Le paradigme shift interactif voulu et réussi par les consoles DS et Wii bouscule et divise l’exercice critique du jeu vidéo. L’héritage culturel du jeu vidéo devient « hard-core » et les nouveaux jeux, dits « casual », aux thématiques et à l’accessibilité populaires, échappent aux regards critiques habituels.
Devant la nouvelle génération de programmes DS et Wii dont le contenu s’éloigne chaque jour un peu plus de la notion traditionnelle implicite du jeu vidéo, le travail du testeur, technicien ou critique culturel avisé, se retrouve devant plusieurs dilemmes. Où commence et où s’arrête la notion de jeu vidéo ? Le gamer-testeur-critique dont l’habitude et l’expertise l’autorise à évaluer un Final Fantasy, un Street Fighter ou un Civilization est-il apte à jeter un regard sur un simulateur d’élevage de bébé comme My Baby Boy ? Des Sudoku ou des Mots croisés publiés sur DS ou Wii deviennent-ils pour autant du jeu vidéo ? Avec le recul, et après des dizaines de Catz et Petz, Nintendogs était-il un jeu vidéo ? Avec ses ambigus Cérébrale Académie et autres soins du cerveau, ou du corps comme Wi Fit, Nintendo a su attraper par surprise les critiques de jeu vidéo. Mais deux ans plus tard, Les Leçons d’anglais ou Cahier de Vacances pour Adultes de 17 à 117 ans qui semblent en descendre doivent-ils encore être examinés avec la même exigence, le même bagage culturel, par les mêmes spécialistes ?
Jeu ou logiciel éducatif ?
Aujourd’hui, la première difficulté consiste donc pour chaque critique à trouver une ligne qui séparerait le jeu vidéo, dans son sens plein, d’un logiciel ludo-éducatif ou d’un utilitaire comme il en existe depuis toujours sur PC et qui ne sont traditionnellement pas évalués par le testeur spécialisé en jeu vidéo. Erwan Higuinen, critique jeux vidéo aux Inrockuptibles, s’efforce justement de distinguer d’abord jeux casual et utilitaires : « Pour les seconds, je pense que cela ne relève pas de manière directe et systématique de la responsabilité du critique de jeu. De la même manière que les critiques littéraires de Libé ou du Monde ne chroniquent pas de livres de recettes, je n’ai, par exemple, pas jugé pertinent de me pencher sur les Leçons de cuisine parues sur DS. À la limite, je pense qu’un cuisinier ou un critique gastronomique serait plus compétent pour le faire. »
Colin Campbell, rédacteur en chef de Edge Online, refuse, lui, d’entériner une rupture entre les jeux et publics supposément hardcore et casual, « totalement exagérée », et s’abrite derrière une ligne de conduite rigoriste déjà appliquée à la critique du jeu vidéo traditionnel : « Cela n’a aucun sens de faire tester un Tiger Woods à quelqu’un qui n’a jamais joué un jeu de golf, de même, un jeu casual doit être testé par des gens qui comprennent ce qui fait le déclic d’un jeu, pas simplement si c’est fun mais pourquoi c’est fun« .
Testeur ou critique ?
Si les compétences du critique restent les mêmes, comment toucher un nouveau public qui achète à l’instinct sans lire de critiques au préalable ? « Je ne pense pas que les journaux « grand public » soient plus à même de critiquer ce genre de jeux » estime Trazom, l’ancien rédacteur en chef des magazines Joypad et Gaming aujourd’hui sur le web (Gameblog.fr) , « Cela reste une affaire de « pro », plus à même de juger et de jauger la qualité de ces nouveaux programmes. »
Ce que confirme Erwan Higuinen : « Étudier ce genre de logiciels avec une approche classique de « testeur » de jeux peut à l’occasion apporter des éclaircissements pas inutiles sur les frontières et, donc, la nature même du jeu vidéo. »
Il n’empêche, à l’heure du jeu casual, un testeur sachant tester doit d’abord savoir s’il doit tester.
François Bliss de la Boissière
(Publié en 2008 dans Amusement #2)