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JUMP ! JUMP ! JUMP ! Les jeux de plateforme réinventés

Morts avec l’arrivée de la 3D et enterrés par la réussite inimitable de Mario 64, les jeux de plate-forme qui ont fait les belles années 80 et 90 interactives font un véritable comeback. D’abord discrètement infiltrés dans des jeux d’action (Assassin’s Creed) puis – encouragés par des revival 2D et revisités par des artistes (Little Big Planet) – ouvertement et transfigurés comme le prouve et l’assume le vertigineux Mirror’s Edge.

MirrorsEdge

Dans un jargon complètement ésotérique pour les non pratiquants, le jeu vidéo s’est doté naturellement de genres, de catégories interactives au fil des inventions techno ludiques. Le cinéma a ses westerns, péplums, comédies musicales. Le jeu vidéo a ses RPG (jeux de rôles), ses beat’em up and all (duels sur ring et castagnes de rue) et plus récemment, ses FPS (First Person Shooter) et MMO (Massivement Multijoueur Online). Quand le jeune Shigeru Miyamoto invente en 1982 le petit plombier sauveur de princesse sautant de planches en planches sur un périlleux échafaudage dans Donkey Kong, le principe interactif impose son évidence ludique et fait des petits. Au sein d’une 2D pourtant contraignante, le jeu alors baptisé de « plate-forme », où des personnages de pixels colorés découvrent brusquement en sautillant le haut et le bas signe l’âge d’or des consoles 8 bits (Master System de Sega et Famicom de Nintendo) et 16 bits (Megadrive et SuperFamicom). Quel que soit le Panthéon de chacun, vécu ou redécouvert plus tard, les chef d’œuvres d’époque, pour leur précision ou leur ambiance, leur structure ou leur densité, se sont nommés Super Mario Bros et World, Sonic, Quackshot, Mickey Castle of Illusion, Aladdin, Addams Family, Kid Chameleon, Cool Spot, James Pond, Mister Nutz, Donkey Kong Country, Tiny Toon Adventures, Yoshi’s Island… En se cherchant une veine moins enfantine, plus d’atmosphère, le jeu de plate-forme réussit même à s’épaissir en intégrant mystère et scénario avec les (Super) Metroids, Prince of Persia, Castlevania, Strider, Earthworm Jim, Flashback, BlackThorn…

L’électrochoc Mario 64

Prospère pendant 30 ans au cinéma, le western ne survécut pas à la descente réaliste et à la déconstruction du mythe cowboy du western spaghetti des années 70. À lui tout seul Mario 64 provoqua en 1996 le même choc dans le genre « jeu de plate-forme » alors dominant sur consoles. La remise en question radicale de l’espace provoqué par la 3D ne s’accommodait plus d’un simple parcours d’obstacles placés devant le joueur. Tout à coup, comme le château de Mario 64 le démontrait dès l’ouverture du jeu, il fallait aussi habiter l’espace, le construire, et donc, déjà, le scénariser. A quelques exceptions près, notamment Banjo-Kazooie qui fut le seul jeu capable d’émuler et approcher la qualité du suprême Mario 64, le jeu de plate-forme dans sa forme pure s’éteignit naturellement. Ultimes sursauts avant abandon quasi total, les nouvelles consoles 3D d’alors tentèrent leur chance avec des jeux de plate-forme 3D bâtards. Ainsi vinrent et disparurent trop vite le créatif Bug! sur Saturn, le transfuge bancal Sonic Adventure sur Dreamcast, et le très novateur Jumping Flash sur PlayStation. Seule réussite intermédiaire mixant visuels 3D et touché 2D sur PlayStation, Crash Bandicoot devint le dernier grand représentant à succès du genre pendant que le satirique Conker’s Bad Fur Day signait intellectuellement la mort du jeu de plate-forme sous sa forme candide originelle. Approchant l’âge adulte au milieu des années 90, le jeu vidéo se reconnut alors dans la réinvention dissimulée du jeu de plate-forme que fut le premier Tomb Raider. Héritières de la lignée atmosphérique Metroid, Castlevania, Flashback, les acrobaties de Lara Croft indiquèrent une nouvelle voie où, bien que centraux, les principes du jeu de plate-forme s’intégraient dans un mix d’action, d’aventure et de tirs. Le qualificatif jeu de plate-forme finit par disparaître lui aussi des catalogues. Et des esprits puisque les brillants joyaux que furent Mario Sunshine sur GameCube et Jak and Daxter sur PlayStation 2 ne purent totalement assumer leur statut de jeu de plate-forme : l’un en s’équipant d’un pistolet à eau, l’autre, d’un arsenal explosif dès son 2e épisode.

