora’s Mask nous avait donné belle occasion de le traiter autrement. Après le 10/10 toujours valable de Ocarina of Time, la question de la note fut presque éludée. En réalité la seule note possible, et logique avec le concept d’éternel retour, aurait été le symbole .
A (re) lire ici en prenant son souffle.

François Bliss de la Boissière

(Publié en avril 2009 sur Overgame)

 


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Quand les consoles « next-gen » se remaquillent

Comment dépoussiérer des consoles multimédia un jour baptisées « next gen » et pourtant déjà âgées de 3 ou 2 ans ? Comment donner l’illusion au consommateur que ces machines sont bel et bien encore en tête de la course technologique ? Après les façades interchangeables ou les coloris gadgets, les petites injections discrètes de Botox dans les menus, voici venir le temps des liftings en profondeur. Après les changements de robes voici les changements de visages. « Chéri, tu veux encore jouer avec moi ? » hurlent-elles en se remaquillant.

Consoles lifting

Depuis toujours, irrémédiablement accolé aux progrès fulgurants de l’informatique, le cycle de vie des consoles de jeux vidéo ne vaut guère plus que celui, éphémère, des insectes. Pour résister à cette implacable loi de l’évolution, les dernières consoles mettent toute leur énergie à durer en changeant de visage, non plus seulement extérieur mais intérieur. Ainsi, double première importante dans l’industrie interactive en cette fin d’année, la mise à jour mondiale le 19 novembre du logiciel interne de la Xbox 360 transforme radicalement l’interface familière. Avec le projet « Home » un peu plus tard, la PlayStation 3 à son tour offrira un tableau de commande alternatif où, à la manière de Second Life, l’avatar dessiné et habillé par l’utilisateur se promènera dans un environnement 3D, appartement ou maison, qu’il aura lui-même choisi et décoré pour lancer ses jeux ou ses films en DVD ou Blu-ray, rencontrera et devisera avec ses voisins du village global PlayStation.

Séduction féminine

Dans un mélange d’intelligence organisée et de séduction féminine, les consoles dernières générations présentent déjà à l’utilisateur une large gamme de services sous la forme la plus conviviale possible à l’écran. Le gentil tableau de vignettes des « chaînes » de la Wii réorganisable à volonté. Le système de sélection en croix des menus à icônes de la PlayStation 3 ou les onglets verticaux de la Xbox 360, toutes deux sur fonds colorés ou thématisés en fonction de ses goûts et passions… Des coquetteries cosmétiques habillant des fonctionnalités en ligne toujours plus sophistiquées qui ont néanmoins un coût. Pionnières dans la course à l’amélioration et à la sécurisation, les consoles réclament en effet d’être régulièrement mises à jour par Internet, comme les ordinateurs, la plupart des logiciels ou des mini ordinateurs portables tels les Smartphones ou l’iPhone. Des updates internes dignes d’une banale et souvent crispante maintenance informatique qui n’avaient jusqu’à aujourd’hui pas pour vocation d’être remarqués dans les consoles de jeux vidéo.

Toilettage

Cette fois, sur Xbox 360 le toilettage doit se voir, devient argument de vente, annoncer le nouveau départ d’une console « next-gen » déjà âgée de trois ans. Sur PS3, Home doit valider les promesses mirobolantes d’une console-ordinateur ouvrant enfin sur le 3e Monde déjà promis sur PlayStation 2 avec un clip signé David Lynch dans les années 2000.
Manette en main, la « Nouvelle Experience Xbox » donne l’impression d’avoir à faire à une autre console. Toute l’organisation et le défilement des menus, du design aux couleurs, annonce une renaissance. L’apparition d’avatars ludiques à créer facilement façons Mii en 3D de la Wii ajoute un peu de vie et d’humour dans l’écran. Plus polyvalente au quotidien encore que sa grosse concurrente, l’interface de la PlayStation 3 de son côté se modifie déjà régulièrement mais de manière moins forcée.

La nouvelle Life ?

Ainsi, avant l’arrivée de Home fin 2008 début 2009, rebaptisée Life with PlayStation, la fonction de calcul partagé Folding@home (la console participe discrètement sur Internet à la recherche contre les maladies graves) se dissimule derrière un impressionnant globe terrestre qui donne accès à la météo et à des news de villes et pays du monde entier.
Bien avant la mode tous azimuts des gadgets numériques et du Home cinéma, les consoles cherchent depuis les années 80 à avoir l’air sexy. Devenu culte, le design bicolore des premières consoles japonaises de Nintendo, par exemple, s’est fétichisé au point d’être reproduit régulièrement sur d’autres produits fac-similé. Jusqu’à récemment, les consoles n’avaient pas d’autres visages à présenter que leur carrosserie extérieure susceptible, au plus, de changer de coloris ou de façade.

Dans l’intimité

Désormais, à l’heure de la dématérialisation générale, aussi flatteuse soit-elle, une enveloppe ne suffit plus à appâter et, surtout, à entretenir une relation durable. Derrière leur taille de guêpe (Xbox 360), leur effacement modeste (Wii), ou les courbes laquées cachant avantageusement des rondeurs (PlayStation 3), les consoles devenues carrefour multimédia et familial veulent désormais séduire avec leur intimité. Ces cures de jeunesse transformeront-elles des consoles devenues chrysalides en nouveaux papillons de l’ère numérique ? Si le rechapage ne tient pas, un nouveau lifting sera toujours possible.

François Bliss de la Boissière

(Publié en 2008 dans Amusement #3)

 


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De Blob : La Wii (re) prend des couleurs

De Blob a la bonne idée de revenir remasterisé sur consoles PlayStation 4 et Xbox One en novembre 2017 après le PC en début d’année. À sa sortie sur Wii en 2008  j’avais écrit ceci à propos d’un jeu éclaboussant bien avant les autres… N’est-ce pas Splatoon ?

Depuis quand avons-nous ressenti une telle joie de vivre et de faire sur console de salon, y compris sur Wii ? Depuis Mario Galaxy sans doute. Sorti de nulle part, De Blob rejoint le précieux peloton d’élite des jeux Wii indispensables à tous les publics.

Alors que le bruit selon lequel le développement de jeux sur Wii (et DS) ne profite guère aux autres éditeurs que Nintendo, voilà que THQ, grand habitué des licences TV et ciné dispensables, publie un jeu sur Wii d’une qualité à faire rougir Nintendo. Un jeu qu’il va falloir défendre becs et ongles comme le Zack & Wiki de Capcom, ou même le Boom Blox de Steven Spielberg tant il arrive à d’excellents, et trop rares, jeux Wii de passer injustement à côté de son populaire public. De Blob ne pourra d’ailleurs, si ce n’est déjà fait, que réjouir Shigeru Miyamoto, lui qui cherche désormais à cueillir les nouveaux fruits verts que sont les neo gamers tout en gardant sous la main les core players bien mûrs. Car sous son abordage bon enfant et ses créatures coucourges à la Pikmin poussant des petits cris irrésistibles à la Super Monkey Ball, De Blob cache accessibilité tout terrain et profondeur de jeu que l’on pourrait presque qualifier d’un autre âge. Pas à cause de sa difficulté mais du nombre de couches et de sous couches (le terme est bien approprié) de gameplay et d’intelligence qui se dévoilent progressivement.

Action painting

Simple, le principe de base doit réveiller l’enfant barbouilleur qui sommeille en chacun de nous. Stick analogique du Nunchuk pour diriger et Wiimote pour sauter d’une brève secousse en mains, il s’agit bêtement de déplacer librement une boule molle au milieu d’environnements urbains. Une Chroma City, comme le révèle progressivement de goûteuses et drôlatiques cinématiques, obligée à vivre en noir et blanc depuis qu’une vilaine entreprise (ENCR en VF, I.N.K.T Corporation en VO) a mis la main sur la ville et interdit tout écart de couleurs. Le Blob donc, Kirby au sourire parfois carnassier, glouton plutôt cracheur que dévoreur, doit se tremper dans des bombes de peintures baladeuses avant d’éclabousser toutes les surfaces qu’il frôle. Choisissant les couleurs au hasard de ses roulades, le Blob colorise les bâtiments un par un en se jetant sur les murs et les toits jusqu’à épuisement du stock de peinture qu’il garde dans le ventre.

Go fast

Et le joueur agacé et pressé de dire : « Oui, bon, et alors ? ». Alors il va falloir surveiller le chronomètre et lui rajouter de précieuses secondes en accomplissant telles ou telles tâches. Peinturlurer un ensemble de bâtiments mitoyens pour qu’une poignée de civils heureux se rue hors des immeubles. Toucher un par un ces Grisiens libérés leur redonne aussi de la couleur et ajoute un crédit de 30 secondes au décompte inexorable des 10 minutes de base. Accepter un des nombreux « défis » disséminés dans le décor, qui se laisse explorer tel un free roaming game, oblige éventuellement à peindre tel ensemble d’immeubles en bleu, ou en orange, ce qui obligera le Blob à se tremper, après les avoir trouvés, dans un pot de peinture jaune puis un rouge. Jouissance feu d’artifice naturaliste à la Okami, trouver une des rares Transfo-sphères redonne pour de bon ses couleurs à l’herbe, aux arbres et aux habitants. Tout à coup la ville austère au noir et blanc écorché maladroitement par les débordements du Blob retrouve son élan vital, sa musique, ses confettis. Une fois rendus à la couleur sous certaines conditions plus rigoureuses, les imposants monuments administratifs, sortes de boss passifs, se mettent à claironner littéralement lorsque des embouchures de trompettes dansent sur leurs toits. En harmonie avec l’image et les animations parfaites, les sons et la musique ont une qualité exceptionnelle qui s’annonce dès le lancement du niveau quand le joueur choisit, après déblocage, parmi 12 thèmes de musique selon son « humeur » (serein, funky, imbattable, provocateur, effronté…). Même si les boucles musicales se répètent un peu trop, les bruitages, tous musicaux, créent, comme les jets de peintures, une surcouche sonore où se mêlent avec bonheur et humour des notes aquatiques de harpes, des slaps sur guitare bass, des chœurs féminins à la Michel Legrand/Jacques Demy.

