Archives par mot-clé : Heart of Darkness

Éric Chahi : Another time (entretien 2/4)

(…)

Éric Chahi (DR)

Bliss : Pourquoi privilégier un remixe d’Another world à une suite que tu aurais pu même déléguer ?

Éric Chahi : Je n’ai jamais pousser derrière. Je ne suis pas quelqu’un qui aime les suites. Je préfère des créations originales. Quitte à construire un projet je préfère que ce soit neuf.

Bliss : Déjà téléchargeable sur Internet, la version retravaillée en haute résolution sort sur PC-CD Rom pour les quinze ans anniversaire de sa première sortie mais le jeu ne pourrait-il pas être disponible aussi en téléchargement sur le Xbox Live Arcade ou la Console Virtuelle de la Wii ?

Éric Chahi : Oui, si je lance un développement là-dessus ce serait possible. Il n’y a rien qui m’en empêche. Ce serait plus compliqué pour diffuser la version SuperNintendo sur Wii, je parle de la ROM originale. Il y aurait sans doute un accord à trouver avec Interplay qui avait développé le code à l’époque. J’ai tous les droits de la propriété intellectuelle sur le jeu mais je n’ai pas le code source des versions consoles (SuperNintendo, Megadrive et 3DO).

Bliss : Est-ce que tu vois des descendants à Another world ?

On m’a souvent posé cette question… Flashback (1992, Amiga) évidemment. Dans le domaine de l’évidence, et reconnu par son auteur Fumito Ueda, il y a Ico (2001, PS2). ça se ressent un peu. Mais je ne cherche pas trop…

Bliss : Après plusieurs années de travail et de réflexion solo, Frédéric Raynal (créateur français de jeu vidéo, Alone in the dark…) a expliqué que ce qui lui manquait le plus dans la réalisation d’un jeu était le travail d’équipe. Ce n’est pas ton cas…

Éric Chahi : Le travail d’équipe sur Heart of darkness m’avait un petit peu refroidi et vacciné. C’est une des raisons pour lesquelles je n’avais pas spécialement envie de repartir sur un projet. Mais avec le recul je réalise que ce n’est pas mal, voire même très bien. Ça permet de travailler plus vite et d’échanger des idées.

Bliss : Ton prochain projet ne peut plus être, à notre époque, un jeu « garage ». Qu’as-tu en tête ? Aura-t-il une influence cinématographique comme Another world ou Heart of darkness ?

Éric Chahi : Il y a encore tout de même quelques jeux faits maison mais ce que j’envisage ne peut pas être créé tout seul en effet. Il me faudra une équipe, pas petite mais pas aussi grosse que celles des projets next-gen non plus. Et non, il n’y aura pas cette dimension cinématographique.

Bliss : Que fais-tu depuis Heart of Darkness finalement ? Des choses qui ont rapport avec le jeu vidéo ?

Éric Chahi : Heart of Darkness a été une sacré tranche de vie, un peu trop longue, qui m’a poussé à prendre un peu de recul. J’étais quand même assez exténué. Je ne me voyais plus travailler dans ce milieu là pendant un certain temps. Et puis c’était le début de la 3D, l’évolution de l’industrie, des grosses équipes, des grosses prods, je ne me sentais pas trop à l’aise. En plus ce n’était pas très structuré à l’époque. Ça ne me correspondait plus, en sus de la fatigue et du raz le bol accumulé sur Heart of darkness. C’est vrai que cette période de recul a duré à peu près autant que le développement du jeu (plus de six ans) (rires). Mais je crée des jeux depuis très longtemps, depuis 1983. Et surtout, entre Les Voyageurs du temps (1989), Another world (1991) et Heart of darkness (1998) il n’y a pas eu vraiment de temps mort. J’avais vraiment besoin de reprendre mon souffle et de me ressourcer. Donc j’ai fait des choses qui n’ont rien à voir avec le jeu vidéo. J’ai créé un outil pour manipuler de la synthèse sonore. Un truc fait pour moi pas tout à fait finalisé ni évident à utiliser qui s’appelle Sympheo et que j’ai mis à disposition sur Internet. Dans le domaine du créatif, j’ai fait de la peinture abstraite… J’ai pas mal voyagé et je me suis découvert une passion pour les volcans. J’ai assisté à des éruptions, j’ai vu de la lave en fusion. La photo m’a toujours intéressé et là je me suis exprimé. Je cherchais à créer des images susceptibles de retranscrire au mieux ces activités.

