Archives par mot-clé : Miyamoto

Comète Mario à l’approche : une 3D toujours prisonnière de la 2D

Les 2 Super Mario Galaxy ont beau jouer avec les perspectives et les volumes comme nulle part ailleurs sur cette planète, ils s’attellent à contraindre Mario, et le joueur, dans de grands couloirs, ou des petites bulles. En 2008 nous pointions du doigt ce concept camouflé en regrettant la perte de liberté goutée avec Super Mario 64 et Super Mario Sunshine. En 2010 Shigeru Miyamoto en personne avalise la notion (merci à lui) et explique tout haut ce concept de gameplay 2D encapsulé dans un monde visuellement en 3D…
Mario Galaxy 2

En pleine euphorie consensuelle autour du premier Super Mario Galaxy en 2008, nous avions jugé nécessaire de lancer un débat qui n’avait pas lieu en qualifiant le jeu de « meilleur jeu 2,5 D de tous les temps ». Nous écrivions alors…

Mario Galaxy enlève au joueur la liberté d’explorer que lui avait donné Mario Sunshine et même, dans une moindre mesure, Mario 64. À ce titre, Mario Galaxy se donne visiblement le même objectif que Zelda Twilight Princess sur Wii : reconquérir coûte que coûte le cœur et les mains des gamers fidèles dont les variations 3D un tantinet relâchées ont fini par perturber, et donc décevoir. Un revirement à double tranchant. Les parcours hyper concentrés et pratiquement sans détour des niveaux de Mario Galaxy sont bien dignes des versions 2D. Mais après Mario Sunshine il s’agit d’un retour en arrière. Depuis toujours, les jeux Mario, Zelda et Metroid cumulent à chaque épisode les acquis des précédents. Une véritable gageure réussie par Nintendo de la 2D à la 3D. Pourtant, l’Observatoire de l’espace de Mario Galaxy n’est qu’un petit carrefour fonctionnel à côté du château de Mario 64 et de l’île Delfino de Mario Sunshine regorgeant de secrets. Quelques uns des niveaux de Mario 64 laissaient déjà un peu d’espace à une exploration vraiment libre (avant la sortie du jeu et en regardant les screens, les observateurs se demandaient déjà en quoi ces espaces «vides» auraient une pertinence ludique et interactive !). Puisque la 3D était acquise et les moyens d’occuper l’espace virtuel aussi, un bon nombre des niveaux de Mario Sunshine permettait de se «promener», de visiter les décors tout en allant à la découverte des surprises dissimulées. Une liberté d’aller et venir qui semblerait ne pas avoir tout à fait convenu à la majorité. Dans Mario Galaxy les parcours sont tous explicitement des trajets d’un point de départ (sans retour en arrière possible) à un point d’arrivée. Les quelques rares planètes permettant un peu de flânerie sont bien trop petites pour dégager un sentiment d’exploration. En réalité, un niveau (une «galaxie») est fragmenté en plusieurs mini planètes dont l’ensemble n’est jamais préhensible ni à pieds ni d’un regard (ce qui fait partie du charme et du mystère). Mario est redevenu le champion, certes tarabiscoté, du parcours A-B.

Cherchant à comprendre pourquoi, dans l’évolution de Mario, Nintendo avait jugé bon de brider la liberté de la 3D, nous poursuivions…

Pour reconquérir son public, Zelda Twilight Princess ramenait Link dans les lieux du jeu référent Ocarina of Time et compilait toutes les aptitudes précédentes. Dans Mario Galaxy, le retour aux valeurs sûres se fait en supprimant la liberté de déplacement du petit bonhomme en salopette et en inhibant le contrôle de la caméra dans une grande majorité de situations. Sans clairement identifier pourquoi, la pensée dominante considère donc que Mario Galaxy a retrouvé toutes ses qualités originales (que n’avait apparemment pas Mario Sunshine), qu’il est même le vrai descendant de Mario 64.

Avant de nous indigner…

Est-ce à dire que Mario ne s’exprimait pas comme il faut dans l’espace 3D plus ouvert de Sunshine ? Qu’il s’éloignait trop de son essence ? Que la réalisation était mal adaptée ? Ne serait-ce pas plutôt le public qui n’a pas su ou voulu suivre l’évolution de Mario vers plus de liberté et de responsabilité ? Car dans Sunshine Mario ne faisait pas que courir après la Princesse Peach. Condamné à tort au nettoyage de l’environnement, par les autorités de l’île où il comptait passer ses vacances, le plombier oisif se retrouvait avec des responsabilités écologiques et civiques. Le pistolet à eau donnait au Jump Man de Miyamoto une prise sur le monde qu’il n’avait jamais eu auparavant. Pour la première fois Mario pouvait impacter sur son environnement avec d’autres outils que son ventre, quand il glisse, son postérieur et sa tête, quand il saute. L’opinion générale a donc rejeté ce Mario presque administré, libre de circuler mais, interdit de vacances, enfin utile. Alors, rejeté par une humanité encore primitive qui n’a pas voulu de lui parmi elle, Mario, le petit prince déguisé en crapaud depuis toujours, s’est arraché à la pesanteur terrestre et s’en est allé tout là-haut voir si son destin ne serait pas finalement plus cosmique que terre-à-terre.

Puis de rendre hommage au talent…

Le génie total de Nintendo est de (presque) réussir à faire oublier que Mario Galaxy est un retour en arrière par rapport à Mario Sunshine. Le vire-voltage permanent du personnage d’une planète à l’autre – et cette fois il vole vraiment comme Superman, mais sans le contrôle du joueur –, la constante impression de sens-dessus-dessous, la folie visuelle provoquée par toutes sortes de mécanismes aux lois physiques autonomes, alimentent une ivresse jouissive, fiévreuse et aveuglante. Mario s’agite beaucoup mais pris dans un perpétuel effet d’entrainement il ne contrôle rien. Quand il a l’opportunité de courir librement, il tourne littéralement en rond sur de petites planètes dont il fait vite le tour. Les seules vraies occasions de franchir du terrain, ou plutôt de l’espace, sont automatisées. Quand le joueur a la main, il est merveilleusement et inexorablement guidé vers un objectif. Sauf à croiser le chemin de planètes « blagueuses » plus challenges, les parcours se font sans chronomètre, il reste donc possible de prendre son temps, de regarder alentour. Sauf que la caméra garde souvent une position prédéterminée et fixe et que la vue subjective, elle aussi pas systématiquement possible, ne laisse pas voir grand-chose puisque les petites surfaces des planètes sont courbes. Au mieux peut-on observer quelques amas de planètes suspendues dans le vide lointain comme le petit Link de Wind Waker repérait au loin une île perdue dans l’immensité de l’océan. Link pouvait alors décider de s’y rendre, Mario lui, doit subir le diktat du jeu.

