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Philippe Sauze : « Les politiques n’ont jamais véritablement reconnu le jeu vidéo comme quelque chose d’important. »

Le Directeur Général d’Electronic Arts France défend les nouveaux choix éditoriaux à risques de son catalogue de jeux, avoue les difficultés de réussir sur consoles Nintendo et revient, quand on lui demande, sur la critique déplacée de la norme PEGI par Nadine Morano. Les politiques passent et leur ignorance du jeu vidéo reste chronique. INTERVIEW 2/2…

Philippe Sauze

Bliss : Avec l’annonce récente de la relance de la franchise Medal of Honor qui choisit l’Afghanistan comme glissant terrain de jeu on a encore l’impression, après la nudité de The Saboteur, que l’Electronic Arts qu’on a connu plus sage lorsqu’il était leader de l’industrie se retrouve beaucoup plus provocateur depuis qu’il est en deuxième place des éditeurs derrière Activision-Blizzard. Est-ce une posture nécessaire pour se faire remarquer ?

Philippe Sauze (directeur EA France) : Mais non ! Quand on était trop propre on nous reprochait de l’être trop, quand on était n°1, on nous reprochait d’être arrogant. Quand aujourd’hui on a un soupçon de polémique qui n’est même pas forcément voulu, on nous reproche de l’être. C’est une orientation qui a d’abord été prise par le studio. Nous avons mis la série Medal of Honor en sommeil et on s’est aperçu à travers les sondages que les gamers attendaient son retour à un moment ou à un autre. Alors évidemment nous ne sommes pas inconscient. L’Afghanistan est un sujet un peu délicat dans lequel on se doit d’être très attentif. On ne veut pas mélanger les genres. On n’a pas une volonté de prises de position ou d’opinions par rapport à un conflit actuel. Premier point. Deuxième point, je voudrais revenir sur ce qui a fait la force des FPS comme Medal of Honor. Quand la série a connu le succès, la tendance du genre était plutôt la Seconde guerre mondiale. Le Call of Duty : Modern Warfare 2 d’Activision (dont l’action se déroule pendant des guerres fictionnelles contemporaines, ndr) a ouvert une nouvelle tendance. Vous savez très bien qu’on surfe aussi sur les tendances, on fait tous ça. Surf, skate, musique, tout le monde y va… Avec Medal of Honor, nous essayons de coller à la tendance. Mais nous n’avons aucune volonté de polémique derrière le jeu. On essaie juste de répondre à l’attente des joueurs avec des jeux de qualité, c’est tout.

Bliss : La Wii semble poser un problème de positionnement à pas mal d’éditeurs, comme EA avec Dead Space : Extraction, qui découvrent que les jeux dits matures ne s’y vendent pas et forcent à développer des jeux casuals spécialement dédiés aux consoles Nintendo. Blockbusters sur consoles high-tech, jeux casuals sur consoles Nintendo, social gaming en ligne…, EA peut tout piloter en parallèle et au même niveau ?

Philippe Sauze : Nous avons toujours eu une stratégie multi plateforme et il faut l’assumer. Maintenant, il faut l’optimiser. On s’est aperçu que lancer trop de produits tue le produit. Nous n’avions pas le temps, comme on dit, « d’engineer » le produit, de le « fabriquer ». On a raté le démarrage Wii au début, mais nous y sommes revenus en mai 2009 avec trois produits forts, Grand Chelem Tennis, Harry Potter et EA Sports Active. Et nous avons vu que nous étions capables de prendre des parts de marché. Cela étant dit, sur la Nintendo nous n’aurons jamais les mêmes parts de marché que sur PlayStation ou sur Xbox. Parce que la politique de Nintendo c’est d’abord de développer ses propres productions. Ce qui est normal. Si vous analysez son historique, souvenez-vous du nombre de journalistes et de distributeurs qui donnaient Nintendo pour mort depuis la Nintendo 64. Nintendo ne mourra jamais parce qu’ils s’auto suffisent. Ils ont les consoles qu’il faut, avec les jeux qu’il faut. Nintendo n’avait pas une politique d’éditeurs tiers avant la DS et la Wii comme Sony en avait développée une avec la PlayStation depuis 1995. Ce n’est effectivement pas simple de rentrer sur ce marché Nintendo très orienté Nintendo.

