Reine, impératrice, millionnaires de la tech ou du rap, oui ils sont riches, célèbres, oisifs et le plus souvent odieux. Les séries ordinaires célèbrent le bling et le glam. Les grandes séries prennent les mêmes VIP par les tripes et les détruisent, gold brick by gold brick. L’année 2022 en séries a aussi et surtout donné naissance à plusieurs magnifiques portraits de femmes.
La fin des confinements à domicile n’a heureusement pas signé la fin du tsunami des bonnes séries. Discerner les passionnantes des quelconques, se jeter dans les inédites et laisser tomber les anciennes interminables fait partie de l’exercice et du plaisir. Choisir, essayer, zapper, trancher et, de temps en temps, rester. Presque pas de saison 2 dans ma sélection 2022 même si, comme toutes les générations, on s’est laissé entraîner dans l’interminable et lourdaude saison 4 de Stranger Things et que Yellowstone s’essouffle et s’auto exploite au moment même où la série atteint la célébrité internationale, dommage. Pas de miracle, derrière les bonnes séries se cache presque toujours un auteur, et non pas juste un showrunner.
Mes 11 séries préférées et indispensables de 2022 (et vues jusqu’au dernier épisode)
- The White Lotus (S02)
- 1883 (mini série)
- Atlanta (S03 & 4)
- L’Impératrice (S01)
- The Old Man (S01)
- Tokyo Vice (S01)
- The First Lady (mini série)
- Les Papillons noirs (mini série)
- The Dropout (mini série)
- The Serpent Queen (S01)
- Les Hautes herbes (mini-série)
Champions récidivistes
En récidivant sans faiblir et même en s’améliorant, Mike White, Taylor Sheridan et Donald Glover ont élevé les séries White Lotus, 1883 et Atlanta à un niveau d’écriture sidérant.
Les qualités de la première saison de White Lotus ne laissaient pas imaginer une suite aussi puissante, inédite, iconoclaste et corrosive. Sorte de Tarantino showrunner, son auteur Mike White cumule portraits et monologues mordants avec l’envie d’aller chercher des acteurs méconnus ou trop vite oubliés par Hollywood. Avec en tête, le coup de génie du retour au casting de l’extravagante Jennifer Coolidge.
Déjà spécialiste des femmes à têtes dures dans Yellowstone, Taylor Sheridan profite de la traversée de l’Ouest par des pionniers en 1883 – dont la première génération Dutton qui fondera Yellowstone – pour offrir à la jeune actrice Isabel May une voix intérieure d’une force qui ne s’oubliera pas de sitôt. Brûlants, à la vie à la mort et à l’amour, scénario et dialogues de Sheridan grattent cette fois directement l’os et donc l’âme. Il y a dans cette fuite remarquable à travers l’Ouest sauvage un jusqu’au boutisme à la Dernier des Mohicans de Michael Mann et du Hostiles de Scott Cooper (2017).
Les Dudes
La nonchalance naturelle de Donald – Childish Gambino – Glover et de sa petite troupe d’Atlanta, dont le désormais incontournable Brian Tyree Henry (Causeway, 2022), cache une acuité thématique et formelle inouïe. Unique et concept, chaque épisode vire au haïku. Tout n’est pas dit ni même résolu, et pourtant chaque petit récit, parfois surréaliste, en dit long sur les personnages et le monde en suspension qui les entoure, le nôtre. Sensation de vertige après chaque épisode.
La nonchalance de Jeff – The Dude – Bridges, que l’on croit un bon moment être le Old Man du titre de la série qui le met en vedette, cache lui aussi une narration puissante au style proche de la première saison de True Detective. Quel meilleur pedigree ? Le scénario ne va jamais là où il est attendu, les dialogues ou monologues sont aussi utiles qu’introspectifs, voire meta (le scénariste-dialoguiste commente insidieusement sa propre posture devant le récit incertain). Quand l’action survient parfois dans de brillants longs plans séquences inattendus, tout le rythme bascule sans alerte dans le chaos avant de redevenir un objet d’auto réflexion. Grosse surprise.
Viril et virevoltant, immersif et saisissant, le premier épisode de Tokyo Vice dirigé par Michael Mann en personne rejoint (mieux que ses derniers films) le niveau qualitatif de la filmographie du maitre du cinéma caméra à l’épaule des années 90-2000. Sans sa patte, les épisodes suivants perdent ce brio formel mais l’élan est donné, sujet et acteurs avec Tokyo en toile de fond restent extrêmement prenants.
Portraits de fame
Adieu les impératrices froufrouteuses ciné-télévisuelles des années 50 et 60 (respect à Romy Schneider), depuis le film A Royal Affair de 2012 et le wake-up call post Metoo, les cours royales abritent hommes lubriques pitoyables, et femmes fortes à l’affût du pouvoir et avides d’apprendre. Dans la foulée de la série The Great de 2021 où Elle Fanning en Catherine de Russie domine Nicholas Hoult en idiot royal, The Serpent Queen transforme la géniale Samantha Morton en une Catherine de Médicis impitoyable au centre d’un parterre d’hommes imbéciles imbus d’eux-mêmes. Enfin mis à jour, le ridicule des hommes de pouvoir consterne et réjouit terriblement. Idem dans L’Impératrice où la jeune princesse de Bavière (Sissi de son vrai surnom) apprend peu à peu à s’émanciper du patriarcat royal, à respirer, exister et, peut-être, prendre le pouvoir. Contrairement à la trop passive Marie-Antoinette de Sofia Coppola, cette princesse là devrait s’en sortir la tête haute. On espère en tous cas qu’une deuxième saison le confirmera.
Et, au 20e siècle, les épouses de Présidents sont-elles encore des princesses de procuration ? En portraiturant trois de ces épouses catapultées premières dames à la Maison Blanche, Eleanor Roosevelt, Betty Ford, Michelle Obama (respectivement jouées par Gillian Anderson, Michelle Pfeiffer, Viola Davis, excusez du peu), la prestigieuse mini-série The First Lady nous fait découvrir trois femmes bien plus puissantes et volontaires que les apparences laissent croire, tandis que les conventions et le mobilier de la Maison Blanche les tiennent tel un corset, . Une belle plongée dans les coulisses d’un pouvoir qui ne se partage qu’à l’arraché, même dans l’intimité d’un couple.
Portrait de shame
Retour à la réalité cependant avec la série contemporaine The Dropout qui décrit cette fois l’abus de pouvoir qu’une femme peut aussi exercer. Royauté auto promue de la Silicon Valley, pour de bon condamnée à la prison par la justice en 2022, le portrait implacable de l’escroc millionnaire de la tech Elizabeth Holmes par Amanda Seyfried en devient encore plus glaçant.
France insondable
S’il est plus difficile d’adhérer au style plus télévisuel que cinématographique des séries françaises, il n’est pas interdit de tomber sur des pépites, notamment noires. Le tête-à-tête Duvauchelle / Arestrup des Papillons noirs pèse très lourd. Le sujet bateau rabâché et violent du serial killer prend une tournure littéraire et féministe tout en cultivant une photographie dense et granuleuse particulièrement réussie. Seule lumière dans Les Hautes Herbes qui dissimulent, la quête de vérité d’Emmanuelle Devos révèle, comme il se doit, des secrets que seuls les habitants d’un village savent enterrer. Une France profonde que la série creuse et sonde avec beaucoup d’intelligence.
François Bliss de la Boissière
(relecture et corrections Danybliss)
Illustration de Une : The White Lotus @ HBO