Et de conclure…

Si la raison d’être ontologique de la 3D virtuelle est d’offrir un espace à arpenter ou posséder, à l’instar d’un Pandemonium ou d’un Crash Bandicoot, Mario Galaxy et ses parcours fléchés dans le cosmos ne serait-il pas le summum du jeu 2D camouflé dans un environnement 3D ? Est-ce que cela lui enlève ses qualités, son inventivité, sa folie ? Non, bien sûr.

Aujourd’hui, Super Mario Galaxy 2 prolonge et sans doute surclasse Galaxy 1. Et au moment où, à nouveau, personne ne soulève la question d’une 3D téléguidée allant chercher dans un monde en volume l’essence d’un gameplay en 2D, Shigeru Miyamoto explique publiquement son projet d’accommoder la 3D à un gameplay en 2D. Voici quelques extraits de son échange avec Satoru Iwata désormais disponible en bonne VF…

« Jouer un jeu en 3D comme s’il s’agissait de 2D »

Satoru Iwata : J’ai l’impression que les gens disent souvent “J’ai tendance à me perdre dans un Mario en 3D alors que ça ne m’arrive jamais avec les jeux en 2D ” ou encore “Les Mario en 3D sont plus difficiles que les Mario en 2D, je ne peux pas y jouer”. J’ai le sentiment que vous avez voulu attaquer ce problème de front.

Shigeru Miyamoto : Oui, mais je pense aussi que nous avons résolu certains problèmes liés aux Mario en 3D avec le premier Mario Galaxy. Vous arpentez des sphères, par conséquent, si vous marchez tout droit, vous finirez toujours par revenir à votre point de départ.

Satoru Iwata : Vous ne pouvez pas vous perdre.

Shigeru Miyamoto : Voilà. Nous avons remarqué autre chose durant le développement de Mario Galaxy 2. On parle souvent des jeux Mario en 3D, mais en fait, c’est simplement le monde qui vous entoure qui est en 3D. Les aspects les plus amusants du gameplay sont liés à la 2D.

Satoru Iwata : Qu’entendez-vous par là ?

Shigeru Miyamoto : Eh bien, même si le terrain est en 3D, il contient de nombreux objets ainsi que le personnage de Mario. Si vous observez le terrain du dessus, il est plat.

Satoru Iwata : Ah, je vois. Si la caméra est placée au-dessus de votre tête ou sur le côté, vous pouvez y jouer comme s’il s’agissait d’un titre en 2D.

Shigeru Miyamoto : Voilà. Contrairement aux Mario en 2D qui ne proposent qu’une vue de côté, les jeux en 3D offrent un changement bienvenu, car ils ne comportent pas seulement une surface plane, mais incluent également de la profondeur.

(…)

Satoru Iwata : Le monde est en 3D, mais vous avez mis de côté tous les aspects propres à la 3D qui risquaient de dérouter ou de déstabiliser le joueur. Vous avez consciemment développé le jeu pour que la 2D soit son principal atout.

Shigeru Miyamoto : Oui, c’est pour ça que je pense qu’il est facile à prendre en main.

François Bliss de la Boissière


Message aux lecteurs. Vous avez apprécié cet article, il vous a distrait un moment ou aidé dans vos recherches ? Merci de contribuer en € ou centimes de temps en temps : Paypal mais aussi en CB/Visa avec ce même bouton jaune sécurisé


Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n
‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.


 

Wii Music : l’utopie musicale

Le mauvais accueil critique et commercial du jeu révèle une triste chose : les joueurs n’ont que faire de jouer les aspirants musiciens. Après plusieurs heures de jam sessions, même avec ses limites, Wii Music affirme pourtant une des plus belles utopies interactives.

La seule vraie erreur de Wii Music, à part celle de se déployer poussivement sur une console aux capacités visuelles d’un autre âge, c’est d’avoir cru dans son public. Conforté par 26 ans de succès où chacune de ses envies et intuitions, même les plus étranges, a trouvé un écho fraternel dans le public, le généreux Miyamoto a donc cru que tout le monde avait envie, comme lui-même, d’être un musicien. Et qu’il suffirait de proposer un instrument polyvalent permettant de faire de la musique sans passer par toutes les étapes techniques d’apprentissage, pour que tous les supposés musiciens dans l’âme que nous sommes s’y régalent.

Pas de poses factices

Hélas, le sévère accueil critique et public (pour l’instant car certains jeux Nintendo se découvrent des vertus commerciales sur la longueur) du jeu révèle que le succès intergalactique des Guitar Hero ou Rock Band a plus à voir avec des effets de pose et de mimétismes mécaniques qu’avec la créativité liée à la musique. Quelle autre explication sinon pour justifier le rejet si radical de Wii Music ? L’absence de challenge, de score, de compétition ? Faux, Wii Music contient des mini-jeux musicaux très efficaces, au système de récompense habituel au jeu vidéo. Le manque de difficulté ? Voire, à quelle aune elle se mesure. Car le jeu laisse le joueur noter lui-même ses prestations alors que le seul juge de la réussite est l’oreille. Comme dans les Cérébrales Académies et autres Programme d’Entraînement du Dr Kawashima, un professeur à l’accent italien impayable, cousin de Mario, forcément, propose des séquences d’apprentissages tout à fait sérieuses. Il explique le fonctionnement du jeu en cachant avec douceur des leçons sur des fondamentaux sonores de la musique. On y apprend, comme le souhaite Miyamoto, sans passer par les cases techniques rébarbatives des leçons de musique scolaire de nos enfances, la place et les différences entre la mélodie, les harmonies, les accords, les basses et les percussions. Et ce que ne fait surtout pas Wii Music, comme la majorité de jeux musicaux toujours basés sur le rythme, y compris les Donkey Konga de Nintendo, c’est obliger le joueur soumis à appuyer sur des touches-prompteurs.

Bonnes notes

Wii Music a donc l’ambition toute candide de se glisser entre le jeu vidéo et l’instrument de musique. D’utiliser le jeu vidéo comme une aide à la simulation. Un encourageur à jouer de la musique sans craindre l’erreur. Mieux même, à éradiquer la notion d’erreur, une fausse note en musique, susceptible d’écorcher l’oreille. Quand le joueur à la trompette ou à la guitare ne suit pas exactement le rythme de la mélodie, rate des temps, le timing des notes qu’il faut capter à l’oreille, la note qu’il génère se glisse dans le reste de la mélodie comme une improvisation, un impromptu provoquant parfois des résultats plus satisfaisants que le suivi scrupuleux de la mélodie. Il y a du génie dans l’intention et presque autant dans la réalisation. On n’ose imaginer les algorithmes informatiques réussissant cet exploit interprétatif alors que le jeu contient une cinquantaine de morceaux de 3 minutes environ, une soixantaine d’instruments de musique et, de la pop au rock, du classique à la marche de fanfare, du jazz au reggae, de l’Hawaïen au Japonais, du tango à l’électro, une douzaine de façons de les faire sonner et de les arranger. Au plus simple, le joueur prend place dans un orchestre de 6 musiciens, et essaie de suivre ou de s’affranchir du morceau joué par le programme. Au plus complexe, il peut tour à tour jouer chacune des 6 pistes d’un morceau avant d’enregistrer le tout sous forme d’un petit clip vidéo (pas le plus réussi bien que les Miis musiciens évoquent fortement ceux du Muppet Show mais, petit tip, exercice indispensable pour débloquer les pistes musicales). Il faut voir l’orchestre constitué de 6 de ses Mii accrochés à son instrument rejouer ses tentatives pour mesurer la douce folie du projet.

