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Gameloft, 10 ans de mobilité et en quête d’identité

En mai 2010, Gameloft fêtait en grandes pompes à Paris ses 10 années d’exercice. La presse était conviée et j’en avais fait un rapport mi figue mi raisin en ligne. À tel point qu’il m’avait valu par la suite une conversation avec les représentants médias de l’entreprise sans doute surpris que leur plan de communication ne suscite pas que des articles 100 % positifs. Rien de grave, tout le monde faisait à l’époque en âme et conscience son travail.
Au moment où, 6 ans et un mois plus tard, Vivendi, le groupe de Vincent Bolloré, prend le contrôle hostile de Gameloft et que la démission de son PDG  Michel Guillemot est attendue, il me semble intéressant de revisiter ce que représentait alors l’entreprise au faîte de sa gloire.

Compte-rendu publié en mai 2010…

Pour fêter ses 10 ans, la société française spécialiste du développement de jeux vidéo sur supports mobiles a investi la Cité de la Mode et du Design. Un espace encore vierge amarré au quai d’Austerlitz et toujours en attente d’inauguration officielle qui ressemble, sans que cela soit prémédité, à la société Gameloft qui l’occupe un soir. Une coquille vide où une entreprise en quête de reconnaissance vient chercher à grands renforts d’invitations franco internationales et d’une balade sur la Seine, une nouvelle identité et, peut-être, un nouvel horizon. ABORDAGE…

Avec ses 330 millions de jeux vendus par téléchargement à travers 80 pays, ses 4000 employés répartis à travers le monde, après avoir essentiellement occupé l’agenda de l’industrie du téléphone mobile, la succès story Gameloft commence tout juste à prendre une place significative dans le paysage jeux vidéo. La soirée anniversaire de ce jeudi soir 6 mai 2010 semblait valider, certes les 10 premières années de prospérité de l’entreprise, mais aussi le passage à une nouvelle étape vers un futur peut-être plus noble. Les jeunes commerciaux faisant la démonstration sur place des jeux sur iPhone, téléphone Android ou, en exclusivité, sur iPad, le concèdent silencieusement face à une nouvelle audience cette fois plus avertie. La plupart des jeux du catalogue ne fait que cloner des titres forts du monde du vrai jeu vidéo, celui qui se joue sur les historiques consoles de salon ou portables. Cela passait et à fort bien réussi à l’entreprise pour nourrir les millions de téléphones mobiles au public peu exigeant en matière de jeux vidéo. Cela devient flagrant et chaque jour plus embarrassant en se rapprochant de la véritable industrie interactive.

Des titres de noblesse achetés

En ne ratant pas le virage Apple, en développant très vite sur iPhone et iPod Touch (65 titres) puis, maintenant, leader sur iPad avec 15 jeux (les ventes sur appareils mobiles Apple comptent pour 21 % des ventes de l’entreprise au premier trimestre), Gameloft gagne chaque jour de nouvelles lettres de noblesse. Une poignée de jeux déclinés aussi sur les DSiWare et WiiWare Nintendo, sur Xbox Live Arcade et PlayStation Network, participe à une irrésistible montée en réputation. Quand bien même son catalogue continue de fourbir des copies de jeux à succès et des licences de films sans plus d’intérêts que celles des autres acteurs du marché. Mais la création de jeu singulier ou à teneur artistique fait encore défaut. La première force vive de cette société continue d’être la fuite en avant vers l’innovation. En 10 ans Gameloft a dû s’adapter à plus de plateformes que le reste de l’industrie du jeu vidéo pourtant elle aussi habituée à se renouveler fréquemment. Dans son communiqué, la société annonce ainsi se positionner au plus vite sur les nouveaux Smartphones, les tablettes et les interfaces 3D à l’arrivée imminente.

L’entreprise à la fête

C’est à la fin du discours, ponctué de vidéos auto satisfaites, de l’attachant PDG Michel Guillemot que la réunion nocturne révèle sa vraie nature. Les médias, à la présence tout à coup déplacée, participent à une soirée d’entreprise où les employés sont majoritaires, hurlent en reconnaissant les collègues intervenants en vidéo et lèvent leurs verres de champagne à la santé d’un bien qui leur semble commun alors qu’un seul homme a droit à un podium et aux projecteurs. Le speech aimablement dit dans un anglais très français, se contente de saluer l’entreprise et son parcours sur 10 ans. Le message plus galvanisateur que médiatique vise les salariés. Un discours dont la gentille insignifiance ressemble à peine étrangement au catalogue de l’éditeur. Lisse, sans personnalité, reprenant des formules existantes à droite et à gauche, ou tout simplement dans l’espace public. Au détour de ces propos sans aspérité lu sur un iPad discrètement posé sur un pupitre, lui aussi translucide, Michel Guillemot tente de présenter un nouveau logo Gameloft, symbole d’un nouvel élan, qui tombe à son tour à plat.