Bliss : Vous avez été président du SELL et vous avez travaillé à l’élaboration de la norme PEGI (classification des jeux par âges recommandés). Que pensez-vous de la critique déplacée de Nadine Morano à propos de l’utilité du PEGI et de la réaction bouillante de Jean-Claude Larue, le porte-parole des éditeurs ?

Philippe Sauze : Pendant mes trois années de présidence du SELL je peux dire que les politiques n’ont jamais véritablement reconnu le jeu vidéo comme quelque chose d’important. Il a fallu œuvrer avec les membres du conseil d’administration et Jean-Claude Larue pour faire reconnaître le monde du jeu vidéo. À partir de là, le jeu vidéo a toujours voulu être volontaire et prendre ses responsabilités. C’est quelque chose que j’ai senti dès 1995 quand j’ai rejoint cette industrie. Il y a plusieurs volontés dans le jeu vidéo. D’abord celle d’installer ce marché qui, quand même, vient de loin. Et pèse aujourd’hui en France près de 2,7 milliards d’euro, deuxième marché derrière le livre ! Ce marché là se doit d’être régulé. Et le jeu vidéo a tout de suite identifié que nous aurions un moyen d’être connu et reconnu vis à vis des pouvoirs publics avec l’installation d’un système de contrôle, d’auto contrôle qui s’appelle PEGI. Et au niveau européen nous avons eu la chance de pouvoir, ensemble, mettre en place ce système d’information aux joueurs et aux parents. La problématique c’est qu’on a installé PEGI au niveau européen, mais qu’au niveau local, national, les politiques, qui sont très loin du jeu vidéo, qui ne connaissent les jeux vidéo que par les faits divers, tirent des boulets rouges sur cette activité qui leur pose problème. Sauf que, derrière, le marché du jeu vidéo est organisé. Et ils découvrent aujourd’hui PEGI. Alors, comme dans tous les domaines, chaque gouvernement voudrait revendiquer une petite partie de chaque mesure qui est prise. Et après c’est au tour de chaque ministre qui passe… « PEGI, pas PEGI, ah mais il nous faudrait quelque chose en plus en France »… Le système d’autocontrôle PEGI a été décidé avec la conseillère européenne Viviane Reding. À partir de là, PEGI a une légitimité européenne et, de fait, une légitimité nationale. On s’est mis tous d’accord au niveau des pays européens ! Donc Nadine Morano… En plus, je ne voudrais pas faire de polémique mais franchement on a vu une photo de Nadine Morano chez elle dans un média où ses enfants jouaient avec un jeu dont nous connaissons le nom (GTA IV, ndr) qui est un jeu + 18 ans… Jean-Claude Larue a réagi de façon violente mais, sincèrement, sa réaction a été saine parce que ça fait des années que cela dure. Encore une fois. La norme PEGI est européenne, a été validée par Bruxelles. Il n’y a pas beaucoup de systèmes européens qui fonctionnent, celui-ci fonctionne sur toute l’Europe.

Bliss : Comment se présentent les rapports avec le nouveau ministre de la culture ?

Philippe Sauze : Jean-Claude Larue et Georges Fornay (PDG de Sony Computer Entertainment France et actuel président du SELL, ndr) ont rencontré Frédéric Mitterrand. Ça se présente bien mais, comme à chaque fois, il faut qu’on réexplique notre histoire.