Bliss : Travaux photographiques et peinture abstraite ont-il un rapport ?

Éric Chahi : Dans mes peintures il y a un certain dynamisme que l’on peut retrouver dans les photos de volcans. Et je cherche à cadrer les volcans pour capter une certaine esthétique dans le mouvement, l’énergie. Il y a des points communs entre les deux, oui.

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Éric Chahi : Another time (entretien 3/4)
Éric Chahi : Another time (entretien 4/4)

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière

(Publié en février 2007 sur Chronicart.com)

 


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Éric Chahi : Another time (entretien 1/4)

Son premier succès, prémonitoire, se nommait « Les Voyageurs du temps », car en effet, depuis la sortie d’Another world il y a quinze ans, le créateur de jeux vidéo Éric Chahi voyage dans un autre espace temps. Six ans pour accoucher du houleux jeu suivant Heart of darkness et, depuis 1998, plus un mot.

Éric Chahi (DR)

Pourtant, quand on lui demande à l’occasion de la réédition anniversaire en version HD d' »Another world » s’il travaille encore dans le jeu vidéo, il répond naturellement oui et qu’il prépare un projet, comme si les huit dernières années de silence ne comptaient pas. En tous cas pas selon son horloge.

Bliss : Est-ce que le fait d’avoir conçu un jeu aussi marquant qu’Another world à l’âge de 24 ans, au point d’occulter le reste de tes réalisations, n’est pas finalement une malédiction ? Le poids de la notoriété et de son héritage n’empêchent-ils pas d’avancer ?

Éric Chahi : Another world n’a pas changé grand chose en fait. J’étais un peu connu pour Les Voyageurs du temps, puis pour Heart of darkness et évidemment Another world qui m’a vraiment fait connaître. Il n’y a pas longtemps que j’ai réalisé qu’il a survécu au passage du temps, au moins dans les mémoires. Ce n’était pas du tout clair au moment de sa création. A cause de la nature même du jeu, son aspect immersif, son contenu, il a marqué les gens. ça me fait super plaisir. Je vois bien qu’il y a une attente d’autre chose. On me demande, oui mais qu’est-ce que tu prépares Eric ? Mais c’est plus un moteur qu’un frein, ça ne m’empêche pas d’avancer. Il y un côté stimulant.

Bliss : Pourquoi la fausse traduction du titre Another world en « Out of this world » aux Etats-Unis ?

Éric Chahi : Parce qu’aux Etats-Unis, il existe un soap opera assez populaire daté de la fin des années 60 (diffusé de 1964 à 1999 sur NBC, ndlr) qui porte le même nom. L’éditeur Interplay a estimé que ce n’était pas judicieux de garder le titre original et a imposé « Out of this world ». Je pouvais difficilement dire grand chose. Il aurait fallu argumenter. Au niveau culturel, je ne connaissais pas suffisamment les Etats-Unis, et je n’avais pas une maîtrise suffisante de la langue anglaise pour savoir si le titre était pertinent pour un américain. J’ai laissé faire et puis voilà. Je ne pense pas que cela ait eu d’incidence. Les titres résonnent un peu pareil. Au Japon, le jeu s’intitule « Outer world », contracté probablement pour des raisons de prononciations.

Bliss : Tu as dessiné la fameuse illustration de couverture de la boite ainsi que tous les graphismes du jeu et, plus tard, tu as fait de la peinture abstraite. Ta première envie d’un jeu est picturale ?

