Éric Chahi : Another time (entretien 3/4)

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Éric Chahi (DR)

Bliss : Comment es-tu passé d’une activité assise comme la création de jeu vidéo à une activité aussi physique ?

Éric Chahi : C’est vrai que pour approcher les volcans il faut crapahuter, avec un gros sac à dos. Les volcans m’ont toujours attiré mais je n’avais aucune idée que c’était accessible. Je pensais qu’il n’y avait que les scientifiques qui pouvaient y aller. Et puis j’ai découvert qu’il y avait une agence qui organisaient des voyages sur les volcans actifs. Je me suis inscrit et ça a commencé par là. J’y suis allé ensuite en autonomie avec des amis aussi passionnés de volcans rencontrés sur l’Etna. J’ai été dans des endroits assez reculés, il fallait le vouloir. Quand on est en milieu volcanique, proche d’une éruption, il faut faire gaffe, trouver la distance limite à ne pas franchir. Ma passion est née de la rencontre physique avec les volcans. Elle s’est pleinement révélée suite à une confrontation physique où j’ai pu voir de très près un volcan exploser avec de l’incandescence, de la lave en fusion et des choses comme ça.

Bliss : Tu as ressenti le danger quand c’est arrivé ?

Éric Chahi : Je me suis retrouvé dans une situation limite où j’ai eu très peur en effet. C’était au sommet du Lopevi au Vanuatu. Des bombes incandescentes sont tombées autour de nous à dix-vingt mètres, c’est super impressionnant. Je me suis dis : je suis foutu, je vais mourir (rire). J’étais en voyage organisé à ce moment là. Quand j’y vais seul je suis plus prudent désormais. Mais on n’est jamais à l’abri d’une explosion plus forte. C’est arrivé avec un volcan de type strombolien, des blocs incandescents éjectés sont éjectés en l’air régulièrement. Une explosion a été projetée vers nous. On début on voit des blocs très denses qui partent en l’air et on se dit qu’ils vont nous tomber dessus et qu’on est mort. En fait, les blocs s’écartent, ce qui est normal, en se rapprochant, mais c’est très impressionnant. On se demande quel bloc est pour soi. Dans ces cas là il ne faut surtout pas paniquer, ne pas courir dans tous les sens. Il faut rester et immobile et observer. On bouge uniquement s’il y a un projectile qui arrive sur nous, sur soi. Je n’ai pas eu à bouger. Mais quel stress ! Là j’ai décidé de ne plus revenir sur un volcan. Et j’y retourne quand même (rires).

Bliss : C’est ce rush là qui t’as rendu accroc ? Comme les sportifs ou les gens qui font des trucs extrêmes ?

Éric Chahi : Il y a une espèce de montée d’adrénaline c’est vrai. Ce fut une expérience assez extraordinaire pour moi. Je l’assimile à un traumatisme, mais un traumatisme positif. On angoisse complètement mais ce qu’on voit est tellement incroyable que l’on en retient un sentiment positif, même si au fond on n’a pas envie de le réitérer. Je ne fais rien pour me retrouver dans une telle situation. Quand je vais sur un volcan, je fais très attention et je reste beaucoup plus loin que cette première expérience volcanique.

Bliss : Tu as accumulé, semble-t-il, de véritables expériences sensorielles et même, en t’écoutant, du gameplay qui peuvent te servir à ton prochain projet de jeu, n’est-ce pas ?

Éric Chahi : (rires) Je ne peux rien dire mais tout vient nourrir. Comme je le disais tout à l’heure à propos de mon parcours en zigzag, quand on crée du jeu vidéo il ne faut pas s’intéresser qu’au jeu vidéo. Si on se nourrit de jeu vidéo pour créer du jeu vidéo on tourne en rond. Et on sort des jeux comme il en sort aujourd’hui à la pelle. Il faut s’intéresser à tout pour créer des jeux vidéo.

Bliss : N’y a-t-il pas un rapport entre le monde désolé alien et très rocheux d’Another world et celui des flancs de volcans ?

