Archives par mot-clé : The Legend of Zelda : Majora’s Mask 3D

BEST OF JEUX 2015 : Réincarnations

Si 2015 est une sorte d’année de transition malgré elle en attendant de grosses pointures repoussées à 2016 (vous les connaissez), 2015 est aussi une année de consolidation industrielle, technique et sans doute artistique comme je commençais à l’expliquer ici. Plusieurs éléments concordants l’indiquent.

À l’affût

Des productions indépendantes atteignent désormais la qualité et l’ambition des blockbusters produits par de gros éditeurs (voir les 3 premiers de ma liste). Les (trop ?) nombreuses rééditions HD ont permis à certaines équipes de se familiariser avec les besoins et capacité des dernières consoles. Les prochaines grosses productions devraient profiter de cette expérience. Le report assumé et donc planifié à 2016 de plusieurs gros titres me semblent démontrer une forme d’assurance plutôt que de dérapages incontrôlables comme le jeu vidéo en a si fréquemment connu. Même Ubisoft a su redresser la barre dans les temps avec un Assassin’s Creed annuel (Syndicate) techniquement presque irréprochable malgré quelques craintes.

Nouvelle ère

L’assurance indiscutable de Destiny 2.0 avec ses extensions pas si corrompues rassure aussi sur l’ambition et les capacités de Bungie dont on a failli douter… Même si mal compris par les gamers qui confondent qualité intrinsèque et temps de jeu à la minute, la maîtrise visuelle de The Order : 1886 et Until Dawn entérine l’ambition graphique de Sony Computer et promet un bel avenir à la fusion jeu vidéo et cinéma qui se prolongera forcément avec le casque PlayStation VR. Et puis 2015 est aussi sans doute la dernière année d’une certaine idée du jeu vidéo. La lecture de la séquence en deux temps qui voit en 2015 la confirmation de l’effondrement du jeu vidéo japonais (Konami en tête, on y revient prochainement en détails) juste avant le débarquement de la réalité virtuelle en 2016 (même avec des freins tarifaires) annonce l’ouverture d’un nouveau chapitre dans la folle histoire du jeu vidéo.

Mes 10 jeux de 2015

 

  1. The Witcher 3 : Wild Hunt (CD project Red)

  2. Ori and The Blind Forest (Moon Studios)

  3. SOMA (Frictional Games)

  4. Rise of the Tomb Raider (Crystal Dynamics)

  5. The Order : 1886 (Ready at Dawn)

  6. The Talos Principle : édition deluxe (Croteam) PS4 et Mac

  7. Mad Max (Avalanche Studios)

  8. Destiny : Le Roi des Corrompus (Bungie)

  9. Until Dawn (Supermassive Games)

  10. Rare Replay/Zelda Majora’s Mask/Uncharted : The Nathan Drake Collection

Quand on a la chance de jouer à une majorité des jeux sortis dans une année, en retenir 3 ou 5 dans un top est vraiment insuffisant. On s’y efforce sous la demande, par exemple en 2014 et en 2015, mais la frustration est grande. Surtout parce qu’une courte sélection ne suffit pas à représenter l’étendue des expériences vécues dans une année jeu vidéo.

Indés au top

Au-delà du goût et du plaisir éventuellement subjectif, les trois premiers jeux de ma liste couvrent étonnamment le spectre des possibles du jeu vidéo d’aujourd’hui. L’open world maitrisé et non pas juste exploité en mode remplissage avec The Witcher 3 ; la régurgitation artistiquement rehaussée – et non bêtement rejouée – des fondamentaux du jeu japonais avec Ori and The Blind Forest ; la maturité de l’immersion sensorielle en vue subjective dont vont hériter directement les prochaines expériences en réalité virtuelle avec le tétanisant SOMA. Ces 3 jeux portent plusieurs messages. Ceux de leurs thématiques explicites ou en creux : la mise au premier plan de la valeur physique et temporel de l’espace et des éléments, la poésie et l’animisme intégrée au gameplay, évolution de l’être humain en milieu technologique ; et ceux de leurs réussites : 3 jeux haut de gamme développés par des studios indépendants. Ces 3 projets hyper soignées ont réussi à fusionner le fond et la forme, sont allés au bout de leur ambition. Et, signe du futur au présent, deux d’entre eux n’existent qu’en format dématérialisé.

