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Steve Jobs : Ecce homo

Vertiges des mots et de l’esprit, cinéma plastique conceptuel, le Steve Jobs de Danny Boyle rejoint – sans le copier – le niveau qualitatif et mature du Social Network de David Fincher.

La Silicon Valley devrait se réjouir de voir ainsi une de ses légendes immortalisée à l’écran là où les produits qu’elle fabrique disparaissent aussi vite qu’ils naissent. On comprend que la société Apple désapprouve le Steve Jobs faillible de Aaron Sorkin et Danny Boyle. La capacité quasi dictatoriale à la décision du patron d’Apple, ses rapports humains désastreux avec sa fille Lisa et sa mère désavouée révèlent un Steve Jobs capable de cruauté, préférant la raison au coeur. Même si ces relations familiales houleuses ne sont pas totalement avérées, notamment sous la forme fictive ramassée hyper efficiente du film, dans l’absolu, sans tomber dans l’hagiographie béate, le film est bel et bien un tableau cinégénique du génie de Steve Jobs. Un portrait d’homme brillant mais pas d’un dieu. Un être humain avec la capacité unique de mettre en oeuvre sa vision, un être humain traversé aussi par tous les défauts de sa nature et de son histoire personnelle.

Après avoir rebondi sur plusieurs réalisateurs candidats, dont David Fincher lui-même, et plusieurs acteurs dans le rôle principal (dont Christian Bale, sans doute aussi pour sa capacité à maigrir à volonté), voir le projet atterrir sur les genoux de Danny Boyle et Michael Fassbender n’avait rien de particulièrement palpitant. Le scénario en 3 actes bien marqués autour de 3 présentations de produits Apple concocté par Aaron Sorkin intriguait bien sûr, mais l’arrogance et le bavardage incessant de sa série The Newsroom laissait entrevoir les limites de la méthode Sorkin. Après l’implacable The Social Network de Fincher, le film Steve Jobs confirme que pour vraiment bien mettre en scène le vertigineux tsunami de mots et de phrases du brillant dialoguiste Aaron Sorkin, il lui faut un vrai metteur en scène. Et à ce titre, capable du meilleur (28 Days Later, Slumdog Millionaire) comme du pire (The Beach, Trance), Danny Boyle surprend avec cet exercice de cinéma si désintéressé et superbement exécuté.

Les trois actes ont été répétés par les acteurs comme des pièces de théâtre sans qu’à aucun moment le film ne ressemble à du cinéma parlé et théâtral. Alors même que chaque séquence se passe dans les coulisses de théâtres pendant les minutes précédant les montées sur scène de Steve Jobs. La densité presque impensable des dialogues (on se rappellera le staccato des duellistes de l’argumentaire de la série The West Wing écrite par Aaron Sorkin) et l’intensité des tête-à-tête sont mis en image avec un sens aigu du cadrage et du montage. Tout est hyper contrôlé et fluide, rien ne fait faux. Pas même Michael Fassbender attendu au tournant (et bientôt dans le rôle du film Assassin’s Creed). Son charisme naturel d’acteur et son talent d’interprétation sans mimétisme font oublier le vrai Steve Jobs dès le premier plan du film. Même dans un rôle presque ingrat de brunette en faire-valoir de l’étoile, Kate Winslet laisse une marque indélébile. Comme tous les acteurs d’ailleurs, y compris l’insupportable cabotin Seth Rogen qui se glisse dans la peau du frère presque ennemi Steve Wozniak avec une humilité de jeu tout à son honneur.

Le paroxisme permanent des enjeux dramatiques provoqués par la personnalité de Steve Jobs lui-même est si palpable que le spectateur de cinéma, comme l’entourage et le public conquis de Steve Jobs, sont emportés dans le fameux reality distortion field provoqué par la présence du vrai Steve Jobs. Que le film arrive à reproduire cet effet posthume sans pour autant ménager sa vedette est sans doute sa plus grande réussite.

François Bliss de la Boissière


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Nintendo et Apple : l’heure du grand rassemblement a sonné

Les deux grandes marques aux coeurs de métier symbiotiques sont désormais orphelines, et au même moment. Apple sort une console Apple TV sans jeu vidéo phare. Avec une Wii U éteinte, Nintendo ne sait plus où et comment faire exister ses personnages chéris dans le salon. Après 20 ans d’esquive, il est cette fois temps que Nintendo et Apple se réunissent. Pour le meilleur et pour le meilleur. Opinion.

Logo Apple WiiU Bliss

Voilà longtemps déjà que je défends deux thèses jusque là dissociées.

L’une présente l’Apple TV – l’ancien même avec ses limites et définitivement le nouveau – comme une « bombe » à retardement sous le téléviseur dès qu’Apple décide d’en faire une machine à jouer. C’est fait. L’Apple TV 4e génération est bel et bien une console de jeux vidéo. Apple en personne n’hésite plus à le revendiquer. La question n’est désormais plus « et si » Apple s’y mettait, mais « quand ». Quand les développeurs et studios de jeux vidéo comprendront qu’il faut s’y mettre sérieusement. Les outils Apple sont désormais à leur disposition pour se jeter sur la TV. Les paris sont donc ouverts.

L’autre thèse, plus ancienne encore, concerne Nintendo. De nombreux prévisionnistes, sérieux ou à la petite semaine, ont régulièrement suggéré que Nintendo se résigne à lâcher, comme jadis Sega, la fabrication de consoles et développe ses jeux sur tous les appareils mobiles ou de salon du marché. Je n’ai jamais cru cela envisageable parce que l’ADN connu et revendiqué de Nintendo consiste à développer en symbiose jeux et hardware. Avec comme objectif indiscutable de garantir un gameplay aussi optimum que le plaisir qui lui est associé.

Chacun de leur côté du Pacifique, Apple et Nintendo fonctionnent depuis toujours avec la même philosophie et la même logistique. Contrôler hardware et software est la seule manière de garantir la meilleure expérience utilisateur. Que cela soit pour les interfaces et les logiciels comme pour les jeux vidéo. À voir et subir l’inconstance des appareils informatiques et des interfaces de toutes les autres marques, on ne peut que donner raison aux deux entreprises.

Apple épouse le modèle Wii

Mais comme le chantait le Bob Dylan qu’a affectionné et influencé Steve Jobs jusqu’à sa mort : «  The Times They Are A-Changin’ » . Les temps changent, les mutations sont inévitables. L’homme, la société doit savoir s’adapter à son époque. Les entreprises aussi. Depuis le décès de Steve Jobs, Apple a déjà changé et trouvé une seconde vie sans son mentor. Derrière son air dégagé et supérieur, le Apple de 2015 cherche ainsi à convaincre avec des mots et des démonstrations agitées très Wii de 2006 (près de 10 ans de retard sur le timing gamer !) que son nouvel Apple TV à tout faire audiovisuel est aussi une console privilégiée de jeux vidéo (voir mon dossier « L’Apple TV est-elle oui ou non une console de jeux vidéo ? »). L’Apple TV 2015 ressemble surtout furieusement à une Wii U Plus.

Nintendo en crise

En pleine crise économique, technologique et identitaire comme toute la scène du jeu vidéo japonaise, et endeuillé par le décès prématuré du respecté PDG Saturo Iwata, le Nintendo de cette deuxième partie des années 2010 va devoir changer à son tour, a déjà changé. Une mutation indéfinissable de l’extérieure et peut-être même de l’intérieur, allez savoir, est déjà en cours chez Nintendo ces dernières années. L’investissement et le déménagement dans un nouveau bâtiment où la R&D est en bonne place a forcément bousculé des habitudes malgré le secret qui l’entoure. Une tentative pour l’instant vaporeuse de diversification vers la conception d’appareils et d’applis liés à la santé reste en suspens. Et, après des années de dénégation bravache, le développement sur appareils mobiles tiers, au Japon en tous cas, est acté. Des personnages Nintendo vont donc bientôt apparaître sur des appareils mobiles d’autres marques. Les Mii pour l’instant, cela suffira bien. Mais le tabou est levé. Nintendo n’a plus vraiment de frontières nettes. Comme ses personnages ubiquitaires qui apparaissent partout et nulle part dans Hyrule Warriors, Mario Kart, Super Smash Bros et même, sous forme de vêtements (!), dans le dernier Project Zero. Sans compter les Amiibo, ses jouets-jeux vidéo copieurs tardifs de Skylanders. Nintendo ne sait plus à qui se vendre.