Musique émergeante

Les poses frimes à la Guitar Hero exprimées par les photos de production et par Miyamoto en personne, ne reflètent pas les nécessités du jeu. Quel que soit l’instrument utilisé, le plus souvent il s’agit de secouer de bas en haut la Wiimote et le Nunchuk. Rien de très sexy à voir ou à faire. À l’exception du mode batterie proposant une totale simulation de batterie si l’on possède la Wii Balance Board (grosse caisse et charlestone aux pieds, mais il manque cruellement une option pour gaucher et la manipulation des drums est trop complexe), le jeu est en réalité plus introspectif qu’extraverti. Même si, le volume du son augmentant avec l’amplitude des gestes, Wii Music rejoint sans que l’on y prête garde les exercices physiques des Wii Sports. Parce qu’il faut écouter la musique, guetter des mélodies volontairement fuyantes, essayer de distinguer chaque instrument pour le suivre ou le contrarier, le jeu implique, sans y obliger, à une concentration de l’ordre du sensible et non du mécanique. C’est peut-être là où le public a du mal à suivre. Sans guide obligatoire, il doit être celui qui donne l’impulsion, le rythme, l’énergie de chaque bœuf musical. À ce titre, le mode le plus fascinant est sans doute celui, pourtant présenté discrètement, de l’improvisation. Là, il suffit de piocher n’importe quel instrument et de se lancer dans un morceau musical dont on ignore tout. C’est en jouant, c’est-à-dire en faisant n’importe quoi au début, qu’en compagnie des petits musiciens d’accompagnement, que le joueur révèle, découvre peu à peu, et peut-être s’aligne, à la mélodie préexistante mais dissimulée. N’est-ce pas là un exemple inattendu et brillant de gameplay émergeant où le geste du joueur, son intensité, et sa volonté ou non, fait apparaître une structure qui lui appartient ensuite de suivre ou de déconstruire ?

Portée

Un rien désuet, les morceaux classiques (Carmen, Hymne à la Joie…) ou traditionnels (Ah : Vous dirais-je, Maman, Frères Jacques…) peuvent prêter à sourire jusqu’à ce que des morceaux plus pop (Material Girl, The Loco-Motion…) emballent un peu le jeu. De trop rares thèmes de jeu vidéo viennent aussi égayer la sélection et rien que pour se voir et s’entendre improviser et détourner au saxo ou à la guitare électrique, le thème de Zelda le jeu serait déjà une expérience unique. Il faut défendre Wii Music comme il faut défendre LittleBigPlanet, même s’il déconcerte, ne répond pas à toutes les attentes et crispe la nomenklatura du jeu vidéo. Nous avions tiré ici un trait entre jeu et non jeu dès l’apparition de Wi Fit. Contrairement à la réputation qu’il traine déjà, Wii Music a beaucoup plus à faire avec le jeu vidéo que toutes les simulations à but utilitaire. Alors que l’on s’empresse de voir dans cet essai mal compris un échec du célèbre joueur frustré de banjo Shigeru Miyamoto, il est en réalité probable que l’ambition follement utopiste d’offrir un simulateur de musique décomplexé, cherchant la joie et l’intimité de la musique, restera comme une des œuvres majeures du game designer japonais. Œuvre maudite et donc culte si le jeu ne rencontre pas le public.

François Bliss de la Boissière

(Publié sur Overgame.com en 2008)

Message aux lecteurs. Vous avez apprécié cet article, il vous a distrait un moment ou aidé dans vos recherches ? Merci de contribuer en € ou centimes de temps en temps : Paypal mais aussi en CB/Visa avec ce même bouton jaune sécurisé


Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n
‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.


 

La DS : Miyamoto’s Touch

Dans sa jeunesse, Shigeru Miyamoto fabriquait des marionnettes pour se distraire. Faut-il s’étonner alors que, lorsqu’on lui demanda d’inventer un jeu vidéo inédit dans les années 80 envahies par les shoot’em up, il présenta les aventures d’un petit personnage en salopette qui devait courir pour libérer une jeune fille des griffes d’un vilain gorille ?

Miyamoto photo © bliss_bigA

Déjà, en faisant sauter Mario (…nnette, une des origines supputées du prénom célèbre) de plateformes en plateformes, il s’agissait de donner un poids physique et existentiel à des pixels. En mariant avec la candeur d’un génie les chocs précis de Pong et l’errance libre de Pac-Man, le jeune créateur de jeu inventait le mélange de burlesque et d’émotion qui caractérisera toute sa production. Dès ses débuts quasi accidentels dans le jeu vidéo, Miyamoto cherche le double équilibre où pesanteur des pixels et distance précise de contact avec les objets et décors des mondes rudimentaires de l’époque, deviennent les garants palpables d’une existence, même ludique, dans l’écran. Ce principe d’intégrer dans le gameplay même des jeux les moyens d’éprouver directement ou indirectement le monde virtuel de l’intérieur, toujours sous couvert d’amusement ou de challenges, Miyamoto ne cessera jamais de l’explorer.

Mario, Luigi, Samus, Link, Yoshi… s’arrachent à la pesanteur

C’est cette obstination qui lui permet d’entraîner les ingénieurs Nintendo vers la concrétisation que l’on croit impossible d’un univers en 3D avec Super Mario 64 puis Zelda : Ocarina Of Time. Son besoin de faire exister un monde virtuel concret en donnant au joueur tous les moyens physiques de le tester s’exprime depuis plus de 20 ans dans tous les jeux qu’il supervise. Que l’on pense à Mario donnant inlassablement des coups de tête dans tous les plafonds en briques sur son chemin. Que l’on pense à la fraction de seconde ou le petit dino Yoshi reste suspendu au sommet de son saut, moment éphémère et pourtant si poignant où l’on ressent le « poids » d’un petit animal, déjà plus tout à fait virtuel, cherchant à s’arracher à sa propre pesanteur. Que l’on pense à Samus Aran de Metroid nous prouvant la solidité de son monde extra-terrestre en rebondissant athlétiquement d’un mur à l’autre. Que l’on pense à Luigi tapotant tout le mobilier du manoir où son frère a disparu ou, plus vertigineux encore et annonçant, au fond, la Dual Screen, le même Luigi faisant face au joueur et frappant la vitre de la télévision en appelant Mario ? Déjà Luigi/Miyamoto ne se contente plus de vérifier le monde virtuel intérieur, il vient interroger le monde réel. La révélation récente du surprenant projet Dual Screen avec son écran tactile devient alors une évidence. On oserait presque dire l’aboutissement de l’aspiration de Miyamoto à trouver le point exact de jonction entre les mondes virtuels et réels.