Éric Chahi : Complètement. Je suis passionné de désert aussi. J’aime les milieux arides, inhospitaliers… On retrouve des points communs entre le monde virtuel, par exemple d’Another world, et ce qui m’attire dans le monde réel.

Bliss : Est-ce que tu suis ce qui se passe en jeux vidéo ?

Éric Chahi : Oui, mais pas grand chose m’attire. J’aime bien les jeux originaux qui apportent quelque chose. Il y a des jeux que je commence sans les finir et il y ceux que je termine. Même si ça commence à dater, le dernier jeu que j’ai fini c’est Katamari damacy justement. Un jeu original que j’adore, un jeu qui parle. Qui m’a parlé. Je regarde ce qui sort comme consoles. J’ai joué à Half life 2, j’essaie des classiques sortis il y a quelques années que je n’avais jamais joué comme Civilization. Mais je ne suis pas forcément attaché à l’actualité du jeu vidéo. Je m’y intéresse sans suivre absolument au quotidien. Ça ne m’est pas indispensable. Je suis néanmoins très intéressé par la Wii. Je n’en n’ai pas encore mais je suis vraiment curieux de voir ce que donnent les jeux. J’ai une DS qui me plaît avec un certain nombre de jeux.

Bliss : Tu as une opinion sur ce qu’est devenu le jeu vidéo d’aujourd’hui ?

Éric Chahi : L’époque que j’ai connue était encore artisanale, aujourd’hui c’est une industrie. L’artisanat émerge encore avec un mouvement indépendant comme les développeurs de Darwinia ou de Chronic logic qui ont développé le jeu Gish (du même studio, Wik & the fable of souls est disponible sur le Xbox Live Arcade, ndlr). Mais du côté de l’industrie on sent la pression marketing. Les budgets des jeux sont tellement énormes, ont un tel besoin de rentabilité, que ce ne sont pas les créatifs qui dirigent ou orientent le contenu des jeux mais le marketing, l’aspect business. Ça conduit à refaire les mêmes recettes, les mêmes FPS ou jeux de voiture. Mais ça évolue un peu quand même. Tout est tellement marketing qu’il y a un mouvement de fond indépendant qui s’est élargi depuis deux trois ans qui cherche à créer des jeux sans prétention, plus conceptuels et un peu plus originaux que les autres, que les gros budgets tout du moins. Il faudrait aussi évoquer la responsabilité des éditeurs, des créateurs de jeux quand sort le énième jeu de guerre qui met en action sans retenu des GI dans la guerre du Golf. Il n’y aucun regard critique. Je trouve ça très dérangeant et je n’ai pas le sentiment que les éditeurs ou même les créateurs de ces jeux se posent des vraies questions de fond.

Bliss : Comment expliquer que tous ces créatifs du jeu vidéo acceptent et supportent de passer des jours, des mois, des années à recréer des situations de guerre avec les sons, les armes, les agonies ?

Éric Chahi : Peut-être que l’envie de travailler dans le jeu vidéo est plus forte que le problème éthique du contenu des jeux. Ils ont toujours espoir de se dire qu’après avoir commencé par ça ils travailleront sur un autre jeu. Et puis je pense qu’il y en a que ça ne dérange pas de bosser sur ce genre de jeu. Le programmeur se dit que de toutes façons ce qui l’intéresse c’est le code, le graphiste qu’il fait des animations sympa… Je caricature un peu mais il y a sans doute de ça. On peut y trouver son compte au niveau de la création. Mais dans l’ensemble, ce qui est généré au final n’est pas très beau. Quand on écoute les interviews de certains producteurs on remarque qu’apparemment ça leur plaît. La machine commerciale pressurise toutes ces personnes derrière. Il faudrait vraiment discuter avec les gens qui travaillent sur ces projets là pour avoir un regard plus éclairé. Je sais qu’il y a en France pas mal de développeurs qui en ont marre des jeux de guerre.

(à suivre…)

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Propos recueillis par François Bliss de la Boissière

(Publié en février 2007 sur Chronicart.com)

 


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