Yoji Shinkawa : L’ART au service du jeu

L’illustrateur vedette de la série de jeux Metal Gear Solid et collaborateur intime de la star japonaise Hideo Kojima a exposé ses dessins à Paris * à l’occasion de la sortie de l’épisode Peace Walker sur PlayStation Portable.

Bliss : Ne vous sentez vous pas trahi par le jeu vidéo ? Ne rêvez-vous pas d’un épisode de Metal Gear Solid (MGS) plus original qui utiliserait directement votre trait presque abstrait comme Okami de Clover Studio l’avait osé ?

Yoji Shinkawa : J’aime par-dessus tout que mes dessins participent à la création animée d’un jeu. Nous avons déjà eu l’occasion d’essayer de donner vie à mes dessins, notamment dans Metal Gear Solid 2. Le test a été intéressant mais nous avons préféré continuer à utiliser les dessins comme base de travail artistique. Néanmoins, dans Peace Walker, les cinématiques habituelles ont été remplacées par des approches graphiques très stylées. Grâce notamment à la participation d’Ashley Wood (illustrateur et auteur de comic books australien qui a travaillé sur des digital comics MGS, ndr) qui a adapté mes différents dessins. L’idée a été de trouver un subtil équilibre entre un jeu vidéo et des cinématiques dessinées qui donnent une certaine authenticité et un parti pris assez original. Je considère Metal Gear Solid : Peace Walker comme une bande-dessinée animée jouable.

Bliss ; Comment l’équipe artistique a-t-elle approché sans frustration les contraintes de travail sur PlayStation Portable (PSP) après avoir pu se lâcher sur l’ambitieux MGS 4 sur PlayStation 3 ?

Yoji Shinkawa : Notre équipe constituée de vétérans, de nouveaux arrivants, de M. Kojima (auteur de la série MGS, ndr), ou moi-même, sommes des gens passionnés dont l’objectif principal est de mettre en œuvre ce qui doit l’être pour concevoir un MGS. Toutes ces personnes exigeantes ont envie de faire partager leur point de vue, leurs idées et leurs passions à travers une réalisation artistique collective. L’objectif n’est pas d’essayer de retranscrire les besoins artistiques de chacun. Dans le cas de MGS Peace Walker les éléments de création d’origine sont en haute définition semblable à ce qui existe sur les consoles du moment à partir desquels nous avons retranchés des éléments pour s’adapter aux capacité de la PSP. Nous avons pris ces contraintes comme une sorte de jeu, de challenge.

Bliss : Vous avez utilisé les traits d’une personne réelle dans le jeu (cf encadré). Y-t-il des précédents dans la série ?

Yoji Shinkawa : Ce genre de procédé a été utilisé pour la première fois avec MGS 4. Les quatre personnages féminins emblématiques du jeu connus sous le nom de Beauty and the Beast ont été conçus à partir de femmes réelles. En observant, lors d’un casting, l’évolution physique des personnages à partir des maquillages et coiffures, nous avons commencé à envisager ce procédé. Au-delà de ces cas précis notre inspiration provient de sources variées, de la culture occidentale que nous aimons beaucoup. Dans Peace Walker Cécile est le seul personnage réel.

Bliss : Les bandes-annonces et jeux MSG s’amusent beaucoup aux private jokes et lectures à plusieurs niveaux. Participez-vous à ce petit jeu ?

Yoji Shinkawa : M. Kojima est seul à l’origine de tous ces clins d’œil décalés. L’humour dans les MGS peut s’expliquer par le fait que nous sommes originaires de la région de Kansai au Japon. De la même façon que les français ont un regard particulier sur tout ce qui est artistique, la mentalité naturelle des gens aux alentours d’Ôsaka ou Kyôto a toujours été un peu plus rigolarde que celle des gens issus de la région de Tokyo. C’est peut-être une des explications de cette attention particulière à l’humour.

Bliss : Cette dérision ne manque-t-elle pas de respect à votre trait qui n’a rien à voir avec du cartoon ?

Yoji Shinkawa : Notre objectif est d’imaginer la façon dont les dessins seront animés. Je me réjouis de l’humour à partir des machines ou des personnages dessinés. Cela me paraît une évolution naturelle parce que la finalité reste le plaisir du consommateur.