Mariage de raison

Nintendo sans plus d’appui hardware crédible *, Apple sans icône vidéoludique historique et sérieuse… Faut-il vraiment faire appel aux actionnaires, aux analystes de marché et autres grands clercs attitrés pour voir là le mariage idéal ? Culturel, technologique et économique. Celui qui assoirait pour de bon et sans discuter la crédibilité jeux vidéo à Apple. Celui qui garantirait enfin un support hardware (et marketing) universel permanent à Nintendo. Celui qui rendrait jaloux et repousserait les voraces économiques du secteur de loisirs : les Activision capable d’engloutir des King, les Vivendi boulimiques jusqu’à vouloir à tout prix une part du « phare » breton Ubisoft…

Association de bienfaiteurs

Apple et Nintendo ensemble ne serait pas une affaire de malfaiteurs comme tant d’autres mais une association de bienfaiteurs. L’intégrité artistique, technologique et même économique de l’un et de l’autre serait enfin réunie vers un objectif commun et idoine. Ce n’est pas de l’angélisme. Ces deux ADN là sont faits depuis longtemps pour accoucher d’un nouvel embryon. Seule l’histoire personnelle des entreprises, l’orgueil de leurs dirigeants fondateurs ont interdit d’imaginer sérieusement de telles fiançailles. Mais on l’a vu, Tim Cook le diplomate n’est pas Steve Jobs. Ses accords avec les ennemis jurés IBM et Microsoft suffiront à le prouver. Banquier et gestionnaire d’abord, Tatsumi Kimishima le nouveau responsable de Nintendo n’a sûrement rien à voir avec le redoutable stratège indépendant que fut Hiroshi Yamauchi ni avec le gentil et fidèle héritier Saturo Iwata. Avec ces nouveaux décideurs plus pragmatiques que leurs flamboyants prédécesseurs, tout devient à nouveau possible.

Le meilleur des deux mondes

Depuis novembre 2015, le positionnement et l’écosystème du nouvel Apple TV rend un rapprochement entre Apple et Nintendo tangible. Nintendo pourrait développer ses jeux, Mario, Zelda, Pikmin, sur Apple TV sans rien changer de son savoir faire. Pour garantir jusqu’au joueur son savoir faire ergonomique, Nintendo n’aurait qu’à fabriquer une de ses manettes innovantes dont elle a le secret et autant d’accessoires souhaités compatibles MFI : Apple TV et même iPhone et iPad dans la foulée. Le joueur récupérerait le meilleur des deux mondes. Apple nous a par exemple confirmé que chaque développeur de jeu est libre d’utiliser ses propres serveurs pour les parties multijoueur ou d’exploiter ceux d’Apple. Loin d’être au top, l’infrastructure réseau de Nintendo profiterait alors aussi là des moyens techniques d’Apple pour ne plus avoir qu’à se consacrer à sa magie interactive liée aux jeux vidéo.
Le mariage Apple et Nintendo n’est plus une hypothèse, ni un compromis, ni un souhait, juste une évidence. Et peut-être même une urgence. Pour l’un et l’autre.

* Le presque fameux commentateur Michael Pachter vient encore de condamner Nintendo et sa prochaine console NX et donne raison en creux à mon appel au rassemblement.

François Bliss de la Boissière


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Consoles Next-gen, la guéguerre est déclarée 2/3 : à pomme et à vapeur

La PlayStation 4 et la Xbox One semblent siffler le top départ de la 8e génération de consoles de salon fin 2013 alors qu’en réalité, dilué, le palier générationnel a déjà été franchi il y a de longs mois. Réflexions en 3 parties autour d’un conflit chronique depuis… toujours.

Next-Gen DR

Trop low-tech pour flasher les esprits, la Wii U a ainsi été la première fin 2012 à mettre entre les mains une tablette permettant de jouer en coordination avec l’écran du téléviseur. Une innovation doucement complexe et next-gen tellement évidente que les deux concurrents Sony et Microsoft n’auront de cesse, encore une fois, d’imiter Nintendo et de proposer des contrôles similaires via des applis sur tablettes ou même en passant par la PSVita devenue manette auxiliaire avec écran tactile de la PlayStation 4. Mais, pour la première fois, ces trouvailles de gameplay et de contrôles tactiles désormais répandus n’ont pas été inventées par un des acteurs du jeu vidéo.

La pomme…

Le premier vrai danger pour l’industrie historique du jeu vidéo vient de l’extérieur et s’appellent Apple, et dans une moindre mesure, Android. Un flux ininterrompu d’applis interactives tactiles, jeux vidéo en tête, alimente sans tarir les 250 millions d’iPhone, les 153 millions d’iPad et les 500 millions de smartphones et tablettes Android. Des appareils mobiles potentiellement capables de communiquer avec le téléviseur, d’y faire afficher leur contenu et donc leurs jeux. Initiées par des start-ups qui confondent encore bonnes intentions et savoir-faire (nombre de prétendant aux consoles de salon se sont cassées les dents au fil des âges : 3DO, Jaguar, Pippin, Phantom…), les mini consoles Android à glisser sous le téléviseur ne sont pour l’instant que de pales imitations de consoles de salon. Google en personne, grand maître de l’écosystème Android, fera peut-être mieux en sortant une console à son nom. C’est prévu. En cachant le mieux ses ambitions, le concurrent le plus inquiétant de Nintendo, Sony et Microsoft se nomme donc Apple. La marque devenue la plus populaire au monde devant Coca-Cola et Google a déjà posé une bombe à retardement sous le téléviseur. Il suffirait d’une mise à jour logicielle pour que le discret galet Apple TV qui diffuse pour l’instant des chaînes de VOD devienne apte à afficher des applis et donc des jeux. Une mise à jour suffirait pour transformer un Apple TV qui ne coûte que 109 € en console de salon. Les iPhone et iPad déjà dans les foyers devenant de facto des manettes tactiles.

… et la vapeur

Alors que ces challengers sont bien connus, l’arrivée récente du projet Steam Machine du bien aimé et fortuné studio Valve ouvre une porte inattendue. Si passer des jeux PC/Mac à la moulinette Linux pour les afficher dans un PC tout en un à brancher sous le téléviseur s’avère une solution aujourd’hui incertaine, la révélation surprise de la manette tactile SteamOS osant éradiquer les sticks analogiques, concrétise l’ambition de Steam de conquérir à son tour le salon. Une chose est sûre, ultra puissantes, polyvalentes, aussi ouvertes sur le monde virtuel, le nuage que le salon, toutes ces machines sont aptes à évoluer en temps réel, à se diriger de façon organique là où les joueurs et les consommateurs iront. Dans 3 ou 5 ans, la même console dans la même boite n’offrira sans doute pas le même service qu’aujourd’hui.

À suivre…
Consoles Next-gen, la guéguerre est déclarée 1/3 : endémique
Consoles Next-gen, la guéguerre est déclarée 3/3 : reality check

François Bliss de la Boissière

(Publié en décembre 2013 dans le bimestriel Games)

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iPad Mini : Extension du domaine du jeu

Sans être tout à fait une surprise, l’iPad Mini révèle un potentiel sans limite repérable. Nouveau standard de tablette, remplaçant de l’iPad traditionnel, tueur de liseuses numériques et des mini tablettes Android ? Tout cela et même plus, comme d’être en situation de devenir la console portable du marché qui renversera pour de bon les autres. Ce qui déchainera les passions…

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Sidération…

Steve Jobs n’en voulait pas et il faut continuer de donner raison à son intuition visionnaire. Deux ans et demi séparent ses déclarations et la sortie de l’iPad Mini. Une éternité sous le tempo du tic-tac emballé de l’horloge numérique. Aujourd’hui, l’évidence physiologique de l’iPad Mini contredit moins le gourou d’Apple qu’elle ne conforte et prolonge son flair. À chaque moment du temps et de l’espace son point de convergence. L’iPad 1 avait sa raison d’être dans le paysage numérique il y a deux ans, l’iPad Mini a la sienne aujourd’hui. Steve Jobs en aurait sans doute convenu. L’entreprise orpheline Apple a en tous cas pris sans lui cette décision importante à plus d’un titre. L’iPad Mini est notamment la première création d’un appareil Apple qui n’aura été ni souhaité ni conçu par Steve Jobs. Même si bien d’autres considérations économiques sont à l’origine de la naissance de l’iPad Mini, du point de vue simplement empirique de l’utilisateur, Apple a eu raison de s’émanciper. Car après la stupeur de tenir un iPad aussi léger, nait la réalité bien concrète de l’usage. Et, contre toute attente, l’iPad Mini trouve sa place dans le quotidien de la vie numérique sans nécessairement phagocyter l’iPhone ou l’iPad traditionnel.