L’horizon est la limite

Malgré toutes les pubs intrusives, Rise of the Tomb Raider n’a pas fait l’évènement qu’il mérite confiné sur Xbox One et pourtant, voilà un des jeux les mieux conçu et réalisé au monde. Sorti fin décembre 2014 sur PC puis en mai sur Mac et récemment sur PlayStation 4, The Talos Principle et son extension Road To Gehenna est non seulement un époustouflant puzzle game en vue subjective (l’imminent The Witness de Jonathan Blow sera mesuré à cet exploit) mais un objet interactif à thèse d’une intelligence et d’un humour rares. Plus fini et sérieux que le rigolo foutraque Just Cause 3, Mad Max est comme The Witcher 3 d’abord une expérience sur l’espace, la nature et ses éléments, l’horizon, connu et inconnu. Celui, justement, que le jeu vidéo repousse chaque année un peu plus.

Les maux de la fin

Un petit mot sur les jeux Nintendo dont toutes les franchises connues sont sorties sous une forme (exploitative) ou une autre sans qu’aucune ne retienne l’attention plus que la réédition de Majora’s Mask. Oui Super Mario Maker et Splatoon sont funs et intéressants mais toutes les autres productions Nintendo sont en dessous du standard de la marque (on en parle ici). Difficile de savoir si cette année aussi de transition (et de tristesse) pour Nintendo conduira à un retour en force ou à un repli sur le marché Japonais entièrement dévoué au jeu mobile low-tech.
Toutes les rééditions HD occidentales sont méritantes. Pour évacuer les polémiques à l’exploitation mercantile, rappelons qu’elles visent d’abord les nouveaux propriétaires de consoles « nextgen », les switchers (une grosse génération Xbox 360 a basculé vers la PS4, n’est-ce pas ?) et les esthètes qui apprécient un rehaut graphique et technique (j’en suis). Celles retenues ex aequo dans ma liste sont particulièrement exemplaires et indispensables pour toutes sortes de raisons historiques. Rare Replay offre enfin l’occasion de revisiter l’histoire du studio anglais manettes en main (et ça fait parfois mal). La réédition très classieuse de la trilogie Uncharted parfaitement jouable sur PS4 anticipe bien Uncharted 4 et offre l’occasion d’une relecture après la secousse The Last of Us du même Naughty Dog. Et bien entendu, pouvoir enfin relancer le trésor Zelda Majora’s Mask quand bon nous semble ne se discute même pas.

François Bliss de la Boissière


Illustration de Une : The Talos principle / Road to Gehenna


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The Legend of Zelda : Majora’s Mask 3D : En perspectives

Tout en gardant les fondamentaux de son gameplay action/aventure/exploration, chaque jeu Zelda s’appuie sur un concept unique et fort (musique, océan…). Inhabituellement sombre, celui de Majora’s Mask traumatise depuis 15 ans.

Zelda Majoras Mask 3D

Sorti en 2000 sur console N64 deux ans après le chef d’oeuvre Ocarina of Time auquel il emprunte l’habillage graphique, Majora se distingue en situant l’aventure dans le monde parallèle et claustrophobe de Termina où la lune menace de tomber et de tout détruire. Link n’y cherche pas la princesse Zelda mais le garnement Skull Kid qui a dérobé le masque du titre. Pressé par le tic-tac implacable d’une horloge géante et une échéance incompressible de trois jours et trois nuits, Link revit autant de fois que nécessaire les trois journées. Équipé de dizaines de masques aux fonctions mystérieuses dont certains le transforment complètement en d’autres créatures, Link doit apprendre par coeur les habitudes des habitants de Termina de façon à accomplir la bonne tâche au bon moment des 72 heures à sa disposition (environ 1 heure réelle). Entièrement refait sur 3DS et embelli par la 3D auto-stéréoscopique, le jeu hyper complexe en profite pour s’assouplir un peu (points de sauvegardes améliorés) et utiliser le stick droit de la nouvelle New 3DS pour le contrôle de la caméra.

