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Bruno Bonnell : interview 2/2 : Business (WAP / Acquisitions / Licences)

Qu’il raisonne en 2D ou en 3D, selon ses termes, le PDG d’Infogrames est aussi à l’aise pour évacuer une mode d’hier que pour en lancer une autre. Suite de notre entretien avec un Bruno Bonnell philosophe.

En février dernier le PDG d’Infogrames nous a accordé un entretien à l’abri du soleil cannois et des agitations du Milia. A l’époque nous avions réuni Bruno Bonnell et Frédérick Raynal dans la même pièce, et cet événement symbolique dans le milieu des jeux vidéo avaient pris le pas sur le reste. De conférence de presse publique en interviews en privé, Bruno Bonnell a toujours des choses dynamiques à dire. Que l’on soit d’accord ou pas avec son analyse, son charisme et ses bonnes formules méritent toujours qu’on lui tende un micro. Et puis, après tout, de ses modestes débuts sur les marchés lyonnais à la conquête du monde économique, Bruno Bonnell est un des exemples de success story à la française. Et comme, en plus, il a fait son succès en s’appuyant sur les jeux vidéo, nous voilà deux fois plus concernés.

2e partie : Business (WAP / Acquisitions / Licences)
Bruno Bonnell

Bliss : L’année dernière, vous avez été très WAP. Cette année on en parle beaucoup moins…

BRUNO BONNELL : L’année dernière, les dernières applications des nouvelles plateformes qui vont inonder notre quotidien étaient l’évolution des téléphones cellulaires, et j’étais étonné du développement des téléphones cellulaires par rapport à d’autres formes d’électroniques grand public que l’on voyait un petit peu stagner. On pouvait d’ailleurs parler d’une explosion de la téléphonie cellulaire comme cette année on peut parler d’une explosion de l’Internet. Il n’empêche que la technologie WAP a des limites par rapport à son utilisation dans le domaine des jeux. On a, je crois, plus d’une vingtaine de jeux en WAP qu’on vend à travers le monde, mais ça reste des jeux qui sont relativement primaires et peu satisfaisants par rapport au plaisir qu’on peut éprouver aujourd’hui avec des jeux interactifs sur d’autres formats. Je crois que le WAP est une technologie intermédiaire et qu’il faut juste attendre qu’elle évolue pour pouvoir véritablement prendre du plaisir avec des jeux sur téléphone cellulaire.

Bliss : On a survendu le jeu « on line » l’année dernière, mais on a aussi survendu le WAP, non ?

BRUNO BONNELL : Non, on n’a pas survendu le WAP. Je pense que c’est un petit peu le phénomène… C’est une technologie pour aller chercher de l’information, de la météo, etc, et c’est très satisfaisant. Par contre pour immerger les gens, elle est très décevante. On ne l’a pas survendu mais on l’a surtout vendu pour les mauvaises applications.

Bliss : Vous avez évoqué le rapprochement d’Infogrames avec un constructeur de hardware. De qui parlez-vous ? Des constructeurs japonais ? Vous avez approché Sega un moment ? Sinon qui d’autre ?

BRUNO BONNELL : J’ai émis la nécessité de se rapprocher avec un constructeur, ou de constructeurs au pluriel, parce que l’explosion de ces plateformes fait qu’il faut qu’on soit très innovant en terme de logiciels mais également très à la pointe de ces technologies. Les constructeurs ont naturellement une petite tendance à revenir sur eux-mêmes et, on le voit notamment avec la place prépondérante qu’a pris l’édition des Pokémon chez Nintendo. Donc, à l’inverse, les développeurs de contenus ont intérêt à se rapprocher encore plus et probablement avoir des accords stratégiques avec des constructeurs de hard pour que leur contenu puisse être adapté sur ces nouvelles machines d’une façon plus efficace aujourd’hui. On
ne veut plus seulement être une « third party » comme disent les américains, ça nous plairait pas mal d’être une deuxième party pour une fois.