Logique de la généalogie numérique

Quand le premier iPad a été présenté au monde en 2010, l’ambassadeur d’un futur post… ordinateur de bureau (attention à ne plus vexer les ténors du monde PC au risque de les pousser à refaire… Surface) devait frapper l’esprit et les sens. Son généreux format A4 entre les mains affirmait sans conteste la « magie » de ce nouvel avatar de la révolution numérique en cours. Le rapport surface d’écran et finesse de la machine (y compris du lourdaud premier iPad sans équivalent en 2010) avait le pouvoir de créer un choc sensoriel, de bousculer la programmation des cerveaux calés sur le format des écrans de smartphones ou d’ordinateurs de bureau. Tout à coup les magazines, les eBooks, Youtube, Internet dans son intégralité (sauf le controversé Adobe Flash bien entendu) et les jeux vidéo s’affichaient dans une toute nouvelle splendeur digitale, surtout intimement saisie par les mains. Le statut naturel de cahier numérique endossé par l’iPad réduisait le populaire iPhone à l’état de carnet de notes et s’imposait, pour les consommateurs assidus de contenus digitaux, comme un grand frère complémentaire chez soi, au bureau, ou au café. Une évidence pratique qui se découvre chaque jour en se substituant carrément à des usages professionnels : présentateur TV équipé d’un iPad (maquillé) à la place d’une pile de fiches, chef d’entreprise lisant son discours sur un iPad, conférenciers, médecins, aviateurs, banquiers, commerciaux, photographes, artistes… et bien d’autres. Quelques 100 millions d’exemplaires vendus plus tard, l’iPad est devenu un standard du monde informatique, c’est à dire de l’usage quotidien du numérique.
Néanmoins, malgré son apparente portabilité, notamment depuis la version 2 plus franchement slim, la taille et le poids (601 à 652 g) de la tablette 9,7 Apple deviennent handicaps au moment de vraiment l’utiliser en mobilité. L’iPad se transporte d’un endroit à l’autre pour être utiliser à un endroit ou à un autre mais malgré de nombreuses tentatives, il n’arrive pas sincèrement à rejoindre un usage mobile. Trop lourd trop encombrant trop voyant. Dès qu’il met la main sur un iPad Mini, un usager d’iPad standard ressent un choc physique presque irréel. Les dimensions si radicalement réduites d’un outil si familier (presque moitié moins lourd) déclenche un premier rejet d’incrédulité avant d’ouvrir grand les fenêtres de possibles déçues de l’iPad 1 et 2.

Tablette reboot

Qu’Apple l’ait envisagé ou pas, l’iPad Mini déclenche une totale réévaluation des usages de l’iPad traditionnel. Le mini offrant exactement les mêmes services à travers le même catalogue de 275 000 applis, il ne faut pas longtemps pour mesurer celles qui gagnent au change de la réduction. Première évidence, la lecture de livres numériques. Le format 200 x 134,7 mm le rapproche de celui d’un livre et son demi poids, plus léger encore en ressenti que sa pesée réelle (308 g), permet vraiment de le tenir d’une main sans fatigue. Y compris en position horizontale puisque le cadre étroit ne laisse pas beaucoup de marge pour le tenir en vertical. Les sessions de lecture allongé sur canapé ou dans le lit avec un iPad normal deviennent brusquement des souvenirs douloureux. Testé dans la rue grâce au partage de connexion 3G via Wi-Fi d’un iPhone, l’iPad Mini, même seulement Wi-Fi, devient de facto l’écran GPS de préférence. Facile à dégainer d’un sac à main, beaucoup plus intuitif à tenir là aussi d’une main que l’iPad, il n’encombre pas la marche à pied ni les mains. Son écran nettement plus généreux que l’iPhone devient, tel un GPS automobile de luxe, un vrai guide visuel en marchant là où le petit écran de l’iPhone oblige l’utilisateur à se crisper sur son écran au lieu de regarder son trajet. Grâce à de nombreuses applis, l’iPad fait également office de télécommande d’une installation audiovisuelle à domicile. Les mêmes aptitudes de l’iPad Mini, sans l’encombrement sur la table du salon ou sur les genoux, réinventent et facilitent là aussi l’usage domestique. D’une manière générale, le Mini passe de mains en mains beaucoup plus facilement, s’attrape et se trimballe d’une pièce à l’autre avec une décontraction que ne supporte pas l’autre iPad. L’iPad Mini craint sans doute autant la chute que son grand frère mais sa légèreté la rend moins probable, sa prise en main plus assurée. Chaque nouveau jour de cohabitation une scission naturelle distingue peu à peu les usages avérés et potentiels de chaque appareil.

Mini problèmes

Plus évident à la lecture d’eBooks et d’un certain nombre d’autres pratiques, l’iPad Mini trouve quand même ses limites. Par exemple dans la lecture de magazines ou de quotidiens (le grand argument contre une tablette petit format de Steve Jobs justement). Le ratio d’écran du Mini étant le même que l’iPad 2 non rétina (1028×768 px), les éléments graphiques s’affichent en petit format et, dans le cas de certains boutons de commandes (les + et x de la navigation sur Safari notamment), deviennent plus délicats à déclencher. Rien de choquant pour un utilisateur déjà bien habitué aux miniatures sur iPhone, mais crispant par rapport à l’accessibilité spontanée du « grand » iPad. La saisie de texte au mini clavier virtuel cumule, elle, des avantages et des inconvénients. Les touches plus petites imposent là aussi un exercice de légèreté que sauront maîtriser sans problème les forcenés du speed texto sur Smartphones mais qui éloignent encore une fois l’iPad de la convivialité d’un clavier physique pour la saisie de texte au kilomètre. En revanche, grâce à ses dimensions plus resserrées, les touches du clavier alphanumérique s’accèdent plus facilement et donc plus vite. En particulier celles regroupées au centre de l’écran en position horizontale qui obligent à parfois allonger la main sur iPad traditionnel. Et il en va de même pour toutes les commandes et prompteurs placés au milieu de l’écran. Les audaces ergonomiques du jeu vidéo offrent à ce titre un bon test.

Game changer

Voilà déjà plusieurs années que l’iPhone et son pendant iPhone Touch se comportent comme des consoles portables, quand bien même personne n’ose l’affirmer ainsi, en particulier Apple. Dans leur foulée, les premières générations d’iPad ont magnifié le catalogue de jeux de l’AppStore qui couvre désormais tous les genres, tous les styles et toutes les époques. En s’immisçant entre le petit écran des iPhone/iPod Touch et les grands écrans de l’iPad, le Mini semble encore une fois redondant, bâtard le cul entre deux chaires. À l’usage pourtant, dégager en touche l’iPad Mini s’avère une plus grosse erreur théorique encore concernant le jeu vidéo. Car en réalité, de Angry Birds à Secret of Mana, de Another World à Skylanders, de Lazy Raiders à Need forSpeed, l’iPad Mini devient la première vraie console de jeu Apple susceptible de supplanter toutes les autres. Un danger d’autant plus sérieux pour la concurrence que ce damné iPad Mini arrive encore une fois non déclaré sur le terrain du jeu vidéo. Et que les enfants, déjà scotchés aux iPad et iPhone, ne vont pas s’embarrasser de scrupules culturels made in jeux vidéo traditionnels pour se ruer sur l’irrésistible l’écran de l’iPad Mini.

