Limbo : Le cauchemar chef d’oeuvre

Le sombre et délicat Limbo a tout les atouts du chef d’œuvre. En mettant très simplement en scène un petit garçon qui doit sortir seul d’une dangereuse forêt pendant une nuit qui n’en finit pas, Limbo réussit l’improbable miracle d’offrir une vraie mécanique de jeu vidéo au service d’un monde mystérieux inoubliable. Parmi ses audaces, le jeu est en noir et blanc ! La bande son, elle, sans musique, créé un incroyable espace sonore à partir de sophistiqués et minimalistes bruitages (pluie, vent, craquements…). Mûrement conçue, et plutôt destinée à un public adulte tellement l’isolement du petit héros muet intimide, l’aventure s’apparente à un jeu de réflexion où il faut franchir méthodiquement les obstacles et les périls cruellement mortels. Gouffres, étangs, insectes géants, usine abandonnée, le parcours façon jeu de plateforme ne cesse de surprendre. En osant mélanger les contes de Grimm ou de Perrault (Le Petit Poucet) pour l’histoire, et le cinéma expressionniste allemand pour la forme, Limbo apporte de nouvelles dimensions culturelles, poétiques et émotionnelles au jeu vidéo que chacun appréciera à son niveau.

L’humain d’abord

Contrairement aux propositions mettant en scène un gameplay/concept à la limite de l’abstraction, Limbo place l’humain au cœur du projet. L’aventure ne se présente pas comme un pur objet interactif mais comme une œuvre qui réussit à intégrer l’interactivité à un ensemble de moyens d’expressions artistiques. Du noir et blanc expressionniste à la bande son minimaliste et enveloppante à la David Lynch, de l’absence de mode d’emploi aux mouvements discrets de caméra vers l’avant ou l’arrière, chaque élément appartient à une même sphère narrative émotionnelle et cérébrale. Le participant pénètre dans un univers complet de conte macabre par les yeux d’un petit garçon qui se réveille et dont l’éveil au monde, en quelque sorte, est naturellement fantasmatique et craintif. Un exemple parmi d’autre de la maîtrise artistique intime, aussi importante que le reste, la mise à mort chronique du personnage suggère elle aussi un commentaire à plusieurs niveaux. La lenteur de la fermeture au noir qui la conclut a déjà valeur d’ultime expiration et sert, comme le reste, à rythmer les palpitations du récit muet. Sa répétition cruelle et inévitable, chagrinante d’un point de vue émotionnel, mais non pénalisante en terme de jeu, distille un commentaire tragicomique sur ce principe mort/résurrection si fondamental au jeu vidéo tel qu’il existe depuis 30 ans. L’échec éventuel, la perplexité devant les décors en forme d’impasse ou de gouffre génèrent du récit. Ce temps de réserve individualise la relation psychique et somatique qu’entretiennent le joueur et le petit garçon à l’écran. Limbo fait preuve d’une énorme maturité d’expression physique et métaphysique non pas parce qu’il a le culot de mettre en scène des petits enfants suicidaires, mais parce qu’il réussit à concrétiser et à projeter devant nous la psyché sans garde-fou d’un enfant. Complètement référentiel (on pense à Another World), mais aussi tourné vers le futur artistique du jeu vidéo, Limbo n’est plus seulement du « jeu ».

François Bliss de la Boissière

(Digest d’un avis publié dans Comment ça marche en octobre 2010 et en Best of des jeux 2010 ici)

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Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n
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