Bliss : Si vous vous rapprochez d’un constructeur en particulier cela vous éloigne des autres. Infogrames est multiplateformes…

Bruno Bonnell

BRUNO BONNELL : Quand je parle d’un rapprochement, je parle bien de constructeurs au pluriel. Aujourd’hui on est bien proche de Nintendo et on est bien proche de Sony et tout se passe bien dans le meilleur des mondes. Le rapprochement n’est pas un rapprochement fermé, il ne faut pas qu’il soit fermé à d’autres travaux sur d’autres plateformes. On raisonné jusqu’à maintenant en 2D dans notre métier : contenu et distribution. Il est temps de raisonner en 3D : contenu, distribution et plateformes. On rentre dans la géométrie interactive dans l’espace… Il paraît que vous aimez bien mes bons mots (rires).

Bliss : Terminator, Men in Black II, les Peanuts, vous avez frôlé Lara Croft (rumeurs de rachat d’Eidos) qui est devenu d’avantage une licence qu’un personnage original. Quand une licence est à vendre on vient vous voir dorénavant directement, vous n’avez plus besoin d’aller les chercher…

BRUNO BONNELL : Non, je l’ai toujours dis et je le confirmerai en privé à Frédéric (Frédérick Raynal, PDG de No Cliché à la recherche d’un acheteur après l’abandon de Sega, était présent pendant cet entretien. NDR), nous n’achetons pas le talent, contrairement à ce que l’on pense. Une licence ça s’achète parce que c’est un produit marketing qui permet d’immerger plus facilement des gens dans un univers qu’ils connaissent, et ceci à différents groupes d’âge, de personnes. Peanuts que vous avez cité, Men in Black, Mission Impossible 2 et d’autres à venir… Le talent par contre ça ne s’achète pas, ça se séduit. Et je ne dis pas ça comme un autre bon mot, je dis simplement que comme ces gens ont besoin d’être passionnément confiant dans la machine avec laquelle ils travaillent, et qu’ils sont tous des caractériels, parce que par définition les artistes sont caractériels, vous ne les enfermez pas dans une cage en billets de banque. Au contraire vous essayez de leur dire : on a les moyens de révéler à la plus grande échelle possible le talent que vous avez, avec probablement des coups, des combats et des moments difficiles, mais on a les moyens… Ils ne viennent pas nous voir quand ils sont sur le marché parce qu’on n’est jamais sur le marché quand on a du talent, on est toujours disponible.

Bliss : Infogrames est connu pour sa politique d’acquisition d’autres sociétés. Microsoft est demandeur de studios pour sa Xbox, et Sony, sans doute inquiet pour ses licences est aussi prêt à faire de gros achats. Le marché s’est donc durci, non ?

BRUNO BONNELL : Oh ça a toujours existé. Il y a toujours eu des nouveaux entrants, puissants, dès les années 80. A l’époque c’était Hachette, Nathan. Dans les années 90 vous avez eu des Philips, des Sega… Dans les années 2000 vous avez Microsoft, Sony, bien évidemment. Ça fait partie des règles du marché, à nous, dans le grand jeu vidéo dans lequel nous jouons tous les jours, de savoir trouver les bonnes sorties et optimiser nos forces. Infogrames n’a pas une obsession d’acheter, Infogrames a l’objectif de devenir une société globale avec une masse critique d’activité, gérer du talent, et savoir le révéler au plus grand nombre possible. Ça passe effectivement par des acquisitions qui se sont révélées jusqu’à maintenant plutôt satisfaisantes.

Bliss : Mais il doit y avoir des montées aux enchères avec tous ces demandeurs sur le marché… Surtout avec la puissance de feu de Microsoft…

BRUNO BONNELL : En tous cas, pour nous, la montée des enchères n’est pas un critère d’acquisition. Si on estime que ça n’a pas de sens pour nos actionnaires et pour nous, ça déséquilibre la structure de l’entreprise, on n’achètera pas. Et ça nous est souvent déjà arrivé de dire non, bien plus souvent que de dire oui.

Bliss : L’arrivée de Microsoft au moment où Sega se retire du marché des consoles n’est-il pas lié ? N’y a-t-il pas là un équilibre digne du principe d’Archimède ?

BRUNO BONNELL : Moi je trouve que c’est formidable, parce que Sega revient à ce qu’il n’aurait jamais dû quitter, c’est à dire le software. Car Sega est un fabriquant de software qui s’était égaré dans le hardware, et la vraie question philosophique c’est : est-ce que Microsoft, au fond, n’aurait pas dû être IBM ? Microsoft n’est-il pas un constructeur de hardware qui se serait égaré dans le software ? On le saura dans quelques années.