Le jeu vidéo traditionnel sous pression

L’affaire est grave pour les constructeurs historiques Sony et Nintendo, et dans une moindre mesure Microsoft, que tous les gamers du monde affectionnent, même si officiellement ils nient la menace. En particulier un Nintendo qui joue à l’aveugle de surface tout en allumant des contre-feu aux propositions Apple (3D sur 3DS, manette tablette sur Wii U, écosystème favorable aux développeurs indes sur eShop…). Quelques minutes de jeux sur iPad Mini suffisent sans aucun doute à donner un énorme coup de vieux à la PlayStation Vita et à la 3DS. Et même au GamePad de la Wii U qui se la joue console portable de salon. Nul besoin de se déclarer expert en ergonomie pour saisir à quel point la simplicité, l’éclat et la réactivité de l’iPad Mini remplacent d’une seule vitre lisse tous les efforts « boutonneux » de la concurrence. La finesse de l’appareil entre les doigts, sa vitre à tout faire, son impression de légèreté presque déraisonnable compensée par la sensation de solidité procurée par la coque métallisée, rendent l’appareil bien plus malléable que toutes les autres solutions tout à coup vulgairement mécaniques des constructeurs historiques. Presque n’importe quel jeu devient une évidence sur iPad Mini. La taille de l’écran ouvrant grand, mais pas trop, le jeu, l’écartement des mains et donc la prise en mains bien plus crédible et proportionnée que celle de l’iPad tradi… Toutes les manipulations et formes de contrôle à une ou deux mains deviennent intuitives, mieux, agréables. Si les consoles portables traditionnelles étaient comparées à des épées versatiles prêtes à tous les combats, l’iPad Mini serait un sabre de samouraï. Sous l’autorité de son design, tous les jeux se transforment en expériences pures. Même avec les jeux quelconques, rudimentaires ou mal fagotés. Et, à fortiori, avec un bon jeu, même compliqué par les ersatzs de contrôles analogiques sur la vitre. Une limite ergonomique de moins en moins sensible grâce au génie des créateurs de jeu qui s’adaptent de mieux en mieux à ces nouvelles contraintes et réinventent petit à petit de nouvelles interfaces ou façons de jouer.

Mario acculé

Bien sûr, comme le démontre encore une fois le GamePad de la Wii U, les sticks analogiques et boutons physiques offrent l’expérience de jeu la plus riche. Mais cet héritage ergonomique mécanique des années 80-90 est voué à disparaître. Même si Nintendo semble faire deux pas en arrière avec les interfaces de jeux traditionnelles associées à la Wii U à moitié portable, le GamePad propose bien de jouer, comme la DS et 3DS, en touchant une vitre au doigt ou au stylet. La PS Vita de Sony inclut toujours des boutons mais un jeu Vita porte réellement son nom et son ambition quand il use et abuse de fonctions tactiles rétro verso comme l’attendu Tearaway de Media Molecule. Il suffit de regarder autour de soi pour apercevoir toute une génération de joueurs naître dans et avec les interfaces tactiles. Sans compter le fond désormais commun d’aptitudes gyroscopiques et de reconnaissance de mouvements des appareils dans l’espace, et pas seulement des manettes. À ce petit jeu vidéoludique non déclaré, l’iPad Mini prend instantanément la pole position. Aussi rudimentaires soient-ils aujourd’hui, les jeux de course de l’App Store deviennent de redoutables concurrents avec un iPad Mini jouant parfaitement au volant sans fil là où la taille de l’iPhone ridiculise le geste, et le poids de l’iPad normal plombe l’exercice au-delà de la curiosité. Et puis, tout simplement, l’écran 7,9′ et le piqué (même non Retina) de l’iPad Mini tournent en dérision ceux pourtant courageux de la 3DS XL, de la PS Vita et du GamePad Wii U. Au-delà du matériel, ils restent aujourd’hui encore à Nintendo et Sony des arguments de poids du nom de Mario, Zelda, Pokémon ou Uncharted, Little Big Planet, Gran Turismo qui garantissent, pour l’instant, la fidélité d’une clientèle. Mais Sega, Square Enix, Microsoft, Ubisoft, Capcom, Epic et bien d’autres encore éditent et développent des jeu sur l’AppStore, anciens ou inédits. À quoi s’ajoute une scène indé de plus en plus libre et présente, composée de vétérans du jeux vidéo et de nouveaux venus.

Détournement de tsunami

Même si la première vocation de l’iPad Mini consiste à endiguer le raz de marée de tablettes mini formats inventées par la concurrence, quelques semaines de cohabitation quotidienne avec le petit iPad révèlent avec assez de certitude que le barrage défensif d’Apple va très vite se transformer en détournement du courant. Et ce, encore une fois, contre la plupart des pronostics et le scepticisme à vue courte où se rejoignent professionnels blasés du commentaire et population indifférente ou mal informée et donc légitimement, elle, méfiante. Au cœur d’un modèle de vie numérique actif, bien entendu, les deux modèles d’iPad se révèlent complémentaires au lieu de se concurrencer. L’un et l’autre format ne font que ventiler vers l’écran le plus adapté et le plus accessible sur le moment les apps et services communs de l’écosystème Apple. Logées à la même enseigne que les consoles de jeux vidéo portables, malgré leurs efforts depuis un an pour occuper un terrain ignoré par Apple, toutes les tablettes Android au format 7′ prennent instantanément un coup de vieux avec l’arrivée de l’iPad Mini. Plus lourdes, habillées tristement de coques noires et de plastiques douteux, d’écrans en densité de pixels parfois plus importante que le Mini mais aux contrastes et colorimétries farfelues, animées par un OS Android plus ou moins optimisé mais jamais au point d’offrir une ergonomie et des services fluides, les ardoises numériques Android vont devoir revoir leur plan de conquête. Car l’avantage artificiel d’un prix de vente moins élevé que l’iPad Mini, aujourd’hui, ne résistera pas aux désillusions du vécu lors de l’inévitable renouvellement de l’appareil.

Shock and awe

Contrairement au choc culturel du premier iPad, la stupeur physique et mentale provoquée par l’iPad Mini n’est pas due à son existence proprement dite et programmée par le marché. L’étonnement surgit dans la prise de conscience qu’il reste encore des actes à jouer, que le support tablette n’a pas encore révélé tout son potentiel et que, même en mode conservateur, Apple a visiblement encore seul le pouvoir industriel de changer la donne. Que l’on s’en réjouisse ou s’en inquiète. Une chose plus certaine encore que d’autres, le prochain iPad est condamné à trouver lui aussi cet équilibre matériel improbable entre surface d’affichage, épaisseur, et poids relatif de transport. Un « sweet spot » qu’atteint du premier coup l’iPad Mini en se donnant, en plus, une allure de bijou de poche grâce à son cadre biseauté qui attrape et renvoie, comme l’iPhone 5, des éclats de lumière diamantaire.

Sans jamais vraiment se déclarer plus apte à telle ou telle pratique, sans renier ni l’iPhone ni l’iPad standard, l’iPad Mini s’installe tout naturellement en nouvelle verrière idéale derrière laquelle fouiller le terreau fertile de l’écosystème sous serre de l’AppStore. Une évidence qui fait frémir.

François Bliss de la Boissière

 


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2010 : The iPad Experience

Quand l’iPad a débarqué au domicile, elle s’est moquée, comme souvent, avant de hausser les épaules et de regarder ailleurs. Entre l’iMac géant sur le bureau familial, l’iPhone mini tout le temps dans les mains et le PowerBook lourdaud mais encore actif, cette histoire de tablette ne pouvait avoir un intérêt que pour les geeks chroniques et les habituels fans Apple. C’est vrai qu’elle est joliment plate cette tablette, que les photos rendent bien sur l’écran, et qu’elle ne fait pas de bruit, mais enfin, elle fait double, triple ou quadruple emploi avec les autres gros gadgets de la maison. « Les hommes ont toujours besoin d’un nouveau joujou » soupire-t-elle en pardonnant.

