Même si une critique avisée ne manque pas de les pointer parmi l’ordinaire saignant du jeu vidéo, les jeux dégageant du merveilleux sont rares. En revanche, quand ils prennent cette direction et sont inspirés comme ce Little King’s Story sorti de nulle part, ils trouvent une grâce impossible à atteindre par d’autres médias.
Réelle ou fantasmée, l’aventure de ce petit garçon devenant roi pour s’entourer de sujets et éviter la solitude de sa chambre a bien sûr un petit côté Roi Arthur, Alice au Pays des Merveilles version jardin d’enfants, ou, si l’on veut prendre référence plus populaire récente, les livres et films Narnia. Mais quand le fidèle vieux chevalier « à la vache » (sa fière monture) évoque la nécessaire réunification du royaume, puis une fois faite, celle des royaumes adjacents, moins par esprit de conquête que pour rétablir un ordre et une paix juste, la gentille fable s’arme de politique.
Qu’y a-t-il de l’autre côté du miroir de la vie ordinaire ? L’année zéro, les balbutiements moyenâgeux d’une civilisation. Un petit château en bois et son village qui deviendront grands et en pierre. Des villageois dilettantes surnommés « adultes insouciants » qu’il faudra gentiment transformer en fermier, bucheron, charpentier, chasseur et bien sûr, soldat. L’apprenti Roi, aussi et surtout commandeur des armées, recrute un à un ses troupes pour ensuite conquérir des campagnes en friche traversées par des plantes sauvages, des navets agressifs, franchir des forêts de champignons, des champs de pastèques et de tournesols géants, installer habitations, fermes et commerces jusqu’à des vallées obscures…
Au fin fond de chaque recoin du royaume, un vilain rival et ses sbires qu’il faut vaincre avec ses petites escouades chacune spécialisée dans une procédure d’attaque ou de défense. Lorsque le roi sauve enfin de captivité la Princesse Abricot, celle-ci s’installe dans une demeure voisine et non dans le château lui-même. En fait de récompense au vainqueur, la princesse se révèle l’ambassadrice d’une lignée de princesses qu’il faudra également sauver ! Inutile de rêver au harem, le petit d’homme, ici, est au service de ces dames.
Le fondement du jeu, et surtout sa prise en main classique n’utilisant pas du tout les fonctions singulières des accessoires de la Wii, évoquera de nombreux jeux aux gamers avertis. à commencer par les fameux Pikmin de Nintendo auxquels Little King’s Story emprunte l’essentiel des contrôles et du principe. L’emballage graphique et sonore, pourtant, arrache le jeu à ses références pour l’entrainer sur un terrain artistique iconoclaste sans équivalent. L’animation crayonnée ou à la craie de l’introduction, puis des intermèdes, entrainée, comme le jeu lui-même, par de superbes morceaux de musique classique (de Ravel à Beethoven), provoque un délicieux choc culturel. Malgré les emprunts, Little King’s Story fait partie de ces jeux totalement uniques, entrainant le joueur dans un espace-temps reconfiguré à son échelle. Une pure et rare merveille interactive.
François Bliss de la Boissière (dévoué sujet)
(Publié en 2009 dans AMUSEMENT #5)