Voir aussi : Interview 1ère partie : Jeux (auteurs vs mass market / Donjons & Dragons / Civilization III)

Propos recueillis en février 2001 par François de la Boissière et Sébastien Kohn.

(Publié en avril 2001 sur Overgame) ITW Bruno Bonnell part 2

Bruno Bonnell

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EVENEMENT : Frédérick Raynal et Bruno Bonnell réunis !

Le PDG d’Infogrames et l’auteur du premier Alone in The Dark reconciliés autour d’une table ? C’est au Milia, sur Overgame, et nulle part ailleurs.

Bruno Bonnell et Frédérick Raynal réunis au Milia 2001

Le vieux différend entre Bruno Bonnell et Frédérick Raynal fait partie de la grande-petite histoire des jeux vidéo en France. Au début des années 90, alors jeune créateur avec un projet fou (Alone in The Dark), Frédérick Raynal avait trouvé en Infogrames un éditeur intéressé. Seulement voilà, quand le jeu est devenu le succès critique et commercial que l’on connaît, le contrat signé entre les deux partis s’est avéré ne pas être franchement favorable à son auteur. Alone in The Dark se transforme alors en licence pour Infogrames qui initie des suites (Alone 2 et 3) sans que Frédérick Raynal ne touche de royalties sur les millions de francs qu’engrange Infogrames. La fâcherie devient célèbre, Raynal, résigné, mais pas à cours de projets, quitte le sein d’Infogrames pour créer Little Big Adventure.

Les deux hommes se sont évidemment rencontrés depuis, mais leurs destins étaient définitivement séparés : à la conquête du monde, Bonnell continue d’exploiter Alone in The Dark avec un 4ème épisode, et Raynal, soucieux de sécuriser ses projets et son équipe, était devenu, avec No Cliché, un studio 100% Sega (voir : Sega lâche No Cliché).

Mais l’Histoire, la grande, comme celle des jeux vidéo, est pleine de surprises, de chemins imprévisibles. Même si on pouvait l’anticiper, l’arrêt brutal de la Dreamcast est, par exemple, un choc, une secousse dont on ne mesure pas encore les répercussions. Ce qu’on remarque, en tous les cas, c’est que, tout à coup, des frères ennemis comme Sega et Nintendo, ou même Sony, se mettent à travailler, non plus en concurence, mais ensemble.

C’est ainsi que, pour reprendre les mots de Bruno Bonnell, si le marché oblige sans doute à faire face à « la réalité de la divergence », nous nous sommes quand même pris à « rêver » à une « convergence ». Que Raynal, son équipe et son projet ambitieux Agartha trouvent en Bruno Bonnell une oreille attentive coule de source. Les talents français ne sont pas si nombreux, les éditeurs avec les moyens de les encourager non plus. Maintenant que No Cliché est à vendre, Raynal et Bonnell étaient appelés à se rencontrer, sans doute même pendant ce salon cannois. Ayant la chance de croiser leur route à tous les deux pendant ce Milia, notre rêve de convergence des intérêts a tout à coup pris forme. Demander à Frédérick Raynal et Bruno Bonnell d’accepter de se rencontrer devant des journalistes est aussi culotté de notre part que courageux de la leur. Connaissant les deux personnages, leur force, leur panache et leurs besoins respectifs, le rêve de la convergence devait pouvoir se faire. Peut-être en terrain neutre sous l’oeil bienveillant de notre caméra, les deux hommes se sont serrés la main, souris, se sont un peu écoutés l’un et l’autre, pour se donner sérieusement rendez-vous un peu plus tard.

L’année 2001 est définitivement une année charnière. Qui sait ce qu’elle nous réserve encore…

Bruno Bonnell et Frédérick Raynal

Remerciements à Bruno Bonnell et Fréderick Raynal pour avoir bien voulu oser ce petit défi avec nous, et à Seb, qui a réussi à dompter la réticente salle de presse de ce Milia 2001 (Windows italien pour cause de sponsor.. italien, clavier US, pas de lecteurs de disquette…)

Voir interview complète de Bruno Bonnell à cette occasion : ici

François Bliss de la Boissière

(Publié en février 2001 sur OvergameEVENEMENT – Frédérick Raynal et Bruno Bonnell réunis !

Bruno Bonnell et Frédérick Raynal