Comment un artiste du jeu vidéo japonais s’amuse avec les codes interactifs pour tester les limites du médium et les joueurs eux-mêmes…
« Depuis le commencement je suis incapable de décrire le jeu, certains diront que ce n’en n’est pas un, mais qu’est-ce qu’un jeu ? Un jeu doit-il répondre à une définition ? » Ainsi s’amuse à se perdre et à nous égarer l’auteur japonais Keita Takahashi devenu culte avec sa précédente expérience interactive Katamari Damacy. Car en effet, les quelques mécaniques de ce Noby Noby Boy ne disent pas grand-chose sur sa raison d’être.
Dans Katamari Damacy il s’agissait de diriger à deux mains une petite boule qui grandissait jusqu’à atteindre des tailles planétaires en absorbant tous les objets sur son chemin. Après plusieurs manipulations hasardeuses, Noby Noby Boy s’avère finalement assez proche de son grand frère. À la boule se substitue une espèce de ver de terre arc-en-ciel dont chaque extrémité se contrôle indépendamment par les 2 sticks analogiques de la manette. Jeté sur des échantillons carrés de mondes minimalistes suspendus dans le vide, le ver devenu serpent glouton peut manger tout ce qu’il croise du décor ou des habitants. En tirant dans une direction opposée sa tête et son postérieur, le ver s’allonge. Encouragé par la musique de fanfare insaisissable et les couleurs primaires de jardin d’enfant, le manipulateur, plutôt que le « joueur », s’amuse à découvrir les tribulations physiques rigolotes et burlesques des objets entre eux. Curiosité piquée, après consultation nécessaire du mode d’emploi, Noby Noby Boy révèle une logique interne loin du concept sans queue ni tête. Le ver du nom de Boy doit grandir le plus possible, jusqu’à se rompre ou atteindre des centaines de mètres et pendre absurdement dans le vide accroché in extremis au petit carré de verdure perdu dans l’espace. En enregistrant ses différentes longueurs, le joueur participe à l’agrandissement d’un autre ver, nommée Girl, suspendu dans l’espace. Sur son dos, l’avatar de milliers d’autres joueurs affichent leur contribution à l’agrandissement de Girl qui doit s’étirer de la Terre à la Lune et peut-être plus loin encore pour ouvrir de nouveaux niveaux à chaque joueur. Alors que la mode est aux jeux coopératifs, voilà un vertigineux travail collectif de grid gaming renvoyant un candide écho au grid computing. Il est d’ailleurs possible d’enregistrer en vidéo ses joyeuses errances interactives pour les poster directement sur YouTube.
Takahashi travaille visiblement la matière interactive comme d’autres l’argile. Il malaxe, triture, déforme, observe le résultat, s’en étonne, abandonne ou continue jusqu’à ce qu’une certaine forme d’interactivité s’impose et s’installe. Le processus intellectuel intervient peu ou alors, à un niveau supérieur qui ne touchera pas le commun des mortels. La démarche se veut humblement artistique et, à l’image de ce ver de terre élastique sans cesse au bord de la rupture, teste les fondements du jeu vidéo pour mieux s’en amuser et renvoyer à sa condition. Comme le veut malicieusement l’auteur, le jeu c’est aussi pour chacun d’essayer de définir ce qu’il a entre les mains. À 4 euros seulement, la question surréaliste ne se refuse pas.
Noby Noby Boy / Namco Bandai / PlayStation 3