Da bomb

Ainsi, quartier après quartier, surprise après surprise, la profondeur et la justesse du gameplay et de ses règles ne cesse de surprendre. Le jeu réussit un des rares équilibres entre contraintes et libertés donnant au joueur un terrain de jeu aussi généreux à découvrir que dense en activités. Au bout des doigts, le plaisir organique est total même s’il faut accepter une part d’insaisissable dans les sauts du Blob dirigé au jugé par le geste de la Wiimote. Capable de rouler sur des corniches pour essayer de rejoindre le toit plus élevé d’un gratte-ciel de l’autre côté de la rue, il lui arrive de coller désagréablement aux murs ou de se faire détourner brusquement par un mur invisible. De même, l’observation en vue subjective faisant appel à la Wiimote pointeuse gène aux entournures, et la sauvegarde automatique en fin de parcours seulement force à de longues séances de jeu. Des petits détails largement compensés par de vrais plaisirs comme celui du verrouillage au bouton Z permettant des sauts ciblés à distance (sur les pots de peintures ou les minis flics-bobs, sbires de E.N.C.R.), voire même de sauter, grâce à des pods, d’immeubles en immeubles à travers toute la ville jusqu’à des surfaces cachées ou inaccessibles. Jeu de plate-forme décontracté – une fois débloqué en mode histoire, chaque généreux quartier de la ville est revisitable pour coloriage tranquille à volonté -, jeu de barbouillage, d’exploration, De Blob s’appuie sur une structure minutieusement pensée et réalisée.

Resistance

Soyons clair, le geste de « peindre » n’a rien d’artistique ici. Il s’agit bien de jeter sans contrôle des litres de peintures qui finissent par se superposer dans une jolie anarchie de couleurs plus ou moins écoeurante. C’est d’ailleurs dans cette cacophonie chromatique désordonnée que le geste du joueur prolongé par le Blob-pinceau rejoint la thématique distillée avec beaucoup d’esprit du jeu, celle d’une résistance en couleurs à l’ordre imposé en noir et blanc. Sans même insister, la problématique du résistant légitime qualifié de terroriste par l’autorité qu’il défie, dégouline des murs, des coulées d’encre noire mortelles, des panneaux ou tours de propagandes qu’il faut coloriser pour les rendre au peuple. Le jeu, avant tout tactile et physique, coloré comme un paquet de crayons de couleurs de maternelle, se ménage plusieurs niveaux de lecture « adultes ». Des mains à la tête, De Blob fait exactement ce pour quoi le jeu vidéo existe. Il substitue à la parole et aux explications confuses, une interactivité limpide, un plaisir sensuel vraiment compréhensible que manette en main.

François Bliss de la Boissière

(Publié le 1/10/2008 sur Overgame)


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Why Play ? [Pourquoi jouer] ?

Le jeu vidéo est encore un formidable work in progress où toutes les intentions, trivialités et plaisirs se télescopent sans hiérarchie. Jouer pour les sensations ou la recherche du sens ? Telle peut être la question.

Why play (DR)

Sorti fin 2007, Super Mario Galaxy a remis l’essentiel du jeu vidéo au centre d’un débat qui n’avait plus lieu : le fun. Son grand maître d’œuvre et occasionnellement maître à penser Shigeru Miyamoto le revendique, le jeu vidéo doit être avant tout… fun. Même si la définition de fun peut s’interpréter de différentes manières, il suffit de jouer quelques minutes à ce Mario Galaxy sur Wii pour comprendre où le jeu et Miyamoto veulent en venir. Comprendre, comme saisir avec les mains et les doigts, les yeux et les oreilles, le cœur et même parfois l’âme, mais pas avec le cerveau.

[Tête en bas, au-dessus d’un mini trou noir, retenu sur un petit astéroïde par la gravitation, un moustachu en salopette se jette sans crainte dans le vide en poussant un cri joyeux… _Super Mario Galaxy, 2007].

Car ce plaisir, ce fun, provoqué par le lien interactif entre le joueur et ce qui se passe à l’écran appartient en propre au jeu vidéo et reste à ce jour largement inexpliqué, ou, plutôt, difficilement exprimable. Même si visiblement une entreprise comme Nintendo en a compris quelque chose d’essentiel puisque de la 2D pixélisée des origines à la complexe 3D d’aujourd’hui, toutes les grandes productions Nintendo (Mario, Zelda, Metroid, Pikmin…) réussissent immanquablement à récréer ce plaisir.

[Suspendu à une feuille d’arbre géant, le petit héros se lance d’une falaise en espérant que le vent le portera sur l’autre rive… _The Wind Waker, 2002]

Prenant par surprise les observateurs et les professionnels, la console Wii avec son système de pointage vers l’écran réinvente à son tour les canons de l’interactivité ludique et donc des plaisirs que le jeu vidéo peut offrir. Le changement de paradigme technologique de la Wii rappelle que depuis plus de 30 ans, accolé à l’évolution technologique, le jeu vidéo continue d’être un énorme work in progress.

[Le vaisseau s’oblige à frôler le sol, deux bombes seulement pour détruire les silos ennemis pendant que le museau crache des missiles pour annihiler les fusées qui décollent _Scramble, 1982]

Dès ses débuts, le jeu vidéo contient une double lecture, celle du plaisir tactile immédiat et celle, intellectuelle, de la stupeur et du vertige, l’intuition d’apercevoir un écho du futur : mais qu’est-ce donc que je joue derrière l’écran informatique ? Et, de révolutions technologiques avérées en révolutions numériques en cours, qu’est-ce que cela veut dire par rapport à l’homme ? Ces questionnements peuvent rester à l’état d’étonnement non exprimé, déclencher des plaisirs liés à la curiosité sans cesse sollicité comme elle peut s’intellectualiser, provoquer le frisson conscient du découvreur de territoires inexplorés.

[Le pont de pierre s’écroule, le petit garçon se retourne et attrape de justesse la main de la jeune fille au teint diaphane _Ico, 2001]

En creux, l’inaboutissement et la fuite en avant perpétuelle du jeu vidéo contiennent ce qu’une œuvre d’art exprime à plat : un regard sur la condition de l’homme. Plus précisément encore à cause de l’interactivité : la condition de l’homme agissant, évolutif, et son lien avec l’univers physique. Car après avoir maîtrisé la plupart de la matière observable, éprouvé ses limites dans l’espace, depuis l’avènement de l’informatique et du numérique, l’homme explore sans l’avoir prémédité une nouvelle brèche spatiotemporelle, une matière digitale immatérielle, une nouvelle frontière peut-être jumelle avec celle du Big-bang dont le jeu vidéo repousse avec une innocente candeur la ligne et les limites.

[Le tronc d’arbre couché en travers du ravin tourne sur lui-même, en maintenant coûte que coûte la manette horizontale le jeune homme peut garder son équilibre et faire la traversée _Uncharted : Drake’s Fortune, 2008]

Si l’on regarde les pratiques ordinaires ou populaires du jeu vidéo, qu’il soit orienté compétition, culture du score, évacuation ou entretien des sentiments de violence, passe-temps, la noblesse potentielle de l’activité disparait bien sûr derrière une trivialité quotidienne que connaissent tous les arts populaires tels le cinéma ou la musique. Ce qui n’empêche pas le jeu vidéo comme ses cousins de loisirs de se trouver des bulles d’exceptions dignes d’elles-mêmes.

Avant de générer ses grands œuvres cohérentes d’un bout à l’autre, le jeu vidéo encore balbutiant existe donc par petits morceaux d’œuvres éparpillés dans telle ou telle production. Il appartient au joueur, visiteur d’un autre monde, d’y trouver ses marques, ses plaisirs, ses intentions et avec un peu de chance, un semblant de sens.

