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Bruno Bonnell interview 1/2 : Jeux d’auteurs vs mass market

Enervant quand il revendique le jeu « mass market », on aime le croire lorsqu’il est prêt à défendre un jeu d’auteur comme Civilization III. Entretien avec Bruno Bonnell, le médiatique PDG d’Infogrames.

En février 2001 dernier le PDG d’Infogrames nous a accordé un entretien à l’abri du soleil cannois et des agitations du Milia. A l’époque nous avions réuni Bruno Bonnell et Frédérick Raynal dans la même pièce, et cet événement, symbolique dans le milieu des jeux vidéo, avait pris le pas sur le reste. De conférence de presse publique en interviews en privé, Bruno Bonnell a toujours des choses dynamiques à dire. Que l’on soit d’accord ou pas avec son analyse, son charisme et ses bonnes formules méritent toujours qu’on lui tende un micro. Et puis, après tout, de ses modestes débuts sur les marchés lyonnais à la conquête du monde économique, Bruno Bonnell est un des exemples de success story à la française. Et comme, en plus, il a fait son succès en s’appuyant sur les jeux vidéo, nous voilà deux fois plus concernés.

1ère partie : Jeux (auteurs vs mass market / Donjons & Dragons / Civilization III)

Bliss : Vous avez évoqué récemment deux tendances contradictoires : les franchises qui rassurent le public, et la nécessité de contenu inventif… Comment expliquez vous ce paradoxe ?

Bruno Bonnell

BRUNO BONNELL : Dans notre métier de l’interactivité des loisirs, il faut savoir qu’on doit se réinventer en permanence, qu’on a des technologies qui évoluent à la vitesse de la lumière et que les gens qui créent du soft sont en retard par rapport aux capacités de la technologie. On pourrait encore faire des jeux formidables sur la première Nintendo ou sur la première Atari 2600, aussi étonnant que cela paraisse. Et quand on voit le succès d’adaptation moderne de Pong ou de Centipède – qui sont souvent décevantes – par rapport au plaisir qu’on peut éprouver en jouant sur des technologies de l’ancien temps, d’il y a 15 ans… Le grand public est « low tech », d’une façon étonnante, il aime quand c’est simple quand c’est facile et que ça lui fait plaisir. On danse encore sur un vieux 45 tours grésillant, et on n’a forcément besoin d’un super fichier sophistiqué pour faire la fête. Ce que j’ai voulu exprimer c’est que notre contenu est à réinventer en permanence parce qu’on est en retard par rapport aux technologies qu’on a sur nos machines.

Bliss : En parlant des jeux d’auteurs… Est-ce que le « mass market » est compatible avec le jeu d’auteur ? Le « mass market » ne conduit-il pas à l’uniformisation, vers des jeux standardisés qui ne laissent plus de place à la créativité pour céder la place à la « sécurité »…

BRUNO BONNELL : Vous savez, le jeu vidéo c’est comme la musique. Il faut de la musique d’ascenseur et il faut des jeux vidéo d’ascenseurs. Ça veut dire qu’il faut des jeux vidéo qui se consomment comme des bonbons qu’on suce et qu’on oublie et puis quelques fois on va chez Bocuse (restaurant célèbre de Lyon, NDR) et on fait un super repas, et quelques fois on écoute un disque et il vous marque pour la vie. Les jeux vidéo c’est pareil. Je ne sais pas ce que ça veut dire que le jeu d’auteur, je sais ce que ça veut dire les hits, et les hits ce sont des jeux qui définissent leur propre marché. Alone in The Dark, on est bien placé pour le savoir, a défini son propre marché. Sim City a défini son propre marché, les Sims définissent leur propre marché même si c’est une vieille idée qui vient d’Activision qui s’appelait Little Computer People, ils ont réussi à la rendre extraordinairement brillante. Je crois que Roller Coaster Tycoon, n°1 des ventes aux Etats-Unis, qui se trouve être un produit Infogrames, a défini son propre marché. Je crois que si le jeu vidéo d’auteur, c’est intellectualiser le jeu vidéo pour le rendre encore plus compliqué et encore plus difficile d’accès, ce n’est pas pour nous. Si c’est pour réserver à l’élite des joueurs des choses tordues que même les concepteurs n’arrivent plus à maîtriser tellement ils ont sophistiqué la machine, ce n’est pas pour nous. Moi je pense que le grand public est extrêmement intelligent, ce qu’il veut c’est de l’émotion, de l’émotion sincère, et il saura la payer au bon prix et il saura toujours la trouver.

