Okami : Test PS2 + Q/R

Jeu d’aventure colossal et imaginatif, réalisé par une équipe à part au sein du célèbre développeur/éditeur japonais Capcom, Okami fusionne avec une aisance vertigineuse la forme et le fond. Véritable hommage induit à la série légendaire de Nintendo, le jeu s’appuie sur les principes de base des Zelda pour très vite décoller vers quelque chose de totalement unique.
Le cell-shading cartoon de The Wind Waker est ainsi surclassé et anoblit par un aspect dessiné façons Beaux Arts où chaque décor ou personnage semble peint au pinceau, contourné à l’encre de chine, et coloré à l’aquarelle pour un effet saisissant et, il faut le préciser, tout à fait lisible à l’écran. L’histoire et le design général n’hésitent pas à piocher dans l’imaginaire traditionnel japonais en n’oubliant pas une bonne dose d’humour. Et, invention unique et géniale, le joueur manipule à volonté un pinceau dit « céleste » qui intervient en direct dans le jeu. Substitut du loup blanc divin, héros obligé de rester sur terre pour combattre le mal rampant armé d’un pinceau suprême, le joueur devient ainsi le bras armé céleste qui intervient « d’en haut » sur l’aventure ! La vertigineuse boucle artistique et interactive est ainsi intégrée dans un ensemble hyper sophistiqué et pourtant extrêmement accessible.
Avec son aspect visuel inouï, ses interactivités innovantes et parfaitement intégrées, ses thèmes musicaux déjà grands classiques, l’intelligence de sa réalisation, Okami satisfait l’esprit, les sens et, bien sûr, les doigts.

Note : 5/5

  • Public concerné : Toute personne curieuse de voir jusqu’où peut aller le jeu vidéo dans la création artistique sans rien perdre de sa dimension interactive de loisir.

LES PLUS

  • L’ergonomie impeccable
  • Les nombreuses idées de gameplay
  • La durée de l’aventure qui se compte en plusieurs dizaines d’heures
  • L’histoire à la fois traditionnelle et atypique et la façon dont elle est racontée
  • L’originalité graphique qui élève le jeu au rang de chef d’œuvre pictural en gardant toutes ses qualités interactives
  • Les dialogues écrits façon BD dont la traduction du japonais vers l’anglais a été supervisée par l’auteur en personne
  • Excellente VF qui en découle

LES MOINS

  • Visuellement assez déconcertant pour un public nourri de polygones homogénéisés
  • Négligé par le distributeur européen qui n’a pas fait une promotion à la hauteur de la valeur du jeu (avantage de ce désintérêt : le jeu ne coûte plus que 30 € neuf)

Questions / Réponses

On parle tellement des similitudes entre Okami et la série Zelda, est-ce donc un plagiat ?

Eh bien non, là est le miracle. Comme Prince avec la musique de James Brown, ou Tarentino avec les films des années 70, Okami absorbe les fondamentaux du game design et du gameplay des Zelda pour en faire autre chose, une œuvre singulière et à part entière. Le côté familier de la structure recherche/donjon/rencontre, propre d’ailleurs à beaucoup de RPG, s’adapte à l’histoire et au rythme et à la logique d’Okami sans que l’on puisse dire qu’il s’agisse de copiage pur et simple. Dans bien des cas (graphique, audace conceptuelle, dialogues…) Okami va même plus loin que son inspirateur. En intégrant l’ADN des Zelda dans son corps propre, Okami réussit d’ailleurs à faire avec élégance, dégagement et honneur ce que quelques dizaines de titres ont tentés sans le réussir. (Voir le paragraphe RPG ou Action-RPG).

RPG ou Action-RPG ?

Bien qu’il vaille bien davantage que ce label au fond réducteur, Okami peut se classer dans la catégorie des action-RPG, c’est-à-dire que tous les mouvements, déplacements, gestes ordinaires ou de combats se déroulent en temps réel au moment même où le joueur appuie sur le bouton requis. Même les actions étonnantes au pinceau ont lieu instantanément. Moins prisé au Japon, que les RPG traditionnels aux déplacements assez contrôlés et aux combats ritualisés au tour par tour, les action-RPG dont le maître étalon reste les Zelda en 2D de la Nes et de la SuperNes puis en 3D sur N64 (où aux États-Unis dans la lignée des hack and slash à la Diablo ou à la Baldur’s Gate). Les exemples réussis en provenance du Japon sont assez d’ailleurs assez rares. En voici une liste presque exhaustive…
En 2D, les Secret of Mana, Illusion of Gaïa, Brainlord, Equinox (Solstice II), Secret of Evermore, Chrono Trigger, Spike Mc Fang, Terranigma (Tenchisôzô) sur SuperNintendo. Landstalker, Soleil (Ragnacenty), Legend of Thor sur Megadrive. Magic Knight Rayearth, Oasis 2, Dark Savior (3D isométrique) sur Saturn. L’ultime Alundra sur PlayStation. Avec l’’arrivée de la 3D sur N64, après Zelda Ocarina of Time, les prétendants se résument à un… Mystical Ninja Starring Goemon sur Nintendo 64.