SteveJobs iPad

Miroir, joli miroir, dis moi qui est la plus belle…

Six mois plus tard, il y a deux iPad en circulation dans la maison. Le partage de plus en plus conflictuel d’une seule tablette n’était plus tenable et Noël a été la bonne occasion. Elle ne l’avouera jamais, pourtant le premier iPad arrivé en mai dernier est devenu très vite sa chose. Après les premiers jours rigolos où elle a négligemment apprivoisé l’engin dans le désordre, comme tout le monde, elle a commencé à privilégier la tablette pour regarder ses mails. Le soir d’abord, puis, peu à peu, le matin aussi. Jusque-là, elle ne le faisait qu’occasionnellement avec l’ordinateur.

Ce n’était que le début d’une longue liste de nouveaux comportements et de besoins qui ont peu à peu révélé que, malgré son abord convivial et universel, l’iPad appartient en réalité à la sphère des objets individuels, personnels, tel une sorte d’assistant numérique personnel haut de gamme. Regarder à plusieurs des diaporamas ou des vidéos ou faire passer la machine de mains en mains, pour essayer un jeu ou lire une page de magazine, prouve d’abord que la tablette que l’on partage appartient bel et bien à une personne et n’est communautaire que le temps de quelques démonstrations. Faites la tourner, et elle revient immanquablement à son propriétaire, attitré ou symbolique. Quand elle s’est abonnée à l’édition numérique du quotidien Libération qu’elle peut enfin recevoir (télécharger donc) tous les matins à domicile, il était devenu clair que l’iPad, aussi devenu liseuse, ne la quitterait plus jamais longtemps.

Impact transgénérationnel

Une des surprises fut de découvrir que l’iPad était devenue pour elle une machine à jouer. Ou, plutôt, une machine à faire jouer ensemble. Elle ne s’est pas transformée du jour au lendemain en gameuse à cause de l’iPad mais, tel un aimant social, la machine et ses jeux lui ont permis de développer de nouveaux liens privilégiés transgénérationnels. Elle a réalisé par exemple que les jeux vidéo installés dans la tablette attiraient immanquablement son petit neveu de 5 ans. Comme il ne sait pas encore lire et respecte encore l’ordre adulte, il l’a sollicite régulièrement pour lancer les jeux et se faire expliquer tel ou tel mode d’emploi. Elle découvre ses aptitudes innées au jeu vidéo et l’enfant et l’adulte, réunis autour d’un même espace-temps digital qui se touche, apprécient tous les deux cette complicité et l’intimité du jeu partagé avec l’iPad entre les mains ou sur les genoux.

Plus inattendu encore, elle a découvert que sa grand-mère était capable de s’intéresser plus que sérieusement au vénérable Scrabble relifté sur l’iPad. Non seulement cette grand-mère s’amuse toute seule sans problème à lancer des parties de Scrabble sur la tablette mais elle a la patience et l’envie de participer à la connexion des iPhone et iPod Touch devenus chevalets qui permettent de jouer à plusieurs. Ce n’est plus une vue de l’esprit d’un gourou de la Silicon Valley ou un vœu pieux marketing : autour du jeu et de son hypnotique écran à portée de mains et du coeur, l’iPad cautérise les fractures numériques et comble les gouffres générationnels.

Services à la personne

Des mails aux réseaux sociaux, il n’y qu’un pas que l’iPad a réduit d’un ou deux effleurements de la main. Puisque quelques légers gestes tactiles suffisent pour basculer de l’appli Mail à Safari, elle a fini par prendre l’habitude de consulter et publier presque aussi régulièrement sur Facebook. Elle contemple le soir les photos qu’elle a postées à partir de son iPhone dans la journée. Nul doute que le fait de pouvoir regarder intimement son profil Facebook, sans craindre un regard par dessus son épaule comme sur l’ordinateur, a décuplé sa présence sur le réseau social. En haut de son profil, les trottoirs enneigés de Paris et la Seine au bord de la crue ont remplacé les feuillages automnaux et l’iPad est sa tribune populaire.

Après insistant conseil extérieur cette fois, parce qu’il lui était difficile d’imaginer se séparer de ses prestigieux tirages photographiques constituant son book photo professionnel, l’iPad est enfin devenu son book numérique idéal. Fini les visites dans les galeries et agences encombrées de gigantesques cartons à dessin. Tendance, discret et surtout, aussi réactif sous les doigts que démonstratif, l’iPad est devenue sa meilleure carte de visite. Sans en avoir l’air.

TV réinventée

Parmi les pratiques inimaginables avant qu’elles se concrétisent, la consultation de programmes vidéos a été beaucoup plus loin que prévu avec l’iPad. Bien sûr, elle s’est fait un peu aider au début pour se familiariser aux différentes astuces de synchronisation entre iTunes et l’iPad mais depuis, merci tout va bien, elle n’oublie jamais de louer un film ou quelques épisodes de séries TV sur l’iTunes Store avant de prendre le train vers le Sud. Bien sûr, également, chaque soir, les dernières vidéos trouvailles Youtube ne manquent pas de tourner sur le canapé. Parfois remplacées par les archives de la télévision française d’hier ou d’aujourd’hui puisées sur Dailymotion. Mais le choc et le vrai glissement est apparu en même temps que les applis diffusant des programmes de télévision en direct live sur l’iPad grâce au Wi-Fi. Au début simple curiosité anecdotique, la TV sur iPad devient chaque jour plus indispensable non seulement pour les infos en direct mais aussi pour les fonctions de TV de rattrapage, comme celle que propose l’appli M6 notamment.

Avec l’iPad, il y a désormais une télévision dans la cuisine, à l’heure des repas ou, dans le lit, avant l’extinction des feux. Une télévision réinventée, de proximité, que l’on touche physiquement du doigt pour faire taire, les pubs par exemple, que l’on pose n’importe où, négligemment même, à côté de soi, proche de soi si l’on veut. Plus rien à voir avec l’objet lourd et fixe qui trône au-dessus des meubles et diffuse ses programmes d’un ton docte et distant. Cette nouvelle intimité créé un nouveau lien, complice et décontracté, fidèle mais pas autoritaire. Quand elle se déplace d’une pièce à l’autre avec le programme TV en cours entre les mains grâce à l’iPad, il s’agit moins d’une dépendance que d’une nouvelle forme de contrôle. Et de toutes façons, regarder un film, une émission de variété ou un talk show en le tenant entre ses mains et, éventuellement, en marchant, réintroduit de la magie dans une pratique que l’on croyait aussi surannée que l’ORTF.

L’avenir entre ses mains

Chaque mois, l’iPad génère de nouveaux usages. Tantôt provoqués par l’apparition de nouvelles applis que l’on ne concevait pas hier, tantôt parce que l’iPad s’ouvre à toutes sortes de personnalités venues à lui. La tablette Apple ne contient pas une liste magique de fonctionnalités qui serviront à tout le monde. L’iPad se situe au-dessus de ça, en amont même. Son universalité repose sur le fait qu’il permette de consommer sans effort, voire, il faut le revendiquer, paresseusement, du contenu numérique. Il permet d’oublier la grosse case ordinateur, son clavier, sa souris, son écran vertical intimidant, son fauteuil plus ou moins bien ajusté. Littéralement et au figuré, l’iPad remet tout à plat. Oui, en 2010 – cela tombe bien pour lancer une décade vers le futur – l’iPad est entré dans nos vies comme une tornade douce qui dépoussière chaque jour nos vieilles habitudes. Maintenant qu’elle a le sien propre, avec ses mots de passe, ses petits secrets et le confort de savoir qu’elle en est bien la propriétaire mais aussi le maître, ce n’est plus elle qui dira le contraire.

Note : Ce texte agrège les pratiques réelles de plusieurs personnes et non d’une seule.

François Bliss de la Boissière

(Publié le 31/12/2010 sur Hitphone.fr)

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Daniel Ichbiah : « Steve Jobs est insupportable. Mais avec l’iPad, il a créé l’appareil universel »

Biographe, auteur de nombreux ouvrages sur la musique, les nouvelles technologies et le jeu vidéo, éditorialiste au mensuel SVM Mac pendant plusieurs années, Daniel Ichbiah publie une biographie express de Steve Jobs qui inaugure une nouvelle collection de petits livres didactiques vendus en kiosque faisant le tour d’un sujet en « 52mn ». L’occasion de faire le point sur le gourou d’Apple, sur les i de iPad et jeux vidéo. INTERVIEW…

Daniel Ichbiah

Bliss : Vous qualifiez le Macintosh, l’iPod ou l’iPhone de « légendes », voire même d’ »œuvres »… Ces termes ne sont-ils pas un peu forts pour des produits de consommation, des utilitaires numériques éphémères par nature, aussi brillants soient-ils ?