François Bliss de la Boissière

(Publié dans Amusement #1 en 2008)

 


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ZELDA : TWILIGHT PRINCESS : test GameCube et Q/R

Jeu d’aventure et d’action fantastico-médiéval phénomène à chaque épisode, ce dernier Zelda fait lui aussi date. Commencé sur GameCube, le développement a finalement été basculé sur Wii pour devenir l’ambassadeur de la nouvelle console « révolutionnaire » de Nintendo. Zelda prend ainsi pour la première fois un rôle dévolu à Mario. Avec son système de combat à l’épée ou à l’arc directement pointé vers l’écran grâce à la Wiimote, cet épisode réussit à son tour à surprendre, faire plaisir, puis initier de nouvelles façons de jouer qui seront, comme A Link to The Past sur Super Nintendo ou Ocarina of Time sur Nintendo 64, un jour ou l’autre adoptées par les autres concepteurs de jeux.
Épisode compilation aussi, cherchant à réconcilier la série avec un public un peu trop déconcerté par Majora’s Mask puis The Wind Waker, Twilight Princess accumule, comme un jeu anniversaire, toutes les trouvailles des épisodes précédents (sauf la navigation maritime). L’aventure permet même de repasser par les lieux mythiques (modifiés et agrandis) de Ocarina of Time. A l’usage toutefois, ces multiples références géographiques et interactives tirent très fort sur une corde nostalgique alors que, jusque-là , la série jouait sur un registre mélancolique plus fin. Malgré la transformation du héros en loup et l’esthétique singulière du monde des ténèbres qu’il explore, l’aventure laisse un goût de déjà -vu, voire de déjà joué. En tous cas pour les vétérans de la série. Les nouveaux venus, notamment sur Wii, n’y verront que du feu et du bonheur.

LES PLUS

  • L’héritage de la lignée des Zelda : gameplay impeccable et narration exemplaire
  • La fluidité sans faille du jeu : animations, action, transitions
  • La liberté d’exploration et de rythme
  • Le retour aux sources du gameplay et du personnage

LES MOINS

  •  La tradition ici trop lourde et trop respectueuse de la lignée des Zelda
  • Les paysages figés et peu détaillés
  • Manque de souffle épique et d’émotion
  • Personnage ni adulte ni enfant (ni loup) trop falot

Note : 5/5

  • Plus confortable sur GameCube que sur Wii.
  • Public concerné : Les puristes, et les fans de Zelda déconcertés par la Wiimote.

Questions / Réponses

Cet épisode innove-t-il comme les précédents ?

Oui grâce à l’implémentation des contrôles de la Wiimote et du Nunchak de la console Wii. Sans ce système de jeu direct à l’écran, les péripéties et les interactivités ne surprennent pas vraiment malgré les bondissements de Link devenu un loup.

A qui s’adresse ce nouveau Zelda ?

Plus que tous les autres épisodes, Twilight Princess porte plusieurs casquettes et supporte une responsabilité à la fois historique (l’héritage d’une longue lignée de jeu vidéo tous unique), culturelle (il doit réconcilier les habitués de la série perturbés par les détours thématiques et graphiques des deux épisodes précédents : Majora’s Mask sur N64 et The Wind Waker sur GameCube), technologique (faire la démonstration qu’un jeu peut être bon et spectaculaire sans forcément faire appel à une technologie couteuse), économique (il doit faire la démonstration ludique de l’interface Wii et faire vendre la console aux gamers comme à un nouveau public). Twilight Princess doit avoir les épaules assez larges et les jambes assez longues pour tenter un grand écart de séduction impossible englobant le plaisir de la découverte des casuals gamers, la satisfaction des gamers gardiens du temple, aux intérêts des actionnaires. Le risque inhérent à ce besoin de séduction tous azimuts que subit Twilight Princess ? La dilution de la personnalité et de sa singularité.

Quels sont les points forts de ce Zelda ?

Les combats à l’épée mimés avec la Wiimote font leur petit effet même si le nombre de mouvements reste limité. Viser directement à l’écran l’arc, au boomerang ou au grappin devient vite indispensable et naturel. La générosité (distances énormes) et le plaisir (vitesse, fluidité) des chevauchées sur le dos d’Epona à travers les plaines d’Hyrule.

Y a-t-il, comme d’habitude avec cette série, de nouvelles trouvailles ?

La thématique astucieuse des mondes parallèles (un normal lumineux, un sombre jumeau) récurrente de la série se traduit dans Twilight Princess en deux étapes : d’abord la transformation en loup seul capable de visiter le monde des ténèbres, puis l’utilisation des sens olfactifs du quadrupède qui lui permettent de distinguer des choses invisibles aux autres. Finalement crispante malgré son utilité et son ingéniosité, cette dernière fonction génére un sentiment de claustrophobie accentué puisque lorsqu’il utilise son odorat, le loup voit mieux mais dans un tout petit périmètre, le reste du décor étant plongé dans le noir absolu (façon lampe torche). Appréciable et nouveau dans la série – quoique pas toujours bien compris par tous les utilisateurs parce que scénarisé plutôt qu’implémenté comme une méta fonction – des petites créatures permettent de sortir et de revenir au même endroit dans les donjons, et donc de sauvegarder en cours d’exploration !

L’augmentation du nombre de donjons et d’items laisse-t-elle pour autant des souvenirs ?

Le soupçon du syndrome carnet de commandes obligatoirement bien remplis qui plane au dessus de du développement de Twilight Princess semble se confirmer dans les quantités, parfois au détriment de l’intensité. Puisque critiques passées il y eut, le nombre de donjons a nettement augmenté par rapport à l’épisode précédent The Wind Waker. Idem pour le nombre d’objets et d’armes à utiliser. Il y a donc là de quoi s’occuper entre 50 (les joueurs au galop) et 100 heures (les minutieux). Mais la vraie question qu’il faudrait se poser ne serait-elle pas : combien de souvenirs (épreuve, donjon ou simplement moment) cet épisode grave-t-il en mémoire ? Moins que les autres, avancerons-nous.

Link est-il devenu ranger de parc national ?

Beaucoup plus cow-boy que chevalier ou samouraï, le nouveau et plus âgé Link côtoie un bon nombre d’animaux. Des images diffusées les années précédentes laissaient entendre qu’il entretiendrait même des liens particuliers avec toutes sortes d’animaux. Il semblait même susceptible de s’en occuper, voire de les élever comme dans certains RPG. Au bout du compte, Link devient en effet un loup, monte à cheval ou à sanglier, gardes des chèvres, pêche des poissons, utilise un faucon, se fait aider par des singes aux fesses rouges ou un oiseau géant, mais ses rapports restent très fonctionnels et circonstanciés. Twilight Princess ne développe aucune nouvelle mythologie autour de ce thème.

Le loup a-t-il du chien ?

Le lupus est bien la double vedette du jeu et cabriole court et saute comme il faut (assez curieusement il se contrôle de la même façon que Link). Mais à côté du loup du monumental Okami, celui-çi fait un peu fade, comme le héros toujours en retrait. D’ailleurs, même si l’idée du loup est né du responsable du jeu Eji Aonuma et de son équipe, c’est sur le conseil du grand-petit manitou Shigeru Myamoto qui trouvait lassant de regarder un loup courir de dos que les développeurs ont créé le personnage féminin expressif (surtout vocalement et en soupirs) de Midona qui chevauche le loup en permanence.

Version Wii vs version GameCube, laquelle faut-il vraiment jouer ?

Chacun ses moyens économiques et il serait compréhensible que les propriétaires de GameCube se contentent de la version GameCube, surtout que visuellement, à part l’affichage optimisé 16/9 de la version Wii (tout de même appréciable sur écran 16/9) les deux jeux sont identiques. Mais en réalité Nintendo a choisi pour nous. La version GameCube était prête un an plus tôt quand Nintendo a repoussé la sortie jusqu’à celle de la Wii fin 2006. Le jeu GameCube a été distribué tardivement en catimini et en petites quantités pendant que la version Wii est officiellement catapultée ambassadeur de la nouvelle console Wii. Remplacer Mario par Zelda au lancement d’une nouvelle console est un symbole assez fort envoyé par Nintendo pour être entendu. Il n’empêche que les inconditionnels de la série ont de quoi être embarrassés en ne jouant que l’une ou l’autre version : le contrôle classique à la manette n’existe que sur la version GameCube et pour des raisons évidentes de cohérences gestuelles, le petit Link est devenu droitier pour bretter avec la Wiimote (et tout le jeu Wii est du coup présenté en miroir gauche > droite du jeu GameCube original).

Que vaut ce Zelda à l’heure de la haute définition ?

Voilà sans doute le problème majeur des amateurs de belles images et de partitions symphoniques. Si le jeu est techniquement impeccable et profite à merveille de tout le savoir faire de Nintendo (temps d’accès quasi absent, adéquations interactives sans faille), l’aspect visuel et la bande sonore font datés. Sans le style marqué dessin animé de l’épisode Wind Waker sur GameCube, ce Zelda plus réaliste affiche des textures ni détaillées ni lumineuses. Tout mignons et bien animés qu’ils soient, les personnages ont un aspect un peu rustique. Bruitages et musiques synthétiques sonnent… synthétiques. Mais le public que vise en priorité Nintendo avec ce Zelda Wii est équipé majoritairement d’une télé à tube et n’a probablement pas relié sa console à une chaine stéréo. Dans ces conditions d’utilisation, Twilight Princess choque sans doute moins à côté des super productions visuelles et sonores sur consoles Microsoft et Sony.

Alors nouveau chef d’œuvre ou pas ?