A quoi sert le pinceau ? Ce « gadget » artistique n’est-il pas agaçant dans un jeu d’action ?

Aussi étonnant que cela puisse paraître avant d’avoir pratiqué soi-même le jeu, non seulement le pinceau ne gène pas l’action, ou les séquences d’action, mais il en fait partie intégrante. Un ennemi vous jette un objet à la tête, le pinceau, comme une épée utilisée en vue subjective, permet de le frapper d’un coup transversal et de l’éliminer. Toutes les indispensables et géniales méta actions (des aptitudes qui supplantent et dominent l’ordre ordinaire du jeu) que propose le pinceau influent instantanément sur le monde. Un cercle dessiné au pinceau d’un geste rapide autour d’un arbre calciné ou d’un sol asséché fait jaillir aussitôt une végétation luxuriante (feuilles, fleures, herbes…). Un autre geste fait apparaître une bombe à retardement sur le sol. Plus énormes encore jusqu’au point de surpasser l’idée en provenance de Zelda The Wind Waker ou de Zelda Ocarina of Time (ATTENTION SPOILER), un coup de pinceau bref permet de changer la direction du vent, de faire apparaître le soleil dans le ciel ou la lune pour transformer la nuit en jour ou inversement !

Le côté artistique du jeu n’est-il pas mis en avant au détriment de la technique ?

Dans les années 2000, un jeu ne peut être qualifié de majeur sans que les deux données soient présentes. Or Okami est un des meilleurs exemples de jeu techniquement impeccable, voire même exemplaire. Rien n’interfère dans la fluidité de l’action, les temps de chargement sont minimes et animés de telle façon que l’on ne s’ennuie pas, la procédure de sauvegarde à des endroits spécifiques très bien répartis est quasi instantanée. Toutes les options d’équipement du loup en bouclier et autres armes magiques sont immédiates et nombreuses à cohabiter en pleine action. Même le rituel, ici détourné et ingéré, et souvent laborieux des RPG classiques qui introduit et conclut les combats dans une arène fictive avec un décor « générique » est optimisé dans Okami : les ennemis sont repérables sur le terrain, évitables, et si le loup choisit la confrontation, une « barrière d’énergie se dresse sur place pour créer en temps réel un espace délimité pour le combat. A l‘intérieur évidemment tous les mouvements sont libres et en temps réels et il est possible d’en sortir en repérant une fissure dans la paroi. L’accumulation de coups directs ou spéciaux simultanés en pleine action sans que rien du programme ne faillasse évoque la série Viewtiful Joe initiée, ce n’est pas un hasard, par la même équipe de développement.

Un loup dans le dernier Zelda Twilight Princess, un loup dans Okami, hasard ou coïncidence ?

Cela restera sans doute un des grands mystères créatifs du milieu des années 2000. Okami est en développement depuis de longue date et n’importe quel jeu Zelda se façonne pendant des années avant de prendre totalement forme pour surgir en tel ou tel épisode. Devant l’énormité de la coïncidence (les deux jeux sont presque sortis en même temps), le bon sens voudrait admettre que quelqu’un a piqué l’idée à quelqu’un d’autre. Mais quand on connaît la créativité et la probité afférente des deux équipes concernées (Clover Studio chez Capcom et Nintendo) cela devient impensable que l’une ou l’autre ai voulu se copier. Reste donc une coïncidence étrange ou, comme le dit la formule populaire : quand les grands esprits se rencontrent…

Un loup blanc en héros, c’est du Disney ?

Pas du tout. Comme tout bon héros laconique portant la responsabilité de sauver le monde, le loup reste sur sa réserve, ne parle pas et laisse (tolère) son minuscule cavalier (un insecte insolent façon celui qui sait tout à l’avance) se lancer dans des monologues souvent grinçants et plein d’esprit. Le sérieux du loup est ainsi rattrapé par l’ironie du cavalier qui n’hésite pas à traiter son hôte pourtant divin de « sac à puces ». Pas d’anthropomorphisme façon dessin animé non plus, le loup se comporte comme un animal à quatre pattes. Son animation est d’ailleurs absolument remarquable de souplesse et de crédibilité alors même que c’est le joueur qui le contrôle. Son aptitude au combat rapproché façon chevalier équipé d’une épée s’explique par une sorte de bouclier qu’il porte sur l’échine. Une attaque façon « dash » consiste pour le loup à baisser la tête et courir en avant pour donner un coup de bouclier comme un bouc ou un buffle. Le même bouclier magique de plus en plus sophistiqué au fur et à mesure de l’aventure devient capable de donner des coups à distance et autres gymnastiques sophistiquées totalement crédibles visuellement et au bout des doigts. Ce n’est ni du Disney ni un truc expérimental incompréhensible, juste une intégration cohérente de différents éléments : animalité, magie et imagination.