Daniel Ichbiah : Si on compare le tout premier Macintosh sorti en 1984 avec les micro-ordinateurs de l’époque, le Commodore 64, le TRS-80 de Tandy…, la différence d’approche était totale. D’un côté il y avait des produits fonctionnels, comme l’IBM PC bien sûr, et de l’autre un objet conçu avec un sens de l’esthétique. Je n’arrive même pas à utiliser le mot « produit ». Quand on parle avec des programmeurs du Macintosh, on voit qu’il s’est dégagé une véritable intelligence dans la façon dont les programmes communiquaient entre eux, ou même le matériel. On peut vraiment parler d’une œuvre pour l’iPod. Il a été frappant dès le départ de remarquer qu’il s’agit là d’un objet impossible à brusquer. La molette est tellement souple qu’on se sent obligé d’être doux avec. Il a un côté zen. Depuis que le Mac peut lancer Windows, on voit des gens équipés des deux machines, PC et Macintosh. Et alors que le PC est traité comme un produit sans soin particulier, le Mac en revanche est placé dans une armoire, recouvert d’une petite laine (rires). L’iPod a créé un attachement qu’il n’y a pas d’habitude sur les objets de consommation. Avec Apple Steve Jobs a réussi à créer des objets qui ressemblent à des œuvres. Pour imposer ses choix Jobs est souvent allé à contre-courant, y compris en interne. Il se bat contre les gens du marketing. Il ne réfléchit pas en produit, ou en terme de marketing ou de recherche de ce qui a marché. Il a plutôt une vision d’artiste. Jobs a eu par exemple le flair d’aller dénicher Jonathan Ive (designer responsable du look des produits Apple depuis 1996, ndr), un artiste. Quand les journalistes lui avaient demandé s’il avait fait une étude de marché au moment de lancer le Macintosh, Jobs avait répondu : « Est-ce que vous croyez que Graham Bell a fait une étude de marché avant d’inventer le téléphone ? ». Est-ce que Léonard de Vinci a fait une enquête avant de peindre la Joconde ? Les premières équipes autour du Macintosh avaient été élevées dans l’idéologie hippie des années 70. En lançant le Macintosh ils affrontaient IBM, le « Big Brother » d’alors. On le voit dans le clip de lancement du Macintosh en 1984. Steve Jobs a réussi à garder cet état d’esprit, il se bat en permanence contre son conseil d’administration. Pendant son absence de chez Apple (entre 1985 et 1997, ndr), le niveau du Macintosh a baissé. C’est quand il est revenu en 1997 qu’il y a eu l’iMac, l’iPod. Il a une position extrêmement rare, pratiquement unique, il arrive à imposer un produit avec sa personnalité, simplement parce que ça lui plait.

Bliss : Steve Jobs apparait comme un homme peu amène ayant un caractère difficile au quotidien, presque un caractériel, pourtant il séduit à chacune de ses apparitions publiques, même hyper calibrées. Comment ces deux extrêmes peuvent-ils cohabiter ?

Daniel Ichbiah : Pour comprendre cette personnalité il faut faire le parallèle avec d’autres personnalités, comme Bob Dylan ou Picasso, ou même James Cameron. Ce sont des types pour qui l’œuvre devient une fin en soi. Comme dans le film Les révoltés du Bounty, le capitaine est prêt à sacrifier la santé de son équipage pour ramener une plante de l’île. Jobs a un petit peu ce penchant. Tout devait être fait pour que l’iPhone sorte en juin 2007, tant pis si les employés ne dorment pas, etc. Il est insupportable en privé. Mais tout comme Bob Dylan, ou Picasso, apparemment aussi insupportables dans leur vie privée. Ses collaborateurs à l’époque de NeXT expliquent que sa première réaction devant un projet consiste à dire que c’est mauvais. Alors ils ont pris l’habitude de commencer par lui faire des propositions sans intérêt qu’il puisse rejeter avant de lui présenter le vrai projet. Il est insupportable mais en même temps, pour beaucoup de gens il s’agit de travailler avec une légende. Bill Gates que je connais aussi assez bien (Ichbiah en a retracé la saga dans un livre en 1995, ndr) a également ce côté insupportable. Il va voir ses développeurs pour discuter aimablement avec eux tout en étant capable de leur faire remarquer que ce qu’ils disent est stupide. Les gens sortent complètement anéantis d’une réunion avec Gates. Ou avec Steve Jobs.

Paranoïa

Bliss : Depuis quand Steve Jobs n’est-il plus vraiment accessible, qu’il évolue dans une bulle ?

Daniel Ichbiah : Depuis son retour aux commandes en 1997 je pense. Il a donné quelques interviews mais il a développé le culte du secret devenu à la mode comme chez Google. Il a une paranoïa absolue sur les produits. Même les gens d’Apple n’osent pas discuter, ils ont l’impression qu’ils peuvent sauter pour un rien. Ce culte du secret est une arme pour beaucoup de ces sociétés. Elle entretient la paranoïa chez les concurrents.

Bliss : Si l’on peut comprendre la nécessité du secret industriel pour une entreprise, en quoi est-ce nécessaire que le PDG devienne lui-même l’objet du mystère ?

Daniel Ichbiah : Steve Jobs a déjà un mode de vie très particulier, voire étrange. Il n’a pas spécialement envie de mettre le projecteur sur lui. Quand il a eu son cancer, il a voulu se soigner par une médication alimentaire. Chez lui il y a très peu de meubles. Je cite souvent Bob Dylan (et Steve Jobs aussi en illustration musicale lors de ses conférences, ndr), parce que comme lui, il en a vraiment rien à faire qu’on l’aime ou ou pas. C’est la marque de certains grands artistes. Bill Gates avait ça aussi, je l’ai vu envoyer promener sans regret des journalistes.

Bliss : Vous n’avez pas pu inclure toutes les anecdotes souhaitées dans votre mini biographie sur Steve Jobs. Quelles sont celles que vous regrettez le plus ?

Daniel Ichbiah : Un jour, lors d’un Apple Expo, Jobs arrive devant le stand Sony où il voit un lecteur MP3 en vente et il demande à ce que le produit soit immédiatement retiré de l’étalage. Il s’agit de Sony quand même (rires) ! C’est assez révélateur de son état d’esprit.

Bliss : Suite au gigantesque succès de l’iPod puis de l’iPhone, la cagnotte d’Apple commence à se rapprocher de celle de Microsoft. Steve Jobs peut-il succéder à Bill Gates à la position d’homme le plus riche du monde ?

Daniel Ichbiah :  Je ne pense pas. Les revenus de Microsoft sont alimentés par d’autres sociétés qui travaillent pour elle. Dell, Hewlett Packard, Asus, etc, vendent Windows et versent des royalties. Microsoft a un revenu automatique. C’est une théorie que je développe dans mon livre sur Google (Comment Google mangera le monde, 2007, ndr). Beaucoup de sociétés rêvent d’un revenu automatique. Les millions de PC vendus avec Windows rapportent automatiquement des milliards de dollars chaque année à Microsoft. En 1995 Apple avait commencé à autoriser la commercialisation de clones du Macintosh et vendait Mac OS X à des sociétés tierces. Mais Jobs a complètement fermé le marché des clones dès son retour chez Apple en 97. S’ils avaient continué les clones, Apple aurait sans doute pu se générer des « revenus automatiques ».

Disparition de l’ordinateur

Bliss : Lors de la présentation de l’iPad, Steve Jobs a déclaré qu’Apple était désormais une entreprise faisant des produits mobiles. Ce basculement n’a sans doute pas été prémédité mais semble désormais assumé. Quel avenir pour les gammes d’ordinateurs de bureau ?