  • 3DS (contrôle amélioré sur New 3DS)
  • 1 joueur
  • Nintendo
  • PEGI * : à partir de 12 ans

François Bliss de la Boissière

(Publié en mai 2015 dans le mensuel Comment ça Marche)

 


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ZELDA : MAJORA’S MASK WII/VC : L’éternel retour

Sans tambour ni trompette, la suite affolante de complexité conceptuelle de Ocarina of Time a été mise à disposition en téléchargement sur la Wii. Un jeu monstre qui s’est, littéralement, effondré sur lui-même. Depuis, les Zelda sont revenus à des choses plus simples…

Neuf ans presque jour pour jour (avril 2000-2009), Nintendo rend discrètement disponible en téléchargement sur les Wii japonaises et européennes (1000 points/10 €) la suite du révéré Ocarina of Time. Un évènement tamisé, bien trop discret, pas 100% satisfaisant à cause d’une émulation petits bras mais une expérience interactive audacieuse, jamais égalée et toujours aussi fascinante à pratiquer. Ne serait-ce que pour essayer de saisir la richesse de l’ensemble. Comme le demande joliment sur son blog Margaret Robertson, une des rares critiques féminines du jeu vidéo : « Majora’s Mask était-il bon ? Non, répond-elle avec la réponse déjà en tête, ce n’était pas bon. C’EST bon« . Pour continuer d’affirmer : « Plus que bon. C’est un modèle de brillance, un objet d’étude sur la manière dont un game design innovant et une narration non linéaire peuvent se rejoindre pour créer le Graal d’une interactivité avec une résonnance émotionnelle. » « Le jeu n’a pas expiré, précise-t-elle à notre place, il n’est pas rassis ou pourri. Comme d’autres chefs d’œuvre, il vous attend (…)« .

Un chef d’œuvre, certes, mais un des plus difficiles d’accès. Conceptuellement et en terme de réalisation et d’intégration de toutes ses idées, Majora’s Mask reste une des propositions de jeux les plus complexes jamais créées, par Nintendo comme par n’importe quel autre studio. Ne serait-ce qu’avec son contraignant système de sauvegarde à 2 niveaux, temporaire, ou brisant la chronologie de l’aventure, qui demande une vraie maitrise. C’est aussi, pour cette raison et quelques autres, un des jeux les plus techniquement faillibles de Nintendo. Destiné d’abord au 64 Disk Drive, le fameux add-on de la Nintendo 64 sorti uniquement au Japon, Majora’s Mask est finalement sorti sur Nintendo 64 en compagnie de l’Expansion Pak, un étrange gadget compromis rajoutant de la mémoire à la console. Jamais totalement concluant, l’add-on provoqua des ralentissements assez notables de l’affichage dans tous les jeux qui l’utilisèrent. À commencer, donc, par la cartouche Majora’s Mask, dont l’add-on (obligatoire) ajoutant de la puissance à la console N64 avait le culot de créer dans le réel un écho au concept des surcouches du jeu, des masques greffant des pouvoirs au héros les portant.

Bienvenue, cette émulation Console Virtuelle de la Wii se rend ainsi plus accessible que la version incluse dans le rare disque Collector’s Edition de 2003 regroupant 4 aventures Zelda (à dénicher à l’époque en France dans une édition limitée de Mario Kart Double Dash ! cherchant effectivement à surligner son titre double). Surtout qu’elle ne souffre pas de manière aussi flagrante des problèmes de son de la version émulée sur GameCube. Scrupuleusement annoncés par l’éditeur pour éviter tout malentendu sur le fonctionnement de la GameCube, les bugs sonores à chaque appel de menu ou franchissement de porte donnaient et donnent encore l’impression d’un jeu mal fini. Une impression validée par les ralentissements de l’affichage au milieu de décors trop copieux. La version Wii/VC se porte mieux mais, hélas pour les puristes, comme tous les jeux N64 émulés sur Wii (Mario Kart, Ocarina of Time), Majora’s Mask renoue avec les mauvaises conditions des jeux PAL d’alors en tournant en 50Hz au lieu des 60Hz d’origine. Résultat, ralentie et légèrement plus sourde, la musique n’a pas la tonalité originale et le petit Link se déplace plus lourdement qu’il ne devrait.
De plus, contrairement à Ocarina of Time qui avait été en grande partie optimisé lors, justement, des éditions collectors GameCube, Majora’s Mask n’a, lui, jamais été retravaillé. Sur GameCube avec ses bugs sons ou sur Wii, avec sa vitesse ralentie et l’absence cruciale du mode vibration, le jeu n’a pas encore reçu le travail de ravalement qu’il mérite. Cela étant dit, une fois les remarques de puristes maniaques énoncées, il ne reste qu’une seule chose à faire sérieusement : jouer ou rejouer cette extraordinaire mise en abime vidéo ludique. Comme le décrit malicieusement Eurogamer.net : le meilleur Zelda que vous n’avez jamais joué.

