Sony a voulu montrer la popularité de sa Playstation 2 et a orchestré cette nuit avec le Virgin Megastore un mouvement de foule scandaleux. Tout ça pour qui ? Pour les médias. La rançon du succès est cette fois inacceptable.
Les jeux vidéo, domaine jusque là réservé des enfants et des « adulescents », viennent de basculer brutalement dans l’âge adulte. Et c’est Sony, le leader du marché depuis 5 ans, qui a pris l’initiative de déchirer sans aucun ménagement l’hymen qui séparait encore le rêve virtuel de la réalité marketing. Vous pensiez que les jeux vidéo étaient la passion singulière d’un neveu sans doute un peu obsessionnel ? Vous venez d’apprendre tout à coup que sa passion est partagée par des foules hystériques ! Une console de jeux vidéo, un objet inerte, peut donc susciter la même folie collective que la visite d’une star du rock, qu’une défaite à un match de foot. En préméditant une ruée sauvage de la foule vers l’objet de sa convoitise, Sony vient d’offrir aux médias et donc aux yeux du monde, l’occasion de se repaître d’un spectacle que l’on aurait préféré ne jamais voir dans le monde ludique des jeux vidéo.
Quelles que soient les excuses que ne devraient pas manquer d’exprimer Sony et le Virgin Megastore, la responsabilité des organisateurs de cette pitoyable et très dangereuse explosion populaire est totale.
En choisissant sciemment une mise en scène anarchique pour le lancement officiel à minuit ce 23 novembre 2000, Sony et le Virgin Megastore ont laissé une foule compacte s’agglutiner de façon désordonnée autour d’un seul et même point central : une Playstation 2 géante, un monolithe kubrickien. Lâchant la bride à 00H01 sur une foule jusque là impassible, patiente depuis des heures mais prête à bondir, ce qui devait arriver arriva : la foule en cercle s’est précipitée en un seul mouvement vers les étagères où se trouvaient les nouvelles consoles offertes à la vente. Les images (fichiers vidéo disponibles) témoignent alors d’un mouvement de folie collective ou l’humanité se révèle sous son jour le plus primitif. Les gens se sont rués vers les consoles, battus entre eux, ils ont bataillés contre des agents de sécurité très nombreux, eux-mêmes contraints d’employer la force pour tenter de freiner la vague humaine. La brutalité de l’ensemble fut effrayante, tous les spectateurs, devenus voyeurs à l’abri dans les étages, consternés. Un moment que l’on imaginait de fête s’est tout à coup transformé en cauchemar *.
Dans son célèbre film 2001 : L’Odyssée de l’Espace, le cinéaste Stanley Kubrick avait donné, avec la fameuse scène du monolithe initiatique, une leçon sur la grandeur latente de l’humanité, et son potentiel d’apprentissage et donc d’évolution. Détournant avec un calcul tout marketing l’oeuvre visionnaire de Stanley Kubrick, Sony vient de faire la démonstration que, malgré nos 2000 ans de civilisation, l’Homme est encore un singe sauvage prêt à se déchirer pour une idole. Qu’elle soit d’or ou de silicone ne change rien à l’affaire.
En marketing, le procédé qui consiste à amplifier l’attente pour un produit en quantité limitée s’appelle un « effet de manque ». Chez Overgame, nous appelons ça un manque de civisme.
La Rédaction
Bilan officieux de l’évènement : quelques blessés (sources TV, mais nous avons parlé avec des gens qui ont pris des coups dans ce moment de folie) et, surtout, un traumatisme collectif et individuel habituellement réservé à d’autres activités moins ludiques.
* En toute humilité, anticipant sur un potentiel débordement populaire pour cette soirée publique, nous avions souhaité à deux reprises dans nos Actus que cette manifestation soit organisée au mieux pour éviter tout incident Nous aurions peut-être dû le dire plus fort.
François Bliss de la Boissière
(Publié sur Overgame le 24 novembre 2000 / Images (c) Overgame/Bliss)