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Entretien Christophe Gans : L’hybride cinéma et jeux vidéo 2/2

Ex critique de cinéma devenu cinéaste, responsable du magazine culte Starfix, Christophe Gans ne veut plus distribuer les bons et les mauvais points. Mais sa passion critique et son sens de la formule sont toujours vivaces. Pour évoquer sa vision du jeu vidéo et du cinéma, forcément, on lui a laissé toute la parole. VERBATIM suite…

L’enthousiasme et la triple culture cinéma américain, asiatique et jeu vidéo ont permis à Christophe Gans, entre autre, d’adapter Silent Hill au cinéma. Mais on ne compte plus les projets de films avortés du réalisateur français (Nemo, Bob Morane, Rahan, Onimusha, Tarzan, Fantômas…). Alors avant de se lancer dans une nouvelle adaptation encore secrète d’un jeu vidéo d’horreur japonais, « oui, avec des jeunes filles effrayées ou effrayantes dedans » avoue-t-il avec un sourire complice (en 2014, ndr), Christophe Gans est venu nous parler de sa vision du jeu vidéo.

Beyond : Two Souls

« Annoncer que Beyond : Two Souls est joué par Willem Dafoe et Ellen Page n’est pour moi que du marketing. Parallèlement, quand les développeurs de Naughty Dog s’inspirent d’Ellen Page dans The Last of Us, ils créent un personnage cohérent qui se trouve avoir les traits de Ellen Page. Dans Beyond le personnage féminin ne sera toujours qu’un ersatz de la vraie Ellen Page. L’animation a cela de supérieur qu’elle permet de créer un personnage avec sa propre logique, celle de l’univers dans lequel il se déplace. Alors qu’un acteur virtualisé mis dans un univers virtuel ne sera toujours qu’une caricature de la réalité. Pour parler du travail de David Cage, j’ai été plus impressionné par l’univers de Heavy Rain. À tel point que pour La Belle et la Bête j’ai fait appel à Thierry Flamand et François Baranger, respectivement directeur artistique et concept artist sur Heavy Rain. »

Bioshock

« Pour résumer le problème, les films américains coûtent trop cher et donc tout le monde est pétrifié à l’idée de greenlighter un projet. Surtout quand il prétend adapter fidèlement un jeu vidéo. J’étais curieux de voir comment Hollywood allait se débrouiller avec Big Daddy et les petites sœurs. Mais comment faire passer dans un film hollywoodien une pareille idée où des petites filles, fruits d’expériences génétiques, sucent le fluide des cadavres ? Gore Verbinsky voulait faire le film exactement comme Ken Levine avait imaginé son jeu et dans une version non censurée. Et finalement Hollywood n’y est pas allé. »

Dead Island

« Je pense que cinéma et jeux vidéo vont de concert dans la même direction : l’accroissement du réalisme à l’écran. C’est comme l’idée du sang qui vient éclabousser l’objectif de la caméra. J’ai utilisé cet effet dans Silent Hill alors qu’on le voyait encore rarement à l’époque. Au cinéma le spectateur n’était pas censé avoir conscience de l’objectif de la caméra. Les réalisateurs ont pendant longtemps essayé de faire oublier qu’il y avait une caméra qui enregistrait l’histoire. Depuis l’irruption des found footage movies, tout est fait pour rappeler au spectateur que ce qu’il voit est filmé par une caméra, un téléphone portable ou une Go Pro. Comme si l’accroissement du réalisme impliquait dans tous les cas la présence de la caméra. C’est à mon sens une version très naïve du réalisme, telle qu’un enfant de 14 ans l’imagine. Aujourd’hui, je préfère des gimmicks plus simples : quand tu as le soleil dans le dos dans le jeu Dead Island, tu vois sur le sol l’ombre exacte du personnage sélectionné. Et c’est assez cool. »

Zombies

« Il y a encore quelques années nous vivions dans l’imaginaire résiduel de la Seconde Guerre mondiale, la lutte entre le bien et le mal, les forces occidentales face aux nazis. Aujourd’hui cet antagonisme s’est en grande partie évaporé et le zombie synthétise l’idée que l’ennemi c’est nous-mêmes, notre propre endormissement, celui des civilisations occidentales engourdies par la consommation et le matérialisme. George A. Romero a eu un éclair de génie en montrant ça dès 1978 avec Dawn of The Dead. Quelle est la grande leçon des élections Municipales en France ? La façon dont la société française veut se secouer de son endormissement en rejetant le gouvernement actuel et en plaçant le Front National a des hauteurs insoupçonnées dans certaines villes. Le principal ennemi et source d’angoisse numéro un des gens est dorénavant le fonctionnement social collectif. Le zombie est devenu le monstre qui nous est le plus proche. Il a envahi la BD, les séries télé, le cinéma et même les grosses productions hollywoodiennes. L’image très forte dans World War Z d’une marée de zombies déferlant dans les rues de Jérusalem doit plus au jeu vidéo qu’au cinéma. De la même façon, l’Attaque des Titans est un manga et un japanime extraordinaire (Shingeki no Kyojin publié par Pika Édition, NDR) où les titans en question sont des zombies géants qui cherchent à dévorer les êtres humains réfugiés dans des villes gardées par d’immenses murs. Oui nous sommes des morts-vivants en puissance et le zombie a gagné sa place de première créature de la pop culture. »

Demon’s Souls

« Demon’s Souls a la réputation d’être horriblement difficile mais voilà un jeu qui anoblit la condition du joueur. Tant que le Japon peut nous envoyer régulièrement un jeu comme ça dans la figure, je considèrerai le jeu japonais bien plus intéressant que le jeu américain. Dans Demon’s Souls il y a à la fois la modernité des jeux d’aujourd’hui et la tradition des jeux vidéo d’autrefois. Parce qu’il ne faut pas oublier qu’un art existe de par sa tradition. Demon’s Souls est dans la tradition du grand jeu japonais d’otaku, un jeu valorisant de par sa difficulté et sa jouabilité parfaite. »

Réalité Virtuelle

« Les photos de l’Oculus Rift m’ont rappelé le film cyberpunk Tetsuo 2 réalisé en 92 par le japonais cinglé : Shin’ya Tsukamoto. En voyant ces gens avec ces casques sur la tête je me suis dit qu’il s’agissait là d’une image de science-fiction assez effrayante. Finalement, l’idée qu’on s’emprisonne dans le virtuel est l’aboutissement logique de ce qu’on essaie de trouver à travers le jeu vidéo. La faculté que nous voudrions avoir de survivre dans les pires situations, de pouvoir renaître, va finir par se concrétiser. Un jour notre surmoi va se refermer sur nous. Je pense que le jeu vidéo est en train de redessiner la société humaine. »

À lire…

Entretien Christophe Gans : L’hybride jeux vidéo et cinéma 1ère partie où il nous parle de Dead Space, God of War, Otaku, Silent Hill et Onimusha…

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière en avril 2014

Photo de Christophe Gans © Nicolas Spiess

(Publié dans Games magazine #3)

 


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