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Philippe Sauze : « Les politiques n’ont jamais véritablement reconnu le jeu vidéo comme quelque chose d’important. »

Le Directeur Général d’Electronic Arts France défend les nouveaux choix éditoriaux à risques de son catalogue de jeux, avoue les difficultés de réussir sur consoles Nintendo et revient, quand on lui demande, sur la critique déplacée de la norme PEGI par Nadine Morano. Les politiques passent et leur ignorance du jeu vidéo reste chronique. INTERVIEW 2/2…

Philippe Sauze

Bliss : Avec l’annonce récente de la relance de la franchise Medal of Honor qui choisit l’Afghanistan comme glissant terrain de jeu on a encore l’impression, après la nudité de The Saboteur, que l’Electronic Arts qu’on a connu plus sage lorsqu’il était leader de l’industrie se retrouve beaucoup plus provocateur depuis qu’il est en deuxième place des éditeurs derrière Activision-Blizzard. Est-ce une posture nécessaire pour se faire remarquer ?

Philippe Sauze (directeur EA France) : Mais non ! Quand on était trop propre on nous reprochait de l’être trop, quand on était n°1, on nous reprochait d’être arrogant. Quand aujourd’hui on a un soupçon de polémique qui n’est même pas forcément voulu, on nous reproche de l’être. C’est une orientation qui a d’abord été prise par le studio. Nous avons mis la série Medal of Honor en sommeil et on s’est aperçu à travers les sondages que les gamers attendaient son retour à un moment ou à un autre. Alors évidemment nous ne sommes pas inconscient. L’Afghanistan est un sujet un peu délicat dans lequel on se doit d’être très attentif. On ne veut pas mélanger les genres. On n’a pas une volonté de prises de position ou d’opinions par rapport à un conflit actuel. Premier point. Deuxième point, je voudrais revenir sur ce qui a fait la force des FPS comme Medal of Honor. Quand la série a connu le succès, la tendance du genre était plutôt la Seconde guerre mondiale. Le Call of Duty : Modern Warfare 2 d’Activision (dont l’action se déroule pendant des guerres fictionnelles contemporaines, ndr) a ouvert une nouvelle tendance. Vous savez très bien qu’on surfe aussi sur les tendances, on fait tous ça. Surf, skate, musique, tout le monde y va… Avec Medal of Honor, nous essayons de coller à la tendance. Mais nous n’avons aucune volonté de polémique derrière le jeu. On essaie juste de répondre à l’attente des joueurs avec des jeux de qualité, c’est tout.

Bliss : La Wii semble poser un problème de positionnement à pas mal d’éditeurs, comme EA avec Dead Space : Extraction, qui découvrent que les jeux dits matures ne s’y vendent pas et forcent à développer des jeux casuals spécialement dédiés aux consoles Nintendo. Blockbusters sur consoles high-tech, jeux casuals sur consoles Nintendo, social gaming en ligne…, EA peut tout piloter en parallèle et au même niveau ?

Philippe Sauze : Nous avons toujours eu une stratégie multi plateforme et il faut l’assumer. Maintenant, il faut l’optimiser. On s’est aperçu que lancer trop de produits tue le produit. Nous n’avions pas le temps, comme on dit, « d’engineer » le produit, de le « fabriquer ». On a raté le démarrage Wii au début, mais nous y sommes revenus en mai 2009 avec trois produits forts, Grand Chelem Tennis, Harry Potter et EA Sports Active. Et nous avons vu que nous étions capables de prendre des parts de marché. Cela étant dit, sur la Nintendo nous n’aurons jamais les mêmes parts de marché que sur PlayStation ou sur Xbox. Parce que la politique de Nintendo c’est d’abord de développer ses propres productions. Ce qui est normal. Si vous analysez son historique, souvenez-vous du nombre de journalistes et de distributeurs qui donnaient Nintendo pour mort depuis la Nintendo 64. Nintendo ne mourra jamais parce qu’ils s’auto suffisent. Ils ont les consoles qu’il faut, avec les jeux qu’il faut. Nintendo n’avait pas une politique d’éditeurs tiers avant la DS et la Wii comme Sony en avait développée une avec la PlayStation depuis 1995. Ce n’est effectivement pas simple de rentrer sur ce marché Nintendo très orienté Nintendo.