INTERVIEW Philippe Sauze 1/2 : « On n’a pas su faire ce qu’Ubisoft a très bien fait avec Assassin’s Creed 1. »

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière

(Publié le 5 février 2010 sur Electron Libre)

 


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Philippe Sauze : « On n’a pas su faire ce qu’Ubisoft a très bien fait avec Assassin’s Creed 1. »

Alors qu’une lourde restructuration mondiale de l’éditeur américain de jeux vidéo Electronic Arts est en cours, le Directeur Général de la branche française évoque une mutation nécessaire pour mieux optimiser ses ressources. Quant aux provocations plus ou moins originales de quelques uns des derniers titres de son catalogue, Philippe Sauze les minimise. La polémique ne serait que dans le regard des médias. INTERVIEW 1/2…

Philippe Sauze

Bliss : Le lancement du jeu The Saboteur en décembre dernier s’est accompagné d’un procédé inédit consistant en un patch à télécharger gratuitement dès le jeu acheté, puis payant plus tard,… et qui dénude presque totalement les danseuses de cabaret du jeu. C’était volontaire de prendre le risque de provoquer une réaction médiatique, en plus pendant la période de Noël ?

Philippe Sauze (directeur EA France) : Electronic Arts n’a pas nécessairement la volonté d’être polémique tout le temps contrairement à certains confrères. On peut voir ça de la façon que vous évoquez, médiatique, mais nous n’avons pas du tout vu ça sous cet angle. Grâce à ce système de patch il est possible d’éviter la nudité. Pour vraiment éviter les dérapages, rassurer les parents. Nous avons plutôt voulu instaurer un système de protection original contre le piratage et de protection vis à vis de l’enfant par rapport au vice qu’il y a dans le jeu (le jeu est officiellement recommandé aux + 18 ans, ndr). En terme d’initiative commerciale nous avons trouvé intelligente cette démarche développée par le studio de création.

Bliss : Le studio Pandemic à l’origine de The Saboteur a été fermé au moment même de la sortie du jeu. N’est-ce pas un peu politiquement incorrect ?

Philippe Sauze : Parfois la date de sortie des jeux peut être choisie, et parfois pas. Là c’est effectivement tombé au moment où Pandemic fermait. Je vous laisserai juge par rapport à ça mais, comme nous l’avons annoncé, nous avons lancé une grande restructuration de l’ordre de 1500 personnes. Cette restructuration a trois objectifs. On nous a reproché dans le passé de faire trop de jeux dont la qualité n’était pas à la hauteur de certains autres éditeurs. Là, notre premier objectif consiste à faire le chemin inverse : moins de quantité, donc moins de jeux, mais plus de qualité. Cela implique de plus gros investissements sur moins de titres avec plus de potentiel. Le deuxième objectif consiste à vendre des jeux et des services en ligne. Nous voulons vraiment toucher le consommateur en direct avec les jeux en ligne. Nous allons continuer d’investir parce que ce créneau là nécessite des ressources financières importantes. Ensuite, nous allons essayer d’optimiser nos dépenses et d’améliorer notre profitabilité. Nous sommes un groupe côté en bourse et ce troisième aspect est nécessaire. Comme pour toute entreprise, cotée en bourse ou pas cotée. Ce troisième objectif, dépense et amélioration de profitabilité, a cette fois impacté toutes les divisions d’Electronic Arts. Les 1500 personnes concernent toutes les divisions, le publishing mais aussi les studios où il y a eu des réorganisations, des redéploiements d’équipes et des fermetures.

Bliss : Il y a quand même eu quelques licenciements nets, notamment au studio Pandemic justement. Et en France ?

Philippe Sauze : Nous ne sommes pas appelés à commenter ça. Je dépasse un tout petit peu mon cadre pour vous donner une position générale et vous expliquer que nous avons d’abord cherché à optimiser nos équipes et, également, nos outils. Nous avions une tendance à développer des programmes d’intelligences artificielles studio par studio. Dorénavant nos studios vont partager ces ressources. C’est nécessaire et c’est ce que font déjà nos concurrents. Nous étions un peu dispersés de ce côté là. Concernant Pandemic en particulier, nous avons étudié tous nos studios, et évalué les caractéristiques de Pandemic. Mais il n’y avait pas matière aujourd’hui à les replacer ailleurs, et certains membres de l’équipe n’avaient pas nécessairement une volonté de continuer. Je ne peux pas aller beaucoup plus loin. La restructuration n’a pas d’impact sur toute la région dont je m’occupe, c’est à dire la France, le Benelux, l’Italie, l’Espagne et le Portugal.

