Avec la Wii, Nintendo s’autorise une sorte d’euthanasie hardware jamais vue dans la courte mais dense histoire du jeu vidéo. La Wii étant 100% compatible avec la GameCube (jeux et accessoires) celle-ci n’a plus aucune raison d’exister et peut être enterrée sans regret. Sans regret ?
Sans doute la moins aimée de toutes les consoles Nintendo (hors Virtual Boy et autres expérimentations inabouties comme le 64 DD de la N64), la GameCube s’apprête à être éjectée manu militari du marché comme aucune autre console avant elle. Tout le monde le sait et le craint un peu, en dehors de son interface de jeu pointé à l’écran, la console Wii bientôt disponible fonctionne grosso modo sur une technologie légèrement améliorée mais semblable à celle de la GameCube. Si les jeux Wii à venir (Super Mario Galaxy) révèlent discrètement à l’œil quelques progrès techniques, industrie et observateurs s’entendent pour dire que la Wii serait une GameCube 1.5. Cette promiscuité technique inédite entre deux générations de consoles génère au moins un avantage certain : la Wii accepte de lire sans condition tous les jeux GameCube (les régions restent incompatibles). Le terme de rétro compatibilité employé depuis que Sony a inauguré avec la PlayStation 2 la première console de salon capable de lire les jeux de la génération PlayStation précédente, ne s’applique même pas pour la Wii. Contrairement à la Xbox 360 obligée d’émuler les jeux Xbox et donc de les retravailler un par un, et à la PlayStation 3 qui, elle aussi, va émuler les jeux PS2 et sans doute PSOne si elle ne passe pas la main directement à la PSP, la Wii est tout simplement compatible avec les jeux GameCube.
Wii mange tout
Alors que Nintendo adopte pour la première fois avec la GameCube le format CD sous la forme de mini DVD propriétaires en 2000, la Wii se résout apparemment à utiliser des DVD (propriétaires là aussi) de diamètre standard. Le mange-disque Wii, cependant, accepte d’attraper les minis DVD GameCube et il semblerait – Nintendo ne donne pas de détails – que la Wii fasse fonctionner les jeux GameCube normalement, sans passer par une surcouche logicielle, un émulateur (contrairement aux jeux 8, 16 et 64 bits, eux, téléchargeables). Aussi lisse d’apparence et sans fil en façade soit-elle, la Wii a quelques trappes qui abritent des slots pour brancher directement les Memory Cards et les manettes GameCube. Il est même possible de brancher le petit émetteur de la fameuse manette sans fil WaveBird. Très vraisemblablement les jeux GameCube ne se lanceront pas automatiquement et seront sélectionnables via l’interface des Wii Channels à l’emplacement prévu et immuable des jeux Wii (en haut à gauche de l’écran). Et Nintendo a également évoqué la possibilité que les jeux GameCube, comme ceux des générations précédentes, lancés sur Wii profitent automatiquement de quelques améliorations visuelles (anti aliasing par exemple) comme la réédition du Zelda Ocarina of Time N64 sur GameCube en a fait la jolie démonstration (mais pas celle de Majora’s Mask). 100 % compatible avec le catalogue et les accessoires GameCube (bongos, micro ne devraient pas poser de problème), la Wii rend de facto obsolète la GameCube le jour de sa sortie.
Prémisses de révolution
Sortie fin 2001 (mai 2002 en Europe), il y a exactement 5 ans, la GameCube avait été présentée publiquement à l’été 2000. A l’époque, son design carré et ramassé, ses couleurs vives et sa poignée façon vanity féminin faisaient l’événement même si l’originalité affichée de Nintendo devenait de plus en plus insaisissable. La manette GameCube, avec ses deux sticks analogiques, son petit bouton z accroché sur la tranche et la disposition minutieuse et colorée des boutons, devait simplifier l’identification des taches. Vrai sans doute dans un certain idéal ergonomique, Nintendo a fini par avouer que l’invention de la Wiimote blanche, sans aspérité et donc passe partout, avait surgi de la nécessité de simplifier des manettes aux boutons de plus en plus nombreux et de plus en plus intimidants (le gros bouton vert A central de la manette GameCube, presque grossier pour un gamer, ne réussit même pas à être une évidence pour un non initié). L’aspect jouet de l’ensemble GameCube et manette restait aussi trop apparent alors même que Nintendo disait déjà vouloir intéresser les joueurs plus âgés après que Sony lui ai chipé le leadership (face à la Nintendo 64) du marché avec sa PlayStation. Las, cinq ans plus tard, le nouveau challenger Microsoft réussit avec sa presque candide Xbox à repousser Nintendo en troisième position d’un marché des consoles de salon (parc mondial fin 2005 :21 millions de GameCube et 22-23 millions de Xbox) qui, jusque là, n’acceptait d’absorber que deux consoles simultanément. Contrairement à ses deux gros concurrents Sony et Microsoft, Nintendo ne perd pas d’argent avec son hardware, en gagne même, mais sa place à côté du téléviseur est de plus en plus contesté.