En l’an 2000, quand Overgame cherchait déjà à s’extirper du carcan rigide de la formule test de jeu vidéo, l’expérimental Majora’s Mask nous avait donné belle occasion de le traiter autrement. Après le 10/10 toujours valable de Ocarina of Time, la question de la note fut presque éludée. En réalité la seule note possible, et logique avec le concept d’éternel retour, aurait été le symbole .
A (re) lire ici en prenant son souffle.

François Bliss de la Boissière

(Publié en avril 2009 sur Overgame)

 


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Zelda Majora’s Mask : Le jeu cerveau (tentative de test)

À jeu monument, critique hors norme. Le nouveau Zelda fait grincer des dents et marcher la tête. Enfants s’abstenir : ce jeu en cache un autre. Le Test aussi…

N’espérez pas lire dans cet article un descriptif complet du contenu du nouveau Zelda sur Nintendo 64. Une vie privée de journaliste en exercice ne suffirait pas à en faire le tour. Ne vous posez pas longtemps la question de la note (9/10 si vous y tenez) qui n’est qu’un exercice scolaire souvent réducteur destiné aux plus pressés des lecteurs. Laissez nous tenter de vous expliquer à quel point Zelda : Majora’s Mask est complexe et accessible à la fois.

Sommaire de lecture :

  • Préambule
    – La fin des temps
    – Parole de joueur
  • Un concept qui en cache un autre...
    – PART I : l’étau du Temps
    – PART II : un Monde masqué
  • Entracte : Link, l’homme orchestre
  • La 3D made in Nintendo…
    – PART I : parfait dès le début
    – PART II : toujours plus loin
    – PART III : la technique au service de l’intuitif
  • Entracte : pas si beau
  • Dialogues de sourd…
    – PART I : ils s’entendent bien
    – PART II : un héros muet garde la tête haute

  • Entracte : la question à 72 balles

  • Un jeu cerveau… 
    – PART I : la mémoire des mondes
    – PART II : la mémoire du Temps
    – PART III : à la recherche de l’Espace-Temps
  • Entracte : Overgame et Link sur le même rythme ?
  • Épilogue…
    – La fin des temps
    – Bas les masques

Préambule…

La fin des Temps…

Vous connaissez l’historique de ce nouveau Zelda. Complété en 18 mois il est l’assemblage du moteur 3D de Ocarina of Time, et de bribes d’un jeu beaucoup plus long envisagé un temps sur le 64DD. Des raccourcis techniques qui, pour une fois, ont permis à Nintendo d’écourter les temps de développement. Le Temps… un thème devenu primordial dans les aventures de Link.

Parole de joueur !

Parole de joueur, depuis le fameux Myst sur PC (ou console 3DO pour les consoleux), on n’a jamais vu un jeu à la structure aussi complexe. Tant d’imbrications scénaristiques et physiques sont sidérantes dans un jeu que beaucoup croit destiné aux enfants. Nintendo, Miyamoto, et le responsable direct de cet épisode, Eiji Aonuma, ont l’air d’avoir cette fois complètement « pété les plombs » (excusez l’expression). Comme l’Art Contemporain définit un travail artistique reposant sur une idée forte par le terme d’œuvre « conceptuelle », Majora’s Mask est un jeu vidéo « conceptuel ». Accrochez-vous…

Un concept qui en cache un autre…

PART I : l’étau du Temps

Où Link, en plein cauchemar éveillé, doit sauver en trois jours un monde menacé par la chute de la Lune. Trois jours et trois nuits qui se suivent en temps réel à l’échelle du monde de Termina (72 heures là-bas, environ une heure chez nous). Trois jours à revivre inlassablement jusqu’au sauvetage… Link tourne-t-il en rond ?



