Le jeu vidéo se porte bien, merci, quoiqu’en dise la Bourse emberlificotée dans sa lecture asynchrone du marché réel. La crise a certes fini par rattraper en 2009 une industrie de loisirs devenue au fil des ans et malgré ses prix élevés une valeur refuge*, mais là où les marchés de la musique et de la vidéo s’effondrent inexorablement, le jeu vidéo résiste et, même, croit.
DERNIERS REGARDS 2009…
En attendant le bilan chiffré post fêtes de Noël, l’étude du trafic Internet de cette fin d’année aux USA révèle que les intentions d’achats pour le jeu vidéo et les biens électroniques dépassent largement tous les autres secteurs. Le nombre de connexions vers le site d’Ubisoft aurait quadruplé depuis la sortie du hautement recommandable Assassin’s Creed II, tandis que les visites du site marchand spécialisé Gamestop auraient doublé entre octobre et novembre. En Grande-Bretagne, 1,73 milliards de Livres Sterling ont été dépensées en jeux vidéo contre 1 milliards de £ au cinéma et 198 millions de £ en DVD et Blu-ray. Le nombre de jeux console joué est ainsi passé de 13,5 millions en 2008 à 25 millions en 2009 au Royaume-Uni.
Les consoles de jeu profitent toujours de l’engouement pour la high-tech, même quand il s’agit de la « modeste » Wii. Visiblement, le ratio temps de jeu/prix d’achat semble convenir au public quand il s’agit de super productions pour grand écran à domicile allant jusqu’à coûter 70 €. Et, à 40 €, il semblait aussi être adapté aux jeux sur consoles portables comme la DSi de Nintendo. Jusqu’à maintenant. Car l’émergence et le succès inattendu du marché des minis jeux de l’AppStore d’Apple remettent tout en question.
Montagnes russes
L’industrie du jeu vidéo, toujours atypique bien qu’elle commence à se rapprocher du modèle structurel du cinéma, continue de fonctionner en montagnes russes avec ses hauts et ses bas qui s’apparentent à chaque fois à un lancer de dés. Si, du côté salariés, les contractions des équipes après chaque projet de jeu mené à terme doit continuer à faire mal, le dynamisme sans cesse renouvelé d’un secteur amarré avec une même ferveur au progrès des technologies informatiques, aux évolutions des softwares (auxquels les jeux appartiennent) et à la fascination du monde digital mis en images, lui permet sans cesse de rebondir. Du côté entreprises, le milieu continue de se structurer à coups de fermetures, rachats et fusions même si rien d’aussi spectaculaire – en dehors de l’acquisition de Marvel par Disney pour un impact plus large que le jeu vidéo – que la réunion d’Activision et Vivendi / Blizzard (World of Warcraft) de l’année dernière n’a bousculé l’ordre des choses.
Tremplins
Année de consolidation des savoir-faire sur les consoles Xbox 360 et PlayStation 3, les fondations invisibles de 2009 doivent servir de tremplin à une année 2010 charnière qui verra les trois consoles de salon se réinventer sans quitter leurs robes originales. La Xbox 360 et son projet Natal de reconnaissance des mouvements dans l’espace, la PlayStation 3 aussi sur ce créneau inspiré par le succès de la Wii mais aussi très vite apte à la 3D relief, et la Wii dont les vœux pieux de tous les observateurs pointent vers une Wii « Plus » en haute définition. L’upgrade technique ne suffira néanmoins pas à Nintendo pour justifier une nouvelle variation de sa console et il faudra s’attendre à quelqu’autre surprise tirée du chapeau de la créative entreprise japonaise. Autre joker 2010 susceptible de bousculer la donne, la déjà fameuse tablette Mac qui, si elle concrétisait tous les fantasmes (le sauvetage de la presse écrite, rien de moins), deviendrait, comme l’iPod Touch, une nouvelle machine à jouer obligeant tous les acteurs à repenser les modèles économiques et ludiques.
Quelques faits marquants de l’année jeu vidéo 2009…
Disparition de trois marques historiques du jeu vidéo.
- En faillite, l’américain Midway, l’un des tous premiers éditeurs du jeu vidéo (1973), célèbre dans les salles d’arcade (Mortal Kombat) mais jamais marquant sur consoles, se vend par lots, dont une part importante à Warner Bros. Interactive et THQ. Ce qui reste de la branche en France a été renommé Tradewest Games.
- En difficulté depuis des années malgré sa quasi absorption par l’éditeur SCI en 2005, l’éditeur britannique Eidos, célèbre pour avoir lancé Tomb Raider et son héroïne Lara Croft à la fin des années 90, a été absorbé par l’éditeur japonais Square Enix pour devenir Square Enix Europe (une anomalie alors que les mouvements du secteur se déplacent plutôt hors du Japon).
- Dans le couple franco/américain Atari/Infogrames artificiellement formé par le fondateur d’Infogrames Bruno Bonnell en plein trip à la Messier au début des années 2000, il ne restera que Atari. Les dernières transactions 2009 d’une entité de plus en plus insaisissable (et ce n’est pas fini) ont vu le japonais Namco Bandai faire l’acquisition de la branche européenne et rassembler la marque sous le seul label Atari. Pour simplifier.