Bliss : Vous avez été président du SELL et vous avez travaillé à l’élaboration de la norme PEGI (classification des jeux par âges recommandés). Que pensez-vous de la critique déplacée de Nadine Morano à propos de l’utilité du PEGI et de la réaction bouillante de Jean-Claude Larue, le porte-parole des éditeurs ?

Philippe Sauze : Pendant mes trois années de présidence du SELL je peux dire que les politiques n’ont jamais véritablement reconnu le jeu vidéo comme quelque chose d’important. Il a fallu œuvrer avec les membres du conseil d’administration et Jean-Claude Larue pour faire reconnaître le monde du jeu vidéo. À partir de là, le jeu vidéo a toujours voulu être volontaire et prendre ses responsabilités. C’est quelque chose que j’ai senti dès 1995 quand j’ai rejoint cette industrie. Il y a plusieurs volontés dans le jeu vidéo. D’abord celle d’installer ce marché qui, quand même, vient de loin. Et pèse aujourd’hui en France près de 2,7 milliards d’euro, deuxième marché derrière le livre ! Ce marché là se doit d’être régulé. Et le jeu vidéo a tout de suite identifié que nous aurions un moyen d’être connu et reconnu vis à vis des pouvoirs publics avec l’installation d’un système de contrôle, d’auto contrôle qui s’appelle PEGI. Et au niveau européen nous avons eu la chance de pouvoir, ensemble, mettre en place ce système d’information aux joueurs et aux parents. La problématique c’est qu’on a installé PEGI au niveau européen, mais qu’au niveau local, national, les politiques, qui sont très loin du jeu vidéo, qui ne connaissent les jeux vidéo que par les faits divers, tirent des boulets rouges sur cette activité qui leur pose problème. Sauf que, derrière, le marché du jeu vidéo est organisé. Et ils découvrent aujourd’hui PEGI. Alors, comme dans tous les domaines, chaque gouvernement voudrait revendiquer une petite partie de chaque mesure qui est prise. Et après c’est au tour de chaque ministre qui passe… « PEGI, pas PEGI, ah mais il nous faudrait quelque chose en plus en France »… Le système d’autocontrôle PEGI a été décidé avec la conseillère européenne Viviane Reding. À partir de là, PEGI a une légitimité européenne et, de fait, une légitimité nationale. On s’est mis tous d’accord au niveau des pays européens ! Donc Nadine Morano… En plus, je ne voudrais pas faire de polémique mais franchement on a vu une photo de Nadine Morano chez elle dans un média où ses enfants jouaient avec un jeu dont nous connaissons le nom (GTA IV, ndr) qui est un jeu + 18 ans… Jean-Claude Larue a réagi de façon violente mais, sincèrement, sa réaction a été saine parce que ça fait des années que cela dure. Encore une fois. La norme PEGI est européenne, a été validée par Bruxelles. Il n’y a pas beaucoup de systèmes européens qui fonctionnent, celui-ci fonctionne sur toute l’Europe.

Bliss : Comment se présentent les rapports avec le nouveau ministre de la culture ?

Philippe Sauze : Jean-Claude Larue et Georges Fornay (PDG de Sony Computer Entertainment France et actuel président du SELL, ndr) ont rencontré Frédéric Mitterrand. Ça se présente bien mais, comme à chaque fois, il faut qu’on réexplique notre histoire.

INTERVIEW Philippe Sauze 1/2 : « On n’a pas su faire ce qu’Ubisoft a très bien fait avec Assassin’s Creed 1. »

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière

(Publié le 5 février 2010 sur Electron Libre)

 


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Jeux vidéo toujours interdits de location, l’occasion fait le larron

Alors que la location de jeux vidéo reste interdite en France, le marché parallèle de l’occasion se développe toujours plus avec l’arrivée de la Fnac. Une solution satisfaisante ni pour les consommateurs ni pour les éditeurs. Et pourtant, quand on demande au porte-parole des éditeurs de jeu vidéo pourquoi cela n’est pas possible, il affirme : « Ce ne serait pas significatif, nous avons décidé en France de ne pas le faire ».