La course au stress. 
Ce concept de Temps provoque une modification fondamentale d’un principe jusque là établit par Miyamoto. Il est pratiquement impossible de se promener décontracté dans Termina. Miyamoto avait mis un point d’honneur dans Ocarina of Time à offrir un monde où il fait bon vivre. L’épée de Damoclès suspendue au dessus de Link, et surtout le peu de temps à la disposition du joueur, inhibe toute balade gratuite dans Majora’s Mask. Pire encore, les heures conduisant inexorablement vers l’holocauste transforment peu à peu le jeu en une course étrange contre la montre. Le système si particulier de sauvegarde qui ramène au premier jour en vidant les poches du héros de tout superflu (argent, munitions et autres objets annexes collectés dans les trois jours) provoquent des situations totalement inédites et ô combien stressantes.

Gérer la panique (ou s’y abandonner)
. Quand sonne le glas régulier des 6 dernières heures du jeu (5 minutes pour le joueur), tous les gestes, sauts et coups d’épée, deviennent fébriles. La fin est proche et chaque action porte le poids de cet ultimatum. Les premières fois on insiste, plus tard on abandonne l’effort guerrier trop lourd d’émotion pour devenir pragmatique avant la fin du monde.
 Calculateur par nécessité, vous profitez donc de ces dernières minutes pour aller in extremis à la banque de Clock Town déposer votre argent, faire un mini jeu dans la ville qui validera une récompense, visiter une personne dont on peut se demander si elle n’a pas une ultime révélation à faire avant de disparaître. Autant de secondes précieuses gagnées sur la partie suivante, que de prises de risques douteuses sur la partie en cours. Car, si Link a fait quelque chose d’important pendant ces trois journées qui arrivent à terme, se prendre la Lune sur la tête implique que la partie n’a pas été sauvegardée et qu’il faut tout recommencer. Cela n’empêchera pas le joueur en contrôle de souffler dans l’Ocarina salvateur à l’holocauste moins 20, 15 ou 10 secondes. Pas le moment de rater les notes de la Mélodie du Temps…

PART II : un Monde masqué

Masques physiques, magiques, psychologiques, symboliques, philosophiques, on peut dénombrer beaucoup plus de masques « invisibles » en sus des 24 masques visibles que Link doit trouver dans cette aventure. Ne cherchez pas ces masques « invisibles », ils ne sont que symboliques, mais admirez la cohérence et la persistance du concept…



Les masques invisibles. 
Au début de l’aventure, dans la forêt d’Hyrule – le vrai monde des aventures de Zelda – le petit Link se fait voler sa flûte Ocarina par un garnement masqué (sans compter le masque mystique qui transforme le gentil garçon du peuple Skull en chenapan incontrôlable et plein de pouvoirs, c’est plutôt l’idée d’altération de l’identité qui fait naître le 1er masque ! que nous qualifierons « d’invisible »). À la poursuite du Skull Kid mauvais farceur, Link plonge par accident dans un autre monde. Parallèle à Hyrule, le monde de Termina n’est pas tout à fait la réalité d’Hyrule même si il y ressemble (masque !). Ce qui s’y déroule n’affecte pas le destin et la chronologie du royaume de la princesse Zelda. Familier, mais avec des variations, Termina fait revivre une majorité de personnages de Ocarina of Time dans des rôles différents (masques !) : les méchants sont devenus bons, par exemple. À peine sur ce nouveau monde, Link aperçoit un visage grimaçant au-dessus de lui : la Lune est en train de tomber sur Termina (masque !). Le monde apparemment heureux de Termina, dont le centre représenté par le village Clock Town s’apprête à fêter son carnaval (masques !), n’est pas aussi jovial qu’il en a l’air (masque !) : une menace lourde pèse sur lui. Plus tard, après avoir dominé le premier Boss Odolwa, la nouvelle petite fée qui accompagne Link par obligation reconnaît tout à coup dans ce jeune garçon, qui n’en n’a pas l’air, l’étoffe d’un héros (masque !). Et ainsi de suite…



Le masque du quotidien. 
En scrutant chaque rapport des gens et des évènements entre eux, la liste des « masques invisibles » doit pouvoir s’allonger jusqu’à la fin de l’aventure. La plupart des joueurs se contenteront des masques « visibles ». C’est bien normal, le jeu est fait pour ça. Le reste n’est que concept et plaisir de comprendre…
Retenons que le monde de Termina n’est pas tel qu’il apparaît au premier regard. Il y a donc d’autres « couches ». De là à les appeler le moi et le surmoi…

Entracte : Link, l'homme orchestre
Un des avantages les plus chics des trois masques majeurs (Deku, Goron et Zora), est leur association avec des instruments musicaux différents. Fini l'exclusivité de l'Ocarina, selon les masques portés, Link jouera des tambours, de la trompette… Les notes à exécuter sont les mêmes quelque soit l'instrument, mais en fonction des contextes et des nécessités, il faudra jouer tantôt un coup de trompette, tantôt un coup de tambour. Déjà petit bonhomme à tout faire, Link est devenu un véritable homme orchestre. Et le joueur est, encore une fois, le chef d'orchestre.