Bliss : Le recentrage évoqué par vous et John Riccitiello, CEO monde d’Electronic Arts, autour de jeux de « qualité » sous-entend qu’EA n’aurait pas développé de tels jeux alors qu’au contraire, depuis quelques années, les productions EA montent en qualité. Mais, en revanche, la réussite commerciale n’est pas forcément au rendez-vous. Comment expliquez-vous ça ?

Philippe Sauze : Merci de le remarquer. Nous pensons pourtant avoir été trop loin dans la nouveauté. Nous n’avions ainsi pas l’habitude de lancer autant de titres sur une période donnée. Les équipes de distribution n’ont pas le temps de marketer le produit et de le vendre correctement. Il y a maintenant des périodes cruciales dans le jeu vidéo qui se dégagent de plus en plus clairement. Quand les blockbusters arrivent en novembre, ils raflent la mise. On le voit avec Mario, avec Assassin’s Creed… Ensuite, pour connaître le succès, ces titres là demandent d’être construits d’un point de vue marketing. Désolé, le gamer n’aime peut-être pas entendre ça, une fois qu’on a la qualité du produit il faut le faire savoir à l’aide du marketing. Et je pense qu’avec Mirror’s Edge (sorti fin 2008, ndr), qui est un très bon titre qui me tient à cœur, si on fait notre autocritique, on se rend compte qu’on n’a pas su faire ce qu’Ubisoft a très bien fait avec Assassin’s Creed 1. Ils ont créé un produit de A à Z et, en parallèle, ils l’ont créé aussi dans l’univers gamer. Nous n’avons pas su faire ça.

Bliss : Vous pensez donc agir dans ce sens là ?

Philippe Sauze : Nous allons agir dans deux directions. La qualité des jeux, et le marketing. Jusqu’à présent nous avions un savoir faire marketing. On savait prendre le temps, etc, mais on n’agissait pas assez sur la qualité. John (Riccitiello, ndr) a dit, et il a raison, il faut d’abord penser à la qualité produit. Au prix où sont les jeux aujourd’hui, on ne peut plus présenter au consommateur des produits au contenu moyen. C’est pour ça que plus de 14 de nos jeux ont dépassé les 85 % sur Metacritic (agrégateur de critiques notées des jeux, films, musiques…) l’année dernière. Metacritic est devenu un véritable vecteur pour nous. Mais ça ne suffit pas. Derrière, il faut l’appui marketing. Nous allons maintenir, voire augmenter le budget de développement des jeux et, comme nous aurons moins de titres à promouvoir, ils profiteront d’un marketing plus important.

Bliss : Le rachat de la société Playfish, spécialisée en jeux sociaux en ligne, au moment de la restructuration d’EA, par exemple, semble indiquer un redéploiement de ressources vers le développement de jeux dits casuals en ligne. Vous confirmez ?

Philippe Sauze : Non pas du tout. L’acquisition de Playfish répond à notre orientation prise dans le domaine on line. Les réseaux sociaux devenant tellement importants, voir le poids aujourd’hui de Facebook, il était nécessaire d’être présent dans le réseau social gaming. Mais ça n’a rien à voir avec le reste de notre production et nos produits package goods. Je crois qu’il ne faut pas tout mélanger.

Entretien Philippe Sauze 2e partie : « Les politiques n’ont jamais véritablement reconnu le jeu vidéo comme quelque chose d’important. »

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière

(Publié le 3 février 2010 sur Electron Libre)

 


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