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Aujourd’hui 25 septembre, la Fnac se lance officiellement dans le marché du jeu vidéo d’occasion. En place depuis quelques mois à titre expérimental notamment à la Fnac St Lazare, la formule « Okaz Gaming » fonctionne désormais dans tous les magasins de l’enseigne. Il suffit de se présenter au rayon jeux vidéo avec ses jeux pour se voir proposer un prix qui sera valable uniquement en avoir, mais pour n’importe quel type de produit vendu à la Fnac. L’enseigne propose à ses clients intéressés une carte individuelle « Fnac Gaming » qui évite de décliner son identité à chaque transaction et qui offre quelques avantages à son lancement. Il n’est pas indispensable d’être adhérent pour l’obtenir. Tout en reconnaissant que le marché de l’occasion est en plein essor sans en donner les raisons (tarifs prohibés, crise économique ?), le directeur de la Fnac Fabien Sfez révèle ainsi qu’un « joueur » achèterait « environ 8 jeux par an dont 5 d’occasion ». La Fnac rejoint ainsi les enseignes spécialisées du jeu vidéo comme Game ou Micromania habituées de longue date à la reprise de jeux vidéo.

La mise en place à grande échelle de ce marché du jeu vidéo d’occasion a de quoi surprendre, non pas du côté des consommateurs, dont l’avantage, si l’on veut faire abstraction des tarifs ridicules de reprise par rapport au prix d’achat, se comprend aisément, mais du côté des éditeurs qui ne touchent pas un centime, à ce que l’on sache, sur ces transactions. Ce florissant et chaque jour plus officiel marché du jeu d’occasion en France reste un pis aller pour les gamers de grande consommation. Encore une fois, les tarifs de reprises face au prix de vente élevé, la baisse rapide du prix initial neuf de certains jeux quelques mois seulement après leur sortie, bref la cotation en temps réel de ce marché que gère à l’instinct, ou à la tête du client, les petits magasins spécialisés, et par un système informatique centralisé les grandes enseignes comme désormais la Fnac, relève plus de l’exploitation que d’un service. Une solution alternative à ce marché presque noir existe pourtant : la location de jeux vidéo. Plus digne, plus rentable pour les éditeurs, plus raisonnable pour les gamers ou les familles de joueurs moins avertis, la location de jeux vidéo fonctionne officiellement depuis des années aux États-Unis et même, pas très loin, en Grande-Bretagne. En France, la location de jeux vidéo ne se pratique pas parce qu’elle serait « interdite ». Comprendre, sans doute, que contrairement aux éditeurs de vidéo et de musique, les éditeurs de jeux vidéo s’entendent pour ne pas autoriser la location de leurs produits.

Le porte-parole bien connu du SELL français (Syndicat des éditeurs de Logiciels de Loisirs) Jean-Claude Larue a fait une petite sortie médiatique à la veille du Festival du jeu Vidéo de Paris que le SELL, et donc les éditeurs, parrainent pour la première fois. Lors d’un long entretien paru ici, nous lui avions posé une ou deux questions supplémentaires, dont une concernant cette impossibilité de louer des jeux vidéo en France. Voici sa – évidemment peu satisfaisante – réponse…

Bliss : Historiquement, le marché de l’occasion empiète sur les ventes de jeux neufs. Les éditeurs s’en plaignent régulièrement. Une solution serait d’autoriser la location de jeux vidéo sur le modèle des USA par exemple. Pourquoi n’est-ce toujours pas possible en France ?

Jean-Claude Larue, délégué général du SELL : Parce qu’on ne veut pas. Il existe un marché du neuf et un important marché de l’occasion en France. Il est donc possible d’acheter un jeu à sa sortie, puis quelques semaines plus tard d’occasion, puis quand il vient ensuite dans des offres à tarifs réduits. La location représente des chiffres relativement modestes et qui sont souvent facteur de piraterie. On estime que ce ne serait pas significatif. Donc, nous avons décidé, en France, de ne pas le faire.