La quête de Miyamoto

Même si elle passe avec un succès inouï par le jeu vidéo, la quête de Miyamoto est toutefois ailleurs. Avec la persistance obsessionnelle d’un génie transcendant les outils mis à disposition dans son siècle, Shigeru Miyamoto adapte chaque jour à sa vision le monde qui l’entoure. Lui seul saura peut-être un jour s’il a atteint son but. Que cette quête personnelle ait emprunté et quasiment inventé au passage le médium jeu vidéo sous sa forme moderne pour, en plus, réussir à communiquer aussi intimement et généreusement avec des millions d’enfants et d’adultes, révèle une stature unique impossible à mesurer de son vivant. Un artiste de poids assurément.

Lire aussi : DS : Nintendo met le doigt sur le futur

François Bliss de la Boissière

(Inédit de juin 2004 destiné au mensuel mort né GameSelect)

 


Message aux lecteurs. Vous avez apprécié cet article, il vous a distrait un moment ou aidé dans vos recherches ? Merci de contribuer en € ou centimes de temps en temps : Paypal mais aussi en CB/Visa avec ce même bouton jaune sécurisé


Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n
‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.


Animal Forest + : la nouvelle arme secrète de Nintendo sur GameCube ?

Basé sur la « communication », fruit des labos Nintendo et des idées de Shigeru Miyamoto, voilà encore un soft suspect, à l’aspect gamin, japonais, mais pourtant hyper maniable, innovant, à la fois risqué et grand public. Prévu en occident pour 2002, Animal Forest + est peut-être le 1er jeu jouable par les filles comme par les garçons. You’ve got mail…

On l’entend dire régulièrement sans forcément bien le comprendre : Shigeru Miyamoto et Nintendo réfléchissent autour de jeux basés sur la « communication ». Quand on pose la question du « Quid du jeu en réseau sur GameCube ? » Nintendo répond : « communication locale ». Et cela donne : des jeux qui échangent des informations entre la GameCube et la Game Boy Advance (Sonic Adventure 2 Battle…), une mini console (Pokémon Mini) avec port infra-rouge pour mieux échanger des informations, des e-cards pleines d’informations lisibles sur Game Boy Advance (avec accessoire) et… Animal Forest +.
Sorti d’abord sur Nintendo 64 au Japon, ce titre à la fois conceptuel et facile d’accès (oui, comme Pikmin, en quelque sorte), est ressorti il y a quelques mois au Japon sur GameCube sous le titre Animal Forest +. Le même jeu peaufiné, lissé grâce à la technologie GameCube, amélioré. Renommé, et surtout scrupuleusement traduit (il le faudra), le jeu sortira sous le nom de Animal Crossing aux Etats-Unis, et fort probablement en Europe si l’on en croit le Guide Officiel Nintendo en circulation.
N’attendons plus pour jeter un œil sur ce nouveau rejeton de Miyamoto et essayer de comprendre ce que « communication » veut dire ici.

Mimi…Micro société de consommation

Un petit bonhomme à la tête ronde plus grande que le corps arrive par train à vapeur dans un petit village bucolique. A peine pied mis à terre, un raton laveur sur deux pattes lui propose d’acheter une maison moyennant un crédit. Le petit bonhomme, que vous aurez nommé… Conan (aah la dérision), par exemple, lâche ses seules économies et s’endette. Une fois son home sweet home investi, Conan retrouve son créancier, le raton-laveur, commerçant de son état. Pour rembourser sa dette Conan se met au service du commerçant qui lui confie divers tâches et travaux : livrer un objet à un particulier, planter des graines, envoyer une lettre, etc jusqu’à ce que la dette soit remboursée. Pendant ces menus travaux, et après, Conan explore le village, que vous aurez peut-être nommé Pompei pour rire, et ses environs. Il rencontre et discute avec les habitants isolés dans leur maison au bord d’une rivière sinueuse ; part à la découverte des coins importants sur une carte qu’il faut consulter sur un tableau d’affichage (avant que quelqu’un vous confie un exemplaire transportable) ; visite des gens et des lieux capitaux : les couturières artisanes près de la mini plage, le commissariat aux objets perdus, le temple musée qui attend de nombreux objets de valeurs, le bureau de poste où Conan ira poster ses lettres (il reçoit les siennes dans la boite aux lettres de sa maison qui clignote si besoin est !)…

Il y a du Zelda 16 bits dans l’air

Le jeu est vu du dessus, à l’ancienne. L’essentiel des objets décors et personnages est en volume tandis que des subterfuges graphiques permettent au reste d’être en 2D sans que cela se remarque trop. A la fois naïf, premier degré, l’aspect graphique a en même temps une profondeur et un souci du détail bien choisis qui font penser à un certain Zelda sur Super Nintendo qui aurait gardé son interface tout en se gonflant de quelques polygones. Pleine d’humour, d’émotions, cette version GameCube sobre et sans effets spéciaux ébouriffants se contente de mettre au net la version Nintendo 64 et c’est très bien comme ça. Des feuilles d’arbres et de buissons flottent au vent ou tombent des feuillages avec les pommes si Conan secoue les troncs. L’eau de la rivière est simple et élégante. Les maisons se ressemblent mais sont toutes uniques. Les pas de Conan se marquent dans le sable de la plage avant de s’évaporer élégamment. Tant que Conan trotte dans la campagne, la caméra est figé au dessus de lui et se contente de zoomer discrètement sur les personnages lorsqu’ils engagent un dialogue. Il n’y a qu’à l’intérieur de certaines habitations que le stick jaune permet de bouger la caméra en offrant différentes perspectives, dont un zoom qui fait presque descendre la vue à la hauteur du personnage. Car Conan est capable de s’asseoir sur les sièges disponibles, de s’allonger sur les lits, d’ouvrir les placards, d’allumer ou éteindre radios et télévisions, mais pas de déplacer le mobilier, ni même « d’emprunter » des objets. Non, quand même.

Musique de cave

Le thème musical jazzy mid-tempo impose un rythme simple et riche finalement pas très éloigné du travail finement accompli sur Luigi’s Mansion. Ici aussi les portes grincent après que Conan se soit appliqué à faire toc-toc avant d’entrer chez l’habitant. Les bruits de pas varient selon les surfaces, herbes, sables humides, chemin terreux, tatami et tous les dialogues sont illustrés par des gargouillis singuliers suivant au pied de la lettre les sous-titres.

Le joli temps qui passe… pour toujours ?