Bliss : M. Kojima est devenu célèbre pour annoncer régulièrement son départ de la série. N’éprouvez-vous pas aussi de la lassitude ?

Yoji Shinkawa : Je ne connais pas la satisfaction que l’on peut ressentir à avoir accompli une œuvre dans son intégralité après y avoir mis tout ce qu’on souhaitait. Peut-être que si je suis amené un jour à prendre la direction d’un projet et que je vais au bout de mes idées j’éprouverais la sensation que M. Kojima a peut-être de temps en temps.

Bliss : En tant qu’artiste, n’aspirez-vous pas à traiter d’autres thèmes que ceux associés au jeu, militaires notamment ? On sent votre trait capable d’aller traiter d’autres thèmes…

Yoji Shinkawa : Je suis passionné par ce que je fais. Je vis comme un ordre naturel de creuser le champ lexical de tout ce qui est militaire par exemple. J’aime beaucoup les méchas, robots et voitures. Peut-être qu’un jour dans le cadre d’un projet précis je me concentrerai davantage sur ces domaines qui me tiennent à cœur.

Bliss : Comme cela devient souvent le cas au Japon, la réalisation technique de MGS pourrait-elle être confiée à des studios occidentaux sous votre supervision artistique ?

Yoji Shinkawa : La rivalité que vous évoquez entre les développeurs japonais et occidentaux se fait également au niveau de l’implication, de la persévérance, de l’authenticité de la retranscription de la vision des choses. Nous avons eu l’occasion à de nombreuses reprises d’impliquer des développeurs étrangers ou des personnes qui avaient une vision un peu différente sur MGS. Mais leur vision était différente et ne retranscrivait pas nos attentes. Si un jour MGS était amené à tomber entre les mains d’occidentaux, j’ai la conviction que ce ne serait pas un MGS à la M. Kojima.

Bliss : Qu’elle est la place de MGS au milieu des jeux d’action et de guerre maintenant que Call of Duty ou Battlefield ont pris la vedette des médias et des joueurs à l’ouest du Japon ?

Yoji Shinkawa : Pour rappel MGS est à l’origine un jeu d’infiltration. L’objectif n’est pas de sortir son arme, d’abattre des gens et d’avancer. Le concept général est sans doute plus noble et spirituel que les gens ne peuvent le comprendre ou l’assimiler. Dès le premier MGS, Liquid, le boss final, parle directement au joueur en s’adressant au héros Solid Snake. Il lui demande : « Alors, la guerre est un jeu pour toi ? C’est comme ça que tu t’amuses ? » Dans tous ces jeux je souhaiterais que les gens se posent cette question : Pourquoi tu sors ton arme ? C’est le message que nous aimerions que les joueurs méditent grâce aux jeux Metal Gear Solid.

* Dans 11 Fnac Paris/Province du 8 juin au 7 juillet 2010

Propos recueillis le 15 juin 2010 par François Bliss de la Boissière

(Publié en 2010 dans Chronic’art)

Comète Mario à l’approche : une 3D toujours prisonnière de la 2D

Les 2 Super Mario Galaxy ont beau jouer avec les perspectives et les volumes comme nulle part ailleurs sur cette planète, ils s’attellent à contraindre Mario, et le joueur, dans de grands couloirs, ou des petites bulles. En 2008 nous pointions du doigt ce concept camouflé en regrettant la perte de liberté goutée avec Super Mario 64 et Super Mario Sunshine. En 2010 Shigeru Miyamoto en personne avalise la notion (merci à lui) et explique tout haut ce concept de gameplay 2D encapsulé dans un monde visuellement en 3D…
Mario Galaxy 2

En pleine euphorie consensuelle autour du premier Super Mario Galaxy en 2008, nous avions jugé nécessaire de lancer un débat qui n’avait pas lieu en qualifiant le jeu de « meilleur jeu 2,5 D de tous les temps ». Nous écrivions alors…