François Bliss de la Boissière

(Entretien complet paru sur Electron Libre)

 


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Jean-Claude Larue / « Au nom des éditeurs de jeux vidéo, je vous dis que l’année ne sera pas mauvaise »

Le Délégué général et porte-parole toujours truculent du SELL, le Syndicat des éditeurs de Logiciels de Loisirs, a un message à faire passer avant d’entrainer ados et parents au Festival du Jeu Vidéo de la Porte de Versailles ce week-end : Tout va bien, le fléchissement du marché du jeu vidéo au premier semestre a d’autres symptômes que la « crise ». Avec la baisse récente du prix de vente des consoles high-tech, ce Noël devrait battre des records. Dans le jeu vidéo, la crise économique se chasserait donc d’un coup de manette magique.Jean-Claude Larue

Bliss : Hadopi 2 vient à l’instant d’être votée. Quelle est la position des éditeurs de jeux vidéo ?

Jean-Claude Larue : Vous savez aujourd’hui je suis en colère. En France on préfère faire des discours que de faire de la lutte. Nous, nous, faisons de la lutte anti piraterie. J’ai des agents assermentés, d’anciens gendarmes assermentés pour intervenir sur la piraterie « classique ». De nouvelles façons de faire de la piraterie sont intervenues dans le domaine des consoles. J’ai écrit il y a trois mois au ministère de la culture qui donne les assermentations, et je n’ai pas reçu de réponse. J’ai écrit au ministre, et je n’ai pas reçu de réponse. Alors je constate qu’on préfère faire des discours à l’Assemblée Nationale plutôt que de s’occuper de la piraterie sur le terrain. Le piratage de cartouches de jeux falsifiés s’est peut-être moins populaire que le piratage par Internet mais c’est notre réalité à nous !

Bliss : Le SELL et GFK fournissent toutes les semaines un hit parade des jeux et des consoles mais aucun chiffre de vente exact n’est jamais donné en France contrairement à d’autres pays. Cela manque, alors pourquoi ?

Jean-Claude Larue : Les chiffres se paient très cher. Le contrat entre le SELL et GFK coûtent déjà près d’un million d’euros par an. Et ces données appartiennent au secret des affaires. C’est pas rien d’avoir 2000 magasins visités régulièrement chaque semaine et d’avoir les ventes à l’unité près fournies par un grand institut international comme GFK que personne ne conteste. C’est beaucoup d’argent. On n’a pas à donner ça aux gens qui ne veulent pas payer. Quand vous regardez le top des livres on ne vous dit pas non plus le nombre d’exemplaires vendus. Toutes les semaines nous publions sur le site du SELL les 5 premiers jeux PC et consoles, dans l’ordre. On ne met simplement pas les quantités. Nous donnons en général les chiffres deux fois par an. À l’IDEF, notre salon professionnel à Cannes du mois de juin, et vers la fin de l’année.

Bliss : La crise a fini par rattraper officiellement l’industrie du jeu vidéo comme le dit, entre autres, un communiqué du SNJV (Syndicat National du Jeu Vidéo), avec une baisse nette des ventes consoles et jeux. Comment résiste la France par rapport au reste du monde ?

Jean-Claude Larue : Le SNJV représente les studios de développement de jeux vidéo. Pour nous, les éditeurs, ce n’est pas la crise. L’année dernière nous avons atteint le chiffre d’affaires historique de 3,2 milliards d’euros. Trois ou quatre ans en arrière nous faisions 1 milliard et demi. Le début d’année a été difficile pour deux raisons. Il n’y a pas eu des sorties de jeux aussi importantes que l’année dernière à la même période et nos consoles de nouvelles génération n’étaient pas au bon prix. Avec la baisse récente de la Xbox 360 Elite à 249 € et la PS3 à 299 € le bon prix est cette fois en place. Les ventes ont été multipliées par dix en une semaine en France, ont explosé au Japon et aux États-Unis. Le PDG d’Ubisoft Yves Guillemot, LA success story française, qui n’est pas un analyste extérieur à l’industrie, a dit qu’il allait revoir à la hausse ses résultats. Et moi qui vous parle au nom des éditeurs je vous dis qu’avec ce qu’on voit, l’année ne sera pas mauvaise. On va montrer pendant le Festival du jeu vidéo de ce week-end à la Porte de Versailles, que nous soutenons pour la première fois, un line up de jeux extraordinaires pour la fin de l’année. Nous allons faire une année autour de 3 milliards. C’est à dire la deuxième année historique ! Alors effectivement certains studios de jeux vidéo ont des difficultés… C’est toujours la même histoire… À sa sortie, la DS a fait un tel carton que tout le monde s’est précipité « on va faire de la DS on va faire de la DS ». Résultat : pléthore de jeux de style carnets intimes, maquillages, chevaux, poney etc. Vous savez combien il y avait de jeux de chevaux à Noël ? 13 ! Et il s’en est vendu… un et demi seulement… Et maintenant le nouvel Eldorado serait l’iPhone ? Nous verrons.