Ocarina of Time étant unanimement considéré comme l’un des meilleurs jeux de toute la courte histoire du jeu vidéo, le débat a été sérieusement lancé par un site français méconnu et n’aura de réponse que… subjective. Les nouveaux venus dans l’univers Zelda découvrent brusquement toute la profondeur et l’intuitivité des propositions de jeu, alors que les habitués de la série ne manquent pas de ressentir les redites interactives et thématiques. Destiné à réconcilier tous les publics, âge, public occidental et oriental, Twilight Princess cherche un équilibre entre le western et le Seigneur des Anneaux tout en essayant de garder un peu de sa légèreté humoristique (c’est cette légèreté juvénile qui pâtit le plus de ce positionnement). Ocarina of Time avait réussit sur N64 en 1998 un tel équilibre entre innovations technologiques et sensibilité poétique qu’il est difficile de mettre sur le même piédestal historique un Twilight Princess plus technique calculé et suiveur qu’innovateur et inspiré.

François Bliss de la Boissière

(Publié en novembre 2007 sur Gameweb)

 


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Faut-il dire Wii à la REVOLUTION ?

Pour réinventer la pratique du jeu vidéo avec sa nouvelle console, Nintendo a remplacé le nom et la notion trop explicite de Revolution par un logo à peine digne d’une interjection enfantine. En grattant un peu, le Wii de Nintendo recèle pourtant, comme les jeux Mario, une inventivité révélatrice de toute une philosophie ludique.

En mai dernier, Shigeru Miyamoto a présenté de façon spectaculaire la révolution Wii en jouant au chef d’orchestre sur la scène du célèbre Kodak Theatre de Los Angeles. Télécommande Wii à la main, il mimait les gestes nécessaires à la direction d’un orchestre virtuel intimé d’interpréter à l’écran le célèbre thème de Zelda. Exagérant l’exercice face aux 3000 spectateurs, ses bras étaient le plus souvent dressés à auteur d’épaules comme si, entre deux battements de mesure, il ne pouvait se retenir de les lever en signe de victoire.
Plus tard, sur cette même scène, le Président de Nintendo, Satoru Iwata, vint expliquer plus sobrement le concept de la console Wii. Un peu gauchement, il ouvrait largement ses bras en vantant, tel un prêcheur, le concept rassembleur des anciens joueurs et des nouveaux autour de la console Wii dont le nom simpliste doit évoquer le « we » anglais, « nous ». En regardant les photos de l’événement quelques jours plus tard, une observation troublante émergea : en direct-live devant un parterre de journalistes, les deux hommes s’obstinaient à dessiner avec leurs bras et leurs corps le W du logo Wii. Dans les années 90, Prince, l’artiste musicien de Minneapolis, s’amusait sur ses photos posées à reproduire de façon quasi subliminale avec son corps et ses postures son fameux logo « Love Symbol« …

Quand Nintendo a annoncé le nom officiel de sa prochaine console de jeu en remplacement du sobriquet Revolution, la surprise fut totale. L’entreprise avait réussit à contenir toute fuite, et le nom retenu, Wii, tomba sur le monde comme une goutte d’urine acidulée, une mauvaise plaisanterie. En anglais wee, ou wee-wee, signifie pipi, voire, plus vulgairement, « pissou » si l’on veut comprendre le choc de la communauté anglo-saxonne. Les railleries fusèrent puis devinrent critiques : ce Wii au bord du ridicule continue d’enfermer Nintendo dans son image enfantine. Les médias avaient donc déjà oublié l’indirecte insolence dont peut être capable Nintendo quand, par exemple, Mario s’arme d’un pistolet à eau et pisse (justement !) en toute insouciance humide sur la popularité des arides FPS dans Super Mario Sunshine.
Encouragés par Nintendo, les analystes rappelèrent alors le succès médiatiques des entreprises au nom d’oiseau cyber adoptés facilement : Yahoo, Google, voire en France, Noos. Plus précis encore avec la démarche de la console Wii, Nintendo revendique la notion de « technologie disruptive » qu’a réussi Apple en brisant l’ordonnance de l’industrie musicale avec son iPod. Au « i » individuel d’Apple, la première personne du singulier, répond le Wii collectif (we) de Nintendo, la première personne du pluriel. Les deux ii de Wii ne laissent d’ailleurs aucun doute quant à la filiation avec Apple. Une seule syllabe « i » ou Wii qui a vocation de se glisser en préfixe d’un néologisme marketing pour singulariser un concept, un objet, une attitude, une action : iMac (je fais du Macintosh), iBook, iSight, iPod… Une première série de petits de jeux de sports Nintendo a ainsi été nommée Wii Sports et se déclinent en Wii Golf, Wii Tennis, Wii Baseball, « nous jouons au golf, au tennis, au base-ball »… La connexion Internet permanente de la console a été nommée WiiConnect24, « nous nous connectons »…

Quoiqu’on en pense, Nintendo a déjà gagné une première bataille médiatique, le nom Wii a réussi à marquer les esprits. On estime alors très vite que l’entreprise a pris le risque d’une démarche marketing simpliste en rupture avec son propre héritage terminologique associant au moins deux mots : Game Boy, SuperFamicom, Nintendo 64, GameCube, Dual Screen… Le nom de la marque Nintendo serait presque proscrit aux alentours de la Wii. A l’instar du mode de jeu « révolutionnaire », à base d’une simple télécommande pointant vers l’écran, proposé par la nouvelle technologie Nintendo, le logo Wii et sa signification n’ont apparemment plus rien à voir avec l’historique des jeux et des consoles Nintendo. Néanmoins, une observation à la loupe de ce symbole Wii met à jour une surprenante multitude de signes, codes, significations, directes ou indirectes, explicites comme implicites, étendues comme résumées, du monde Nintendo et de ses intentions.

La vague dessinée par la lettre W est, par exemple, un symbole familier chez Nintendo. Wario, le double racaille de Mario a été nommé en retournant le M de Mario. Même s’il suffit de supprimer la première barre du W pour qu’il redevienne un N, le W est d’abord pour Nintendo un M inversé, l’initiale du génial Miyamoto (Wiamoto ?). Et si l’on retourne tel quel le logo Wii, c’est le M cousu sur la casquette de Mario suivi de deux points d’exclamations qui se lisent ! Un Mario tête en bas directement en osmose avec le nouveau jeu Super Mario Galaxy sur Wii où le fameux plombier trotte, en oubliant l’assiette horizontale, tout autour de petites planètes flottantes dans le cosmos comme autant de points sur le i !

La télécommande Wii avait également surpris quand elle avait été révélée. Elle est pourtant la grande sœur logique du stylet de la DS que tout le monde avait déjà en main. Le i du logo Wii évoque autant le stylet de la DS et sa pointe que le pictogramme d’une silhouette humaine, la télécommande rectangulaire Wii et son curseur pointé au loin sur l’écran de la télévision, ou, comme nous le montre un teaser vidéo, une raquette et sa balle. Le double i, bien sûr, signale Nintendo, que le jeu Wii se veut collectif. On peut d’ailleurs insérer autant de i que l’on veut, le nom se prononce toujours pareil, et le nombre de joueurs reliés à la Wii grâce à sa connectivité Internet n’altèrera pas son fonctionnement, au contraire exponentiel. Avec une console Wii « aware » reliée, allumée ou en veille, 24h sur 24 à Internet, et éventuellement avec d’autres joueurs, le Wii sonne Wi-fi, le tracé du W devient une sorte de fil symbolisant la connectivité, le lien de communication susceptible de s’étirer indéfiniment comme un accordéon ou une onde se propageant WWWWWWW. Le W de la Wii est aussi celui du wagon attaché à d’autres wagons tant qu’ils roulent ensemble dans une même direction. Ou une population de gens, nommée Touch Generation par Nintendo, se tenant la main en une longue chaîne de fraternité interactive. Les deux ii qui peuvent devenir mille ne rappellent-ils pas aussi les Pikmin ? En leur imaginant un peu d’épaisseur, les deux barres obliques du W symbolisent la télécommande Wii d’un côté et son accessoire nunchaku de l’autre, les deux reliés par leur cordon, ou brandis par une personne au centre comme l’ont mimé insidieusement sur scène les deux têtes pensantes de Nintendo. Plus tangible, quoi que, derrière le double V de la Wii se cache aussi le mot videogame et le concept de Virtual Console, une « deuxième » console capable de télécharger et faire fonctionner des jeux anciennes générations (Nes et SuperNes) tandis que la Wii proprement dite est apte à lire inhabituellement deux formats de disques, ceux de la GameCube et ceux de la Wii ! La Wii, une console double, multiple, comme le synthétise sans en avoir l’air son logo.
Définitivement confondant, les deux V du W peuvent aussi s’interpréter comme deux oiseaux, ou un seul avec une grande envergure, dont le vol induit que la Wii prend son envol et s’affranchit du reste du monde, en l’occurrence, des habitudes de l’industrie du jeu vidéo.