Fins de rêves
La Dreamcast de Sega s’est officiellement retirée du marché début 2001 après s’être écoulée à 8 millions d’exemplaires. Mais le culte de la dernière console de Sega perdure encore. Quelques jeux ont continué à être développés et sans successeur officiel, la Dreamcast garde sa place près du téléviseur et du cœur dès lors que l’on veut rejouer à un de ses jeux emblématiques ou rares et inédits ailleurs (ChuChu Rocket!, Power Stone, D-2, Blue Stinger, Cosmic Smash…). Devenue PSOne et redésignée, la PlayStation a refusé de lâcher prise même après la mise en vente de la PS2. La PlayStation 2 reliftée slim à son tour va suivre le même mouvement et continuera d’exister sur le marché en parallèle à l’arrivée progressive de la PS3 (le modèle PS2 Silver sort aux US et une version Pink en Europe cet hiver). Le 8 décembre, en Europe, la GameCube n’a plus aucune raison d’exister. Zelda Twilight Princess sera effectivement édité sur GameCube après la Wii mais, on l’aura compris, il peut très bien fonctionner tel quel et peut-être même plus joliment sur la Wii avec les manettes GameCube. Même si quelques jeux GameCube sont encore susceptibles d’être commercialisés, eux aussi fonctionneront sur Wii. Et quand un projet haut de gamme créatif comme la suite de Paper Mario : La Porte Millénaire prévu sur GameCube bascule en développement Wii, le doute n’existe plus de l’inutilité de la GameCube.
Perfection au carré
Ultra compacte et parfaitement réalisée dès sa conception, la GameCube n’a changé ni de contenu ni de forme. De nombreux coloris (noir, gris, orange, vert pal…) sont venus, selon les pays et les cultures, s’ajouter au violet original, quelques habillages associés à certains jeux (MGS Twin Snakes, Resident Evil 4, Tales of Symphonia…) ont bien tenté sans trop convaincre de les personnaliser, mais la GameCube a toujours gardé son impeccable intégrité d’origine même en se zébrant de noir au Japon pour une édition limitée associée à une équipe de baseball. Seules des fonctions additionnelles se sont autorisées d’altérer sa silhouette: le Game Boy Player qui une fois fixé comme un socle sous la console la surélève et la transforme en rectangle pour permettre de jouer sur télévision aux jeux Game Boy Advance. Et, bien sûr, le fameux modèle Q cosigné avec Panasonic exclusif au Japon : une GameCube chromée, sur pieds avec un petit écran LCD en façade et capable de lire des DVD vidéo.
Culte(s)
Plus que toutes les autres consoles qui ont continué de respirer après leur mort officielle, soit pour leurs jeux soit, encore comme la Dreamcast, parce que des bidouilleurs exploitent son contenu à d’autres fins, la GameCube est vouée sans regret software à la casse dès la sortie de la Wii à tout faire. A moins, bien sûr, que le lien très étrange, atachement difficilement explicable en dehors de la passion jeu vidéo, qui lie le joueur à la console qui lui a permis de vivre des expériences interactives inoubliables, élève la GameCube en objet fétiche, bibelot culte, réceptacle à phantasme vidé de sa fonction mais pas de ses souvenirs. Il n’empêche, consciemment ou pas de la part d’un Nintendo dont les consoles Nes et SuperNes font encore l’objet de cultes païens, le concept de Virtual Console de la Wii va faire la démonstration jusqu’aux jeux GameCube que si culte il doit y avoir, c’est autour des jeux, du loisir ou de l’art lui-même et non de son support mécanique que la magie doit perdurer, ou, éventuellement, être vénérée.