Bliss :  Le SELL est-il en contact avec Apple devenu soudainement et tardivement éditeur de jeux avec son iPhone ? Leur modèle de prix est justement en train d’exploser les habitudes du marché…

Jean-Claude Larue : Vous savez Apple joue toujours tout seul. Vous avez vu récemment les difficultés rencontrées par les responsables d’Apple en France en attente désespérée d’une réponse du siège central à Cupertino quand la société a été accusé pour les problèmes d’écrans d’iPhone. Tout ça est extrêmement centralisé. Quant aux prix, 80 % de ce qui est sur Apple est gratuit.

Bliss : Après les salons éphémères de jeux vidéo des années 90 à Paris, que représente aujourd’hui ce Festival du jeu Vidéo ?

Jean-Claude Larue :Aujourd’hui en France nous avons 20 millions de clients ! 90 % des familles avec enfants ont un système de jeux vidéo à la maison. Sans beaucoup de moyens, la société Games Fed avait commencé courageusement à organiser son salon à Montreuil les premières années. Nous avons pensé que c’était le bon moment pour démarrer un partenariat et donner les moyens à ce Festival de se développer. Nos amis allemands nous ont montré la voie en faisant venir 250 000 personnes à Cologne au mois d’août pour leur Games Convention. Il ne serait pas invraisemblable d’avoir 100 à 150 000 personnes à Paris. Je vais depuis 20 ans au salon de l’auto, ma fille de 16 ans ira au salon du jeu vidéo dans 20 ans. On va voir si on arrive à faire 60, 70 000 personnes ce week-end.

Bliss : Entre les grands jeux internationaux présentés au public sur le salon et les jeux franco-français et presque confidentiels concourants pour un Milthon awards le contraste est énorme. Comment expliquer ça ?

Jean-Claude Larue : Vous êtes en face du problème des communiqués du SNJV évoqués tout à l’heure. Je n’ai jamais été très favorable aux prix et aux récompenses. Le jeu vidéo est toujours à l’avant-garde et doit inventer des choses. C’est ça qui fait la force de notre industrie. Si on m’avait dit il y a 3 ans que j’irais cet été dans une maison pour personnes âgés pour y voir des personnes à mobilité réduite jouer à la Wii, honnêtement, je ne l’aurais pas cru. Si on m’avait dit il y a 3 ans qu’on ferait un tel chiffre d’affaires avec Guitar Hero et si je ne voyais pas à la maison ma fille de 16 ans jouer à Guitar Hero avec des copines, je ne l’aurais pas cru. Si on m’avait dit qu’il y aurait des gens de mon âge qui iraient faire de « l’Entrainement Cérébral » ou apprendre l’anglais sur DS je ne l’aurais pas cru non plus. Donc notre industrie s’appuie sur deux choses : du silicium et des écrans d’un côté, et de la créativité de l’autre. Il faudra remettre des récompenses le jour où la France sera capable aussi d’innover à cette échelle. Les grands jeux ne vont pas aux Milthon, les petits y vont, ça leur sert d’embryon de notoriété, et ça ne fait de mal à personne.

Bliss :  La vente dématérialisée de jeux importants comme les nouveaux chapitres de GTA IV ne semblent pas rencontrer le succès aussi vite que prévu. Pourquoi ?