Entre deux eaux

À l’ombre des grands du jeu vidéo, jumeau officieux d’Ubisoft tenu par son frère Yves Guillemot, Gameloft a clairement besoin d’une identité. Un nouveau logo est un début. D’évidence, des jeux vraiment originaux et solides que le public associerait sans équivoque à la marque pourraient suffire tellement la société contrôle déjà tout le reste de sa chaine de fabrication et de distribution. Bien que très générique, le FPS N.O.V.A. développé pour iPhone puis upgradé sur iPad a déjà fait tourner la tête des gamers. Pour l’instant les jeux les plus prestigieux du catalogue Gameloft copient celui du frère Ubisoft : l’Avatar de James Cameron (développé, nous affirme-t-on, indépendamment de la version Ubisoft), Assassin’s Creed, Prince of Persia, Tom Clancy’s HAWX. Mais, frère ou pas, Ubisoft semble déjà engagé dans la reprise en main de ses licences et devrait développer lui-même des versions portables de ses titres les plus prestigieux. Même si c’est énorme en âge techno-numérique, à dix ans seulement, qu’elle le souhaite ou non, poussée en avant, entre autre, par le nouveau vent Apple, l’embarcation Gameloft va devoir totalement s’émanciper, se trouver un vrai écusson à coudre sur son pavillon, quitter les bords de la Seine et prendre pour de bon le grand large si elle veut rejoindre les côtes mythiques où s’affrontent déjà les géants du jeu vidéo.

François Bliss de la Boissière

Photo de Une © Bliss : Michel Guillemot et le nouveau logo Gameloft

(Publié le 11 mai 2010 sur Electron Libre)

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À l’Assassin ! Ubisoft joue à faire du cinéma

Au moment où la version cinématographique de World of Warcraft rejoint la longue liste des adaptations calamiteuses de jeux vidéo en films. Au moment où, pour à nouveau tenter d’y croire, les regards se tournent désormais vers la version Hollywoodienne de Assassin’s Creed avec les géants Michael Fassbender, Mario Cotillard et Jéremy Irons. Au moment où l’on parle déjà d’une adaptation de The Division en film avec Jake Gyllenhaal dans le rôle principal. En se souvenant que le même Jake Gyllenhaal a joué bien malgré lui dans le sans queue ni tête film Prince of Persia.  En se rappelant que Ubisoft a coûte que coûte des ambitions de cinéma, apparemment aujourd’hui avec Hollywood mais, comme le rappelle cet article de 2009, en s’y essayant par lui-même. En n’oubliant pas que le groupe multimédia Vivendi est aux portes d’Ubisoft après avoir englouti sans ménagement le cousin Gameloft… On relira cet article de 2009 au moment où, caméras et studios numériques au poing, Ubisoft s’auto déclarait apte à faire du cinéma… 

Article écrit et publié en 2009…

En présentant une série de courts métrage réalisés en interne pour faire la promotion de son jeu vidéo Assassin’s Creed, l’éditeur Ubisoft annonce sans prudence faire du cinéma, comme si la maîtrise des outils technologiques donnait le savoir-faire. Hélas, jouer à faire du cinéma ce n’est pas encore être du cinéma…

Éditeur et développeur franco-international de jeux vidéo à succès, Ubisoft a présenté, dans une salle de cinéma des Champs-Élysées, le premier épisode d’un court métrage à l’enseigne de son prochain jeu vidéo Assassin’s Creed 2. L’événement, annoncé comme tel, vient du fait qu’Ubisoft a conçu l’intégralité de cette mini fiction en interne dans ses studios de Montréal. Premier d’une série de trois, le petit métrage de 12’ sous-titré « Lineage » et projeté exceptionnellement sur grand écran pour la presse sera diffusé sur YouTube à partir du 27 octobre et sur la chaine NRJ12 le 12 novembre. Le PDG d’Ubisoft, Yves Guillemot en personne, est venu expliqué sur scène les nouveaux enjeux pour la société qu’il a fondé en 1986 avec sa fratrie. « Le jeu vidéo fait son cinéma » prévient l’écran d’accueil de la projection. Et, en effet, Ubisoft fait tout pour. Quitte à s’y croire un peu trop.