Bliss : Un travail de défrichage en musique, au cinéma et en jeux vidéo passe toujours par une prise de risque avec, effectivement, celui de perdre son public. Mais ça ne peut pas aller sans ça. Vous avez pris un risque avec Outcast par exemple… avez-vous une branche de recherche chez Infogrames ?

BRUNO BONNELL : Vous avez 2500 personnes qui sont dans la branche de recherche. Ça veut dire qu’on prend des risques tous les jours. Même pour faire un produit, entre guillemets, doté d’une franchise, d’une licence, c’est un risque. Innover par rapport à un univers dans sa cohérence et rendre cette cohérence pour un utilisateur, c’est un risque. Il ne faut pas du tout négliger cet aspect de la prise de risque. Si prendre un risque c’est simplement considérer que Mission Impossible ce n’est pas un vrai produit, on se trompe. On investi 200 millions de dollars par an dans la création de contenu à Infogrames. 100 millions en Europe, 100 millions aux Etats-Unis, sur les 85 titres qui sortent en moyenne par an des différents studios d’Infogrames, il n’y en a pas un sur lequel j’estime qu’on n’a pas pris un risque.

Bliss : Suite à votre reprise de Hasbro Interactive et de la licence Donjons & Dragons, Infogrames semble avoir envisagé un jeu de rôle en ligne massivement multijoueur. C’est officiel ?

BRUNO BONNELL : Non non ce n’est pas officiel. Il y a une équipe à Austin – au Texas, qui travaille sur un jeu Donjons & Dragons en ligne. Je pars au Texas à la fin du mois et je pourrais vous en parler bientôt. Je vous dirais alors si c’est un projet sérieux ou pas, à quoi ressemble le jeu. Mais aujourd’hui c’est un projet parmi des dizaines récupérés dans les cartons d’Hasbro.

Bliss : Vous connaissez l’équipe d’Austin ? Qui sont-ils ?

BRUNO BONNELL : Je ne les ai pas encore rencontré, je sais simplement que certains d’entre eux viennent d’Origin (Wing Commander, Ultima, NDR).

Bliss : Vous avez aussi récupéré Civilization III. Comment ça se passe avec Sid Meier, le célèbre auteur du jeu ?

BRUNO BONNELL : Voilà justement un très bon exemple du jeu d’auteur intelligent qui contrôle l’intégralité de son design, de son concept et de sa vision mais qui distribue (délègue) un certain nombre de dessins, de graphismes, de choses qui ne sont pas fondamentales. L’apport d’Infogrames dans ses équipes va lui booster son développement actuel. De la même manière que je l’ai fait pour Alone in The Dark IV, si nous estimons ensemble, avec lui, que le produit n’est pas à la hauteur des attentes du marché, il sera décalé pour ses différents marchés.

Bliss : Mais justement, Civilization III est, par excellence, le jeu du joueur PC : stratégie en tour par tour avec pleins de statistiques… Est-ce que cela correspond au catalogue d’Infogrames, au  » mass market  » ?

BRUNO BONNELL : Civilization III est avant tout un titre qui définit son propre marché. C’est un hit. Infogrames n’est pas contre les hits non plus, on ne va pas rejeter des hits qui sont, par principe, étiquetables à notre société. On a vendu Duke Nukem parce qu’on a estimé que ce n’était pas éthiquement satisfaisant. On a licencié Oddworld parce qu’on a estimé que donner la chance à Oddworld en exclusivité sur la Xbox avec les moyens de Microsoft était plus intéressant. On va chercher comment rendre Civilization III encore plus accessible, évidemment en harmonie parfaite avec l’auteur qui, lui même je crois, a cette volonté. Sid Meier n’a pas du tout la volonté de faire un jeu obscur. C’est un jeu qui est complexe mais qui n’est pas compliqué… Même moi j’y joue.

A suivre : Interview 2e partie : Business (WAP / Acquisitions / Licences)

Propos recueillis en février 2001 par François Bliss de la Boissière et Sébastien Kohn.

(Publié sur Overgame en avril 2001ITW Bruno Bonnell part 1

Bruno Bonnell

 


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Outcast : Premières impressions

Une version jouable sur PC d’Outcast vient d’arriver chez Overgame. lI était temps ! Après plus de trois années de production, d’innombrables annonces et présentations de qualité plus ou moins égales dans les salons, c’est le genre de projet ambitieux si long à accoucher qu’il devient très lourd à accueillir. Pourtant au début du projet il ne suscitait qu’envie légitime.