Le jeu n’est-il pas trop… « japonais » ?

L’aspect graphique général, le logo du titre lui-même dessiné au pinceau façon calligraphie, font japonais et l’aventure raconte l’équivalent d’une vieille légende japonaise mythologique. Le contexte et le background sont eux aussi très japonais. Donc, oui, Okami fait « japonais » dans tout ce que cela implique d’étalage de la culture japonaise médiévale. Mais le background historique traditionnel est en fait un canevas sur lequel les auteurs redessinent leur propre légende. Parmi toutes ses réussites, Okami parvient avec la même aisance à immerger le joueur occidental dans cet univers si exotique tout en lui donnant les clés pour le comprendre, l’apprécier et, aussitôt s’en moquer. Plus exactement, le jeu est « japonais » dans le sens original, inattendu, libre comme seuls les développeurs japonais en sont capables, mais surtout pas « obscur, abscons, typique, pour initiés ou fan absolus de mangas et de japanimation ». Okami respire et fait respirer un air totalement universel au joueur de n’importe quelle culture.

Refaire fleurir les fleurs ou les arbres, tout cela ne serait-il pas un peu niais, voire destiné aux enfants ?

Un film de Miyazaki (Princesse Mononoké, Le Voyage de Chihiro…) se destine-t-il à un public d’enfants ? Si Okami déconcerte ceux qui ne s’intéressent plus qu’à fragger leurs voisins en ligne, à déchirer du zombie, descendre du soldat, ou d’une façon plus générale, à détruire tout ce qui bouge avant la fin d’un niveau, c’est la faute aux gamers trop habitués au goût du sang et non au jeu de Clover Studio qui s’adresse à n’importe quel public susceptible de trouver selon sa culture et son âge différents niveaux de lecture et d’intérêt. Fondamentalement Okami donne au joueur des outils artistiques – « poétiques » dirait le penseur Edgard Morin – qui l’incitent à reconstruire le monde, pour ne pas dire « sauver » le monde menacé, comme les contrées de tous les RPG, par les forces du mal. Okami est un hymne aux couleurs et à la vie. Une aspiration universelle, même chez les hardcore gamers mal nourris par l’industrie du jeu vidéo et qui l’ignorent encore.

Le testeur-critique de ce jeu ne serait-il pas exagérément enthousiaste ?

Le nombre de superlatifs élogieux rencontrés dans cette critique donne raison de douter de la raison raisonnable du chroniqueur. Il faut alors s’attarder sur les argumentaires, repérer les confirmations techniques sur lesquels s’appuie la créativité du jeu, aligner les Plus, dont l’un d’entre eux renvoie au reste de la critique elle aussi unanime comme le confirme l’ensemble de la presse critique. Quoique le lecteur ait lu et entendu comme enthousiasme ici est encore inférieur à celui vécu et rationnalisé par l’auteur de ses lignes. Ceux qui le croisent en personne peuvent témoigner de sa sincérité militante. La grande bataille menée par l’auteur de ces lignes est de convaincre et faire connaître au plus grand nombre un jeu qui élève celui qui le pratique, comme toute l’industrie du jeu vidéo.

Si le jeu est si bien, il y aura donc une suite ?

Impossible. Aussi absurde que cela puisse paraître, presque aussitôt le jeu terminé, l’éditeur Capcom a décidé, pour des raisons de restructurations apparemment, de dissoudre le studio Clover. Le temps de pondre très vite un beat’em all (God Hand) en forme d’adieu improvisé ou de bras d’honneur, les auteurs (Hideki Kamiya, responsable d’Okami et auparavant de Resident Evil 2, Devil May Cry et Viewtiful Joe et son compère responsable du studio et producteur, Atsushi Inaba connu pour Steel Battalion) sont partis fondés un nouveau studio Seeds (graines). Des graines qui deviendront de nouvelles fleurs n’en doutons-pas. Néanmoins, puisque Okami a été développé exclusivement sur PlayStation 2, des rumeurs laissent entendre qu’une adaptation sur la console Wii serait envisagée par Capcom. En toute logique, le pinceau Céleste serait manipulé avec la Wiimote ! Quoiqu’il en soit, Okami est destiné à être une œuvre unique, dans tous les sens du terme.

François Bliss de la Boissière

(Publié en novembre 2007 sur Gameweb)

 


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Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n
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