Visuellement et auditivement, le jeu n’a que les limites qu’il s’impose. L’apparente simplicité graphique est liée au concept faussement modeste du jeu. Cela n’empêchera pas la pluie de venir, les saisons de passer et de rhabiller le pays sous un manteau de neige éclatante, ou de chaudes couleurs automnales… Fluide, parfaitement maniable, le jeu ne subit aucune pression technique sinon la sauvegarde. Animal Forest + est, en effet, fourni avec une cartouche de mémoire entièrement dédiée au jeu. Le lancement de la partie et la sauvegarde prennent ainsi plus de temps que l’ordinaire des jeux Nintendo pour s’activer. Les 57 blocs de la memory card sont apparemment sollicités. Il faut savoir que cette aventure fonctionne en temps réel avec l’horloge interne de la GameCube. Vraiment. Ainsi, à moins de tripoter l’horloge de la console, c’est, actuellement, le printemps dans Animal Forest +, l’été ne viendra pas avant la fin juin, l’automne avec l’automne et la neige cet hiver. L’énormité de ce concept horloge-temps réel, dont on retrouve l’écho dans les velléités du 64DD mort né ou du Nights spécial Christmas offert par la Sonic Team un certain Noël de la Saturn, ne pourra se mesurer que sur la longueur. Les évènements du jeu dépendent donc de l’heure, du jour et de la nuit, de la période de l’année dans laquelle on se trouve. Et cela rappelle aussi les Pokémon Or et Argent de la Game Boy Color qui, calés sur l’horloge des cartouches, imposent aux joueurs de chasser tel ou tel Pokémon la nuit uniquement, ou le samedi ! Comment donner la notion du temps aux enfants, leur apprendre la patience ? Comme ça. De la gare de chemin de fer à la Poste, de la maison des autochtones au musée, tous les cadrans d’horloges du pays de Animal Forest + marquent l’heure exacte. Décidément, de Zelda Ocarina of Time, ou Majora’s Mask, à Pikmin, en passant par les Pokémon, le facteur temps est devenu indissociable des concepts Nintendo.

Et le jeu, c’est quoi, hein ?

En quoi consiste réellement le gameplay du jeu ? demande avec impatience le joueur gonflé de testostérone. A déplacer en temps réel le petit bonhomme, à le conduire d’une maison à l’autre pour parler avec les habitants. A secouer les arbres pour cueillir des pommes, des sacs d’or, à accumuler des objets quelques fois utiles ou ayant une valeur numéraire, à collectionner les vêtements, à changer de décoration intérieur (si si : le tapis !), à écrire des lettres et à les poster, à rédiger des messages sur le tableau d’affichage du village, à tenir son agenda, quitte à le transformer en journal intime, à ramasser des coquillages, à couper du bois, à jouer avec le ballon de foot qui traîne là, à pêcher sur le petit embarcadère tendu au dessus de l’eau douce. En quelque sorte, Animal Forest + récupère les séquences pacifiques des traditionnels jeux de rôles japonais où les héros visitent un village pour refaire le plein de santé et d’objets. Sauf qu’ici on reste tout le temps dans le village, qu’il y a plein de choses à faire pour s’occuper et qu’il n’y a pas de combats à suivre. Seules comptent la prospérité bon enfant, la qualité des relations sociales et la créativité.

La NGC et la GBA communiquent !

En branchant la Game Boy Advance sur le 2e port manette avec le câble approprié, le jeu permet à plusieurs reprises d’up loader dans la console portable une partie du jeu. Les couturières du magasin de vêtements proposent par exemple de faire passer dans la GBA l’interface qui permet de créer des motifs pour les tissus (fringues, parapluies, tapis, etc). L’écran de la GBA se transforme alors en petit logiciel de création graphique où un mini damier de pixels devient la toile blanche où le talent de chacun (cune) se prêtera au plaisir de la création colorée. Les motifs ainsi créés sont ensuite à retransférer vers la GameCube avant d’éteindre la console portable. A condition de rencontrer un type à bord d’une barque, la GBA permet à Conan (! oui, c’est ridicule) d’aller sur une petite île où l’attend une deuxième maison ! Un épisode qui nous est arrivé tout à fait par inadvertance au début de l’aventure et plus jamais après. Quelle heure était-il donc quand c’est arrivé ? Quelle succession d’événements ont conduit à cette rencontre fortuite ? Seule la version anglaise nous le dira à la fin de l’année…

Un jeu pour tout le monde, oui, les filles aussi

Ce nouveau concept à vocation grand public de Nintendo ne serait-il pas enfin la réponse à la question (sans vraie réponse) que nous avions posé à Miyamoto lui-même en 1999 en voyant la moitié de l’humanité peu concernée par les jeux vidéo : et les filles ? Car, indéniablement, et sans tomber dans aucune mièvrerie ni même infantilisation excessive (sinon un peu de puérilculture), Animal Forest + s’annonce comme le jeu vidéo le plus sociabilisant qui soit. Entre le joueur et le programme s’entend. Et donc le plus susceptible d’intéresser les filles. Pas de compétition physique ici, ni de manipulation obscure de la manette, créativité et tissu social sont les maîtres d’oeuvre. Sans être non plus un soft de gestion austère façon PC, ce petit bijou de fausse simplicité est appelé à grandir et surtout à durer indéfiniment (que se passe-t-il le 25 décembre 2002 ? le 1er janvier 2004 ? Le jour de mon anniversaire ? …). Tout en étant capable d’intéresser les garçons, cet Animal Forest est la plus jolie et la plus honnête main jamais tendue aux filles prêtes à goûter aux vertiges du jeu virtuel. Mesdames, si vous lisez ces lignes, vous savez ce qu’il vous reste à demander à vos mecs pour Noël sur GameCube. (Une fois qu’il a mis la main sur Resident Evil rebirth évidemment 😉 )

François Bliss de la Boissière

Notes : Animal Forest + dépend énormément des dialogues et la version japonaise actuellement disponible est un véritable frein, non seulement à la compréhension du jeu, mais à son déroulement. Nous remercions au passage le FAQ de Mark Green (voir zone de liens) qui nous a permis d’évoluer quelques heures dans Animal Forest +. Entièrement traduit en anglais Animal Crossing, est bel et bien prévu pour les Etats-Unis en 2002 et très certainement pour l’Europe.

(Publié sur Overgame.com en avril 2002)

Message aux lecteurs. Vous avez apprécié cet article, il vous a distrait un moment ou aidé dans vos recherches ? Merci de contribuer en € ou centimes de temps en temps : Paypal mais aussi en CB/Visa avec ce même bouton jaune sécurisé


Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n
‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.