Éric Chahi : C’est plus compliqué que ça. J’ai un parcours assez sinueux. Le jeu vidéo est le tronc principal depuis le début mais j’ai eu d’autres pôles d’attractions. Des centres gravitationnels comme l’illustration, l’animation, le cinéma qui ont fait que tout en restant dans le jeu vidéo je me suis parfois spécialisé dans des domaines bien précis. Quand j’ai commencé sur Oric en 1983, les graphismes étaient très sommaires, programmer ces jeux là était bien plus simple. J’ai évolué avec la progression technologique. Au début je réalisais tout. J’étais très attiré par les jeux d’arcade que je recréais. Et puis petit à petit je me suis découvert une passion pour l’illustration, l’image, la peinture, et quand il y a eu la période Atari, Amiga, j’ai commencé à buter en programmation. Je me sentais un peu largué, je me suis retrouvé dans une situation où je ne pouvais plus tout créer. Il fallait que je prenne une décision : m’orienter vers la programmation ou vers l’image. Et je me suis orienté vers l’image. C’est comme ça que je suis devenu graphiste pendant un certain temps. Et quand j’ai suffisamment dominé le sujet, à l’époque des Voyageurs du temps, je me suis remis à la programmation. Another world est ainsi né d’un ensemble de compétences. Il y a eu une synergie de l’ensemble des passions qui m’avaient traversé depuis que je m’étais intéressé au jeu vidéo. Illustration, animation, le cinéma, le montage se sont cristallisés dans Another world.

Bliss : Another world avait un feeling cinématographique bien en avance sur son temps. A quel point était-ce volontaire ?

Éric Chahi : C’est vrai que le cinéma est très présent avec le montage de l’introduction, mais en réalité -malgré les quelques changements de plans ponctuels- cette sensation perdure pendant le jeu parce qu’il a une structure cinématographique. Il a un rythme, des rebondissements, une mise en scène dans le jeu sans forcément des changement de plans. ça caractérise vraiment Another world. Si on enlève la séquence d’introduction, je trouve qu’il garde son essence cinématographique. Même s’il a aussi été fait d’improvisations, quand j’ai programmé les premières scènes sans savoir comment le jeu allait se terminer, j’ai structuré la manière dont les choses sont révélées au joueur. C’était voulu. Il y a bien quelques gros plans et recadrages mais ce sont d’avantage des ponctuations qui ne cassent pas l’interactivité. Dans Heart of darkness, justement, les séquences de type cinématographiques étaient fluides mais trop longues et nuisaient à l’interactivité du jeu. Je ne suis pas un fan des cinématiques dans les jeux je trouve que c’est chercher à imiter le cinéma au détriment de l’interaction qui définit vraiment le jeu vidéo. En tant que joueur je ne suis pas trop fan des jeux avec des longues séquences où on ne fait rien du tout. Sur Another world j’ai énormément travaillé sur le ressenti. Je prenais du recul par rapport à la création du jeu et j’essayais de le vivre comme quelque chose de neuf et après j’écoutais ce que ça donnait par rapport à ce que je voulais communiquer. C’était un peu schizophrène comme approche, être à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du jeu.

Bliss : La notion de coopération, un mot devenu marketing, où deux personnes dans le jeu s’entraident pour faire des choses, descend aussi d’Another world, non ?

Éric Chahi : Dans les jeux de guerre ? Je ne crois pas. La coopération entre les deux personnages d’Another world est assez émotionnelle. Alors que les jeux de guerre héritent de l’aspect sportif. N’importe quel jeu d’équipe a plus d’influence sur ces jeux qu’Another world. Quand j’ai créé Another world, je n’avais aucune idée du succès qu’il allait rencontrer (400 000 exemplaires vendus environ). Mais par contre j’étais bien conscient qu’il y avait des éléments nouveaux : il n’y avait aucun score à l’écran, alors que la plupart des jeux affichaient le nombre de vies, les points, les jauges d’énergie, etc. Et il y avait l’aspect cinématographique, le côté mise en scène. C’était les deux points dont j’étais conscient. La relation entre Lester et l’ami extra-terrestre c’est faite en revanche un peu spontanément. Pendant longtemps, cet aspect là ne m’a pas semblé très novateur ni important. Avec le recul, c’est vrai que c’est une des caractéristiques du jeu qui apporte beaucoup de sens à l’ensemble de l’expérience. Je me suis rendu aussi compte qu’Another world avait marqué des joueurs mais aussi des développeurs. Mais j’ai un regard critique, il a marqué mais je ne l’encense pas. Il a ses qualités mais aussi ses défauts. (…)

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Propos recueillis par François Bliss de la Boissière

(Publié en février 2007 sur Chronicart.com)

 


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