La 3D made in Nintendo…

PART I : parfait dès le début

Comme tous les concepteurs confrontés aux problèmes de la 3D le savent, Ocarina of Time a complété la maîtrise d’un gameplay en 3D commencée avec Mario 64. Pensée par Miyamoto pendant longtemps, la résolution ludique des problèmes liés à la 3D : fée pour guider et orienter les recherches, système de verrouillage convivial sur les cibles et les interlocuteurs, appréciation des distances d’un ennemi hors cadre grâce à la régulation du son et des musiques d’alertes…, se retrouve en l’état dans Majora’s Mask. Il n’y a aucune raison de s’en plaindre, le réglage était et reste minutieux. Mais Nintendo en veut plus…

PART II : toujours plus loin

Pour aller plus loin dans cette conquête du monde virtuel en volume, ce nouveau Zelda offre donc des aptitudes inédites au héros. Cela génère aussitôt des ajustements si complexes à réaliser que c’est à croire que les concepteurs de chez Nintendo s’amusent à se donner des défis techniques rien que pour le plaisir et la fierté de les résoudre ! Imaginer que le masque Deku permette à Link de sauter très haut et de planer avec une précision quasi chirurgicale est sûrement plus facile à penser qu’à concrétiser. Et pourtant, le contrôle du petit Link suspendu dans les airs par deux fleurs-hélices est un discret mais convaincant exemple de dérive maîtrisée. Imaginer que le masque de Goron permette à Link de se mettre en boule et de faire la roue est une chose, transformer cette aptitude bonhomme en exercice périlleux de force brute, tout juste maîtrisable et capable de se lancer à toute vitesse sur des parcours accidentés, est encore à porter au crédit d’un savoir faire invraisemblable chez Nintendo. Car ce qui fait parfois l’ensemble d’un jeu pour un studio de développement, n’est qu’un des éléments anecdotiques de Majora’s Mask.

PART III : la technique au service de l’intuitif

Toutes ces altérations de la matière virtuelle, et des conséquences physiques répercutées sur le contrôle par le joueur, demandent une effroyable rigueur technique du côté réalisation. C’est d’autant plus étonnant que le résultat au bout des doigts n’est jamais « technique ». Le contrôle par le joueur est quasi total et naturel, en même temps il reste assez d’aléatoires dans les forces en action pour ne pas avoir l’impression de guider un corps trop bien réglé. La somme des réglages techniques n’explique pas, au fond, la synthèse intuitive du résultat interactif. C’est, en un mot bien placé chez Zelda, magique.

Entracte : pas si beau
Majora's Mask nécessite obligatoirement la présence de l'Expansion Pak dans la Nintendo 64 pour fonctionner (+ 4 Mo de RAM). Le jeu est donc plus ambitieux graphiquement, mais, curieusement, les défauts d'affichage se voient d'avantage que dans Ocarina of Time. Trop gourmand, les décors scintillent souvent quand la caméra s'obstine à montrer des vues d'ensemble. Même avec des textures plus détaillées et plus nombreuses, le monde de Termina apparaît moins fini que celui d'Hyrule. Il est vrai que la présence de la Dreamcast depuis deux ans sur le marché (elle est sortie en même temps que Ocarina of Time au Japon fin 98), a forcément augmenté notre seuil d'exigence.

Dialogues de sourds…

PART I : ils s’entendent bien

Qui a remarqué que malgré les dizaines d’heures de dialogues entre Link et les habitants d’Hyrule et de Termina, le petit lutin vert ne s’exprime jamais lui-même ? Les dialogues écrits font parler chaque interlocuteur, mais jamais Link. Celui-ci n’exprime jamais une pensée ou une phrase directement. N’est-ce pas étonnant ? Quelle en est la raison et comment se fait-il que les conversations semblent quand même naturelles ? La méthode employée par Nintendo consiste à faire dire des monologues à un personnage comme si celui-ci entendait les répliques de Link. Si l’interlocuteur pose une question, le joueur opte pour un oui ou un non proposé et l’interlocuteur reformule éventuellement ce que Link devrait dire. Sinon, les personnages importants s’adonnent à de longs monologues où sont reformulés ici et là ce que Link dirait sûrement. Cela rend-il le jeune héros passif pour autant ? Non.