 

Zelda Majora’s Mask : Le jeu cerveau (tentative de test)

À jeu monument, critique hors norme. Le nouveau Zelda fait grincer des dents et marcher la tête. Enfants s’abstenir : ce jeu en cache un autre. Le Test aussi…

N’espérez pas lire dans cet article un descriptif complet du contenu du nouveau Zelda sur Nintendo 64. Une vie privée de journaliste en exercice ne suffirait pas à en faire le tour. Ne vous posez pas longtemps la question de la note (9/10 si vous y tenez) qui n’est qu’un exercice scolaire souvent réducteur destiné aux plus pressés des lecteurs. Laissez nous tenter de vous expliquer à quel point Zelda : Majora’s Mask est complexe et accessible à la fois.

Sommaire de lecture :

  • Préambule
    – La fin des temps
    – Parole de joueur
  • Un concept qui en cache un autre...
    – PART I : l’étau du Temps
    – PART II : un Monde masqué
  • Entracte : Link, l’homme orchestre
  • La 3D made in Nintendo…
    – PART I : parfait dès le début
    – PART II : toujours plus loin
    – PART III : la technique au service de l’intuitif
  • Entracte : pas si beau
  • Dialogues de sourd…
    – PART I : ils s’entendent bien
    – PART II : un héros muet garde la tête haute

  • Entracte : la question à 72 balles

  • Un jeu cerveau… 
    – PART I : la mémoire des mondes
    – PART II : la mémoire du Temps
    – PART III : à la recherche de l’Espace-Temps
  • Entracte : Overgame et Link sur le même rythme ?
  • Épilogue…
    – La fin des temps
    – Bas les masques

Préambule…

La fin des Temps…

Vous connaissez l’historique de ce nouveau Zelda. Complété en 18 mois il est l’assemblage du moteur 3D de Ocarina of Time, et de bribes d’un jeu beaucoup plus long envisagé un temps sur le 64DD. Des raccourcis techniques qui, pour une fois, ont permis à Nintendo d’écourter les temps de développement. Le Temps… un thème devenu primordial dans les aventures de Link.

Parole de joueur !

Parole de joueur, depuis le fameux Myst sur PC (ou console 3DO pour les consoleux), on n’a jamais vu un jeu à la structure aussi complexe. Tant d’imbrications scénaristiques et physiques sont sidérantes dans un jeu que beaucoup croit destiné aux enfants. Nintendo, Miyamoto, et le responsable direct de cet épisode, Eiji Aonuma, ont l’air d’avoir cette fois complètement « pété les plombs » (excusez l’expression). Comme l’Art Contemporain définit un travail artistique reposant sur une idée forte par le terme d’œuvre « conceptuelle », Majora’s Mask est un jeu vidéo « conceptuel ». Accrochez-vous…

Un concept qui en cache un autre…

PART I : l’étau du Temps

Où Link, en plein cauchemar éveillé, doit sauver en trois jours un monde menacé par la chute de la Lune. Trois jours et trois nuits qui se suivent en temps réel à l’échelle du monde de Termina (72 heures là-bas, environ une heure chez nous). Trois jours à revivre inlassablement jusqu’au sauvetage… Link tourne-t-il en rond ?



La course au stress. 
Ce concept de Temps provoque une modification fondamentale d’un principe jusque là établit par Miyamoto. Il est pratiquement impossible de se promener décontracté dans Termina. Miyamoto avait mis un point d’honneur dans Ocarina of Time à offrir un monde où il fait bon vivre. L’épée de Damoclès suspendue au dessus de Link, et surtout le peu de temps à la disposition du joueur, inhibe toute balade gratuite dans Majora’s Mask. Pire encore, les heures conduisant inexorablement vers l’holocauste transforment peu à peu le jeu en une course étrange contre la montre. Le système si particulier de sauvegarde qui ramène au premier jour en vidant les poches du héros de tout superflu (argent, munitions et autres objets annexes collectés dans les trois jours) provoquent des situations totalement inédites et ô combien stressantes.

Gérer la panique (ou s’y abandonner)
. Quand sonne le glas régulier des 6 dernières heures du jeu (5 minutes pour le joueur), tous les gestes, sauts et coups d’épée, deviennent fébriles. La fin est proche et chaque action porte le poids de cet ultimatum. Les premières fois on insiste, plus tard on abandonne l’effort guerrier trop lourd d’émotion pour devenir pragmatique avant la fin du monde.
 Calculateur par nécessité, vous profitez donc de ces dernières minutes pour aller in extremis à la banque de Clock Town déposer votre argent, faire un mini jeu dans la ville qui validera une récompense, visiter une personne dont on peut se demander si elle n’a pas une ultime révélation à faire avant de disparaître. Autant de secondes précieuses gagnées sur la partie suivante, que de prises de risques douteuses sur la partie en cours. Car, si Link a fait quelque chose d’important pendant ces trois journées qui arrivent à terme, se prendre la Lune sur la tête implique que la partie n’a pas été sauvegardée et qu’il faut tout recommencer. Cela n’empêchera pas le joueur en contrôle de souffler dans l’Ocarina salvateur à l’holocauste moins 20, 15 ou 10 secondes. Pas le moment de rater les notes de la Mélodie du Temps…

PART II : un Monde masqué

Masques physiques, magiques, psychologiques, symboliques, philosophiques, on peut dénombrer beaucoup plus de masques « invisibles » en sus des 24 masques visibles que Link doit trouver dans cette aventure. Ne cherchez pas ces masques « invisibles », ils ne sont que symboliques, mais admirez la cohérence et la persistance du concept…



Les masques invisibles. 
Au début de l’aventure, dans la forêt d’Hyrule – le vrai monde des aventures de Zelda – le petit Link se fait voler sa flûte Ocarina par un garnement masqué (sans compter le masque mystique qui transforme le gentil garçon du peuple Skull en chenapan incontrôlable et plein de pouvoirs, c’est plutôt l’idée d’altération de l’identité qui fait naître le 1er masque ! que nous qualifierons « d’invisible »). À la poursuite du Skull Kid mauvais farceur, Link plonge par accident dans un autre monde. Parallèle à Hyrule, le monde de Termina n’est pas tout à fait la réalité d’Hyrule même si il y ressemble (masque !). Ce qui s’y déroule n’affecte pas le destin et la chronologie du royaume de la princesse Zelda. Familier, mais avec des variations, Termina fait revivre une majorité de personnages de Ocarina of Time dans des rôles différents (masques !) : les méchants sont devenus bons, par exemple. À peine sur ce nouveau monde, Link aperçoit un visage grimaçant au-dessus de lui : la Lune est en train de tomber sur Termina (masque !). Le monde apparemment heureux de Termina, dont le centre représenté par le village Clock Town s’apprête à fêter son carnaval (masques !), n’est pas aussi jovial qu’il en a l’air (masque !) : une menace lourde pèse sur lui. Plus tard, après avoir dominé le premier Boss Odolwa, la nouvelle petite fée qui accompagne Link par obligation reconnaît tout à coup dans ce jeune garçon, qui n’en n’a pas l’air, l’étoffe d’un héros (masque !). Et ainsi de suite…