Mario Galaxy enlève au joueur la liberté d’explorer que lui avait donné Mario Sunshine et même, dans une moindre mesure, Mario 64. À ce titre, Mario Galaxy se donne visiblement le même objectif que Zelda Twilight Princess sur Wii : reconquérir coûte que coûte le cœur et les mains des gamers fidèles dont les variations 3D un tantinet relâchées ont fini par perturber, et donc décevoir. Un revirement à double tranchant. Les parcours hyper concentrés et pratiquement sans détour des niveaux de Mario Galaxy sont bien dignes des versions 2D. Mais après Mario Sunshine il s’agit d’un retour en arrière. Depuis toujours, les jeux Mario, Zelda et Metroid cumulent à chaque épisode les acquis des précédents. Une véritable gageure réussie par Nintendo de la 2D à la 3D. Pourtant, l’Observatoire de l’espace de Mario Galaxy n’est qu’un petit carrefour fonctionnel à côté du château de Mario 64 et de l’île Delfino de Mario Sunshine regorgeant de secrets. Quelques uns des niveaux de Mario 64 laissaient déjà un peu d’espace à une exploration vraiment libre (avant la sortie du jeu et en regardant les screens, les observateurs se demandaient déjà en quoi ces espaces «vides» auraient une pertinence ludique et interactive !). Puisque la 3D était acquise et les moyens d’occuper l’espace virtuel aussi, un bon nombre des niveaux de Mario Sunshine permettait de se «promener», de visiter les décors tout en allant à la découverte des surprises dissimulées. Une liberté d’aller et venir qui semblerait ne pas avoir tout à fait convenu à la majorité. Dans Mario Galaxy les parcours sont tous explicitement des trajets d’un point de départ (sans retour en arrière possible) à un point d’arrivée. Les quelques rares planètes permettant un peu de flânerie sont bien trop petites pour dégager un sentiment d’exploration. En réalité, un niveau (une «galaxie») est fragmenté en plusieurs mini planètes dont l’ensemble n’est jamais préhensible ni à pieds ni d’un regard (ce qui fait partie du charme et du mystère). Mario est redevenu le champion, certes tarabiscoté, du parcours A-B.

Cherchant à comprendre pourquoi, dans l’évolution de Mario, Nintendo avait jugé bon de brider la liberté de la 3D, nous poursuivions…

Pour reconquérir son public, Zelda Twilight Princess ramenait Link dans les lieux du jeu référent Ocarina of Time et compilait toutes les aptitudes précédentes. Dans Mario Galaxy, le retour aux valeurs sûres se fait en supprimant la liberté de déplacement du petit bonhomme en salopette et en inhibant le contrôle de la caméra dans une grande majorité de situations. Sans clairement identifier pourquoi, la pensée dominante considère donc que Mario Galaxy a retrouvé toutes ses qualités originales (que n’avait apparemment pas Mario Sunshine), qu’il est même le vrai descendant de Mario 64.

Avant de nous indigner…

Est-ce à dire que Mario ne s’exprimait pas comme il faut dans l’espace 3D plus ouvert de Sunshine ? Qu’il s’éloignait trop de son essence ? Que la réalisation était mal adaptée ? Ne serait-ce pas plutôt le public qui n’a pas su ou voulu suivre l’évolution de Mario vers plus de liberté et de responsabilité ? Car dans Sunshine Mario ne faisait pas que courir après la Princesse Peach. Condamné à tort au nettoyage de l’environnement, par les autorités de l’île où il comptait passer ses vacances, le plombier oisif se retrouvait avec des responsabilités écologiques et civiques. Le pistolet à eau donnait au Jump Man de Miyamoto une prise sur le monde qu’il n’avait jamais eu auparavant. Pour la première fois Mario pouvait impacter sur son environnement avec d’autres outils que son ventre, quand il glisse, son postérieur et sa tête, quand il saute. L’opinion générale a donc rejeté ce Mario presque administré, libre de circuler mais, interdit de vacances, enfin utile. Alors, rejeté par une humanité encore primitive qui n’a pas voulu de lui parmi elle, Mario, le petit prince déguisé en crapaud depuis toujours, s’est arraché à la pesanteur terrestre et s’en est allé tout là-haut voir si son destin ne serait pas finalement plus cosmique que terre-à-terre.