PART II : un héros muet garde la tête haute

C’est étrange, quand on prend conscience de ce phénomène, et la première explication qui vient à l’esprit (en attendant de demander à Miyamoto directement) est que Link EST le joueur. Lui attribuer des phrases de dialogues comme le font tous les RPG serait prendre le risque de repousser le processus d’identification entre le joueur et le héros. Combien de fois avons nous entendu un héros bien valeureux dire tout à coup une phrase ridicule, maladroite, mal écrite ou tout simplement banale ? Qui ne renie pas alors son personnage ne serait-ce qu’un bref instant ? Muet, Link ne dit jamais de mots bêtes et le joueur qui doit le conduire à travers une longue aventure n’a jamais honte de son héros. Combien d’autres choix « subliminaux » recèlent donc un Zelda ?

Entracte : la question à 72 balles

Comment les concepteurs ont-ils réussi à coordonner les distances d'un point à l'autre de la carte, la profondeur des donjons, la résistance des Boss, pour que chaque section du jeu soit faisable dans les 72 heures imparties ? Un donjon est, par exemple, rarement franchissable la première fois : le temps d'y arriver entame trop sérieusement le crédit d'heures pour espérer le traverser au premier essai. C'est ainsi qu'une fois la procédure d'accès à un donjon connue, il est préférable de revenir au premier jour avant de se lancer. Quand on décide de partir à l'assaut d'un temple après les repérages indispensables, il faut savoir que les 72 heures représentent à peu de chose près le temps nécessaire pour le franchir et vaincre le Boss. Trop d'hésitations dans le donjon ? ...la fin du monde surgira au moment de rencontrer le Boss. Un petit détour champêtre avant d'accéder au Temple ? ...la Lune réduira en bouillie le donjon pas encore franchi. Reposons la question : en tenant compte de tous les paramètres de distances, des obstacles, des dialogues et des énigmes, tout en gardant la cohérence du scénario, comment les concepteurs ont-ils réussi à caler systématiquement sur 72 heures toutes les épreuves du jeu ?

Un jeu cerveau…

PART I : la mémoire des mondes

Depuis l’avènement des jeux en 3D, jeu d’aventure à la Tomb Raider ou jeu de tir à la Quake, notre cerveau a appris à mémoriser des espaces virtuels. Comme autant d’endroits visités pour de vrai, nous avons tous dans la tête des cartes de mondes en volume qui n’existent pas physiquement. Au fond notre cerveau ne traite pas différemment un vrai monde d’un faux. Il accepte même les pire élucubrations architecturales des concepteurs. Le cerveau finit par s’adapter à des perspectives détournant complètement les repères réels pour les recréer sans contrainte dans l’irréel.
 Imaginez le nombre de plans de mondes immatériels mais, en volume, que votre cerveau a emmagasiné ces 5 dernières années. Et bien, après avoir créé des donjons parmi les plus malins de la 3D pour Ocarina of Time, Nintendo repousse notre faculté d’appréhension, devenue presque ordinaire, en cherchant une nouvelle dimension. Peut-être la 4e dimension du jeu vidéo : le Temps.

PART II : la mémoire du Temps

À l’état embryonnaire dans Ocarina of Time parce que binaire, (passé et présent, deux époques interchangeables, deux manières « seulement » d’aborder les périples et rencontres), le principe du voyage dans le Temps et du recommencement perpétuel des évènements de Majora’s Mask atteint un niveau de sophistication tel que l’abstraction n’est pas loin. Un jeu pour les enfants ? Quelle mystification ! Voilà plutôt un jeu à thèse, un objet d’observation pour les classes de philo (voir Focus : Réflexions sur Majora’s Mask).
Le plus étrange quand on pratique avec incrédulité les complexités de ce monde en perpétuel recommencement, est d’imaginer l’incroyable travail que représente la fabrication d’un tel imbroglio. D’autant que Nintendo n’est pas une société à libérer un jeu sans qu’il soit fignoler parfaitement. On se demande aussitôt comment il est possible de beta tester un tel matériau. Encore une fois, Majora’s Mask est le jeu le plus cérébral jamais vu depuis Myst et Riven. Puisque les joueurs savent dorénavant s’orienter dans la 3D virtuelle, Miyamoto et ses congénères nous obligent cette fois à conceptualiser le Temps.