Le masque du quotidien. 
En scrutant chaque rapport des gens et des évènements entre eux, la liste des « masques invisibles » doit pouvoir s’allonger jusqu’à la fin de l’aventure. La plupart des joueurs se contenteront des masques « visibles ». C’est bien normal, le jeu est fait pour ça. Le reste n’est que concept et plaisir de comprendre…
Retenons que le monde de Termina n’est pas tel qu’il apparaît au premier regard. Il y a donc d’autres « couches ». De là à les appeler le moi et le surmoi…

Entracte : Link, l'homme orchestre
Un des avantages les plus chics des trois masques majeurs (Deku, Goron et Zora), est leur association avec des instruments musicaux différents. Fini l'exclusivité de l'Ocarina, selon les masques portés, Link jouera des tambours, de la trompette… Les notes à exécuter sont les mêmes quelque soit l'instrument, mais en fonction des contextes et des nécessités, il faudra jouer tantôt un coup de trompette, tantôt un coup de tambour. Déjà petit bonhomme à tout faire, Link est devenu un véritable homme orchestre. Et le joueur est, encore une fois, le chef d'orchestre.

La 3D made in Nintendo…

PART I : parfait dès le début

Comme tous les concepteurs confrontés aux problèmes de la 3D le savent, Ocarina of Time a complété la maîtrise d’un gameplay en 3D commencée avec Mario 64. Pensée par Miyamoto pendant longtemps, la résolution ludique des problèmes liés à la 3D : fée pour guider et orienter les recherches, système de verrouillage convivial sur les cibles et les interlocuteurs, appréciation des distances d’un ennemi hors cadre grâce à la régulation du son et des musiques d’alertes…, se retrouve en l’état dans Majora’s Mask. Il n’y a aucune raison de s’en plaindre, le réglage était et reste minutieux. Mais Nintendo en veut plus…

PART II : toujours plus loin

Pour aller plus loin dans cette conquête du monde virtuel en volume, ce nouveau Zelda offre donc des aptitudes inédites au héros. Cela génère aussitôt des ajustements si complexes à réaliser que c’est à croire que les concepteurs de chez Nintendo s’amusent à se donner des défis techniques rien que pour le plaisir et la fierté de les résoudre ! Imaginer que le masque Deku permette à Link de sauter très haut et de planer avec une précision quasi chirurgicale est sûrement plus facile à penser qu’à concrétiser. Et pourtant, le contrôle du petit Link suspendu dans les airs par deux fleurs-hélices est un discret mais convaincant exemple de dérive maîtrisée. Imaginer que le masque de Goron permette à Link de se mettre en boule et de faire la roue est une chose, transformer cette aptitude bonhomme en exercice périlleux de force brute, tout juste maîtrisable et capable de se lancer à toute vitesse sur des parcours accidentés, est encore à porter au crédit d’un savoir faire invraisemblable chez Nintendo. Car ce qui fait parfois l’ensemble d’un jeu pour un studio de développement, n’est qu’un des éléments anecdotiques de Majora’s Mask.

PART III : la technique au service de l’intuitif

Toutes ces altérations de la matière virtuelle, et des conséquences physiques répercutées sur le contrôle par le joueur, demandent une effroyable rigueur technique du côté réalisation. C’est d’autant plus étonnant que le résultat au bout des doigts n’est jamais « technique ». Le contrôle par le joueur est quasi total et naturel, en même temps il reste assez d’aléatoires dans les forces en action pour ne pas avoir l’impression de guider un corps trop bien réglé. La somme des réglages techniques n’explique pas, au fond, la synthèse intuitive du résultat interactif. C’est, en un mot bien placé chez Zelda, magique.

Entracte : pas si beau
Majora's Mask nécessite obligatoirement la présence de l'Expansion Pak dans la Nintendo 64 pour fonctionner (+ 4 Mo de RAM). Le jeu est donc plus ambitieux graphiquement, mais, curieusement, les défauts d'affichage se voient d'avantage que dans Ocarina of Time. Trop gourmand, les décors scintillent souvent quand la caméra s'obstine à montrer des vues d'ensemble. Même avec des textures plus détaillées et plus nombreuses, le monde de Termina apparaît moins fini que celui d'Hyrule. Il est vrai que la présence de la Dreamcast depuis deux ans sur le marché (elle est sortie en même temps que Ocarina of Time au Japon fin 98), a forcément augmenté notre seuil d'exigence.

Dialogues de sourds…

PART I : ils s’entendent bien

Qui a remarqué que malgré les dizaines d’heures de dialogues entre Link et les habitants d’Hyrule et de Termina, le petit lutin vert ne s’exprime jamais lui-même ? Les dialogues écrits font parler chaque interlocuteur, mais jamais Link. Celui-ci n’exprime jamais une pensée ou une phrase directement. N’est-ce pas étonnant ? Quelle en est la raison et comment se fait-il que les conversations semblent quand même naturelles ? La méthode employée par Nintendo consiste à faire dire des monologues à un personnage comme si celui-ci entendait les répliques de Link. Si l’interlocuteur pose une question, le joueur opte pour un oui ou un non proposé et l’interlocuteur reformule éventuellement ce que Link devrait dire. Sinon, les personnages importants s’adonnent à de longs monologues où sont reformulés ici et là ce que Link dirait sûrement. Cela rend-il le jeune héros passif pour autant ? Non.

PART II : un héros muet garde la tête haute

C’est étrange, quand on prend conscience de ce phénomène, et la première explication qui vient à l’esprit (en attendant de demander à Miyamoto directement) est que Link EST le joueur. Lui attribuer des phrases de dialogues comme le font tous les RPG serait prendre le risque de repousser le processus d’identification entre le joueur et le héros. Combien de fois avons nous entendu un héros bien valeureux dire tout à coup une phrase ridicule, maladroite, mal écrite ou tout simplement banale ? Qui ne renie pas alors son personnage ne serait-ce qu’un bref instant ? Muet, Link ne dit jamais de mots bêtes et le joueur qui doit le conduire à travers une longue aventure n’a jamais honte de son héros. Combien d’autres choix « subliminaux » recèlent donc un Zelda ?

Entracte : la question à 72 balles

Comment les concepteurs ont-ils réussi à coordonner les distances d'un point à l'autre de la carte, la profondeur des donjons, la résistance des Boss, pour que chaque section du jeu soit faisable dans les 72 heures imparties ? Un donjon est, par exemple, rarement franchissable la première fois : le temps d'y arriver entame trop sérieusement le crédit d'heures pour espérer le traverser au premier essai. C'est ainsi qu'une fois la procédure d'accès à un donjon connue, il est préférable de revenir au premier jour avant de se lancer. Quand on décide de partir à l'assaut d'un temple après les repérages indispensables, il faut savoir que les 72 heures représentent à peu de chose près le temps nécessaire pour le franchir et vaincre le Boss. Trop d'hésitations dans le donjon ? ...la fin du monde surgira au moment de rencontrer le Boss. Un petit détour champêtre avant d'accéder au Temple ? ...la Lune réduira en bouillie le donjon pas encore franchi. Reposons la question : en tenant compte de tous les paramètres de distances, des obstacles, des dialogues et des énigmes, tout en gardant la cohérence du scénario, comment les concepteurs ont-ils réussi à caler systématiquement sur 72 heures toutes les épreuves du jeu ?