Le retournement de veste d’Electronic Arts
- Après avoir perdu son titre de 1er éditeur du monde au profit de la fusion Vivendi-Blizzard / Activision en 2008, l’éditeur américain tente une inhabituelle percée créative en lançant un nombre courageux de projets inédits. Le marché plutôt conservateur ne suit pas vraiment et EA semble faire marche arrière dès cette année en annonçant un virage marqué vers le développement de jeux plus modestes dits sociaux confirmé par l’achat de la société spécialisée Playfish.
Doom perd son indépendance
- La réunion du célèbre et vénéré studio de John Carmack id Software avec l’éditeur Bethesda, qui voit ainsi un des derniers studio indépendant de développement (Doom, Quake) rallier un éditeur à l’ambition croissante mais pour l’instant attentif à sa petite écurie de champions du jeu vidéo (les séries de jeux de rôle Elder Scrolls et Fallout). Doom 4 et l’inédit Rage sortiront de cette nouvelle alliance en 2010.
Rééquilibrages hardware
- La chute spectaculaire des ventes de la console Wii après 4 années de domination sans partage ont obligé Nintendo a enfin baisser le prix de sa console (désormais à 200 €) pendant que Sony, cherchant encore à atteindre le seuil critique de sa PlayStation 3 baisse aussi le prix de sa machine qui impose, à 300 € et en version « Slim », le format Blu-ray dans les foyers. Réactif, Microsoft baisse aussi le prix de sa Xbox 360 plaçant le prix d’entrée de la première console HD du marché à 200 €. Les ventes de Wii sont bel et bien relancées pour Noël et les deux monstres High-tech concurrent jouent désormais au coude à coude. La PS3 qui décolle enfin dans son Japon originel pourrait sortir gagnante de ce combat de titans en 2010.
Mobiles glissants
- Le lancement finalement peu spectaculaire en occident des consoles DSi et PSP Go, variations des modèles originaux. La DSi avec son double appareil photo se vend bien depuis le mois d’avril sans changer le succès déjà constant de la portable Nintendo (114 millions de DS dans le monde). La PSP Go ne jouant qu’avec des jeux dématérialisés ne donne aucun signe de vie depuis son lancement en octobre et laisse supposer un échec aggravant les difficultés de la PlayStation Portable de Sony (pourtant vendus à plus de 53 millions dans le monde).
- Sur ce terrain sans fil, la vraie vedette se nomme iPod Touch. Un sous iPhone lecteur de MP3 devenu dans l’année la console de jeux mobile la plus sophistiquée du marché, sans doute la plus convoitée, d’abord officieusement, puis finalement officiellement intronisée nouvelle console de jeu par les dernières compagnes de communication d’Apple.
L’explosion de la scène dite « indé » du jeu vidéo
- Auparavant cantonnés aux recoins les plus undergrounds du web, les nouveaux artisans du développement de jeux vidéo pénètrent toutes les plateformes à leur disposition. De l’iPhone/iPod Touch, nouvel Eldorado (et sans doute nouvelle bulle prête à imploser sur elle-même) aux stores WiiWare et DSiWare de Nintendo, « Jeux indépendants » sur le Xbox Live de Microsoft, et, tout récemment, jeux explicitement baptisés « Minis » sur le PlayStation Store. Un bel écosystème qui contrebalance les grosses productions trop formatées.
Pandémie digitale
- La contagion planétaire du « social gaming » passant notamment par les 350 utilisateurs Facebook et dont on ne sait pas encore comment il va affecter le reste du marché et des comportements.
Les jeux marquants pour toutes les bonnes et mauvaises raisons de l’année 2009…
- Call of Duty : Modern Warfare 2 : Le succès colossal (et discutable) du jeu rejoint celui de la série Grand Theft Auto. Ce dernier ayant profondément bousculé la culture jeu vidéo, difficile de savoir quelle influence aura ce jeu de guerre très années 2000…
- Assassin’s Creed II : Une suite bien supérieure à l’originale réussissant le grand écart entre divertissement de masse et culture élitiste autour de l’Italie de la Renaissance.
- Flower : Un faux jeu « indé » puisque couvé par Sony mais à la réalisation fulgurante posant, après flOw, des mêmes auteurs, les jalons d’un jeu vidéo intelligent, poétique, philosophique même, tout en restant grand public.
- Uncharted 2 : Among Thieves : L’aboutissement technique d’un studio (Naughty Dog) capable de sortir un jeu d’aventure et d’action spectaculaire qui fait date.
- The Beatles Rock Band : La première vraie alternative aux écrasants catalogues de musiques rock des populaires simulations musicales avec accessoires. Fétichiste, mais si mélodieux.
- Batman : Arkham Asylum : Un des très rares (on les compte sur les doigts d’une main) jeux réussis adaptés d’une licence. Que les développeurs britanniques aient pu prendre le temps d’aller au bout de leur ambition plutôt que de respecter une date de sortie calée sur un autre produit y a fait beaucoup.
- Avatar : L’adaptation interactive du film de James Cameron avait, pour une fois, le potentiel de s’arracher à sa condition de produit dérivé. Déception finalement à peine étonnante, le génie du cinéaste ne transparait pas du tout dans un jeu d’action réduit à sa plus simple expression. Et bien sûr, personne n’est équipé en 2009 pour y jouer en relief.
* Avec le cinéma qui lui aussi bat des records, notamment en France.
François Bliss de la Boissière
(Publié le 30 décembre 2009 sur Electron Libre)