Le concept de la Wii a tellement étonné que certains médias se sont pris à l’imaginer en dernière solution farfelue et improvisée d’un Nintendo incapable de suivre la course technologique entretenue par Sony et Microsoft. On retrouve pourtant l’idée et l’envie, voire le besoin impérieux, de faire surgir l’interface sans manette de la Wii dans plusieurs jeux importants Nintendo de ces dernières années. Avant même la concrétisation de l’interface touch screen de la DS, un certain Luigi’s Mansion, premier jeu de la GameCube, brandissait son aspirateur vers les fantômes, les retenait d’un fil invisible avant de les amener à lui. Luigi allait même jusqu’à frapper de la main le mobilier, les murs, et l’écran de la télévision transformé en vitre (toc toc), toucher donc. Dans Super Mario Sunshine, Mario et son pistolet à eau tendent en permanence une main virtuelle vers le décor et les gens tout en pourchassant un Shadow Mario lui-même équipé d’un pinceau prompt à peinturlurer le décor. Dans sa dernière aventure sur GameCube, le petit Link de Zelda agite au bout du bras une baguette de chef d’orchestre pour jouer de la musique et changer le cours du vent. N’a-t-il pas en substance une télécommande Wii à la main ? Non seulement l’aspiration à créer la télécommande Wii s’exprimait déjà avant l’heure, mais l’esquisse du logo lui-même circule aussi avant sa naissance. Il veut déjà surgir du Legend of Zelda dont le sous-titre Wind Waker contient déjà beaucoup de W, comme la série des WarioWare. Et il apparaît de façon quasi explicite dans Super Mario Shunshine, quand, au lancement du jeu, Shadow Mario signe à l’écran le M de Mario avant de se l’approprier en appliquant deux points sur le sommet des deux barres du M. Avant même d’être formulé ou cherché, le logo Wii est déjà là, en train de naître.

« N’est-ce pas tout de même une erreur de donner un nom qui embarrasse les gens au moment de le prononcer ? » insiste le respecté et très british magazine Edge encore gêné par l’écho au wee anglais dans son numéro de juillet (164) à la double Une malgré tout entièrement consacrée au logo Wii. « Quand vous prononcez le mot « we », avez-vous une hésitation ? » rappelle Satoru Iwata avec une incontournable évidence, alors que, étonnamment complice, l’amorce de son nom de famille semble décliner le « i » d’Apple, ou, inversée, le Wii Nintendo.

L’incroyable convergence de signes complices référents, voulus ou fortuits, signifiants ou simplement évocateurs, autour d’un logo d’apparence si basique, révèle de façon inattendu ce que les jeux Nintendo dissimulent déjà en surface : une entreprise capable de transformer sa complexité créative inouïe en une façade aimable et simple destinée à séduire puis retenir n’importe quel public. Face aux mastodontes de son secteur, Nintendo joue la carte de l’intelligence contre la force brute. L’entreprise séculaire déclare ne plus vouloir se battre avec ses concurrents engagés dans une bataille technologique mal choisie. Pour autant, comme Shigeru Miyamoto et Saturo Iwata l’ont montré physiquement en dessinant dans l’air le double V de victoire, Nintendo n’a pas baissé les bras. L’entreprise compte bien propager avec la Wii une « win attitude » qui a le potentiel de lui redonner sa place de leader de l’industrie du jeu vidéo. Si Nintendo gagne son pari, les journaux pourront facilement titrer Wiintendo !

François Bliss de la Boissière

(Publié le 7 juillet 2006 dans Chronic’art 27)

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Wii want to Boogie

Converted to casual gaming for all, Electronic Arts wants everybody to dance thanks to the Wii interface and their new rhythm-based musical game Boogie. Ready to sweat in Paris.

We all enjoy some creative killing and at Electronic Arts we know how to make those kinds of games”, explains Studio General Manager EA Montreal Alain Tascan while demonstrating Boogie on Wii in Paris, “but it’s time to go back to the basics, we want to put smiles on people faces when they play videogames”. Now that both the Wii and DS have sold and keep selling millions, the once Nintendo only philosophy, game is fun, game is for all, “casual” has become every videogame editor mantra. A few weeks ago in Paris, Ubisoft officially announced its casual gaming division, now Electronic Arts confirms its own EA Casual Entertainment. Both divisions based in Montreal with executive women in charge (Kathy Vrabeck for EA, Pauline Jacquey for Ubisoft).

Exclusive this fall on Wii, the musical videogame Boogie is the beginning of a new IP for EA. No other supports is announced but Alain Tascan answer’s to the absence of online features for the Wii is a hint that the game should appear on other consoles with market place facilities to buy, for instance, new songs.

Alan Tascan left foot is discreetly taping the floor on stage while playing Boogie. It’s not part of the gameplay but obviously it helps him keeping track of the main beat. The Wiimote in his hand has to perform some combos that skips and adds rhythms to the original beat of one of the 40 songs picked from 70s to the 2000’s. We’re familiar with the Miis, now meet the Boogs. The chosen preset cartoonish character dances while facing the player on exotic outdoor stages (gas station in the Arizona desert, jungle, pagoda, space station…) along the expected disco nightclub. The game plays seriously, but as the funny stylized characters, the overlook is definitely relaxed with bright colors and light menus. On this demo the nunchuck is only useful to strike a pose when a photo op is prompted, while the main game is played with the Wiimote only. Which is both a more accessible and limited design choice. Since the movements are only verticals and horizontals, first with no visual indications except the dance moves of the character, then with some arrow combos asking to make very brief left-right-ups or downs, the player itself is less dancing that agitating the arm like a chef d’orchestre (conductor ?). Unofficial resting is offered with various rhythms to be followed while only pressing the Z button. If the player tends to move like a robot, the characters on screen are wonderfully and very smoothly animated and make up for it. A cross between Jet Set Radio and Mad’s Don Martin characters, they mix comic postures and real dance steps accordingly to their personality.

As planned, with easy to difficult options and 2 players battles, the game seems destined to every member of the family, even, they say, the shy ones. Along the regular features, the karaoke section – a microphone will be included in the box with a pair of paper glasses to watch recorded video clip replayed in green-red 3D – offers a “shy mode” where the prerecorded voice sings with the player only if the player sings. It supposedly helps to hide false notes and give confidence. Will the girls be interested to join the party then?

François Bliss de la Boissière

(Published June 2007 on US online magazine NEXT GENERATION)

Zelda Twilight Princess : l’ombre d’un chef d’œuvre

La différence entre une œuvre inspirée et une réalisation réussie est de l’ordre de celle qui distingue Ocarina of Time de son descendant appliqué Twilight Princess. Un chef d’œuvre et son ombre. Réflexions en direct d’Hyrule.

Zelda TP by Bliss

Malgré tout le capital passionnel qu’il véhicule avec raison depuis 20 ans, le dernier – nouveau – Zelda laisse beaucoup plus froid, voire indifférent, que ses prédécesseurs. Pourtant, la presse unanime valide avec des notes « osant » ou frôlant le 10/10 la descendance avouée avec Ocarina of Time, chef d’œuvre désormais incontestable, mais que peu en dehors d’Overgame (Bliss donc, NDR 2015) et du magazine Edge ont osé porter aux nues dès la sortie en 1998 (10/10). Puisqu’en terme de contenu (durée, nombre de donjons, multitude de taches annexes) et de finition technique, ce Zelda offre plus de jeu à jouer que son référent Ocarina of Time, la quantité impose aux observateurs attitrés et défenseurs du gamer consommateur, le raisonnement du « value for money ». Et l’argument tient si l’on reste au niveau du jeu loisir, de la distraction durable, de l’amortissement de son prix d’achat. Mais, quitte à froisser quelques certitudes, les jeux Zelda, jusqu’à aujourd’hui, se sont toujours élevés au-dessus de leur condition jusqu’à titiller, selon l’appréciation de chacun, des cimes interactives indistinctes auparavant et aussitôt en manque de définition, de description, de vocabulaire.

En quête d’inspiration

En bref, quoi qu’inspiré par tous les précédents Zelda, Twilight Princess manque cruellement d’inspiration. Si les jeux Zelda se sont volontiers laissés influencer, même sous forme de clins d’œil, par les tendances du moment (les phases d’infiltration de Link dans Wind Waker), jamais ils n’ont aussi explicitement évoqués la concurrence sans, en parallèle, aller plus loin. Au point qu’il s’avère difficile de départager les hommages haut de gamme de l’absence d’idées propre. La mémoire reste ainsi davantage marquée par le Boss du Temple de l’eau que par les autres parce qu’il ressemble ouvertement à l’un des colosses de Shadow of The Colossus. Les créatures noires aux formes indistinctes en provenance du royaume du crépuscule évoquent, elles, les monstres de fumée de Ico, la première œuvre de Fumito Ueda et Kenji Kaido. Comme il a été dit précédemment, il reste inutile de comparer point par point les similitudes entre ce Zelda et l’Ovni Okami de Clover Studio sauf à rester stupéfié qu’un émule comme Okami innove et fasse mieux que son maître Zelda, avant lui, sur une console PlayStation 2 moins puissante, aussi bien d’un point de vue graphique et conceptuel que dans l’utilisation du loup, nettement plus gracieuse.
Après la surprise et les quelques émois du retour dans les lieux familiers, transformés et agrandis, du monde d’Ocarina of Time, le village Kakariko, le lac Hylia, le désert de Gerudo ou le domaine des Zora, ce dernier Zelda transformé en pèlerinage fait regretter qu’il fonctionne plus sur la nostalgie que sur la mélancolie.