Jean-Claude Larue : Quand une nouvelle voie se présente il y a toujours quelqu’un pour dire : « non non la diligence sera toujours plus rapide que la voiture ». Dans la musique ce sont les gens qui disent « Internet connerie, jamais, on aura toujours un support physique pour mettre dans sa bibliothèque ». Vous avez aujourd’hui monsieur Serge Eyrolles président du syndicat du livre qui dit « Google est notre ennemi »… C’est ce que j’appelle la marine à voile. Ce n’est pas très intéressant parce que, un jour, ça coulera. Par contre quand l’aviation arrive, il ne faut pas se tromper. Là, vous l’avez bien vu, on se dirige de plus en plus vers l’Internet. Nous avons de plus en plus de jeux multi-joueurs, de prolongements en ligne. Alors, oui, on y va, mais tout saborder d’un seul coup en se disant « je coule la marine à voile pour tout mettre dans les avions à réaction », ce n’est pas très malin. Il n’y a plus aujourd’hui une seule de nos plateformes qui n’ait pas de prolongement Internet comme presque tous nos jeux. Mais nous ne voulons pas tuer le modèle sur lequel nous sommes assis. Certains se battent contre le nouveau modèle. C’est la discussion à l’Assemblée Nationale aujourd’hui. Hadopi toute ! Hadopi 12 ! Vous allez voir ce que vous allez voir, la musique va remonter ! Très bien c’est formidable mais je n’y crois pas une seconde. Nous avons des magasins, spécialisés qui représentent 55-60 % des ventes. Nous vendons encore du jeu dans un emballage physique. Donc le jeu vidéo se dirige vers la dématérialisation, sans résistance, mais sans précipiter le mouvement.

Bliss : Malgré les discours des uns et des autres, les magasins continuent de mettre en démonstration des jeux interdits aux moins de 18 ans et continuent d’en vendre aux mineurs avec ou sans parents présents. Un laxisme qui entretient la mauvaise réputation du jeu vidéo. Quelles actions entreprendre ?

Jean-Claude Larue : Je suis entièrement d’accord avec vous. Nous sommes en train de travailler sur une charte éthique de la distribution. Nous avons eu déjà trois réunions et j’ai été surpris de voir l’accueil très positif de la distribution. Je pense aux chaines de magasins Micromania, Game, mais aussi Auchan. L’hyper marché reste encore une difficulté. Autant le vendeur spécialisé de Micromania et Game peut avoir le client en face, autant il est évident que la caissière de Carrefour ne peut pas faire attention. J’espère signer cette charte avec la distribution avant la fin de l’année et que vous m’interviewerez à ce sujet.

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière

(Publié le 17 septembre 2009 sur Electron Libre)

 


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David Cage : Gaulois, à ses risques et périls (entretien fleuve 2/3)

À la tête d’un des rares studios de jeu vidéo français résistant à la crise du milieu, David Cage parle franc comme un irréductible faisant front aux invasions barbares du jeu vidéo. Et la politique dans tout ça ?

DavidCage © bliss 05

Bliss : Que pensez-vous de l’action de l’APOM (Association des Producteurs d’œuvres Multimédia) auprès du gouvernement, ou des autres associations représentatives ? Êtes-vous impliqué ?

David Cage : Auparavant, historiquement, les développeurs de jeu n’étaient pas représentés. Le Sell (Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs) qui existe depuis longtemps est très actif, notamment à travers son Délégué Général Jean-Claude Larue, mais il n’y avait rien pour les développeurs. Il y a un ou deux ans, j’ai ressenti une vive inquiétude en voyant les développeurs français « mourir » les uns après les autres dans l’indifférence générale et en voyant de plus en plus d’éditeurs partir à l’étranger, délocaliser, et ne plus donner de travail aux développeurs en France. J’ai fait une lettre ouverte au gouvernement en expliquant : « Je suis un acteur de l’industrie française, voilà ce qui s’y passe, si on ne fait rien elle va intégralement disparaître. Ce serait dommage parce que c’est une industrie stratégique à la frontière de la technologie et de la culture. On fait partie des rares produits culturels capables de s’exporter et de se vendre à l’étranger, aux américains. On a des gens qui ont beaucoup de talent, qui sont très bien formés, on a d’excellentes écoles ici, un réservoir de ressources humaines inépuisable et de très grande qualité. Donc ne laissons pas les choses se dégrader et disparaître parce que cela prendra beaucoup de temps jusqu’à que l’on puisse recréer un tissu industriel équivalent. »
Cette lettre ouverte a soulevé beaucoup d’intérêt dans notre industrie. Une espèce de mouvement spontané s’est créé qui a donné lieu aux états généraux du jeu vidéo. Cette fois les gens de l’industrie française se sont concertés tous ensemble sur un texte : développeurs, l’APOM, des auteurs, tous les créatifs qui constituent ce métier.