Ubisoft flirte avec les auteurs d’Hollywood

Partenaire déjà singulier du cinéma depuis plusieurs années, Ubisoft privilégie la collaboration avec des cinéastes haut de gamme l’adaptation interactive de leurs films (l’exceptionnellement réussi King Kong de Peter Jackson, le prochain Avatar de James Cameron, les Tintin de Spielberg et Jackson). Une approche auteuriste d’Hollywood tout à fait réjouissante même si le résultat n’atteindra pas toujours l’ambition. Des partenariats et une promiscuité avec la Mecque du cinéma qui ont fini par déteindre sur l’éditeur de jeux vidéo devenu aspirant à faire du cinéma au point d’adopter une véritable politique d’édition. L’assemblage de l’entité Ubisoft Digital Arts (UDA) en 2007 à Montréal avait révélé l’ambition de créer des films en images de synthèse. Sous-entendu, sans faire appel à des structures extérieures spécialisées d’Hollywood dont on imagine le prix exorbitant des services. Ubisoft avait par exemple recruté le cinéaste français surdoué Florent Emilio Siri (Nid de Guêpes) en 2002 pour créer les cinématiques d’un épisode de sa série de jeu d’espionnage-action Splinter Cell, sans renouveler l’expérience. En 2008 Ubisoft a fait l’acquisition d’Hybride Technologies, un studio canadien de post production audiovisuel et d’effets spéciaux numériques âgé de 17 ans spécialisé en motion capture pour le cinéma (300, Sin City, le récent WhiteOut et le prochain Avatar de Cameron…). Réalisés en 15 jours par 190 personnes, les trois courts métrages Assassin’s Creed Lineage (38’ en tout) ont été conçus entièrement sur fond vert avec, différence notable des cinématiques de jeux vidéo : 21 acteurs utilisés en chair et en os à l’écran. Peaufinés, les décors de synthèse proviennent de ceux conçus pour le jeu vidéo à sortir en novembre prochain.

FMV, ou le spectre du mauvais cinéma

Techniquement, le court métrage qui utilise des technologies mixtes liées au jeu vidéo lui-même et aux méthodes cinématographiques de motion capture et d’assemblage de décors numériques autour des acteurs, n’appelle pas de remarque particulière. L’intégration visuelle fonctionne relativement bien et peut donner le change sur YouTube. En revanche, mouvements et placements de caméra, jeu non existant des comédiens, dialogués ou même dans le silence des regards, dialogues et enchainements des situations ne sauraient passer pour du « cinéma ». L’ensemble mime de loin le langage cinématographique sans en trouver la substance. Un voisin de projection dit tout haut ce que pensent les spectateurs les plus aguerris, « où est l’avancée depuis l’insertion d’acteurs réels dans les décors photoréalistes des jeux Myst des années 90 ? » ou le Full Motion Vidéo (FMV) désuet d’un Phantasmagoria ? Dans les mouvements de caméras impossibles à l’époque, les décors en 3D et… c’est à peu près tout. Le comble : l’absence de toute épaisseur humaine ou psychologique malgré la présence en chair et en os des acteurs, la platitude des chorégraphies des combats à l’épée, vedettes dans le jeu vidéo, sans envergure dans le court métrage. Si ce n’est du cinéma, c’est donc son frère ?

L’ambition plurimédia

Jusqu’où veut aller Ubisoft ? Dans une auto interview enregistrée et fournie par l’éditeur, le PDG d’Ubisoft Montréal Yannis Mallat tente de décrire l’objectif : « Étendre nos marques de jeux vidéo et les développer sur des plateformes additionnelles pour fournir une expérience globale à un vaste public« . Le multimédia d’hier devient plurimédia. « L’expérience globale » veut ainsi dire : infiltrer tous les média susceptibles d’arriver aux yeux ou aux oreilles du public visé par le jeu vidéo en préparation. Ubisoft a ainsi lancé un pôle édition de BD (Les Deux Royaumes) qui prolongera en bandes dessinées les histoires de ses héros de jeux vidéo. Un projet d’accompagnement plurimédia comme il en existe déjà pour les films. La nouveauté sans doute ici c’est qu’Ubisoft veut s’impliquer et contrôler chacune des déclinaisons de ses franchises.