Daniel Ichbiah : Apple conçoit encore des produits comme le Mac Mini qui sont bien pratiques. Mais la taille des ordinateurs se réduit, leur mobilité s’accroit. La mobilité touche toutes les sociétés, autant Dell, HP qu’Apple. Je pense que Jobs doit apprécier les objets mobiles parce qu’il est peu attaché aux objets en tant qu’objet. Chez lui c’est assez dépouillé. J’imagine que l’iPad est un produit qui lui ressemble bien, assez proche de sa philosophie. La réduction de taille des ordinateurs est une mutation où l’objet physique perd son importance. Peut-être même qu’un jour il n’y aura plus besoin d’un ordinateur chez soi. Je pense que tôt ou tard tous les ordinateurs pourront devenir interchangeables.

Bliss : Assez typiquement, le projet iPad semble avoir convaincu les fidèles de la marque et laissé sceptique les autres. Quel type de succès imaginez-vous pour l’iPad et, notamment, quelle utilisation pourrait devenir la plus populaire selon-vous ? Le jeu vidéo, les livres, la presse, Internet tout simplement ?

Daniel Ichbiah : J’ai plutôt vu des enquêtes où 80 % des internautes étaient prêts à en acheter un ! Je suis assez étonné des réactions anti iPad. Je pense que c’est un objet d’une intelligence incroyable. L’iPad fait d’une pierre trois coups. Il prend le marché devenu important de l’Asus PC, il prend le marché des livres électroniques comme le Kindle d’Amazon, et c’est aussi un pavé énorme dans la marre de la console DS de Nintendo. Comme vous le savez, la DS est la console la plus vendue de tous les temps. Hors, là, Apple offre un système de jeux tactiles avec un écran beaucoup plus vaste. Et quand on voit le catalogue de jeux de l’iPod qui seront forcément réadaptés à l’iPad… Je pense que Jobs a fait l’appareil universel. Tous les usages vont s’y croiser. Le livre électronique va se développer très vite. Pour beaucoup d’adultes ce sera un usage plus bureautique, l’usage de consultation du web et du mail, etc. Difficile de dire quel usage va s’imposer le plus. Les trois catégories d’utilisateurs vont se cumuler. Il est quand même possible que l’iPad devienne la console portable n°1. Nintendo va devoir se mettre à niveau, au-delà de sa DSi XL avec ses écrans légèrement plus grands.

Bliss :  Vous avez récemment publié la 4e version augmentée de votre Saga des Jeux vidéo (publiée la première fois en 1997 sous le titre plus poétique : Bâtisseurs de rêves, ndr). En quelques mots, que pensez-vous de l’évolution du jeu vidéo ? Progresse-t-il comme on aurait pu s’y attendre ou avance-t-il encore et toujours en terra incognita ?

Daniel Ichbiah :  Vaste question. Le marché est devenu beaucoup plus prévisible que dans les années 80-90. Depuis une dizaine d’années on ne voit plus tellement apparaître de nouveaux types de jeux. L’industrie fonctionne par séries désormais. Chaque année on attend le jeu de football ou les courses automobiles encore plus précis, les déclinaisons des films qui sortent. Le jeu vidéo est devenu beaucoup plus prévisible et moins aventureux qu’à l’époque où naissaient les Sim City, les Doom… Il y a encore des accidents comme Les Lapins Crétins qui étaient des minis jeux dans un jeu Rayman lancés très vite pour accompagner la Wii et qui ont fait un triomphe au point de devenir des jeux à part entière. Le projet Natal sera peut-être intéressant. Mais un jeu ce n’est pas seulement son interface, souris, manette, Wiimote, ou son corps. Il faut un contenu et c’est peut-être pour ça que la Wii arrive un peu au bout. Ce n’est pas l’interface qui fait le jeu c’est le jeu qui fait le jeu. Je ne sais pas comment cela va évoluer dans les prochaines années mais je crois que les lieux de jeux vont se développer dans la maison. La technologie va permettre d’avoir l’impression de s’immerger dans un décor à 360°, de se battre avec des aliens ou de se balader dans la jungle chez soi. On pourrait très bien avoir une pièce entière, un cube, ou une sphère dans laquelle se déplacer. Peut-être à l’horizon 20-30 ans…

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière

(Publié le 3 mars 2010 sur Electron Libre)

 


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Et si la tablette Apple était aussi une console de jeu ?

Quelques heures avant la conférence Apple la tension est à son maximum. Rien n’est encore sûr pourtant concernant la tablette Apple dont toute la planète techno espère le coming out, même pas son existence. Les modalités de l’interface multi touch elle-même, à laquelle les fantasmes grefferaient bien de la 3D, voire, plus raisonnablement, un stylet façon DS, ne sont pas acquises. Celle-ci pourtant, associée à l’explosif business modèle de l’AppStore, pourrait transformer l’iSlate en console de jeux de salon venant concurrencer celles de Sony, Nintendo et Microsoft. HYPOTHÈSE…

Apple iPad launch logo

De nos jours, la technologie, avérée et supposée, ressemble fort à de la magie. L’imaginaire des uns et des autres a ainsi propulsé l’hypothétique iSlate sur une orbite incontrôlable. Tout à l’heure, la tablette Apple, si elle se confirme, reposera les pieds sur Terre. Si personne ne doute Apple capable de miracles, celui de l’iSlate, ou iPad, sera peut-être plus de l’ordre culturel que purement technologique. Comme Nintendo avec sa Wii, Apple peut avoir le génie de réorganiser les technologies d’aujourd’hui pour les assembler en un nouveau produit comblant ou suscitant un besoin que monsieur et madame tout le monde ignore encore. Parmi toutes les spéculations, l’aptitude au jeu vidéo héritée de l’iPhone/iPod Touch semble acquise. Mais jusqu’où ?

Alternances

Depuis ses débuts, il y a une bonne trentaine d’années, l’industrie du jeu vidéo fonctionne par cycles. De nouveaux appareils, de nouvelles consoles viennent régulièrement relancer intérêt et économie. Le rythme de renouvellement des consoles a fini par adopter un tempo métronomique de 4/5 ans. Les marques, alors Sega et Nintendo, puis Sony, se faisant une rude concurrence, chaque génération de consoles a vu un des constructeurs prendre l’ascendant sur l’autre. Cela veut dire, sur le modèle d’une campagne électorale, y compris avec le principe d’alternance de gouvernance, que plus d’un an avant la commercialisation d’un nouveau produit, marketing, médias et passionnés s’auto alimentaient en communications, conjectures, promesses et espoirs techno ludiques. Avant de voter pour sa marque favorite en achetant la console de son choix. Un bouillonnement cyclique dont le point d’ébullition maximal a été atteint avec le lancement hystérique de la PlayStation 2 en 2000. Épuisés par cette course en avant aussi génératrice d’énergies qu’auto destructrice, les fabricants de hardware ont fini par s’entendre tacitement autour de l’idée que la dernière génération de consoles Xbox 360, PlayStation 3 et Wii ne cède plus à ce cycle montagne russe. Rassuré par un marché stabilisé en surface, le grand public continue d’acheter en masse des consoles vieilles – en âge technologique – de déjà 4-5 ans. Une éternité à la pendule de la révolution numérique (l’iPhone n’a que 2 ans et demi et a déjà bouleversé marché et comportements). Le public jeu vidéo traditionnel plus averti, lui, manque peut-être ces pics d’excitation et d’espoir réguliers face au renouvellement hardware. Enter l’iSlate.

L’iSlate, nouveau challenger

En l’absence d’autres candidats neufs au jeu vidéo de salon, la tablette d’Apple devient tout à coup le meilleur substitut à cette aspiration de renouvellement. Apple pourrait, et aurait tout intérêt, à se glisser dans la vacance physique et émotionnelle provoquée par l’immobilisme hardware des constructeurs en place. Les mystères techniques et ergonomiques qu’elle abrite, ses espoirs, le potentiel qu’elle véhicule puisque, désormais, depuis le repositionnement officiel de l’iPod Touch en console de jeu mobile, Apple EST un acteur enfin déclaré du jeu vidéo, tout semble réunit pour un nouveau cocktail digne d’attirer les gamers, vétérans et nouveaux convertis. Et depuis le business modèle réussi de l’AppStore, il n’y a plus à convaincre les développeurs à venir travailler sur hardware Apple. Oubliées les années maigres des trois jeux annuels sur Macintosh là où le PC et les consoles pullulaient de créations. Les fourmillants fournisseurs d’applications et de jeux de l’AppStore ne se feront pas prier pour prolonger l’état de grâce du succès en développant sur iSlate. Outre les petits nouveaux venus au jeu, les grands éditeurs Electronic Arts, attendu sur scène à la présentation Apple du 27 à San Francisco, Ubisoft et sa filiale Gameloft, ou Sega, livrent déjà des jeux à l’AppStore. Le célèbre japonais Square Enix vient à son tour d’annoncer la sortie des classiques Final Fantasy I et II sur iPhone/iPod Touch, avec une interface « optimisée » et du contenu complémentaire inédit. Aux toutes dernières nouvelles, ou rumeurs d’une entreprise en quête de médiatisation, 200 applications, dont 150 jeux, seraient utilisées par 50 tablettes Apple en activité sur le Campus de Cupertino. Et, inhabituellement, des magazines spécialisés jeux vidéo ont été invités par Apple à assister à l’évènement du 27 à San Francisco.