Bliss : Sans les éditeurs ?

David Cage : Sans eux, oui. Ce texte destiné au gouvernement a été signé par plus de 5000 personnes, via une pétition sur le net. C’est à ce jour le texte qui a le plus été soutenu par l’industrie et puis… il a été un petit peu enterré, malheureusement, pour des raisons purement politiciennes, parce que ce mouvement n’était pas vraiment contrôlé, il ne se voulait pas contrôlé, il n’y avait pas de président. Je ne voulais pas en prendre la tête même si j’avais été à l’origine de l’initiative. Je voulais garder ce mouvement aussi populaire que possible. Donc ça a été joyeusement enterré, et quand je regarde le rapport Fries (étude cartographiant le désastre du milieu du jeu vidéo français rendu fin 2003 au Ministère de l’économie et des finances par Fabrice Fries, Conseiller référendaire à la Cour des Comptes, ndlr) qui ne fait rien d’autre que le même constat deux ans plus tard pour proposer les mêmes solutions, je suis très content et aussi un peu frustré qu’il ait fallu deux ans pour revenir à ce que je disais. Ça fait partie des petites choses qui m’agacent.

Bliss : Comment vous situez-vous alors aujourd’hui dans la communauté des développeurs français ?

David Cage : Je suis redevenu membre de l’APOM après l’avoir quittée pour manifester mon désaccord sur son mode de fonctionnement. Je n’étais pas satisfait des conditions de concertation, de démocratie, de respect des statuts au sein de cette association. Il n’y avait strictement aucune concertation, zéro. Donc à partir de ce moment là ça ne m’intéressait pas de servir de caution morale. Ma position était publique. Je suis aujourd’hui membre du Conseil de l’APOM et j’essaie avec d’autres de faire avancer les choses.

Bliss : La crise de la scène française du jeu vidéo provoque une compétition ou au contraire de la solidarité entre les développeurs ?

David Cage : C’est un milieu très atypique par rapport à d’autres industries. Nous ne sommes pas réellement en compétition les uns avec les autres. On essaie de réfléchir ensemble plutôt que de se tirer dans les pattes. Il n’y a pas de compétitions parce qu’aujourd’hui quand moi je fais Fahrenheit, personne d’autre en France ne peut le faire. Mais en même temps quand un développeur français fait Top Spin (simulation de tennis sur Xbox réalisée par PAM, ndlr), personne d’autre en France ne peut le faire. Par contre c’est un métier où, paradoxalement, il n’y a aucune solidarité. On est tous copain on se connaît tous, on sympathise tous, mais quand il s’agit de faire des choses vraiment ensemble, partager des ressources, il n’y a presque plus personne. C’est encore pire lorsqu’il s’agit de réfléchir ensemble à l’avenir de ce métier. On a l’impression que chacun défend pour le coup des intérêts un peu partisan et voit midi à sa porte. C’est une situation qui est d’autant plus stupide que cette industrie aurait vraiment besoin de ça. Il y a tout de même quelques initiatives intéressantes comme celle de SPL (Capital Games : Système Productif Local) menée par Frédéric Weil qui regroupe les entreprises du secteur des jeux vidéo parisiens et les encourage à l’entraide avec partage de ressources, organisation de salons… Des initiatives qui vont dans le bon sens.

Bliss : Vous évoquez la délocalisation… Que pensez-vous du développement de la communauté franco-canadienne chez les éditeurs Electronic Arts et UbiSoft ?