Le come back des années 2000

Après des années d’indifférence, le jeu de plate-forme sous toutes ses formes est pourtant en train de faire un grand retour officieux en cette fin de décennie 2000. Le succès de la console portable DS devenu repère de classiques de la 2D, comme la mise à disposition d’anciens jeux en téléchargement sur Xbox Live, PlayStation Store et Console Virtuelle de la Wii ont remis en toute simplicité l’exercice au goût du jour. Un plaisir réaffirmé par les ventes de New Super Mario Bros sur DS en 2006 qui firent, et font encore, rougir les Mario 3D des consoles de salon et prépara le succès sur Wii de la 3D très contrôlée de Mario Galaxy. Le jeu de plate-forme à l’ancienne reprend des couleurs et s’assume presque comme tel sur consoles de salon. Répétant curieusement la séquence 1996-98 de la Nintendo 64 où Banjo-Kazooie avait succédé à Mario 64, fin 2008 un tout nouveau Banjo-Kazooie (Nuts and Bolts sur Xbox 360) semble encore une fois vouloir relever le défi d’un Mario (Galaxy)
Sur PlayStation 3, le très médiatisé Little Big Planet s’appuie sur un gameplay 2D classique de jeu de plate-forme pour imaginer un jeu 3D malléable et créatif. Il confirme après le récent LocoRoco sur PlayStation Portable et le prochain Pixel Junk : Eden sur PlayStation 3 une récupération artistique inattendue du jeu de plate-forme où se mélangent sans tabou gameplay rétro classique et expérimentations visuelles et sonores.
Mais si les enjeux artistiques et techniques sont à peu près identifiables dans cette cour de récrée colorée, c’est plutôt du côté des jeux pour (jeunes) adultes qu’il faut pister un jeu de plate-forme transfiguré et non déclaré. Le succès planétaire anachronique 2D de Rayman en 1995, et entretenu depuis, encra sans doute dans l’ADN de son éditeur Ubisoft la notion que les principes du jeu de plate-forme pouvaient avoir du succès. Pendant que la série Tomb Raider s’enfonçait dans les abysses, la série Prince of Persia, réussit, elle, à ressusciter en 3D un des fleurons du jeu de plate-forme 2D. En 2007, Ubisoft insiste, entre assassinats et chevauchées libres, les cabrioles d’Assassin’s Creed sur les toits de Jérusalem affirmèrent sans détour les vertus revisitées du gameplay d’équilibriste.

Le grand écart du jeu de plateforme contemporain

Désormais, le concept jeu plate-forme s’assume à tous les niveaux et s’adapte à toutes les situations. Stigmatisant bien la nouvelle cohabitation entre l’approche rétro et contemporaine du genre, Capcom s’apprête à sortir simultanément deux nouvelles versions de son Bionic Commando de 1988. Un Bionic Commando Rearmed en 2D et un Bionic Commando totalement en 3D tous deux pratiqués à la 3e personne. Les excellents Lost Winds et Braid respectivement sur Console virtuelle Wii et Xbox Live rende grâce au gameplay 2D en y ajoutant de nouvelles idées interactives. Cas unique depuis 2002, Metroid Prime fut, après Mario 64, le seul vrai exemple réussi d’un gameplay 2D réinventé en 3D. Après les essais timides non suivis de Turok en 1997, pour la première fois, vue subjective et jeu de plate-forme arrivaient à cohabiter. Un exemple qui ne fera école qu’en cette fin d’année avec le très prometteur Mirror’s Edge où, totalement en vue subjective, une jeune héroïne baptisée Faith, court, saute, bondit de toit en toit tel un Mario féminin lâché dans une mégapole. Elle donnera d’ailleurs des coups de têtes, mais dans celles de ses adversaires. Son rôle ? Messagère, runner porteuse de messages pour la résistance clandestine. Des messages secrets, politiques, dont un désormais public : adultes, réinventés, les jeux de plate-forme sont bel et bien de retour !

François Bliss de la Boissière

(Publié en 2008 dans Amusement #2)

 


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Beyond Good & Evil : made in France

Le souvenir des échecs de la french touch fait encore peur ? Grosse erreur, la qualité à la française existe bel et bien comme le prouve le nouveau projet du créateur à succès de Rayman. Il est donc temps de revendiquer l’héritage multiculturel français.

Beyond Good & Evil

Le créateur de Rayman et auteur de cette belle et nouvelle aventure interactive l’avoue dans une interview (1) : le jeu actuellement disponible en magasin sur PS2 et PC en France (Xbox et GameCube en 2004) pourrait s’appeler Beyond Good & Evil 2 ! Suite à l’échec commercial (mais pas artistique) d’un Ico sur PlayStation 2 qui utilisait la même idée de coopération entre le personnage principal et un acolyte que BG&E, puis la sensation persistante que, malgré leurs succès, des jeux comme Zelda : Ocarina of Time sur N64 ou The Wind Waker sur GameCube ne correspondent plus vraiment aux goûts du grand public, Michel Ancel a pris la décision courageuse, mais peut-être discutable, de modifier son jeu.

