De Blob a la bonne idée de revenir remasterisé sur consoles PlayStation 4 et Xbox One en novembre 2017 après le PC en début d’année. À sa sortie sur Wii en 2008 j’avais écrit ceci à propos d’un jeu éclaboussant bien avant les autres… N’est-ce pas Splatoon ?
Depuis quand avons-nous ressenti une telle joie de vivre et de faire sur console de salon, y compris sur Wii ? Depuis Mario Galaxy sans doute. Sorti de nulle part, De Blob rejoint le précieux peloton d’élite des jeux Wii indispensables à tous les publics.
Alors que le bruit selon lequel le développement de jeux sur Wii (et DS) ne profite guère aux autres éditeurs que Nintendo, voilà que THQ, grand habitué des licences TV et ciné dispensables, publie un jeu sur Wii d’une qualité à faire rougir Nintendo. Un jeu qu’il va falloir défendre becs et ongles comme le Zack & Wiki de Capcom, ou même le Boom Blox de Steven Spielberg tant il arrive à d’excellents, et trop rares, jeux Wii de passer injustement à côté de son populaire public. De Blob ne pourra d’ailleurs, si ce n’est déjà fait, que réjouir Shigeru Miyamoto, lui qui cherche désormais à cueillir les nouveaux fruits verts que sont les neo gamers tout en gardant sous la main les core players bien mûrs. Car sous son abordage bon enfant et ses créatures coucourges à la Pikmin poussant des petits cris irrésistibles à la Super Monkey Ball, De Blob cache accessibilité tout terrain et profondeur de jeu que l’on pourrait presque qualifier d’un autre âge. Pas à cause de sa difficulté mais du nombre de couches et de sous couches (le terme est bien approprié) de gameplay et d’intelligence qui se dévoilent progressivement.
Action painting
Simple, le principe de base doit réveiller l’enfant barbouilleur qui sommeille en chacun de nous. Stick analogique du Nunchuk pour diriger et Wiimote pour sauter d’une brève secousse en mains, il s’agit bêtement de déplacer librement une boule molle au milieu d’environnements urbains. Une Chroma City, comme le révèle progressivement de goûteuses et drôlatiques cinématiques, obligée à vivre en noir et blanc depuis qu’une vilaine entreprise (ENCR en VF, I.N.K.T Corporation en VO) a mis la main sur la ville et interdit tout écart de couleurs. Le Blob donc, Kirby au sourire parfois carnassier, glouton plutôt cracheur que dévoreur, doit se tremper dans des bombes de peintures baladeuses avant d’éclabousser toutes les surfaces qu’il frôle. Choisissant les couleurs au hasard de ses roulades, le Blob colorise les bâtiments un par un en se jetant sur les murs et les toits jusqu’à épuisement du stock de peinture qu’il garde dans le ventre.
Go fast
Et le joueur agacé et pressé de dire : « Oui, bon, et alors ? ». Alors il va falloir surveiller le chronomètre et lui rajouter de précieuses secondes en accomplissant telles ou telles tâches. Peinturlurer un ensemble de bâtiments mitoyens pour qu’une poignée de civils heureux se rue hors des immeubles. Toucher un par un ces Grisiens libérés leur redonne aussi de la couleur et ajoute un crédit de 30 secondes au décompte inexorable des 10 minutes de base. Accepter un des nombreux « défis » disséminés dans le décor, qui se laisse explorer tel un free roaming game, oblige éventuellement à peindre tel ensemble d’immeubles en bleu, ou en orange, ce qui obligera le Blob à se tremper, après les avoir trouvés, dans un pot de peinture jaune puis un rouge. Jouissance feu d’artifice naturaliste à la Okami, trouver une des rares Transfo-sphères redonne pour de bon ses couleurs à l’herbe, aux arbres et aux habitants. Tout à coup la ville austère au noir et blanc écorché maladroitement par les débordements du Blob retrouve son élan vital, sa musique, ses confettis. Une fois rendus à la couleur sous certaines conditions plus rigoureuses, les imposants monuments administratifs, sortes de boss passifs, se mettent à claironner littéralement lorsque des embouchures de trompettes dansent sur leurs toits. En harmonie avec l’image et les animations parfaites, les sons et la musique ont une qualité exceptionnelle qui s’annonce dès le lancement du niveau quand le joueur choisit, après déblocage, parmi 12 thèmes de musique selon son « humeur » (serein, funky, imbattable, provocateur, effronté…). Même si les boucles musicales se répètent un peu trop, les bruitages, tous musicaux, créent, comme les jets de peintures, une surcouche sonore où se mêlent avec bonheur et humour des notes aquatiques de harpes, des slaps sur guitare bass, des chœurs féminins à la Michel Legrand/Jacques Demy.
Da bomb
Ainsi, quartier après quartier, surprise après surprise, la profondeur et la justesse du gameplay et de ses règles ne cesse de surprendre. Le jeu réussit un des rares équilibres entre contraintes et libertés donnant au joueur un terrain de jeu aussi généreux à découvrir que dense en activités. Au bout des doigts, le plaisir organique est total même s’il faut accepter une part d’insaisissable dans les sauts du Blob dirigé au jugé par le geste de la Wiimote. Capable de rouler sur des corniches pour essayer de rejoindre le toit plus élevé d’un gratte-ciel de l’autre côté de la rue, il lui arrive de coller désagréablement aux murs ou de se faire détourner brusquement par un mur invisible. De même, l’observation en vue subjective faisant appel à la Wiimote pointeuse gène aux entournures, et la sauvegarde automatique en fin de parcours seulement force à de longues séances de jeu. Des petits détails largement compensés par de vrais plaisirs comme celui du verrouillage au bouton Z permettant des sauts ciblés à distance (sur les pots de peintures ou les minis flics-bobs, sbires de E.N.C.R.), voire même de sauter, grâce à des pods, d’immeubles en immeubles à travers toute la ville jusqu’à des surfaces cachées ou inaccessibles. Jeu de plate-forme décontracté – une fois débloqué en mode histoire, chaque généreux quartier de la ville est revisitable pour coloriage tranquille à volonté -, jeu de barbouillage, d’exploration, De Blob s’appuie sur une structure minutieusement pensée et réalisée.
Resistance
Soyons clair, le geste de « peindre » n’a rien d’artistique ici. Il s’agit bien de jeter sans contrôle des litres de peintures qui finissent par se superposer dans une jolie anarchie de couleurs plus ou moins écoeurante. C’est d’ailleurs dans cette cacophonie chromatique désordonnée que le geste du joueur prolongé par le Blob-pinceau rejoint la thématique distillée avec beaucoup d’esprit du jeu, celle d’une résistance en couleurs à l’ordre imposé en noir et blanc. Sans même insister, la problématique du résistant légitime qualifié de terroriste par l’autorité qu’il défie, dégouline des murs, des coulées d’encre noire mortelles, des panneaux ou tours de propagandes qu’il faut coloriser pour les rendre au peuple. Le jeu, avant tout tactile et physique, coloré comme un paquet de crayons de couleurs de maternelle, se ménage plusieurs niveaux de lecture « adultes ». Des mains à la tête, De Blob fait exactement ce pour quoi le jeu vidéo existe. Il substitue à la parole et aux explications confuses, une interactivité limpide, un plaisir sensuel vraiment compréhensible que manette en main.