David Cage : Ce qui se passe est un drame total pour la France. Encore une, fois je dénonçais la fuite des cerveaux il y a deux ans, et à l’époque personne n’y voyait un problème. J’allais régulièrement parler à des éditeurs aux États-Unis où j’avais souvent à faire à des français ! Je leur demandais ce qu’ils faisaient là ? « On est mieux payés, c’est plus intéressant. On est partis ». Et je voyais des gens qui avaient des profils extrêmement intéressants, des gens de valeur qui étaient en train d’apporter leur savoir faire aux américains. Ou aux anglais. Et c’était dans tous les secteurs ! J’ai vu ça chez des designers, des infographistes, des programmeurs, chez les gens du marketing, du business, à tous les niveaux. Tous ces gens qui travaillent pour Electronic Arts, pour les plus grands éditeurs du jeu vidéo, sont partis. Ubi Soft est en train de délocaliser concrètement toute sa prod à Montréal (l’éditeur français vient de recruter 500 personnes pour ses studios internationaux en excluant publiquement de recruter en France, ndlr). Ils sont présents à Shanghai, au Maroc, à Montréal, partout. Le PDG d’Ubi Soft Yves Guillemot l’a dit à plusieurs reprises : il n’est pas possible de travailler en France, c’est trop compliqué et trop cher. Et donc que fait-il ? Il va faire travailler des canadiens, des américains, des chinois, il va expatrier des français pour aller faire ça ailleurs, dans des endroits où il y a un tissu économique et industriel un peu plus intéressant qu’aujourd’hui en France.

Bliss : Est-ce si grave ? On sent bien une qualité française dans les Prince of Persia et Splinter Cell justement faits au Canada…

David Cage : Bien sûr que c’est grave. À Montréal ils font travailler des canadiens. La logique est d’envoyer 4-5 mecs d’Ubisoft France pour chapeauter 200 canadiens à Montréal. C’est ça la logique et c’est ça qui se passe. Et c’est pareil en Chine. Et l’expertise est aussi en train de se barrer puisque quand vous allez faire travailler des chinois, vous leur apprenez comment on travaille ici. Mais le plus grave est que pendant ce temps là les développeurs ferment leurs studios en France. Il faut savoir qu’il y a très peu de développeurs français qui travaillent pour des éditeurs français. Et surtout il y a tout un savoir-faire et un tissu économique qui sont en train de se barrer. Quand on voit qu’Electronic Arts ouvre du jour au lendemain un studio de 600 personnes à Montréal alors que pendant longtemps ils étaient 20, c’est hallucinant ! Je milite depuis longtemps pour qu’on prenne conscience de cette situation en France.

Bliss : Profitez-vous des nouvelles mesures d’aide gouvernementales ?

David Cage : Il y a aujourd’hui un décalage entre les annonces et les faits. Quand on lit les journaux, quand on parle à des étrangers, ils nous disent : « c’est incroyable, en France vous recevez de l’argent tous les jours de la part du gouvernement ! Vous êtes quasiment subventionnés  » ! Alors on explique que « c’est vrai il y a eu des annonces, mais non, sur le terrain on n’a pas eu grand chose ». On a vu le FAEM (Fonds d’Aide à l’Édition Multimédia), mais il existe depuis des années. On en avait bénéficié bien avant les annonces qui ont été faites. Il n’y a rien de vraiment concret (au titre de « fonds d’aide à la production », une enveloppe de 30M€ d’euros pilotée par l’APOM a été promise par la Ministre Déléguée à l’Industrie Nicole Fontaine fin 2003, ndlr). Parmi les « grandes annonces » il y a la création d’une grande école pour former des ingénieurs du jeu vidéo (Ecole Nationale Supérieure des Médias Interactifs à Angoulême). On est très contents, sauf qu’il existe déjà l’école Supinfogame (à Valenciennes) et qu’on ne voit pas comment cette industrie a les moyens d’absorber les gens qu’on va former alors que les entreprises coulent. On est en train d’investir dans la formation de gens qui vont partir à l’étranger parce qu’ils ne vont pas trouver de travail en France. Ça ne me semblait pas la mesure prioritaire.

David Cage entretien fleuve..1ère partie

David Cage entretien fleuve… 3e partie

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière

(juin 2004 destiné au mensuel mort né GameSelect)

 


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