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Call of Duty Modern Warfare 2, 550 M$ de recettes : le triomphe à retardement de l’ère Bush (1ère partie)

La production interactive d’Activision-Blizzard, filiale de Vivendi, vient de battre les records de sortie d’un jeu vidéo, et plus. Chiffres et communiqués nous martèlent que, depuis sa sortie le 10 novembre, les ventes sur Xbox 360, PlayStation 3 et PC ont explosé tous les records de lancement d’un produit de divertissement. Cinéma compris. Seul hic dans ce triomphalisme ambiant, le jeu en question est un jeu de guerre. Et les chiffres ne disent pas tout. Techniquement impeccable mais scénaristiquement imbécile, il rejoue le tête-à-tête russo-américain de l’après guerre au moment où l’on célèbre la chute du mur de Berlin…

Call of Duty Bush 01

Pas de quoi se réjouir pour une industrie du jeu vidéo en mal de reconnaissance culturelle et artistique. COD : MW2, petit nom agréé du 7e chapitre d’une série lancée en 2003, bat au box office la sortie du jeu vidéo Grand Theft Auto 4, dernier record en date. Un jeu de guerre succède donc à un jeu de gangsters (précisons-le avant lapidation, l’un et l’autre sont loin du niveau de films comme La Ligne Rouge de Terence Malick, ou du Parrain de Francis Ford Coppola). Soit, selon les chiffres de GFK reportés par l’éditeur : 376 000 exemplaires et 25,5 M€ de recettes générés en cinq jours en France pour COD : MW2 (1,7 millions d’exemplaires vendus en une semaine en Grande-Bretagne, 3 millions en Amérique du Nord), contre 320 000 exemplaires de Grand Theft Auto IV en 2008 pour 24 M€. Et l’éditeur d’aligner les comparaisons en France avec le DVD de Bienvenue chez les Chtis (17,1 M€) et le dernier tome d’Harry Potter et le Prince de Sang-Mêlé (12,6 M€). Puis dans le monde. 550 millions de $ de recettes en cinq jours qui battent les films Harry Potter et le Prince de Sang-Mêlé (394 M$) et The Dark Knight (203,8 M$) et, enfin, le jeu, tenant du titre, Grand Theft Auto IV (500 M$ pour 6 millions d’exemplaires). La réalisation de COD : MW2 aurait coûtée entre 40 et 50 M$ là où celle de Grand Thef Auto est réputée avoir atteint les 100 M$.

Comment faire parler les chiffres

Petit rappel démographique devant ces chiffres tsunami intellectuels. À 70 € le prix de vente en moyenne, les 25,5 M€ de recettes du jeu Call of Duty : Modern Warfare 2 en France représentent une population d’à peu près 360 000 acheteurs comme le dit le communiqué de l’éditeur. À 20 € en moyenne le prix de vente du DVD, les 17,1 M€ de recettes de Bienvenue chez les chtis correspondent à 850 000 acheteurs environ, et au moins autant de spectateurs familiaux associés, soit 2 à 4 fois plus de personnes que le jeu vidéo qui bat tous les records. L’impact du lancement tonitruant du jeu a plus d’effet dans les médias que dans la population. Et les records chassant l’autre, la sortie du 2e chapitre Twilight au cinéma mercredi 18 novembre bat les records d’entrées aux USA (72,7 M$ dès le premier jour, « 3e meilleur démarrage de tous les temps », 258,5 M$ en fin de week-end, juste derrière le record de The Dark Knight) et, en France, 2,1 millions d’entrées en 5 jours qui le place en 2e place des records de sortie. Le jeu Assassin’s Creed II sorti la semaine dernière s’est écoulé lui-même à 1,6 millions d’exemplaires dans le monde en 7 jours.

Dérive culturelle

Le pouvoir éblouissant du box office et tout serait dit. Les records mondiaux de ventes de jeux vidéo à leur sortie se félicitent ainsi de voir une simulation de troufions, littéralement aux ordres pendant le jeu, embarqués sur différents fronts russo-américains imaginaires succéder à une simulation de vie de gangsters dans un New York outlaw. Ces jeux officiellement pour « adultes » sans autre vertu que le pouvoir du spectacle et de la violence interactive provoquent la ruée simultanée de millions de jeunes hommes dans les boutiques. Ainsi, 5,2 millions d’heures de jeu en réseau auraient été enregistrées sur le Xbox Live dès le premier jour. Soit 2 millions de joueurs se jetant à cœur (et intellect) perdu les uns contre les autres, en équipe ou pas, dans une guerre virtuelle qui les réjouit. Comment le jeu vidéo que l’on croyait enfantin, représenté pendant ses 20 premières années par des mascottes animalières (Sonic) ou inoffensives (Mario) en est-il arrivé là ?