Un jeu cerveau…

PART I : la mémoire des mondes

Depuis l’avènement des jeux en 3D, jeu d’aventure à la Tomb Raider ou jeu de tir à la Quake, notre cerveau a appris à mémoriser des espaces virtuels. Comme autant d’endroits visités pour de vrai, nous avons tous dans la tête des cartes de mondes en volume qui n’existent pas physiquement. Au fond notre cerveau ne traite pas différemment un vrai monde d’un faux. Il accepte même les pire élucubrations architecturales des concepteurs. Le cerveau finit par s’adapter à des perspectives détournant complètement les repères réels pour les recréer sans contrainte dans l’irréel.
 Imaginez le nombre de plans de mondes immatériels mais, en volume, que votre cerveau a emmagasiné ces 5 dernières années. Et bien, après avoir créé des donjons parmi les plus malins de la 3D pour Ocarina of Time, Nintendo repousse notre faculté d’appréhension, devenue presque ordinaire, en cherchant une nouvelle dimension. Peut-être la 4e dimension du jeu vidéo : le Temps.

PART II : la mémoire du Temps

À l’état embryonnaire dans Ocarina of Time parce que binaire, (passé et présent, deux époques interchangeables, deux manières « seulement » d’aborder les périples et rencontres), le principe du voyage dans le Temps et du recommencement perpétuel des évènements de Majora’s Mask atteint un niveau de sophistication tel que l’abstraction n’est pas loin. Un jeu pour les enfants ? Quelle mystification ! Voilà plutôt un jeu à thèse, un objet d’observation pour les classes de philo (voir Focus : Réflexions sur Majora’s Mask).
Le plus étrange quand on pratique avec incrédulité les complexités de ce monde en perpétuel recommencement, est d’imaginer l’incroyable travail que représente la fabrication d’un tel imbroglio. D’autant que Nintendo n’est pas une société à libérer un jeu sans qu’il soit fignoler parfaitement. On se demande aussitôt comment il est possible de beta tester un tel matériau. Encore une fois, Majora’s Mask est le jeu le plus cérébral jamais vu depuis Myst et Riven. Puisque les joueurs savent dorénavant s’orienter dans la 3D virtuelle, Miyamoto et ses congénères nous obligent cette fois à conceptualiser le Temps.

PART III : à la recherche de l’Espace-Temps

Comme d’habitude, les jeux de Miyamoto nous donnent à apprendre et à pratiquer de nouvelles aptitudes : physiques avec les trois masques qui donnent de nouveaux pouvoirs à Link, mais aussi et surtout, intellectuelles. L’obligation de fusionner l’espace 3D observable avec le Temps impalpable sollicite des aires du cerveau jusque là laissées au repos dans les jeux vidéo. Pratiquer Majora’s Mask fait naître une nouvelle antenne au joueur. Les rencontres, les évènements ont lieu à des moments précis, dans des endroits fixes, repérables. Après les errements du début, le joueur doit s’organiser, un agenda lui est d’ailleurs fourni…
 À terme, le joueur aura mémorisé toute la géographie du monde mais aussi tous ses habitants. Un processus habituel. Cette fois cependant, il faut mémoriser – conceptualiser – ce monde sur trois jours et trois nuits. Il faudra avoir retenu tous les mouvements cycliques de population, mais aussi leur altération en cas d’intervention du joueur. Et comme les destins de nombreux personnages sont intimement liés entre eux et forment une chaîne d’événements, cet exercice de mémorisation doit englober toutes les variations d’un ensemble très difficile à délimiter. Et, à chaque altération d’un élément tout est à réévaluer…

Triforce abandonnée, trois jours prisonnier ou Trinité à retrouver ? 
72 heures, soit un peu plus d’une heure de monde réel vécu, pendant lesquelles un mini univers fait son tour. Héros finalement traditionnel, Link est donc un apprenti Dieu lâché sur un monde qu’il devra appréhender dans sa globalité pour le sauver. Le problème est qu’il est contrôlé par un joueur humain qui devra faire l’effort de voir le monde comme un Dieu. Ce n’est peut-être pas donné à tout le monde.

Entracte : Bliss et Link sur le même rythme ?

N'est-ce pas ironique que nous ayons accompagné la sortie de Ocarina of Time en 1998 par un compte à rebours quotidien sur Overgame pour se retrouver à subir un compte à rebours inexorable dans Majora's Mask  ? Sans vouloir à tout prix s'approprier ce qui n'est, prions les dieux, qu'un accident, ce n'est pas le dernier des paradoxes de Majora's Mask.

Épilogue…

La fin des Temps

On peut sans doute regretter le sentiment accentué d’immatérialité du fait que cette nouvelle aventure ne se passe pas sur Hyrule à la rescousse de la princesse Zelda. Aussi ridicule que cela puisse paraître pour les yeux étrangers, il manque à cette aventure le côté épique d’une histoire qui intervient « pour de vrai » sur le destin de personnages avec lesquels nous entretenons un lien affectif. Majora’s Mask est visiblement un cauchemar de Link. Cette histoire ne compte donc pas.

Bas les masques

Majora’s Mask est un jeu masqué. Déguisé pour plaire à tous, c’est un monument de complexité dissimulée. Comme cet article, il laissera probablement perplexe les gens de passage et ne plaira pas à tout le monde. Cette nouvelle œuvre de Nintendo prend plus de risques que jamais dans sa conception, c’est sans doute pour cela que le jeu donne moins de plaisir à pratiquer que le précédent. Quelque soit le degré d’appréciation ou de rejet de chacun, une chose est certaine, ce nouveau Zelda est une fois de plus un jeu intemporel, pour ne pas dire : « hors du Temps », un OVNI qui laissera des traces dans son sillage.

François Bliss de la Boissière

(Publié le 17 novembre 2000 sur Overgame)

Note générale : ? / 10
Côté plus :
  • La maniabilité
  • La variété des rouages de jeu
  • L’original concept temporel
  • Univers complexe et unique
  • Le retour du thème musical de Zelda
Côté moins :
  • La répétition obligatoire des situations
  • Les graphismes déjà dépassés
  • La sauvegarde unique
  • Le lourd concept temporel
  • Où sont Hyrule et Zelda ?


Message aux lecteurs. Vous avez apprécié cet article, il vous a distrait un moment ou aidé dans vos recherches ? Merci de contribuer en € ou centimes de temps en temps : Paypal mais aussi en CB/Visa avec ce même bouton jaune sécurisé


Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n
‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.