PART III : à la recherche de l’Espace-Temps

Comme d’habitude, les jeux de Miyamoto nous donnent à apprendre et à pratiquer de nouvelles aptitudes : physiques avec les trois masques qui donnent de nouveaux pouvoirs à Link, mais aussi et surtout, intellectuelles. L’obligation de fusionner l’espace 3D observable avec le Temps impalpable sollicite des aires du cerveau jusque là laissées au repos dans les jeux vidéo. Pratiquer Majora’s Mask fait naître une nouvelle antenne au joueur. Les rencontres, les évènements ont lieu à des moments précis, dans des endroits fixes, repérables. Après les errements du début, le joueur doit s’organiser, un agenda lui est d’ailleurs fourni…
 À terme, le joueur aura mémorisé toute la géographie du monde mais aussi tous ses habitants. Un processus habituel. Cette fois cependant, il faut mémoriser – conceptualiser – ce monde sur trois jours et trois nuits. Il faudra avoir retenu tous les mouvements cycliques de population, mais aussi leur altération en cas d’intervention du joueur. Et comme les destins de nombreux personnages sont intimement liés entre eux et forment une chaîne d’événements, cet exercice de mémorisation doit englober toutes les variations d’un ensemble très difficile à délimiter. Et, à chaque altération d’un élément tout est à réévaluer…

Triforce abandonnée, trois jours prisonnier ou Trinité à retrouver ? 
72 heures, soit un peu plus d’une heure de monde réel vécu, pendant lesquelles un mini univers fait son tour. Héros finalement traditionnel, Link est donc un apprenti Dieu lâché sur un monde qu’il devra appréhender dans sa globalité pour le sauver. Le problème est qu’il est contrôlé par un joueur humain qui devra faire l’effort de voir le monde comme un Dieu. Ce n’est peut-être pas donné à tout le monde.

Entracte : Bliss et Link sur le même rythme ?

N'est-ce pas ironique que nous ayons accompagné la sortie de Ocarina of Time en 1998 par un compte à rebours quotidien sur Overgame pour se retrouver à subir un compte à rebours inexorable dans Majora's Mask  ? Sans vouloir à tout prix s'approprier ce qui n'est, prions les dieux, qu'un accident, ce n'est pas le dernier des paradoxes de Majora's Mask.

Épilogue…

La fin des Temps

On peut sans doute regretter le sentiment accentué d’immatérialité du fait que cette nouvelle aventure ne se passe pas sur Hyrule à la rescousse de la princesse Zelda. Aussi ridicule que cela puisse paraître pour les yeux étrangers, il manque à cette aventure le côté épique d’une histoire qui intervient « pour de vrai » sur le destin de personnages avec lesquels nous entretenons un lien affectif. Majora’s Mask est visiblement un cauchemar de Link. Cette histoire ne compte donc pas.

Bas les masques

Majora’s Mask est un jeu masqué. Déguisé pour plaire à tous, c’est un monument de complexité dissimulée. Comme cet article, il laissera probablement perplexe les gens de passage et ne plaira pas à tout le monde. Cette nouvelle œuvre de Nintendo prend plus de risques que jamais dans sa conception, c’est sans doute pour cela que le jeu donne moins de plaisir à pratiquer que le précédent. Quelque soit le degré d’appréciation ou de rejet de chacun, une chose est certaine, ce nouveau Zelda est une fois de plus un jeu intemporel, pour ne pas dire : « hors du Temps », un OVNI qui laissera des traces dans son sillage.

François Bliss de la Boissière

(Publié le 17 novembre 2000 sur Overgame)

Note générale : ? / 10
Côté plus :
  • La maniabilité
  • La variété des rouages de jeu
  • L’original concept temporel
  • Univers complexe et unique
  • Le retour du thème musical de Zelda
Côté moins :
  • La répétition obligatoire des situations
  • Les graphismes déjà dépassés
  • La sauvegarde unique
  • Le lourd concept temporel
  • Où sont Hyrule et Zelda ?


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Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n
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