Descente aux enfers

Même relativisé, le succès colossal de ce Modern Warfare 2, ultime représentant du jeu vidéo adoubé par ses chiffres de vente, descend ainsi d’une tragique évolution du jeu vidéo qui n’aurait peut-être pas atteint ce déplacé paroxysme du box office militaire si le cours de la grande histoire avait pris une autre tournure. Même si la tendance à la militarisation du jeu vidéo était déjà sensible à la fin des années 90, le choc du 11 septembre 2001 se répercuta très vite dans les allées de l’E3, le – alors – fameux salon annuel du jeu vidéo de Los Angeles. Pas du tout menaçante mais en promotion permanente, la présence de l’armée s’y manifesta de plus en plus ouvertement. Véritable hélicoptère posé sur l’esplanade, descente en rappel de militaires à partir d’un hélico en suspension, stand de l’armée à peine camouflé au milieu de ceux de jeux eux aussi décorés en forts retranchés… Au point de ne plus savoir si le militaire en uniforme circulant dans les allées du salon aux côtés des trolls, dragons, guerrières dénudées et autres peluches géantes de Pac-Man ou Mario, étaient de vrais soldats ou des figurants déguisés.

Drapeau blanc

Lors d’une rencontre à cette époque avec Shigeru Miyamoto, grand maître d’œuvre créatif de Nintendo, nous lui avions demandé ce qu’il pensait de voir le salon du jeu vidéo se transformer de plus en plus en warzone et l’industrie prendre ainsi les armes. Polie, sa réponse resta évasive et diplomatique, rappelant simplement que Nintendo s’intéressait à d’autres voies. Aujourd’hui, la réponse radicale de Nintendo à cet état de crise hystérique du jeu vidéo et le drapeau blanc tendu entre les joueurs se nomme DS et Wii et a pris la forme d’une démocratisation du jeu vidéo en social gaming.

Lire aussi… : Call of Duty Modern Warfare 2, 550 M$ de recettes / le triomphe à retardement de l’ère Bush (2ème partie)

François Bliss de la Boissière

(publié le 27 novembre 2009 sur Electron Libre)

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Sauve-qui-peut Electronic Arts

Licenciements, recrutement, fermeture de studio mais aussi acquisition de nouvelle structure, changement radical de politique éditoriale, depuis une vingtaine de jours l’ex n°1 du jeu vidéo accumule des mesures azimutées. Officiellement, tout va bien.

saboteur EA

Déconcertant comment le discours d’une entreprise se voulant rassurant et en plein contrôle pour les marchés financiers donne l’impression de gérer au coup par coup un sauve-qui-peut généralisé. Hier n°1 mondial du jeu vidéo avec ses Sims, ses licences de sport, et autres Spore, candidat glouton débouté à l’OPA sur notre presque national Ubisoft en 2004 puis au rachat de Take-Two Interactive en 2008 (où se niche la pépite Grand Theft Auto), Electronic Arts (EA) cherche aujourd’hui sa voie et à économiser 100 millions de $ par an. Début 2009, l’entreprise fondée en 1982 par le vénéré et dynamique Trip Hawkins depuis longtemps parti voir ailleurs, annonçait une réduction d’effectifs de 11 % (1100 emplois) et la fermeture de 12 bureaux. Le bilan sera plus lourd encore.