La tablette Joker

Qu’on ne se fasse aucune illusion. Si la planète gamer, moquant depuis toujours, et avec raison, l’absence de jeux sur Mac malgré les promesses régulières (la présentation par Steve Jobs lui-même, en 1999, d’un Halo dont seul le Mac d’alors pouvait porter l’ambition technique avant que le jeu de Bungie ne devienne killer app exclusive de la première console Xbox de Microsoft reste en mémoire), si le public donc, ne voit pas forcément venir Apple sur le terrain des consoles de salon, on peut être sûr qu’après s’être laissés surprendre par l’iPhone/l’iPod Touch, Sony, Microsoft et Nintendo, surveillent de très près les initiatives d’Apple et doivent redouter le joker iSlate. Le 27, celle-ci sera sans doute d’abord présentée comme un e-Reader, un lecteur mobile de vidéo, un appareil où toute la famille peut accéder et partager un ensemble de services connectés. Mais si l’écran de 10 ou 11 pouces imaginés (25/28 cm) se confirme, si l’interface multi touch servant au jeu améliore un peu celle, souvent confuse, de l’iPhone/iPod Touch, l’iSlate va devenir très vite une machine à jouer, mobile non pas dehors, mais à l’intérieur. Chez soi, de la table de sa cuisine au confortable fauteuil, jusqu’au lit. Ou assis sur son canapé, c’est à dire exactement de l’endroit privilégié où se pratique traditionnellement le jeu sur console en regardant vers un écran. Il suffit alors d’imaginer l’iSlate capable d’envoyer son image d’un glissement du doigt vers un écran, Apple ou autre, et se transformer en manette/télécommande tactile de luxe, pour se rendre compte que le modèle des consoles de jeu de salon peut, en un tour de main et de magie, être retourné.

Table rase

Sony et Microsoft avaient rêvé leurs dernières consoles de jeu en cheval de Troie du centre de loisirs à domicile. Au point de reléguer la dénomination « console » au second plan et de privilégier les formules « plateformes de loisirs multimédia ». Le monde les a vu venir et ce sont d’abord les gamers qui ont plébiscité les Xbox 360 et PS3. L’ardoise vierge d’Apple a justement l’avantage de ne trainer aucun lourd héritage réducteur. Pas grand monde, heureusement, ne se souvient de la malheureuse et improbable console Pippin conçue par Apple avec Bandai en 1996. Alors qu’on attribue à Steve Jobs et Apple, entre autre ambition, celle de sauver, après la musique, la presse écrite et de réinventer le livre, au jour d’aujourd’hui, l’iSlate/iPad ne livre qu’un seul indice tangible. Mais néanmoins visible par tous : un carton d’invitation arty éclaboussé de couleurs évoquant l’excitation et l’anarchie créative d’un cahier d’enfants. Et qu’est-ce qu’un enfant aime le plus faire ? Jouer.

François Bliss de la Boissière

(Publié le 27 janvier 2010 sur Electron Libre)

 


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Apple, 33 ans pour réussir à jouer

Artistiquement, visuellement, ergonomiquement, humoristiquement, audacieusement, le Mac semble être né et conçu pour le jeu vidéo. Et pourtant, de promesses en attentes déçues, il aura fallu 33 ans et l’invention de l’iPhone pour que la pomme joue sérieusement…

Part I : La tentation du jeu

1955. Naissance du petit Steve Jobs à San Francisco le 24 février. Un 1er avril 21 ans plus tard, le jeune homme commencera à bouleverser la civilisation en fondant avec un compère une société informatique baptisée Apple. Avec un nom pareil, l’ordinateur se voulait déjà ludique.

1984 la 2e génération d’ordinateurs Apple se nomme Macintosh et présente pour la première fois une interface graphique et une souris pour la manipuler. Tout ça essentiellement pour travailler sans effort, pas pour s’amuser. Les artistes l’adoptent.

1993, sortie du jeu d’aventure graphique Myst sur Macintosh. Exploitant des images fixes photo réalistes pour immerger les visiteurs dans un autre monde surréaliste à la Jules Verne, le jeu aide à populariser le format CD-Rom dans les ordinateurs. Mais pour de nombreux gamers, Myst n’a jamais été un jeu.

Pendant son exil d’Apple, chassé par les actionnaires, Steve Jobs rachète le studio Pixar à George – La Guerre des étoiles qui ne voit pas venir celle-là – Lucas. Apple s’enlise dans le corporate pendant que Steve Jobs, toujours un coup créatif d’avance, s’amuse.

1996, sans Steve Jobs, Apple lance la console de jeux Pippin en partenariat avec la société japonaise Bandai. Un projet mort-né de console très informatique façon Xbox made in Mac avant l’heure qui se crash tragiquement faute de pertinence et de jeux disponibles.

Part II : Reset / retour à la case départ

 1998 de retour aux commandes d’Apple après s’être fait éjecté par les actionnaires, Steve Jobs fait appel à un designer de salle de bain pour relancer le look des ordinateurs Macintosh qui adoptent des formes et des couleurs acidulées. Les iMac aquarelles dédramatisent à nouveau l’informatique, séduisent les femmes et, toujours, les artistes. Malgré son design enfantin, l’iMac ne joue pas plus que ces prédécesseurs.

1999, la rockstar marketing Steve Jobs honore de sa présence l’Apple Expo de Paris pour présenter entres autres exclusivités un jeu développé uniquement pour Macintosh. L’équipe du studio Bungie le rejoint sur scène pour faire la démonstration du jeu… Halo ! Steve Jobs promet pour la énième fois que oui, les jeux arrivent en force sur Macintosh. On y croit. À tort.

Part III : L’approche latérale

2001, Apple détruit le Walkman avec un baladeur musical MP3 qui n’a l’air de rien. Quand l’iTunes Store devient opérationnel en ligne en 2003, l’iPod désintègre de facto le CD Audio et réinvente un business modèle avec la vente de musique dématérialisée. écouteurs blancs aux oreilles, le public suit pendant que l’industrie musicale crie au violeur. Ça danse mais joue de moins en moins.

2007 : L’iPhone et son petit frère l’iPod touch chauffent les oreilles des opérateurs de téléphonie mobile du monde entier et de Nintendo qui fait officiellement l’autruche. La DS fait semblant d’ignorer la menace que représentent les fonctions ludotactiles de l’iPhone/touch en adoptant un « i » à la DSi qui embarque, un appareil photo, voire deux.

2009 : L’Apple Store en ligne revendique 1 milliard d’applications vendues en neuf mois pour iPhone et iPod touch. 35 000 « applis » dont des milliers de jeux rarement intéressants développés avec 3 fois rien et vendus encore moins (de 1 à 5 euros) mais qui révèlent un inouï bouillonnement créatif. Au milieu de tout ce fatras, l’historique Myst devient lui aussi jouable sur l’iPhone/touch. Le Mac fête ses 25 ans sur le toit de la Grande Arche de la Défense *, et cette fois, la pomme croque vraiment du jeu.

* Exposition « Le Macintosh 25 ans déjà ! », Musée de l’informatique, Toit de la Grande Arche, Paris la Défense, tous les jours 10h-20h, jusqu’à décembre 2009, 01 49 07 27 27.

François Bliss de la Boissière (Chronotrigger)

(Publié en 2009 dans AMUSEMENT #5)


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