L’ombre de lui-même

D’où surgit la petite Midna quand on appuie sur le haut de la croix de la Wiimote dans ce Zelda devenu Wii ? De l’ombre de Link couchée à ses pieds. Planquée à l’affût dans les coulisses des agissements du héros, celle-ci s’arrache brusquement à sa servitude, se détache du sol, s’anime et prend la forme de Midna alors devenue une silhouette provisoirement autonome. Cette jolie trouvaille symbolise, de façon assez tordue d’ailleurs, les limites de ce Twilight Princess, double respectueux de Ocarina of Time offrant au joueur un menu « supersize » plus bourratif que raffiné.

Link, le robot

Compilation presque exhaustive de toutes les interactivités inventées par ses aînés, ce Zelda cumule les mécaniques de jeu et s’empêtre dans une froideur justement mécanique. Un Link discipliné, accomplissant sans faillir les épreuves et prouesses que l’on attend de lui depuis toujours, mais un Link robotique que même la présence à ses côtés, ou en lui, d’animaux (loup, faucon, cheval, singes, sangliers, nintendogs and cats) ne rend pas plus vivant ni même humain. Le style graphique de Wind Waker semblait une prise de risque artistique inutile à l’époque sur GameCube mais confirme, maintenant que le monde reçoit le Link pseudo réaliste réclamé, que la sincérité et la vérité du personnage existe dans l’enfance, son enfance.

Les limbes des origines

Link a un syndrome de naissance que Twilight Princess met à jour : il ne pourra et ne devra sans doute jamais être adulte. C’est toute la difficulté et l’ambivalence de ce Twilight Princess de chercher à l’être un peu, puisque la communauté le demandait, mais qui coince toujours malgré tout Link dans l’adolescence. Les signes d’une volonté de sortir des limbes, de s’auto accoucher sont pourtant là. Le seuil entre le monde de la lumière et celui du royaume du crépuscule se concrétise sous la forme d’un gigantesque triangle noir tiré tel un rideau au milieu du chemin, une « origine du monde » encore plus mystérieuse et inquiétante de près car couverte d’indéchiffrables signes cabalistiques. Pour y pénétrer, le Link fondamentalement incapable de devenir adulte, doit impérativement se transformer en loup, comme si tout acte de virilité assumé, y compris celui de l’apparition d’un système pileux, devait passer par une mutation alien. Même ainsi masqué en loup, Link doit subir, avant de franchir le pas, les railleries et avertissements quasi castrateurs d’une Midna qui renvoie à l’angoisse ressentie par le jeune mâle pubère devant la gente féminine. Une fois à l’intérieur, le loup Link utilise ses sens pour suivre, dans le tunnel obscur et claustrophobe que provoque son odorat, un filet rose le conduisant à des enfants qu’il doit libérer, arracher à l’obscurité, faire revenir à la vie. Cette mystérieuse symbolique utérine cristallise-t-elle l’impossibilité génétique de Link de passer à l’âge adulte malgré toutes les incitations ? Ou symbolise-t-elle, en général, pour une fois de façon plus sexuée, la difficulté de grandir ? A moins qu’il s’agisse là d’une aspiration à peine formulée aussitôt avortée, d’accoucher une bonne fois pour toute de son enfance.

Éternelle enfance

A décrire, les aventures de Link n’ont rien d’exceptionnelles. Quoi de plus banal qu’un jeune héros, que rien ne prédestinait, sauvant royaume et princesse épée à la main ? La majorité des RPG japonais s’appuie sur ce canevas. Pourtant, quand le petit personnage sort de sa maison en pleine nuit sous la pluie au début de A Link to The Past, ou s’embarque sur l’océan à bord de son frêle esquif dans The Wind Waker, l’émotion émerveillée ressentie par le joueur n’est pas accessible qu’aux enfants. Avec les jeux Zelda, Nintendo a réussi une manipulation tout à fait magique de la position du joueur-spectateur. Le jeu glisse si bien le joueur dans les petits souliers de Link que tous les dangers, mystères et clichés héroïques qu’un adulte devrait balayer d’un geste réducteur sont vécus avec la même importance et gravité premier degré qu’on imagine un enfant éprouver devant l’épreuve. Le joueur traverse l’aventure à la hauteur de l’enfant Link. Ni débilitantes ni infantilisantes, les aventures de Link communiquent au joueur des émotions puisées dans l’enfance sans pour autant lui enlever sa maturité d’adulte ou de jeune adulte. On le sait, les péripéties de Link sont ainsi nées des souvenirs d’enfance de Shigeru Miyamoto lorsqu’il s’amusait dans les bois, et tous les jeux Zelda ont continué à développer cette qualité émotionnelle qui ne peut être vécue que par un enfant. Quelles émotions devraient provoquer un Link devenu vraiment adulte ? Pourraient-elles encore être fidèles aux souvenirs de jeux d’enfance de Shigeru Miyamoto à l’origine de la saga ? Les tentatives de transformer Link en jeune adulte n’ont été jusque là que temporaires voire masquées. Et celle, plus affirmée, de Twilight Princees, prouve la sècheresse que provoque sur le jeu la mutation.

Jeux de masques

Dans Ocarina, un Link enfant et un Link presque adulte cohabitaient alternativement, mais, telle une aspiration à devenir avant l’heure, le Link presque adulte était fantasmé, irréel, comme une projection probable du futur, non une affirmation du présent. Majora et son monde parallèle, faisait évoluer uniquement le petit Link enfant. En mutation, peut-être en quête d’identité parce que englué dans ce corps de garçonnet, celui-ci ci enfilait de nombreux masques et se transformait en toutes sortes d’entités. Au fond, Nintendo esquivait ainsi déjà le passage à l’âge adulte de Link. Avec son rendu en toon-shading Wind Waker assuma ouvertement une stagnation dans l’enfance. Elle fut décriée à l’époque mais finalement plus en accord avec l’origine du héros et, ce que l’on finit par comprendre en traversant avec une indifférence inquiétante Twilight Princess, sa vibration intérieure. Le Link adulte, qui ne l’est d’ailleurs toujours pas vraiment dans Twilight, ne saurait exister sans perdre sa raison d’être en tant qu’aventure interactive émotionnelle. Si Link devenait vraiment une personne adulte, tout son univers, celui d’Hyrule, ses grottes, ses fées, ses châteaux féodaux, n’auraient plus aucun sens. La charge émotionnelle, la candeur nécessaire du héros et du joueur embarqué dans l’aventure ne fonctionnerait plus. Il faudrait inventer un autre monde, plus vrai, moins fantasmé, moins contes et merveilles, moins naif. Link deviendrait alors un Conan, un Aragorn du Seigneur des Anneaux, ou même un Dante de Devil May Cry ajoutant un canon scié à son Excalibur.

Le QI entre deux chaises

Œuvre tout de même complexe, ce Zelda retrouve aussi la tradition plus fine des niveaux de lecture toujours intrigante puisqu’il est, encore une fois, impossible de distinguer les intentions volontaires ou inconscientes des créateurs. Le mot Twilight du titre par exemple, littéralement, le demi-jour, le clair-obscur, ou plus simplement, le crépuscule, évoque un entre deux. Un moment suspendu entre deux lumières, deux états. Un mot plein de mystère parfait pour décrire le destin suspendu du royaume d’Hyrule (éclairé) menacé par les ténèbres, comme celui de Link, tantôt jeune homme, tantôt loup, ou même de la petite Midna puisque en cours d’aventure, l’esprit de la princesse Zelda l’habitera.
Twilight, le crépuscule, l’heure entre deux, entre chien et loup (!), mais aussi, concernant le logiciel de jeu : entre deux consoles, la GameCube et la Wii, entre deux ères, celle d’avant et celle du futur que l’interface de la Wii esquisse. Dans le cas de la console Wii, il semblerait que l’entre deux soit plutôt du côté de l’aube que du crépuscule. La console blanche célèbre la naissance d’une interactivité et laisse sans doute derrière elle quelque chose comme l’obscurantisme moyenâgeux des balbutiements interactifs. Cet état intermédiaire souligné de toute part par Twilight Princess rappelle très explicitement que le nom de baptême de Link signifie toujours chaînon manquant, le maillon intermédiaire entre deux évolutions du temps, de la matière ou de l’esprit.