Emplois « abolits » pour raisons professionnelles

Du côté ressources humaines avec ses 1500 licenciements (1300 faisant partie d’un plan de « restructuration »), dont une bonne partie d’emplois « abolits » au Canada, comme le formulent nos amis québécois, la réduction de 17 % des effectifs d’ici fin mars 2010 coûte cher dès aujourd’hui.
Du côté consommateurs, gamers donc, premières cibles de l’éditeur, les réductions de personnels visant des équipes bien connues ou les fermetures niées puis avérées de plusieurs studios n’envoient pas un message aimable non plus. Les licenciements ou parfois mutations ont, semble-t-il, affecté des studios comme Maxis ayant travaillé sur Les Sims puis Spore du bien aimé Will Wright ayant quitté le bateau dès avril 2009, Mythic Entertainment (Ultima et Warhammer Online), Black Box (Skate, Need for Speed), EA Tiburon (Madden, Tiger Woods), l’équipe de Command & Conquer. On sait que la production de jeux vidéo fonctionne de plus en plus comme celle des films et que les équipes se constituent et grossissent autour des projets avant de se disperser. Mais chaperonnées par les éditeurs, les structures des studios se maintiennent généralement pendant que les talents circulent d’un projet à l’autre. Venus en tournée promotionnelle à Paris le mois dernier, les créateurs du jeu Saboteur vont pourtant se retrouver sans foyer professionnel aussitôt le jeu dans le commerce le 10 décembre. La décision quand même hasardeuse de sortir une nouvelle IP (Intellectual Property) comme The Saboteur juste avant Noël appartenait bien à EA nous avait confié Chris Hunt, responsable artistique de Pandemic Studios crée en 1998, acheté par EA en 2007 et dont la majorité des 200 employés vont chercher du travail puisque ce studio fait partie de ceux qui ferment leurs portes. Qui sabote qui est-on tenté de demander. But entrepreneurial de la manœuvre : « Réduire la taille de son portfolio et se concentrer sur des opportunités offrant plus de marge ». Avec de la paumade quand même. « Licencier des employés et fermer des installations n’est jamais plaisant, » a tenté le CEO John Riccitiello à la recherche d’une pilule anti douleur à faire avaler, « nous avons beaucoup de compassion pour ceux concernés, mais ses coupes sont essentielles pour transformer notre société ».

Dans l’espace commercial personne ne vous entend crier

Douze titres originellement prévus ne verront pas le jour et, puisque le mystère court encore sur les titres concernés, suites ou projets jamais annoncés, le pire reste à craindre. Depuis le retour en 2007 du vétéran d’EA John Riccitiello avec cette fois les pleins pouvoirs, forcé à muter suite à l’essoufflement des licences annuelles, de son fonctionnement pyramidale nivelant les talents comme l’avouait Riccitiello en prenant ses fonctions, et à la montée en puissance d’Activision que la fusion avec Vivendi et Blizzard (et ses 12 millions d’abonnés à World of Warcraft) en 2007 a propulsé n°1 du secteur, l’éditeur américain avait engagé une réjouissante politique d’édition. Dans le registre de ces nouveaux chefs d’entreprises jouant les mea culpa et l’empathie, Riccitiello avait en quelque sorte entériné l’échec des suites à répétition et prôné la créativité. Les forces vives d’EA ont ainsi pu être en position de lancer, pour la première fois et de façon presque massive, plusieurs nouvelles IP (Intellectual Property). L’accueil public timide de ces échappées se cristallisa fin 2008 autour des ventes insuffisantes du pourtant innovant Mirror’s Edge et des difficultés à imposer un Dead Space à l’accueil critique légitimement dithyrambique. Parallèle aggravant, dans le flux de nouveaux projets, EA avouera ne pas avoir saisi assez vite l’importance de la Wii et a basculé trop tardivement un nombre conséquent de ressources au marché familial ouvert par Nintendo.

Le blockbuster vaincu par le social gaming

L’annonce, en plein maelström humain, de l’acquisition pour 300 millions de $ de la société Playfish spécialisée dans le développement de jeux sociaux à petits budgets (Pet Society, Restaurant City… 150 millions de jeux installés et joués dans le monde) sur MySpace, Facebook, Google et iPhone, indique bien un revirement vers un système de productions plus modestes et moins coûteuses. Playfish fonctionnera dans la structure EA Interactive de la société qui travaille déjà sur des jeux web et mobiles. Est-ce le début de la fin de productions à la rentabilité désormais trop risquée de blockbusters à gros budgets chez EA ? Les ventes encore une fois trop paisibles d’un jeu mature sur Wii avec le récent Dead Space Extraction signera sans doute déjà l’arrêt de ce type de tentatives sur la console de Nintendo. Toujours pas officiellement confirmée, la suite officielle high-tech du célébré Dead Space devrait néanmoins être mise en chantier puisque toute l’équipe de Visceral Games autour de cette production initiale ne s’est apparemment pas volatilisée, mieux, elle recrute (les professionnels de la profession apprécieront). Mais plusieurs projets de jeux ambitieux avec Steven Spielberg ne donnent justement plus de nouvelles depuis des mois. Plus dramatique encore, c’est la politique de création de nouvelles franchises et donc de prise de risques qui devrait être la première remise en question. « It’s in the Game » scande depuis des années les pubs EA. Retour aux affaires, 2007-2009, le quart d’heure américain d’Electronic Arts n’aura duré que deux petites années.

François Bliss de la Boissière

(publié le 25 novembre 2009 sur Electron Libre)

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