Note : Par curiosité nous avons lancé la version contenant les dialogues en anglais. Des voix d'acteurs plutôt justes qui sont de méme qualité en français gráce à la participation de doubleurs professionnels (dont la voix française de Bruce Willis pour le héros).

Générique !

Fortement influencé cinéma, le générique qui met le président d’Infogrames en première place à la manière des grosses productions ciné US (« B.B presents »), fait dérouler le nom des nombreux auteurs tandis que la caméra survole un paysage enneigé. Et la première chose qui frappe est évidemment la musique colossale. Impression confirmée par le générique qui crédite L’Orchestre Symphonique et les Chœurs de Moscou. Ces chœurs majestueux donnent à l’écran une amplitude que l’image 320 par 240 affichée automatiquement par un PI 233 MHZ ne relaie pas tout à fait. Car la technique des voxels employée par l’équipe de développement (Appeal) ne faisant pas appel à la carte graphique, tout le travail est fourni par le processeur. Un résultat qui sera inégal en fonction des configurations de chacun. Sur notre PlI 23 l’affichage est très fluide mais tous les contours sont en escaliers, quand ce ne sont pas carrément des pixels qui s’affichent en lieu et place de jolies textures lissées. Le décor montagneux a aussi la fâcheuse tendance de se dessiner à courte distance. Et l’image en cinémascope n’occupe qu’un tiers de la surface disponible de l’écran ! Pour profiter pleinement de cette méga-production prévoyez d’emblée un gros PC.

Moteur !

Dès les premiers dialogues écoulés entre le héros qui se réveille en territoire étranger et l’autochtone de la race des Talan, la fluidité du moteur se fait agréablement ressentir. Mélange audacieux de contrôle à la sauce console malgré son arrivée sur PC, le personnage Cutter Slade, bizarrement surnommé Ulukaï par le Talan Ranzaar, se déplace sans aucun problème. Avant de partir à la recherche des Mons cachés par les Shamaz dans les 6 mondes de la planète Adelpha, Cutter doit passer quelques tests auprès d’un certain Yan. C’est là que le joueur apprend les commandes claviers et souris qui permettent à Slade, pardon: Ulukaï, de sauter, ramper, nager et, n’oublions surtout pas, de tirer.
À défaut d’un joystick toujours possible, le héros humain se déplace avec le clavier numérique pendant que la souris permet tout à fait naturellement de pivoter sur son axe. La souris autorise également une très légère inclinaison de la caméra placée dans le dos de Slade de façon à regarder en contrebas ou au-dessus de l’horizon. Mais pour vraiment regarder à ses pieds ou au plafond il suffit de placer la caméra en vue subjective. On découvre ainsi qu’il y a quatre positions de caméra possibles qui vont de la vue à la 3e personne jusqu’à la vue à la première personne de Quake. Dans les quatre cas le personnage continue de se déplacer à volonté. Respectant le rythme de déplacement modéré de la vue dans le dos il ne faut néanmoins pas imaginer que la vue subjective aille aussi vite que dans un shoot 3D. Petit détail, en maintenant les deux boutons de la souris simultanément le père Slade enchaine des coups de points gauche-droite. Ayant lâchement essayé sur un pacifique Talan, je vous confirme que cela fonctionne bien et que le pauvre Talan étourdi par mes coups n’en revenait pas…

Action !

En partant à l’exploration de ce premier environnement neigeux, les bruits de pas étouffés dans la neige poudreuse sont bien sympas à l’oreille. lI y a des détails comme ça. En visitant les quelques maisons au décor succinct, et en engageant le dialogue avec les Talan, il est amusant de voir les habitants rentrer et sortir des maisons, éventuellement se parler entre eux et avoir un comportement presque autonome. Le système de dialogue est confortable avec des sous-titre facultatifs qui peuvent défiler plus ou moins vite au moyen des flèches du clavier. Le système de sauvegarde s’intègre au scénario puisqu’il dépend d’une pierre jaune, la GAAMSAVV, qu’il faut aller chercher dans les items et serrer dans la main. Un halo lumineux vient alors faire la transition entre le monde d’Adelpha et les blocs de sauvegardes plus pragmatiques.

Entracte…

Essentiellement grâce à une partition musicale monumentale, le début d’Outcast, pourtant modeste, laisse présager une aventure importante. Le style graphique ensuite, le moteur très fluide et la caméra souple et rarement embarrassante mettent en confiance le joueur. Premières sensations très positives malgré nos réticences sur cette production annoncée avec trop de trompettes. Tant mieux. Nous en demandons que ça des bons jeux, après tout.

François Bliss de la Boissière

(Publié sur Overgame le 21 juin 1999)