Promotion : du viral au grand jour

S’il s’agit d’économiser sur la création de contenus promotionnels complémentaires à ses jeux en créant en interne des courts métrages prolongeant l’imaginaire des jeux, pourquoi pas. Electronic Arts a eu une initiative identique en lançant un long métrage animé en direct-to-vidéo pour encadrer le lancement de sa nouvelle franchise Dead Space en 2008. Les cinématiques, voire les machinima, de plus en plus répandus, empruntent déjà cette voie souvent réussie entre court métrage, sketchs et promotion (voir les hilarantes saynètes promo des jeux BattleField : Bad Company, Facebreaker…). « Les joueurs apprécient de connaître l’histoire qui précède celle du jeu vidéo, de faire connaissance avec les personnages avant leur aventure interactive » lance Guillemot à son auditoire essayant de transformer cette observation en loi universelle. Dans le cadre des jeux ambitieux et scénarisés cela fait sens même si l’énorme succès des jeux Wii et DS à prise en mains rapides et sans contexte prouve plutôt un comportement de masse inverse. Mais si l’intention est de faire du cinéma pour de bon comme semble revendiquer le vocabulaire employé sans prudence par Ubisoft pour ce premier essai de court métrage, les réserves restent de mise.

Péché capital n°7

L’envie de cinéma du jeu vidéo ne date pas d’hier et bute sur les mêmes problèmes depuis le début. Les outils ne font pas le savoir faire. Les grands studios de jeux vidéo ont désormais sous la main l’équipement pour faire du cinéma virtuel. Pas tout à fait au même niveau qu’Hollywood pour des raisons de budget, mais pas très loin. Et cela n’a jamais transformé les cinématiques de jeux vidéo en vrai cinéma. Les plus réussies du marché dans les séries Grand Theft Auto et Uncharted ne le sont que dans le contexte du jeu vidéo. Interprétation convenable d’acteurs bien choisis et mise en scène respectant un minimum la grammaire cinématographique font la blague entre deux phases de jeux. Projetées en l’état sur grand écran, ces séquences révéleraient aussitôt leurs limites techniques, leurs maladresses de réalisation, leurs dialogues de série B, leurs thématiques sans épaisseur ou consistance, même pour des « films d’action » ou de « distraction ». Le marché du film américain déborde de sous productions cheaps, de direct-to-video alimentant les chaines de télévisions, de VOD, et ce qui reste de vidéoclubs. Les séquences dites cinématiques des jeux vidéo plafonnent à ce niveau. Et, calés entre cinématiques, théâtre de télévision ou sous-production vidéo, les courts métrages Assassin’s Creed aussi.

La fusion passe par la confusion

Demain peut-être le cinéma et le jeu vidéo ne feront qu’un. Le spectateur choisira au lancement son degré de participation, active ou passive. La démarche ouverte d’Ubisoft est sans doute précurseur. Hollywood s’aventure bien avec ses gros sabots sur le terrain du jeu vidéo, soit en adaptant maladroitement des jeux vidéo en film, soit en montant de toutes pièces des studios de jeux vidéo tel Warner Bros Interactive ou Disney Interactive. Que le jeu vidéo de son côté tente de contrôler ses créations jusqu’au grand écran est tout à fait légitime. D’autant plus que le cinéma n’a jusque là fait que de très mauvaises adaptations des jeux vidéo. Au jour d’aujourd’hui cependant, quand la fusion des médias entraine – avant de renaitre probablement sous une nouvelle forme – une confusion des genres, il apparaît nécessaire de s’attacher à repérer ce qui fonctionne ou pas, ce qui progresse ou pas, ce qui fait avancer l’Histoire ou pas. Dénoncer au plus tôt les discours enjoliveurs qui tentent de faire prendre des vessies pour des lanternes ne doit pas censurer la démarche mais encourager à persévérer sans aveuglement. La petite conférence de présentation d’Ubisoft utilise si souvent le mot « film » au sein d’une salle de cinéma pour décrire l’essai, que cela oblige à préciser, sans disqualifier l’initiative promotionnelle, qu’il ne s’agit pas de cinéma. Pas encore en tous cas.

Voir aussi…
Jeux et cinéma : la (con) fusion…

François Bliss de la Boissière

(Publié en octobre 2009 sur Electron Libre)

 


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