Wii, mais…

Bien entendu, la greffe tardive réussie de l’interface de jeu Wiimote + Nunchuk offre à ce Zelda le petit plus innovant qui lui permet d’être à la hauteur de la lignée. D’un point de vue technique et ergonomique, le jeu est quasi sans faille et l’on comprend, après quelques chevauchées à bride abattue et sabre au clair sur les plaines d’Hyrule que les contours au couteau de l’horizon et les textures peu détaillées sont au service d’une fluidité irréelle. Les limites graphiques auto imposées par Nintendo (pas par la console qui doit pouvoir faire mieux si l’on se rappelle le chatoyant Starfox Adventures de Rare aux premières heures de la GameCube) permettent à Link de se battre avec de nombreux ennemis à l’écran, de les faire exister très loin dans l’horizon (goblins, rapaces et autres bizarreries de la nature sauvage). L’accès instantané à un équipement plus copieux que jamais comme aux transformations immédiates en loup en disent long sur l’orientation du travail de Nintendo. Tout est au service de l’ergonomie, de la véracité des gestes et de l’instant. A ce titre, et à celui de la conception des donjons (même quand leur résolution est trop technique), Twilight Princess est sans égal et conforme à la philosophie Nintendo qui affirme et démontre avec la Wii que le jeu est plus dans le geste que dans l’apparence. Mais Zelda reste un cas à part. Jusqu’à cet épisode bâtard entre la GameCube et la Wii, les jeux Zelda ont toujours proposé, de la 2D à la 3D, une fusion cohérente et hors norme entre une interactivité fignolée et des visuels repoussant les limites attendues, dans son propre univers (les plaines de OoT, l’océan de WW) et dans le contexte technologique de la console du moment. Sur Nes comme sur SuperNes et N64. Même le doublon Majora’s Mask sur Nintendo 64 profitait, à son détriment vu les ralentissements, de l’Expansion Pack ajoutant un surcroit de puissance d’affichage au jeu. Tout au service de son optimisation fonctionnelle, la nature figée du royaume d’Hyrule fait regretter les palpitations du monde terrestre et maritime de Wind Waker où le vent prêtait vie au moindre brin d’herbe sur une GameCube alors au firmament. Contrairement à tous ses prédécesseurs, précurseurs tout en restant fidèles à leurs origines, ce Twilight Princess regarde tellement vers le passé, que même les incursions technos du royaume du crépuscule (où la technologie du futur représente LA menace de l’ordre des choses immuables) ne permettent pas d’apercevoir le futur de Link. A moins que la puissance graphique d’une Wii 2 alliée à une Wiimote next-gen réinsuffle la vie qu’il manque désormais cruellement au monde d’Hyrule. Rendez-vous dans cinq ans ?

François Bliss de la Boissière

(Publié le 22 décembre 2006 sur Overgame.com)

 


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Zelda : la fin des illusions ?

En retard d’une année (2006 au lieu de 2005), dépassé pour la première fois par ses fils spirituels (Okami, Kaméo…), l’imminent Zelda Twilight Princess arrivait avec un profil bas inhabituel. Et en le faisant adopter sans ménagement l’interface Wii, Nintendo prenait le risque de couper le cordon ombilical reliant depuis vingt ans le jeu aux joueurs.

Un mois avant sa sortie fin 2006, Zelda Twilight Princess ne fait pas tellement parler de lui sauf, peut-être, auprès des plus passionnés qui envisagent, en guise d’alerte et pour se rassurer, au cas où, dans une valeur refuge, de faire l’acquisition de la version GameCube si le gameplay version Wii ne leur convient pas. Oui, une nouvelle aventure de Link s’apprête à sortir dans le commerce et, malgré un héritage sans égal, elle soulève plus d’inquiétudes que d’enthousiasme. Avouons-le, questionner la valeur d’un Zelda avant sa sortie fait désormais partie de la légende, ou du folklore. Moins par habitude que par réaction au mélange détonnant de mystère et de surprises qu’entretient Nintendo pendant les longues années de développement. C’est peut-être d’ailleurs cette remise en cause systématique du contrat de confiance avec les joueurs auquel Nintendo n’a pourtant jamais failli qui sacralise chaque Zelda dans le rôle de rescapé d’une catastrophe crainte par les joueurs et les médias spécialisés et donc, toujours, en miraculé.

Scepticisme de principe

Tant qu’il n’était pas joué par tous, le gameplay 3D de Ocarina of Time ne pouvait remplacer celui en 2D de A Link to The Past. Le cell-shading de The Wind Waker renvoyait Link dans un monde enfantin que personne ne voulait. Pourtant le miracle a lieu à tous les coups. La puissance d’évocation émotionnelle, les innovations de gameplay et la finition technique et artistique incomparables repoussent dans tous les Zelda les limites de ce que le jeu vidéo peut offrir. Au point de s’autoriser à frôler le hors jeu conceptuel avec le vertigineux Majora’s Mask et son éternel recommencement moebiusien à la complexité encore insondable. Le niveau qualitatif des Zelda est tel que chaque chapitre n’a jamais pu se mesurer qu’avec le précédent. Aussi prestigieux et réussis furent-ils, les descendants action-RPG d’une hypothétique lignée Zelda n’ont jamais réussi à s’immiscer dans la généalogie originale. Ni en 2D ni en 3D (1). Jusqu’à aujourd’hui.

Pseudo réalisme

Retrouvant une veine pseudo réaliste attendue par les gamers, le prochain Zelda sous-titré Twilight Princess aurait dû sortir fin 2005 avant que Nintendo ne décide brusquement de l’adapter à l’interface de jeu Wii et d’en faire l’évènement de la sortie de la console fin 2006. Les raisons exactes de cette mutation restent obscures. Le jeu tel qu’il se finalisait sur GameCube n’était-il pas, pour un Zelda, assez innovant au point de devoir lui ajouter la technologie de contrôle direct à l’écran de la Wii ? La concrétisation physique crédible d’un Zelda plus « photo réaliste » pose-t-il autant de problèmes que le réalisateur Eiji Aonuma – disparu des médias depuis plus d’un an – l’a laissé entendre lors de ses dernières sorties publiques mi 2005 ? Les avancées cette fois remarquables de la concurrence ont-elles poussé Nintendo à revoir sa copie ? Intrigantes, les démonstrations jouables versions GameCube en 2005 puis Wii en 2006 laissent plutôt circonspect. Les combats inédits à cheval sont un peu laborieux, comme l’exploration un chouia trop classique du village ou d’un donjon. Passé la surprise, les manipulations à la Wiimote se révèlent plus pénibles que plaisantes, et surtout plus complexes qu’intuitives. Visuellement, le jeu développé pour GameCube n’impressionne pas malgré l’étendue des paysages. Les textures font lavasses, la nature reste figée. Fonctionnelles, les animations de Link ou de son cheval sont aussi bien raides, presque gauches. Des impressions décevantes renforcées par l’apparition de trois jeux appelés à faire beaucoup mieux dans des domaines clés d’habitude réservés à Zelda : l’animation, l’ambiance, l’émotion, l’innovation.

Fils spirituels

Depuis 2005, Kameo, Shadow of The Colossus et Okami confirment avoir attrapé, voire sublimé, certaines essences propre à Zelda. Sur Xbox 360, la crinière blanche du cheval de la princesse Kameo a autrement plus de classe que celui, pourtant célèbre, de Link. Même si le gameplay du jeu final ne se hisse pas au niveau d’un Zelda, animations et restitutions visuelles du monde fantastico médieval de Kameo étourdissent la concurrence. Comparativement, le monde de Twilight Princess entraperçu fait triste et terne, petit et poussiéreux. Sur PlayStation 2, Shadow of The Colossus rappelle qu’esquisser avec intelligence un monde suffit à le rendre tangible même sur une console ancienne génération. Quitte à ce que sa désolation devienne sa singularité. Agro, l’étalon noir de Shadow, galope et s’exprime avec un réalisme raffiné qui renvoie l’Epona de Link à son manège de chevaux de bois. Le gracieux lien émotionnel exprimé avec si peu de moyens entre le héros et la princesse diaphane endormie de Shadow of Colossus résume celui de Link et de la Princesse Zelda en un vaudeville de boulevard.

Oh animaux

On sait que Twilight Princess s’appuie beaucoup sur les animaux que Link contrôle et chevauche. Proche de la malédiction schizophrénique du film Ladyhawke, le petit Elf se transforme sous la lune en loup (garou ?) et visite un monde parallèle plus sombre. Coïncidence étrange, le héros d’Okami, le chef d’œuvre annoncé de Clover Studios (Capcom), est un loup ! Okami, un Zelda-like totalement affirmé et d’autant plus réussi qu’il fait ce que fait un vrai Zelda : s’appuyer sur les acquis accumulés par la série puis aller au delà. Okami ne serait qu’un clone honteux si les créateurs n’avaient pas transcendé le concept en une interprétation personnelle totalement valide. Okami pourrait être très officiellement un épisode parallèle et onirique de Zelda.

Défis inédits

Constitutivement, les Zelda abritent plusieurs idées majeures autour desquelles s’articule l’aventure. Des concepts interactifs intimement reliés au scénario révélés parcimonieusement par Nintendo avant la sortie du jeu. Voire pas du tout puisque les Zelda se ménagent toujours une grosse surprise inattendue. Malgré les nombreuses informations circulant autour de Twilight Princess, celui-ci cache vraisemblablement encore au moins une révélation fondamentale. Mais, en attendant d’en savoir plus, ce Zelda fait réchauffé et demande notre confiance sans preuve. Monde parallèle déjà souvent exploité, mixité avec les animaux déjà réussie chez Shadow et Okami, technologie GameCube dépassée, greffe pour l’instant douteuse de l’interface Wii, ce que l’on sait, que l’on a vu et goûté de Twilight Princess fait pâle figure. Artistiquement dépassé par ses fils spirituels et, techniquement, par les consoles next-gen, le nouveau Zelda arrive fragilisé. Il est pourtant porteur d’enjeux économiques et culturels colossaux : accompagner, pour la première fois, la naissance d’une nouvelle console et entériner un basculement théorique de la façon de pratiquer le jeu vidéo. En coupant le cordon ombilical reliant le joueur à Zelda, Nintendo cherche moins à provoquer un nouveau miracle qu’à faire adhérer à une nouvelle et anti dogmatique religion, celle de la Wii. On aimerait y croire.