Puis de rendre hommage au talent…

Le génie total de Nintendo est de (presque) réussir à faire oublier que Mario Galaxy est un retour en arrière par rapport à Mario Sunshine. Le vire-voltage permanent du personnage d’une planète à l’autre – et cette fois il vole vraiment comme Superman, mais sans le contrôle du joueur –, la constante impression de sens-dessus-dessous, la folie visuelle provoquée par toutes sortes de mécanismes aux lois physiques autonomes, alimentent une ivresse jouissive, fiévreuse et aveuglante. Mario s’agite beaucoup mais pris dans un perpétuel effet d’entrainement il ne contrôle rien. Quand il a l’opportunité de courir librement, il tourne littéralement en rond sur de petites planètes dont il fait vite le tour. Les seules vraies occasions de franchir du terrain, ou plutôt de l’espace, sont automatisées. Quand le joueur a la main, il est merveilleusement et inexorablement guidé vers un objectif. Sauf à croiser le chemin de planètes « blagueuses » plus challenges, les parcours se font sans chronomètre, il reste donc possible de prendre son temps, de regarder alentour. Sauf que la caméra garde souvent une position prédéterminée et fixe et que la vue subjective, elle aussi pas systématiquement possible, ne laisse pas voir grand-chose puisque les petites surfaces des planètes sont courbes. Au mieux peut-on observer quelques amas de planètes suspendues dans le vide lointain comme le petit Link de Wind Waker repérait au loin une île perdue dans l’immensité de l’océan. Link pouvait alors décider de s’y rendre, Mario lui, doit subir le diktat du jeu.

Et de conclure…

Si la raison d’être ontologique de la 3D virtuelle est d’offrir un espace à arpenter ou posséder, à l’instar d’un Pandemonium ou d’un Crash Bandicoot, Mario Galaxy et ses parcours fléchés dans le cosmos ne serait-il pas le summum du jeu 2D camouflé dans un environnement 3D ? Est-ce que cela lui enlève ses qualités, son inventivité, sa folie ? Non, bien sûr.

Aujourd’hui, Super Mario Galaxy 2 prolonge et sans doute surclasse Galaxy 1. Et au moment où, à nouveau, personne ne soulève la question d’une 3D téléguidée allant chercher dans un monde en volume l’essence d’un gameplay en 2D, Shigeru Miyamoto explique publiquement son projet d’accommoder la 3D à un gameplay en 2D. Voici quelques extraits de son échange avec Satoru Iwata désormais disponible en bonne VF…

« Jouer un jeu en 3D comme s’il s’agissait de 2D »

Satoru Iwata : J’ai l’impression que les gens disent souvent “J’ai tendance à me perdre dans un Mario en 3D alors que ça ne m’arrive jamais avec les jeux en 2D ” ou encore “Les Mario en 3D sont plus difficiles que les Mario en 2D, je ne peux pas y jouer”. J’ai le sentiment que vous avez voulu attaquer ce problème de front.

Shigeru Miyamoto : Oui, mais je pense aussi que nous avons résolu certains problèmes liés aux Mario en 3D avec le premier Mario Galaxy. Vous arpentez des sphères, par conséquent, si vous marchez tout droit, vous finirez toujours par revenir à votre point de départ.

Satoru Iwata : Vous ne pouvez pas vous perdre.

Shigeru Miyamoto : Voilà. Nous avons remarqué autre chose durant le développement de Mario Galaxy 2. On parle souvent des jeux Mario en 3D, mais en fait, c’est simplement le monde qui vous entoure qui est en 3D. Les aspects les plus amusants du gameplay sont liés à la 2D.

Satoru Iwata : Qu’entendez-vous par là ?

Shigeru Miyamoto : Eh bien, même si le terrain est en 3D, il contient de nombreux objets ainsi que le personnage de Mario. Si vous observez le terrain du dessus, il est plat.

Satoru Iwata : Ah, je vois. Si la caméra est placée au-dessus de votre tête ou sur le côté, vous pouvez y jouer comme s’il s’agissait d’un titre en 2D.

Shigeru Miyamoto : Voilà. Contrairement aux Mario en 2D qui ne proposent qu’une vue de côté, les jeux en 3D offrent un changement bienvenu, car ils ne comportent pas seulement une surface plane, mais incluent également de la profondeur.

(…)

Satoru Iwata : Le monde est en 3D, mais vous avez mis de côté tous les aspects propres à la 3D qui risquaient de dérouter ou de déstabiliser le joueur. Vous avez consciemment développé le jeu pour que la 2D soit son principal atout.

Shigeru Miyamoto : Oui, c’est pour ça que je pense qu’il est facile à prendre en main.

François Bliss de la Boissière


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Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n
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