C’est à deux jeunes Français que l’on doit un très joli nouvel hommage à l’âge d’or des pixels des années 80-90. Non seulement ils revisitent la forêt d’Hyrule en version pixel art mais ils redonnent aussi à jouer en version minimaliste les point’n clicks d’il y a … 20 ans ? Le mélange prend un peu la tête mais surtout bouleverse les sens.
Le choc esthétique fait son effet dès les premiers écrans. Les contours ont beau se présenter sous forme de petits escaliers rudimentaires comme les pixels d’avant-hier, les couleurs tantôt vivifiantes ou retenues, la gestion de la lumière, et l’animation contrôlée aspirent immédiatement le spectateur. À coup sûr celui qui a traversé en personne les années 80 et 90, et, il faut l’espérer, les nouveaux venus qui trouvent là comme dans Fez, Sword & Sworcery, Canabalt et quelques chics autres, une superbe invitation à faire connaissance avec le design visuel d’une époque. Bien entendu, Finding Teddy et ses plus glorieux prédécesseurs utilisent la technologie d’aujourd’hui pour sublimer l’esthétique pixélisée inévitable d’alors. Quand il est réussi comme ici, le résultat dépoussière et redonne vie à ce qui semblait appartenir à une histoire oubliée en dehors des musées-greniers de retro gaming.
Synthèse artistique
Les deux auteurs ont tellement bien absorbé l’époque de référence que leur jeu a une capacité assez étonnante à la synthèse. Avec vraiment très peu d’effets à l’écran, des bruitages et des animations économes, ils arrivent à condenser émotion et narration en quelques images et sons. Il suffit d’un plan et de trois secondes pour saisir les enjeux et accompagner la petite fille dans un autre monde à la recherche de son nounours (un teddy bear en anglais bien sûr). Il suffit d’une descente en lévitation dans un pied de lumière sur un piédestal pour se savoir invité dans la forêt d’un Hyrule de A Link to the Past vu de profil. Il suffit d’une rencontre pour comprendre qu’il faut se méfier des créatures amies ou ennemies de la forêt tant qu’elles sont en noir et blanc. D’ailleurs, visiteuse incongrue dans cette forêt si colorée, la petite fille elle-même est en noir et blanc. Les animaux petits ou grands de la forêt ont des besoins et ne cèdent le passage que lorsqu’on leur apporte ce qui leur manque (à manger, à boire, de l’amitié…). Ou qu’on leur joue de la musique.
Pointer, cliquer, transpirer
Le gameplay fonctionne littéralement comme les jeux d’aventure point’n click d’antan. C’est à dire qu’il faut toucher le décor du doigt en espérant découvrir un élément réactif, associer un personnage ou un élément de décor avec un objet récupéré plus loin. La fillette traverse des écrans fixes vers la droite, la gauche, le bas et le haut et s’arrête à des positions fixes (un double tapotement permet de traverser les écrans en courant). Une mauvaise rencontre peut déclencher une mort immédiate (souvent cruelle) mais le jeu relance la situation exactement au même endroit. Puisqu’il n’y aucune espèce de mode d’emploi ni indication écrite à l’écran, il faut tout deviner et c’est tant mieux. Une mouche et un chat noir, tout à fait inoffensifs, viendront peut à peu aider occasionnellement la petite fille à attraper ici ou là un objet inaccessible.
La musique n’adoucit par les mœurs du point’n click
Le jeu a été réalisé en quatre mois, annoncent sans fanfaronnade les crédits. Un exploit qui explique aussi quelques petites approximations. La besace affichée en cercle façon Secret of Mana autour du personnage offre 6 poches qui ne seront jamais remplies puisque à part un flacon, chaque item utilisé disparaît aussitôt. Le tapotement sur la vitre ne réagit pas toujours au quart de tour quand il s’agit de faire afficher ce fameux cercle ou la partition qui descend du haut de l’écran. Des petites latences agaçantes mais sans conséquences sur le gameplay puisque qu’il n’est évidemment pas du tout question de faire marcher ses réflexes. Volontairement énigmatique, l’alphabet musical ésotérique se révèle surtout très contrariant (autant le savoir tellement il finit par crisper : 26 notes égales 26 lettres réparties sur une portée de 3 lignes). Le dessin pixélisé de certaines lettres est à la fois brouillon et trop similaire (le h et le i, le m et le n). L’identification des lettres est surtout aggravant parce que le jeu attend du joueur de reconnaître des séquences de notes de musique… à l’oreille. Là où les Ocarina of Time et Wind Waker de référence jonglaient entre mémoire visuelle et auditive, Finding Terry impose vraiment de reproduire sans aide visuelle jusqu’à 5 notes de musique. En sachant que les notes jouées par le programme se superposent à la partition musicale et aux notes que le joueur tente de jouer lui-même en tapotant sur les notes vierges de la partition, le résultat est plus souvent confus que serein malgré le joli concept musical.
Le pixel art ne se marchande pas
Alors qu’il est reproché, à tort, aux énigmes du très réussi The Cave du vétéran des jeux d’aventure pointer-cliquer Ron Gilbert (actuellement sur consoles de salon et PC) d’être tirées par les cheveux, ce serait plutôt du côté de Finding Teddy qu’il faudrait tourner ses plaintes. En version très modeste évidemment puisque le jeu se déroule en trois petits chapitres et quelques rébus. Si certaines associations d’objets vont de soi, d’autres imposent le vieux principe des aller-retour à tapoter tout et n’importe quoi à l’écran en espérant déclencher la bonne séquence. Qu’on se rassure, les décors sont épurés et les « clicks » pas si inutiles puisqu’il s’agit aussi de dénicher des lucioles qui débloquent de très jolies illustrations de travail sur le jeu. Mais on l’aura compris, l’essentiel est ailleurs. Quitte à se faire un peu aider (guide en anglais ici Finding Teddy se traverse surtout comme une succession d’émouvants tableaux redonnant de la lumière et des couleurs sur des univers enfouis dans les souvenirs. Le prix vaut largement la chandelle.
François Bliss de la Boissière
Sur iPhone et iPad
Les plus…
- Bouleversant à regarder et entendre
- Le rythme paisible incitant à la contemplation
- Le mélange de nostalgie et de réinvention artistique
Les moins…
- Énigmes à base de reconnaissance sonore quand même sévères
- L’alphabet ésotérique moitié visuel moitié musical un rien trop confus
- Petits flottements dans les commandes sur la vitre
(Publié le 20/02/2013 sur Hitphone.fr)