The Thing : Cette chose nommée licence

Pourquoi un film culte de 1982 engendre-t-il un jeu vidéo prometteur mais mal dégrossi en 2002 ? Parce que le prix d’achat de la licence absorbe l’essentiel du budget de développement. Sale histoire…

The Thing Xbox

Autant que l’on s’en souvienne, le film The Thing de John Carpenter datant de 1982 (20 ans !) n’a pas coûté bien cher. Il s’agissait même sûrement d’un petit budget. Le film pourtant ne fait toujours pas fauché et on n’y repère pas de problèmes techniques comme des fautes de raccords de plans, des perches de micro visibles dans le cadre, des dialogues ratés, des sautes de sons ou des notes de musiques sonnant faux. Malgré les moyens rudimentaires de l’époque, les effets spéciaux animant la créature étaient même crédibles, voire impressionnants. Et surtout, le jeu des acteurs étaient assez convaincants pour faire croire au suspens que le scénario voulait faire passer. Comment se fait-il que 20 ans plus tard, un jeu chargé de la licence d’un film culte qui, aux côté d’Alien, est à l’origine de nombreux jeux vidéo y compris le genre si populaire du Survival-Horror, soit techniquement si peu abouti ? Pourquoi un jeu avec une telle filiation souffre de défaillances provoquant presque l’hilarité : personnages passant à travers les portes comme si elles n’existaient pas, affichage saccadé des décors, ennemis surgissant du vide, visée hasardeuse, etc… ?

Jeu vidéo, 12% du budget du film

Une étude récente du Département des études et de la prospective donne une partie de l’explication. Elle révèle en effet que dans le prix de fabrication d’un jeu vidéo en France, 12 à 20% seulement du budget est alloué au développement proprement dit, et quand il y a achat de licence comme celle prestigieuse d’un film, c’est le même budget développement qui paie la dite licence. Combien reste-t-il ensuite d’argent aux développeurs pour réaliser un jeu derrière le nom célèbre ? On comprend alors facilement pourquoi si peu de jeux récupérant l’héritage d’un film, ou d’une BD, soient à la hauteur de créations originales.

Sur le papier ça va, mais…

Cette tentative de déclinaison du film The Thing en jeu vidéo a pourtant quelques bonnes idées sur le papier. Un commando est envoyé secourir une base scientifique perdue en Antarctique. Comme dans le film, scientifiques et, très vite, les hommes armés, se font décimer un à un par une créature mutante capable, notamment, de se camoufler dans un être humain avant de le consumer de l’intérieur. Essayant de recréer la paranoïa du film, le Capitaine Blake du jeu vidéo doit se préoccuper de l’humeur de sa troupe. Des jauges de confiance réciproques, et de peur, permettent au héros de surveiller l’état mental de ses partenaires pour éventuellement ajuster son comportement en conséquence : calmer un inquiet en lui donnant des tranquillisants, éliminer sans hésitation un éventuel porteur de La bête…. Via un menu d’icônes, Blake donne des ordres succincts à sa petite troupe qui tente alors tant bien que mal d’obéir : le technicien répare les fusibles, l’infirmier soigne un blessé, le soldat participe activement au coup de feu. L’idée est belle mais la réalisation est hélas approximative.

Doublage au niveau des films pornos

Excessivement verbeux, le début du jeu se voulant didacticiel, stigmatise le problème : les idées sont là, nombreuses, décrites en détails pour être sûr que le joueur comprenne bien, mais une fois dans le jeu proprement dit, mal réalisés, les concepts tombent à plat. La version Xbox affiche pourtant facilement des décors et des éclairages convaincants, le son fait aussi parfois illusion, et les déplacements à la 3e personne sont agréables. Mais à la seconde où les personnages dialoguent (en français), toute tentative de dramatisation jette le joueur spectateur dans la consternation. Tant que le jeu vidéo se contentera de scénarios mal dégrossis et de doublages du niveau des films pornos, le cinéma restera sans effort le véhicule privilégié de l’émotion et le jeu vidéo dans un ghetto culturel.

The Thing (Xbox / PS2 / PC / VU Games / Black Label Games / 1 joueur / Genre : Survival Horror / Sortie 27-09-2002 / Score : C)

François Bliss de la Boissière

(Publié en novembre 2002 dans le mensuel de cinéma : Score #7)

 


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