(1) Secret of Mana, Illusion of Gaïa, Brainlord, Equinox (Solstice II), Secret of Evermore, Chrono Trigger, Spike Mc Fang, Terranigma sur SuperNintendo. Landstalker, Soleil, Legend of Thor sur Megadrive. Magic Knight Rayearth, Oasis 2, Dark Savior (3D isométrique) sur Saturn. Alundra sur PlayStation. En 3D, les prétendants se résument à un… Mystical Ninja Starring Goemon.

  • The Legend of Zelda : Twilight Princess
    Wii / GameCube
    (Nintendo)

François Bliss de la Boissière

(Publié en novembre 2006 dans Chronic’art)

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GameCube : R.I.P. 2001-2006

Avec la Wii, Nintendo s’autorise une sorte d’euthanasie hardware jamais vue dans la courte mais dense histoire du jeu vidéo. La Wii étant 100% compatible avec la GameCube (jeux et accessoires) celle-ci n’a plus aucune raison d’exister et peut être enterrée sans regret. Sans regret ?
Sans doute la moins aimée de toutes les consoles Nintendo (hors Virtual Boy et autres expérimentations inabouties comme le 64 DD de la N64), la GameCube s’apprête à être éjectée manu militari du marché comme aucune autre console avant elle. Tout le monde le sait et le craint un peu, en dehors de son interface de jeu pointé à l’écran, la console Wii bientôt disponible fonctionne grosso modo sur une technologie légèrement améliorée mais semblable à celle de la GameCube. Si les jeux Wii à venir (Super Mario Galaxy) révèlent discrètement à l’œil quelques progrès techniques, industrie et observateurs s’entendent pour dire que la Wii serait une GameCube 1.5. Cette promiscuité technique inédite entre deux générations de consoles génère au moins un avantage certain : la Wii accepte de lire sans condition tous les jeux GameCube (les régions restent incompatibles). Le terme de rétro compatibilité employé depuis que Sony a inauguré avec la PlayStation 2 la première console de salon capable de lire les jeux de la génération PlayStation précédente, ne s’applique même pas pour la Wii. Contrairement à la Xbox 360 obligée d’émuler les jeux Xbox et donc de les retravailler un par un, et à la PlayStation 3 qui, elle aussi, va émuler les jeux PS2 et sans doute PSOne si elle ne passe pas la main directement à la PSP, la Wii est tout simplement compatible avec les jeux GameCube.

Wii mange tout

Alors que Nintendo adopte pour la première fois avec la GameCube le format CD sous la forme de mini DVD propriétaires en 2000, la Wii se résout apparemment à utiliser des DVD (propriétaires là aussi) de diamètre standard. Le mange-disque Wii, cependant, accepte d’attraper les minis DVD GameCube et il semblerait – Nintendo ne donne pas de détails – que la Wii fasse fonctionner les jeux GameCube normalement, sans passer par une surcouche logicielle, un émulateur (contrairement aux jeux 8, 16 et 64 bits, eux, téléchargeables). Aussi lisse d’apparence et sans fil en façade soit-elle, la Wii a quelques trappes qui abritent des slots pour brancher directement les Memory Cards et les manettes GameCube. Il est même possible de brancher le petit émetteur de la fameuse manette sans fil WaveBird. Très vraisemblablement les jeux GameCube ne se lanceront pas automatiquement et seront sélectionnables via l’interface des Wii Channels à l’emplacement prévu et immuable des jeux Wii (en haut à gauche de l’écran). Et Nintendo a également évoqué la possibilité que les jeux GameCube, comme ceux des générations précédentes, lancés sur Wii profitent automatiquement de quelques améliorations visuelles (anti aliasing par exemple) comme la réédition du Zelda Ocarina of Time N64 sur GameCube en a fait la jolie démonstration (mais pas celle de Majora’s Mask). 100 % compatible avec le catalogue et les accessoires GameCube (bongos, micro ne devraient pas poser de problème), la Wii rend de facto obsolète la GameCube le jour de sa sortie.

Prémisses de révolution

Sortie fin 2001 (mai 2002 en Europe), il y a exactement 5 ans, la GameCube avait été présentée publiquement à l’été 2000. A l’époque, son design carré et ramassé, ses couleurs vives et sa poignée façon vanity féminin faisaient l’événement même si l’originalité affichée de Nintendo devenait de plus en plus insaisissable. La manette GameCube, avec ses deux sticks analogiques, son petit bouton z accroché sur la tranche et la disposition minutieuse et colorée des boutons, devait simplifier l’identification des taches. Vrai sans doute dans un certain idéal ergonomique, Nintendo a fini par avouer que l’invention de la Wiimote blanche, sans aspérité et donc passe partout, avait surgi de la nécessité de simplifier des manettes aux boutons de plus en plus nombreux et de plus en plus intimidants (le gros bouton vert A central de la manette GameCube, presque grossier pour un gamer, ne réussit même pas à être une évidence pour un non initié). L’aspect jouet de l’ensemble GameCube et manette restait aussi trop apparent alors même que Nintendo disait déjà vouloir intéresser les joueurs plus âgés après que Sony lui ai chipé le leadership (face à la Nintendo 64) du marché avec sa PlayStation. Las, cinq ans plus tard, le nouveau challenger Microsoft réussit avec sa presque candide Xbox à repousser Nintendo en troisième position d’un marché des consoles de salon (parc mondial fin 2005 :21 millions de GameCube et 22-23 millions de Xbox) qui, jusque là, n’acceptait d’absorber que deux consoles simultanément. Contrairement à ses deux gros concurrents Sony et Microsoft, Nintendo ne perd pas d’argent avec son hardware, en gagne même, mais sa place à côté du téléviseur est de plus en plus contesté.

Fins de rêves

La Dreamcast de Sega s’est officiellement retirée du marché début 2001 après s’être écoulée à 8 millions d’exemplaires. Mais le culte de la dernière console de Sega perdure encore. Quelques jeux ont continué à être développés et sans successeur officiel, la Dreamcast garde sa place près du téléviseur et du cœur dès lors que l’on veut rejouer à un de ses jeux emblématiques ou rares et inédits ailleurs (ChuChu Rocket!, Power Stone, D-2, Blue Stinger, Cosmic Smash…). Devenue PSOne et redésignée, la PlayStation a refusé de lâcher prise même après la mise en vente de la PS2. La PlayStation 2 reliftée slim à son tour va suivre le même mouvement et continuera d’exister sur le marché en parallèle à l’arrivée progressive de la PS3 (le modèle PS2 Silver sort aux US et une version Pink en Europe cet hiver). Le 8 décembre, en Europe, la GameCube n’a plus aucune raison d’exister. Zelda Twilight Princess sera effectivement édité sur GameCube après la Wii mais, on l’aura compris, il peut très bien fonctionner tel quel et peut-être même plus joliment sur la Wii avec les manettes GameCube. Même si quelques jeux GameCube sont encore susceptibles d’être commercialisés, eux aussi fonctionneront sur Wii. Et quand un projet haut de gamme créatif comme la suite de Paper Mario : La Porte Millénaire prévu sur GameCube bascule en développement Wii, le doute n’existe plus de l’inutilité de la GameCube.

Perfection au carré

Ultra compacte et parfaitement réalisée dès sa conception, la GameCube n’a changé ni de contenu ni de forme. De nombreux coloris (noir, gris, orange, vert pal…) sont venus, selon les pays et les cultures, s’ajouter au violet original, quelques habillages associés à certains jeux (MGS Twin Snakes, Resident Evil 4, Tales of Symphonia…) ont bien tenté sans trop convaincre de les personnaliser, mais la GameCube a toujours gardé son impeccable intégrité d’origine même en se zébrant de noir au Japon pour une édition limitée associée à une équipe de baseball. Seules des fonctions additionnelles se sont autorisées d’altérer sa silhouette: le Game Boy Player qui une fois fixé comme un socle sous la console la surélève et la transforme en rectangle pour permettre de jouer sur télévision aux jeux Game Boy Advance. Et, bien sûr, le fameux modèle Q cosigné avec Panasonic exclusif au Japon : une GameCube chromée, sur pieds avec un petit écran LCD en façade et capable de lire des DVD vidéo.

Culte(s)

Plus que toutes les autres consoles qui ont continué de respirer après leur mort officielle, soit pour leurs jeux soit, encore comme la Dreamcast, parce que des bidouilleurs exploitent son contenu à d’autres fins, la GameCube est vouée sans regret software à la casse dès la sortie de la Wii à tout faire. A moins, bien sûr, que le lien très étrange, atachement difficilement explicable en dehors de la passion jeu vidéo, qui lie le joueur à la console qui lui a permis de vivre des expériences interactives inoubliables, élève la GameCube en objet fétiche, bibelot culte, réceptacle à phantasme vidé de sa fonction mais pas de ses souvenirs. Il n’empêche, consciemment ou pas de la part d’un Nintendo dont les consoles Nes et SuperNes font encore l’objet de cultes païens, le concept de Virtual Console de la Wii va faire la démonstration jusqu’aux jeux GameCube que si culte il doit y avoir, c’est autour des jeux, du loisir ou de l’art lui-même et non de son support mécanique que la magie doit perdurer, ou, éventuellement, être vénérée.

François Bliss de la Boissière

(Publié en le 31 10 2006 sur Overgame)

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Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n
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