BG&E v2

Alors qu’il était quasiment terminé il y a 18 mois, Ancel, en accord avec son éditeur Ubisoft, a donc fait des ajustements assez sévères pour qualifier la mouture actuellement entre nos mains de version 2 du jeu ! Design plus « sérieux » et donc moins cartoon de l’héroïne devenue aussi plus masculine, concentration de l’histoire et des dialogues, allégement des puzzles « freinant » la progression? De la même façon qu’il dénonce le statut d’auteur sur lequel Ubisoft s’est appuyé pour promouvoir BG&E, Michel Ancel – pourtant le seul concepteur de jeu vidéo français ayant connu un vrai succès international et pouvant prétendre à une notoriété – préfère le pragmatisme commercial à l’orgueil de star qu’il pourrait être. Relevons tout de même que la décision forcément coûteuse de remettre son projet sur l’établi pendant un an et demi semblant lui appartenir en propre, Michel Ancel a bien, malgré ses dénégations, un statut d’auteur. Qui d’autre a le final cut dans l’industrie du jeu vidéo ? Un statut d’auteur aux mains libres conforté par un titre un peu obscur à connotation philosophique (2), un scénario assez poussé et, malgré une accessibilité tout public, une ambition socio-politique qui sort du cadre habituel du jeu vidéo.

Ne dites plus « french touch »

Suite aux trop nombreuses faillites de studios français spécialisés dans le jeu vidéo ces dernières années, le qualificatif de french touch est devenu tabou en France comme il était ambigu à l’étranger. Et c’est sans doute une erreur car, comme le montre le jeu de Michel Ancel, la touche française existe bel et bien, parfois pour le pire mais, ici, pour le meilleur. BG&E a en effet les qualités et les défauts bien connus des jeux vidéo français mais penche du bon côté de la balance : scénario à la fois original et hérité de la BD franco-belge (il y a du Tintin dans le personnage de Jade la photo reporter héroïne du jeu), lucidité politique s’exprimant via un mélange d’idéalisme naïf et de fatalisme réaliste, gameplay ambitieux limité par les moyens techniques si ce n’est financiers. Une réalisation forcément artisanale par rapport aux grosses productions japonaises comme l’est le cinéma français par rapport au cinéma américain. Rien de déshonorant, bien au contraire.

Culture made in France involontaire

Qu’ils le veuillent ou non, les créateurs de jeu vidéo français laissent toujours passer un peu de la culture française : littérature, peinture, cinéma, même quand elle se mâtine de culture manga ou comics. Et, même si les décideurs outre-atlantique froncent les sourcils, ils ne devraient pas en avoir honte car, comme le prouve la précédente réussite de Rayman et aujourd’hui le bel essai de Beyond Good & Evil, la sauce française finira bien par prendre un jour ou l’autre, peut-être même durablement. Michel Ancel le répète à son tour : « Le cinéma s’est inspiré de la photographie, les photographes des peintres, chaque nouveau médium s’intéresse forcément aux précédents. » Sans aller jusqu’à être gaulois, les créateurs français de jeux vidéo ne devraient avoir à dissimuler leur origine derrière des artifices en provenance d’autres continents. A chacun sa singularité. Car, de toutes façons, autant pour ne pas se plier au dictat habituel des gratte-ciel futuristes que pour des raisons techniques (le jeu se joue au format cinémascope et donc affiche une surface d’image réduite pour un effet, au choix, un peu chic ou un peu cheap) Michel Ancel ne peut pas dissimuler la sensibilité européenne qu’exhale l’architecture modeste du monde de la planète Hillys où se déroule l’essentiel de l’aventure.

Tout en un

Un des grands plaisir de Beyond Good & Evil est d’aller à la rencontre des nombreuses idées qui jalonnent le parcours de la jeune aventurière Jade. Même si la plupart des principes de jeu ont été déjà plus ou moins vus ailleurs, il faut apprécier une vraie volonté de faire la différence et de chercher la cohérence comme, par exemple, l’idée simple qui consiste à devoir photographier une carte affichée sur un panneau pour en garder une trace ensuite. Le rythme des séquences est assez bref et donne l’occasion au joueur d’enchaîner de nombreuses activités avant d’avoir le temps de s’en lasser : exploration, bagarres et esquives avec un bâton dit de « dai-jo », shoot’em up, courses de vitesse, infiltration, collecte d’items et de valeurs numéraires, coopération partielle avec partenaire virtuel, mini-games, Boss. Si sur PlayStation 2 le jeu a parfois des difficultés à s’afficher correctement, on peut en revanche saluer les temps de chargements allégés qui encouragent l’immersion tant convoitée.

Derrière le résultat technique parfois timide à l’écran et des emprunts trop flagrants à quelques autres références du jeu vidéo, Beyond Good & Evil exprime nettement une volonté de se démarquer, d’aller plus loin et de surprendre le joueur. Qu’est-ce donc que la french touch ? S’il s’agit d’ambition et la recherche d’une qualité à la Française, faut-il s’en cacher ? Il est même peut-être temps de s’en féliciter, voire de la revendiquer.

(1) Edge # 131.
(2) Traduction anglaise du « Par-delà le bien et le mal » écrit par le philosophe allemand Friedrich Nietzsche en 1886, et sous-titré : prélude à une philosophie de l’avenir.

Beyond Good & Evil
1 joueur
Disponible sur PlayStation 2 et PC

François Bliss de la Boissière

(Publié en décembre 2003 sur Overgame)

 


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